Enquête sur une plainte à propos du Canton de Red Rock
« Rencontre au comptoir »
Paul Dubé
Ombudsman de l'Ontario
mai 2017
Bureau de l'Ombudsman de l'Ontario
Nous sommes
Un bureau indépendant de l’Assemblée législative qui examine et règle les plaintes du public à propos des organismes du secteur public de l’Ontario. Ces organismes comprennent les ministères, les agences, les conseils, les commissions, les sociétés et les tribunaux du gouvernement provincial, ainsi que les municipalités, les universités, les conseils scolaires, les services de la protection de l’enfance et les services en français. L’Ombudsman recommande des solutions aux problèmes administratifs individuels et systémiques.
Nos valeurs
Traitement équitable
Administration responsable
Indépendence, impartialité
Résultats : accomplir de réels changements
Notre mission
Nous nous efforçons de jouer le rôle d’un agent de changement positif, en favorisant l’équité, la responsabilisation et la transparence du secteur public, et en promouvant le respect des droits aux services en français ainsi que des droits des enfants et des jeunes.
Notre vision
Un secteur public oeuvrant au service des citoyens, dans l’équité, la responsabilisation, la transparence et le respect des droits.
Table des matières
1 En septembre 2014, Lewis Martin, qui réside depuis longtemps dans le Canton de Red Rock, a décidé de se présenter aux élections du conseil municipal. Le 11 septembre, il ne lui restait que deux jours pour présenter sa candidature. Il est arrivé au bureau municipal ce jour-là, convaincu d’avoir préparé toute la documentation nécessaire.
2 Malheureusement, dans cette petite communauté du Nord, les relations entre M. Martin et le personnel municipal étaient devenues tendues. M. Martin se méfiait du personnel municipal, doutant de sa capacité à donner suite à ses requêtes adéquatement. De son côté, le personnel municipal considérait que M. Martin se montrait plutôt exigeant et difficile.
3 Les échanges qui ont eu lieu le 11 septembre 2014 entre M. Martin et le personnel du Canton ont reflété cette tension. La greffière adjointe a dit à M. Martin que certains documents requis pour son inscription manquaient à son dossier. Il a été en désaccord avec elle et a maintenu que tout était conforme. Elle a fini par accepter son dossier, mais n’a pas voulu vérifier que la demande avait été déposée en règle. En réponse, M. Martin a dit qu’il doutait des connaissances de la greffière adjointe sur le processus d’inscription des candidats.
4 Le lendemain, M. Martin est retourné au bureau municipal. C’était le dernier jour pour le dépôt des candidatures, et il voulait s’assurer que son nom serait inscrit sur la liste des candidats. D’après nos entrevues avec le personnel du Canton, M. Martin a posé les mêmes questions sur le processus à plusieurs reprises et il a insinué que le personnel pourrait commettre une erreur intentionnellement afin de l’écarter de l’élection. D’après les souvenirs que le personnel municipal a gardés, M. Martin n’a pas élevé la voix, n’a émis aucune injure ni menace, mais il a parlé avec sécheresse et condescendance. Finalement, le directeur général de Red Rock (qui est aussi le greffier du Canton) est intervenu et M. Martin a quitté les lieux peu après.
5 À la suite de cette interaction, la greffière adjointe a déposé plainte par écrit en vertu de la politique anti-harcèlement du Canton, affirmant que durant les échanges du 11 et du 12 septembre, M. Martin avait provoqué chez elle un sentiment d’intimidation, de dénigrement et de malaise, et lui avait donné l’impression d'être « une employée moindrement dévouée et honnête ».
6 Bien qu’il ait été témoin de l’incident, le directeur général s'est chargé d’enquêter sur ce dossier de plainte. Très vite, il a écarté les mesures et les solutions recommandées dans la politique anti-harcèlement, et a décidé plutôt d’émettre un avis d’interdiction d’entrée sans autorisation. Cet avis interdisait à M. Martin d’entrer dans le bureau municipal aux heures d’ouverture, durant trois mois.
