Les politiciens ne peuvent pas faire le travail d’officiers indépendants de l’Assemblée législative (QP Briefing)
février 1, 2019
1 février, 2019
Dans une chronique publiée récemment par Queen’s Park Briefing le 18 janvier, Deb Hutton a soulevé des questions provocatrices sur le rôle et l’utilité des officiers indépendants de l’Assemblée législative.
Publié à l’origine comme chronique d'invité dans Queen's Park Briefing – en anglais
le 1er février 2019
Par Paul Dubé
Dans une chronique publiée récemment par Queen’s Park Briefing le 18 janvier, Deb Hutton a soulevé des questions provocatrices sur le rôle et l’utilité des officiers indépendants de l’Assemblée législative.
En réponse à une chronique antérieure dans laquelle John Milloy, ancien ministre libéral, soutenait que le gouvernement Ford avait eu tort d’éliminer trois de ces chiens de garde, Mme Hutton, ancienne conseillère du premier ministre Mike Harris, a préconisé d’en éliminer un plus grand nombre encore.
Fidèle à mon rôle de surveillance apolitique et indépendante sur le secteur public de l’Ontario, mon intention ici n'est pas de louer ou de condamner ces partisans pour leurs opinions politiques, mais d'enterrer les idées fausses que ce débat a révélées.
Une partie importante du travail de l’Ombudsman est de faire la lumière sur les problèmes et de les régler avant qu'ils ne s’aggravent et empirent. C’est donc pourquoi il faut répondre à la suggestion perturbante et erronée de Mme Hutton, selon laquelle le travail des officiers indépendants peut être fait, et devrait être fait, par des politiciens.
Mme Hutton part du principe que les députés provinciaux et leurs comités peuvent tout aussi bien amener le gouvernement à rendre des comptes que des bureaux indépendants comme le mien, ce qui nous rendrait inutiles.
Cette interprétation erronée des rôles, des fonctions et des avantages de ces officiers constitue un fondement trompeur de la proposition selon laquelle les mécanismes de responsabilisation et de transparence auxquels les politiciens et les fonctionnaires sont assujettis seraient inutiles. Rien n’est plus faux.
Dans une décision rendue par la Cour suprême du Canada en 1984, le juge Brian Dickson a résumé avec éloquence les facteurs qui « ont contribué à l’essor de l’institution d’ombudsman ». Il a cité l’envergure et la complexité croissantes du gouvernement, et les difficultés qu'elles entraînent pour les gens qui traitent avec une vaste administration.
D’après ce que nous entendons dire régulièrement par des centaines d’Ontariens, je suis convaincu que, si on les interrogeait à ce sujet, ils choisiraient une surveillance accrue des organismes du secteur public, et non une surveillance moindre. Ils s’opposeraient certainement à l’idée que, pour rectifier les injustices causées par un mauvais service gouvernemental ou une insensibilité de l’administration, il suffit de les porter à l’attention d’un politicien.
Les mots du juge Dickson ne sont pas moins vrais aujourd’hui et ils méritent d’être longuement cités. Voici ce qu’il a écrit :
« Les contrôles traditionnels de la mise en œuvre et de l’administration des programmes et politiques du gouvernement, [à] savoir les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, ne sont pas complètement adaptés à la surveillance qu’exige une bureaucratie croissante, ni parfaitement capables de l’assurer. L’insuffisance de la réponse législative aux plaintes qui découlent des activités quotidiennes du gouvernement n’est pas sérieusement contestée. Les demandes auxquelles ont à faire face les membres des corps législatifs sont telles qu’ils sont naturellement incapables de procéder à un examen minutieux des rouages de la bureaucratie dans son ensemble. De plus, il leur manque souvent les ressources nécessaires en matière d’enquête pour bien suivre toutes les questions qu’ils choisissent d’étudier...
« L’ombudsman représente la réponse de la société à ces problèmes d’abus possibles et de contrôle. Ses attributions uniques lui permettent d’aborder un bon nombre de préoccupations auxquelles ne touchent pas les mécanismes traditionnels de contrôle bureaucratique. »
Il n'appartient ni aux députés, ni à leurs comités, établis selon les lignes des partis, d’enquêter sur des plaintes avec impartialité et de faire une rétroaction à l’administration sur la façon d’améliorer les processus. Les élus ont un rôle essentiel à jouer, mais ils n’ont ni les ressources ni les connaissances expertes nécessaires, pour traiter des grands nombres de plaintes du public ou pour examiner des problèmes systémiques qui exigent une enquête approfondie, crédible et confidentielle. Ceci est du ressort de l’Ombudsman.
En plus de remplir les fonctions que les députés provinciaux ne peuvent pas exécuter, l’Ombudsman aide souvent ceux-ci à servir leurs électeurs. Depuis plus de 43 ans, des députés de toutes les allégeances politiques se tournent vers mon Bureau pour obtenir un appui afin de régler les plaintes de leurs électeurs, quand toutes les autres voies de recours ont échoué. De nombreux députés provinciaux nous signalent aussi des problèmes systémiques généraux que seul un bureau d’enquête indépendant comme le nôtre peut régler.