7 M. Martin a réussi à se faire nommer au Conseil lors de l’élection du 27 octobre 2014. Cependant, en raison de son refus de présenter des excuses pour son comportement avant l'élection, comportement qu’il considérait parfaitement justifié, une série d’avis d’interdiction d’entrée sans autorisation ont été émis à son encontre. Depuis juillet 2015, cette interdiction d’entrée s’étend même à tout le bâtiment municipal, ce qui le prive d’un accès à la seule bibliothèque publique du Canton durant les heures d’ouverture. Il peut néanmoins assister aux réunions du Conseil, car elles ont lieu après les heures de bureau.
8 Mon enquête a conclu que les mesures prises par le Canton en réponse aux problèmes concernant M. Martin étaient truffées d’erreurs et de maladresses. La politique anti-harcèlement du Canton n’a pas été appliquée et, de toute façon, il n’est pas clair si elle couvre les plaintes du personnel à propos du public. « L’enquête interne » qui a été effectuée s’est avérée sommaire et injuste sur le plan de la procédure. Les comptes rendus des dépositions des témoins étaient inadéquats, le directeur général n’avait pas de formation d’enquêteur, et comme il avait été témoin de l’événement, il manquait d’impartialité et d’indépendance.
9 Enfin, l’imposition d’une série d’avis d’interdiction d'entrée sans autorisation émis par le Canton n’est pas prévue dans la politique anti-harcèlement, ni dans aucune autre politique ou procédure. Le directeur général a tout simplement émis des avis unilatéralement, après avoir suivi un processus défectueux et injuste. L’imposition et le maintien de l'interdiction d’entrée à M. Martin pour un comportement qui, de l’avis de tous, n’avait été ni violent ni menaçant, étaient excessifs et injustement punitifs.
10 Pour que de telles situations ne se reproduisent plus à l’avenir, et pour équilibrer les intérêts du personnel du Canton et ceux des citoyens, j’ai fait 11 recommandations d’amélioration, préconisant entre autres que Red Rock instaure un processus équitable, complet et raisonnable en matière de procédure pour traiter les interactions difficiles entre le personnel et le public. En ce qui concerne M. Martin, je crois que le seul recours approprié à ce stade est de révoquer immédiatement tout avis d’interdiction d'entrée sans autorisation.
11 Depuis le 1er janvier 2016, l’Ombudsman de l’Ontario est en droit de faire des examens et des enquêtes de nature impartiale sur les plaintes à propos de la conduite administrative des municipalités, notamment des conseils municipaux, des conseils locaux et des sociétés contrôlées par une municipalité.
12 Le Canton de Red Rock se trouve dans le district de Thunder Bay et compte moins de 900 habitants.
13 La plainte du conseiller Martin portait sur la manière dont le Canton avait traité une plainte de harcèlement portée contre lui en 2014, et sur des avis répétés d’interdiction d'entrée le privant d'accès au bâtiment municipal en journée. M. Martin nous a dit que le Canton n’avait pas suivi un processus d’enquête équitable à propos de cette plainte, et que celui-ci se montrait déraisonnable en renouvelant de manière répétée l’avis d’interdiction d'entrée sans autorisation. Le bureau du Canton se trouve dans le même bâtiment que la bibliothèque publique et qu’une salle de conférence qui sert de salle de réunion au Conseil. M. Martin a expliqué que l’avis d’interdiction d'entrée l’empêchait même d’avoir accès à un ordinateur et un télécopieur dans la bibliothèque, aux heures de bureau de la municipalité, ce qui réduisait ses possibilités de vaquer à ses activités personnelles et municipales.
14 Mon Bureau reçoit plus de 20 000 plaintes chaque année, dont la plupart sont résolues rapidement, grâce à diverses méthodes de règlement des conflits. Fidèles à notre volonté de résoudre les plaintes rapidement, officieusement, dans toute la mesure du possible, nous avons tout d’abord communiqué avec le Canton de Red Rock pour obtenir des renseignements et des documents pertinents, et pour essayer de contribuer à une solution à cette situation. Nous avons cerné des pratiques exemplaires que le Canton pourrait suivre pour faciliter le règlement de cette plainte et pour éviter des problèmes similaires à l’avenir.
15 Malheureusement, malgré des discussions répétées avec les responsables du Canton dans l’espoir de régler le problème de manière informelle, nous n’avons obtenu qu’une coopération restreinte de leur part. Le personnel de l’Ombudsman a contacté le directeur général au moins sept fois pour parler des problèmes soulevés par M. Martin. Nous lui avons fourni des copies de procédures judiciaires pertinentes sur des avis d’interdiction d’entrée, ainsi qu’un exemple de politique sur la manière de réagir au comportement d’un client déraisonnable. Le directeur général n’était pas intéressé par un règlement informel et a demandé que notre Bureau ouvre une enquête officielle. Nous avons aussi parlé à deux reprises avec le maire pour tenter de faciliter le règlement de ce conflit, et nous avons suggéré de présenter la question au conseil municipal. Le problème est resté non résolu. J’ai donc émis un avis officiel d’enquête le 3 novembre 2016.
16 Alors que nous avons reçu plus de 4 000 plaintes sur les municipalités depuis que nous sommes en droit d’enquêter dans le secteur municipal, soit depuis quelque 15 mois, je n’ai ouvert que trois enquêtes, dont une enquête systémique sur les méthodes d’approvisionnements non concurrentiels de la Ville de Brampton. Comme il s’agissait de l’une des premières enquêtes entreprises par nous, et vu la résistance que nous avons rencontrée au début de nos tentatives de règlement, j’ai confié ce dossier au directeur de l’Équipe d’intervention spéciale de l’Ombudsman, qui a travaillé en collaboration avec notre personnel juridique.
17 Le 5 décembre 2016, deux enquêteurs se sont rendus dans le Canton et ont fait huit entrevues en personne avec des employés du Canton et tous les membres du Conseil, dont M. Martin. Notre personnel a aussi parlé à la compagne de M. Martin, qui était présente lors des échanges avec le personnel du Canton en septembre 2014, ainsi qu’avec un fonctionnaire du ministère des Affaires municipales qui avait eu à faire à M. Martin et au Canton au sujet des exigences en termes de candidature. Le Canton a coopéré avec notre enquête en libérant le personnel pour les entrevues et en fournissant les documents requis.
18 En avril 2017, nous avons envoyé un rapport préliminaire confidentiel au personnel municipal concerné et aux membres du Conseil, présentant mes conclusions, mon opinion et mes propositions de recommandations. Le maire, le conseiller Martin et le directeur général ont envoyé des commentaires dont nous avons tenu compte dans la préparation de ce rapport final.
19 Conformément à la Loi sur les élections municipales de l’Ontario, les formulaires de candidature pour les élections municipales d’octobre 2014 devaient être déposés, avec les frais requis, auprès des greffiers municipaux au plus tard le 12 septembre 2014 à 14 h. Les greffiers municipaux étaient tenus de certifier l’admissibilité des candidats au plus tard à 16 h le lundi 15 septembre 2014[1].
20 D’après les comptes rendus des témoins et les notes préparées par le directeur général quelques jours après la visite de M. Martin au bureau municipal le 12 septembre 2014, nous avons pu retracer les événements qui ont mené à une plainte du personnel contre M. Martin. Les échanges problématiques ont eu lieu dans le bureau municipal, où les employés travaillent dans une aire ouverte, séparée de la zone de réception du public par un long comptoir.
21 D’après le compte rendu qu’il nous en a fait, M. Martin s’est rendu au bureau municipal avec sa compagne le jeudi 11 septembre 2014 pour déposer sa demande de candidature. Il s’est approché du comptoir et a parlé à la greffière adjointe à propos du dépôt de son dossier. Une seconde employée du Canton et un membre du Conseil étaient aussi présents dans le bureau.