Le rôle de l’Ombudsman est d’améliorer la gouvernance en favorisant la transparence, la responsabilisation et l’équité. Chaque année, notre Bureau aide plus de 21 000 Ontariens à résoudre efficacement leurs problèmes avec l’administration (63 % des plaintes sont réglées en deux semaines). Nous intervenons en dernier recours, c’est-à-dire une fois que les gens qui s’adressent à nous n’ont pas été en mesure d'obtenir ailleurs les réponses et les mesures équitables auxquelles ils ont droit.
Non seulement il serait impossible pour les députés provinciaux, ou même pour les ministres, de fournir ce niveau de service au public, mais il est fondamentalement irréaliste de laisser entendre que les politiciens attireraient l’attention du public sur la mauvaise gestion ou la mauvaise administration dans leur domaine. Ceux qui sont au pouvoir préfèrent souvent ne pas entendre les vérités gênantes sur la façon dont les programmes gouvernementaux sont inadéquats ou injustes, et quiconque dit de telles vérités – même au sein d’un parti politique au pouvoir – risque de le faire à ses propres risques.
Créé en Suède il y a plus de 200 ans, le mot Ombudsman signifie « représentant du peuple ». Son rôle est de dire la vérité aux gens au pouvoir – et au peuple.
M. Milloy y a fait quelque peu allusion quand il a parlé en ces termes des officiers de l’Assemblée législative : « Les partis d’opposition les adorent et les gouvernements les trouvent souvent pénibles. » Mais avec tout le respect dû aux politiciens de tout bord, notre travail ne les vise pas vraiment. Il consiste à trouver des solutions pour améliorer la prestation des services au public. Ce que beaucoup ne comprennent pas, ce sont les avantages considérables qui découlent de nos enquêtes et de nos recommandations, pour tous les Ontariens.
Avec les milliers de plaintes individuelles que nous réglons, nos enquêtes systémiques approfondies et nos recommandations ont entraîné de vastes réformes gouvernementales, pour le bien de millions d’Ontariens, en améliorant les services, en réduisant le gaspillage, et même en sauvant des vies. Parmi ces changements, citons notamment l’amélioration de la formation à la désescalade pour la police, le renforcement du dépistage des maladies évitables chez les nouveau-nés, un meilleur accès au financement des médicaments, des refontes de la vente au détail des billets de loterie et de l’évaluation foncière, et davantage de soutien pour les adultes ayant une déficience intellectuelle. Notre Bureau traite aussi des milliers de plaintes sur les municipalités et les conseils scolaires, favorisant ainsi la responsabilisation et la transparence du gouvernement local – autre secteur qui ne relève pas des députés provinciaux.
Souvenez-vous que nous ne plaidons ni pour le plaignant, ni contre le gouvernement, et vice versa. Nous plaidons uniquement pour la transparence et la meilleure gouvernance. Oui, nous dénonçons les tracasseries administratives, mais nous affirmons aussi les succès de l’administration. Nous pouvons valider les processus qui fonctionnent bien, tout comme nous pouvons les améliorer par des recommandations. Régulièrement, les ministres et les dirigeants du secteur public accueillent favorablement notre travail, comme un moyen de sortir de l'impasse et de régler des problèmes de longue date, ou de veiller à ce que les processus fonctionnent comme ils le devraient.
Plutôt que d’éroder le rôle de l’Ombudsman, de nombreuses démocraties l’élargissent afin de sauvegarder le respect des droits de la personne – en particulier le droit des enfants et des prisonniers. Notre Bureau travaille déjà en ce sens – par exemple en recommandant des réformes du système d'isolement des détenus dans les prisons provinciales – et bientôt il assumera les responsabilités de l’Intervenant en faveur des enfants et du Commissaire aux services en français.
Bien que Mme Hutton préconise un rôle réduit pour des bureaux comme le nôtre, de nombreux Ontariens nous disent qu’ils aimeraient nous voir contrôler davantage les politiciens provinciaux – qui ne relèvent pas, et n’ont jamais relevé, de notre champ de compétence. L’Ombudsman n’exerce pas sa surveillance sur le « pouvoir exécutif » du gouvernement (le premier ministre et le conseil des ministres) et ne conteste pas les politiques qu’ils adoptent. Comme les autres officiers de l’Assemblée législative, nous respectons le rôle des députés provinciaux et les limites de notre champ de compétence, aussi frustrant que cela puisse être pour les citoyens à qui certaines politiques déplaisent.
Tout comme la démocratie, notre rôle unique et bénéfique de promotion de la bonne gouvernance peut s’avérer compliqué, être souvent mal compris, et pour certains il peut parfois être gênant. Mais c’est un élément vital de cette démocratie et en fin de compte, il sert au mieux les intérêts supérieurs du public.
– Cette chronique d’invité est présentée par l’Ombudsman de l’Ontario Paul Dubé. Il a commencé son mandat quinquennal le 1er avril 2016.