22 M. Martin nous a déclaré qu’il croyait avoir tous les documents requis, mais que la greffière adjointe lui avait dit qu’il devait présenter d’autres renseignements, notamment un justificatif montrant qu’il avait ouvert un compte bancaire de campagne. Il avait alors quitté le bureau municipal et appelé un conseiller au ministère des Affaires municipales. Le personnel du Canton a parlé lui aussi avec ce conseiller ministériel. Ce conseiller s’est souvenu qu’il avait expliqué que, bien que la Loi sur les élections municipales stipule que les candidats doivent ouvrir un compte bancaire dédié à leur campagne, ceci peut se faire après le dépôt de la candidature.
23 M. Martin et sa compagne sont ensuite revenus au bureau municipal. M. Martin s’est souvenu que la greffière adjointe avait accepté son dossier de candidature et le paiement de ses frais, mais qu’elle lui avait dit que le directeur général, qui est aussi le greffier du Canton, devrait confirmer que les documents avaient été déposés en bonne et due forme. M. Martin nous a dit qu’il avait laissé entendre à la greffière adjointe qu’elle devrait savoir ce qu’elle faisait, si elle acceptait les formulaires de candidature.
24 Quand nous avons interviewé le conseiller qui avait été témoin d'une partie de la visite de M. Martin au bureau municipal, il n’a pas pu se souvenir de toute la conversation entre M. Martin et la greffière adjointe. Cependant, il a déclaré que M. Martin avait parlé d’une voix forte et avait accusé le personnel de ne pas lui communiquer tous les renseignements voulus sur sa trousse de candidature. Selon ce conseiller, la greffière adjointe avait paru ébranlée, mais M. Martin n’avait menacé personne et il ne s’était pas montré violent.
25 La greffière adjointe nous a dit que, durant cette visite, M. Martin l’avait harcelée et l'avait pressée de lui communiquer des renseignements supplémentaires. Il avait aussi émis des doutes quant à l'obligation de donner des renseignements sur un compte bancaire. La greffière adjointe ne s’est pas souvenue d’autres détails de la conversation.
26 L’autre membre du personnel présent lors de cette visite n’a pu se souvenir d’aucun renseignement précis sur les échanges entre la greffière adjointe et M. Martin.
27 Les deux membres du personnel nous ont dit que M. Martin avait quitté le bureau de son plein gré. Ils ont déclaré que le comportement de M. Martin qui avait provoqué une plainte était principalement celui qu’il avait eu le lendemain, lorsqu’il était revenu au bureau.
28 Le directeur général n'a pas été témoin de la rencontre du 11 septembre 2014, mais il a préparé des notes le 16 septembre 2014, à partir des discussions qu’il avait eues avec le personnel du Canton et le conseiller alors présents. Ces notes sont relativement peu nombreuses. Elles font référence à la première visite de M. Martin – quand il a émis des doutes sur l'obligation d’avoir un compte bancaire de campagne – et à son retour plus tard ce jour-là pour déposer son dossier de candidature. Selon ces notes, M. Martin s’est montré « particulièrement insolent » et s’est enquis des formulaires requis à maintes reprises. Toujours selon ces notes, la greffière adjointe est alors devenue « agitée ».
29 Comme il tenait à confirmer qu’il avait fait tout le nécessaire pour poser sa candidature aux prochaines élections, M. Martin est revenu au bureau municipal le vendredi 12 septembre 2014, une fois encore avec sa compagne. La greffière adjointe et l’autre employée qui était présente le jour précédent se trouvaient de nouveau au bureau, de même que le directeur général.
30 M. Martin nous a dit qu’il voulait obtenir un reçu pour les frais de candidature payés, ainsi que l'assurance que son dossier avait été déposé correctement. Il a précisé que la greffière adjointe lui avait donné un reçu pour les frais payés, mais n’avait pas voulu vérifier que le dossier était dûment déposé. Le directeur général était sorti de son bureau et M. Martin l’avait alors interrogé sur les documents de candidature. Lui et sa compagne nous ont déclaré que le directeur général avait refusé de reconnaître que M. Martin avait dûment présenté les documents requis, ajoutant que M. Martin le découvrirait le lundi suivant. Comme souligné, les greffiers étaient tenus de certifier les candidatures admissibles le lundi suivant, conformément à la Loi sur les élections municipales.
31 Dans l’impossibilité d’obtenir la confirmation qu’il demandait au personnel, M. Martin a dit qu’il présenterait une requête en vertu de la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée, pour confirmer que ses documents avaient été dûment déposés. En réponse, le personnel lui a remis un formulaire de demande sur l’accès à l’information. Le directeur général a accepté la demande d’information et a dit que le Canton y répondrait dans deux semaines. Ensuite, M. Martin a quitté le bureau.
32 M. Martin nous a dit qu’il avait vu que la greffière adjointe était contrariée durant sa visite, mais il ne savait pas pourquoi. Il a ajouté que lui aussi avait été contrarié parce qu’il avait eu le sentiment qu’on l’ignorait et qu’on lui manquait de respect. Il a affirmé qu’il n’avait jamais élevé la voix, insulté les employés, juré, ou menacé quiconque, et que personne ne lui avait demandé de quitter les lieux, mais qu’il l’avait fait de son propre gré.
33 Sa compagne a corroboré le souvenir qu’il a gardé des événements. Elle nous a dit que M. Martin n’avait jamais élevé la voix et qu’il avait uniquement posé des questions au personnel parce que la greffière adjointe ne semblait pas savoir quels documents elle devait obtenir. Elle nous a dit aussi que le directeur général avait refusé de répondre à M. Martin quand celui-ci avait demandé si son dossier avait été dûment déposé, maintenant que M. Martin devrait attendre jusqu’à lundi pour le savoir. Elle s’est souvenue que la greffière adjointe semblait contrariée, mais elle avait pensé que c’était en raison du comportement du directeur général, qui avait aggravé la situation selon elle en refusant de donner la confirmation requise par M. Martin.
34 D’après la greffière adjointe, tout au long des échanges, M. Martin l’avait harcelée, l’avait grillée de questions et avait sous-entendu qu’elle ne faisait pas son travail. Elle nous a dit qu’elle avait eu un sentiment de malaise, qu’elle s’était sentie intimidée et rabaissée car M. Martin commentait ses moindres gestes. Elle s'est souvenue qu’il avait dit quelque chose du genre « vous devriez le savoir », quand elle avait essayé de confirmer si les documents requis avaient bien été déposés. Elle a déclaré que M. Martin ne l’avait ni injuriée, ni menacée, et qu’il n’y avait eu ni violence physique, ni menace de violence, mais que l'attitude de celui-ci lui avait semblé violente et intimidante. Personne n’avait appelé la police et, selon la greffière adjointe, personne n’avait demandé à M. Martin de quitter le bureau.
35 L’autre employée qui avait été témoin de la scène a déclaré que les échanges étaient devenus tendus, et elle a entendu M. Martin dire qu’il pensait que la greffière adjointe allait commettre une erreur d’administration intentionnellement pour qu’il ne soit pas inscrit comme candidat. Elle a dit que M. Martin n’avait pas crié, mais qu’il avait parlé sévèrement, « avec condescendance », à la greffière adjointe. Elle se souvient de l’avoir entendu dire des choses du genre « ça va s'égarer? » et « vous allez faire exprès d’embrouiller tout ça pour que je ne puisse pas être candidat ». Elle a ajouté que la greffière adjointe était restée courtoise durant tous les échanges, mais qu’elle avait été contrariée par les questions. Elle a confirmé qu’il n’y avait pas eu ni violence physique, ni menace de violence, et que personne n’avait demandé à M. Martin de quitter les lieux.
36 Le directeur général nous a dit qu’il avait entendu M. Martin élever la voix et qu’il était alors sorti de son bureau pour intervenir. Il a déclaré que M. Martin exigeait des renseignements que le Canton ne lui fournissait pas, croyait-il. Il a interprété ces mots de M. Martin comme une insinuation que l’employée mentait, et il a qualifié le comportement de celui-ci d’« offensant ». Il a ajouté que M. Martin n’avait pas fait de menaces physiques, mais parlant du langage corporel de celui-ci, il a dit qu'il « faisait les cent pas » et « attrapait des choses sur le comptoir ». Il s’est aussi souvenu qu’il avait dû demander à M. Martin de quitter le bureau. En réponse à mon rapport préliminaire, le directeur général a dit qu’il « a une voix basse, qui ne porte pas » et qu'il pourrait ne pas avoir été entendu quand il avait demandé à M. Martin de quitter les lieux.
37 Les notes prises par le directeur général le 16 septembre 2014 indiquent que M. Martin s’était disputé avec la greffière adjointe, avait demandé des formulaires pour présenter une demande d’accès à l’information, puis avait rempli cette demande. Les notes qualifient le comportement de M. Martin de « belliqueux ». Elles font aussi référence à un appel passé à un conseiller ministériel pour lui demander une confirmation au sujet des formulaires requis, et au fait que M. Martin s’était plaint d’avoir à remplir ces documents.
38 Nous avons interviewé le directeur général le 5 décembre 2016 et il a répondu à notre rapport préliminaire le 17 mai 2017. Le compte rendu écrit le plus récemment établi ne fait pas référence au fait que M. Martin aurait fait les cent pas, aurait attrapé des choses sur le comptoir ou aurait été forcé à quitter les lieux le 12 septembre 2014. Aucun autre témoin n’a appuyé cette description du comportement physique de M. Martin ou ne s’est souvenu que le directeur général lui ait demandé de partir. Dans ces circonstances, je considère que ces éléments de preuves donnés par le directeur général ne sont pas fiables et je crois que, selon la prépondérance des probabilités, M. Martin ne s’est pas livré à de tels actes et que personne ne lui a demandé de quitter le bureau municipal le 12 septembre.
39 La greffière adjointe a préparé une ébauche de plainte pour harcèlement le soir du vendredi 12 septembre 2014. Sa plainte indiquait que le 11 et le 12 septembre 2014, elle s’était sentie « intimidée » par M. Martin, dont les « questions constantes » l’avaient mise mal à l’aise et l’avaient dénigrée. La plainte indiquait aussi que les actes de M. Martin lui avaient donné le sentiment d’être « une employée moindrement dévouée et honnête ».
40 La plainte de la greffière adjointe a été déposée en vertu de la politique anti-harcèlement du Canton. Datée du 9 juillet 2010, cette politique fait référence à l’engagement pris par le Canton de garantir un environnement de travail sûr et respectueux à tous les membres du personnel et de la clientèle. Elle donne cette description générale du harcèlement :
tout comportement qui rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, et dont une personne raisonnable aurait dû savoir qu'il était indésirable. Sont inclus les actes, commentaires et comportements. Le harcèlement peut être un incident unique ou durer dans le temps.
41 En vertu de cette politique, la greffière adjointe est la personne désignée pour recevoir ces plaintes. Si une plainte la concerne, il appartient au maire de traiter la question.
42 La politique prévoit trois options différentes pour traiter ces plaintes : règlement informel avec l’aide de la personne désignée; médiation par la personne désignée ou un médiateur externe; enquête officielle, « soit par une personne spécialement formée au sein de l’organisme, soit par un consultant ». Si une question fait l’objet d’une enquête et que la plainte s’avère justifiée, l’enquêteur doit remettre un rapport écrit au Conseil, avec des recommandations de recours ou de mesures correctives. Le Conseil décide alors quelles mesures prendre.
43 La greffière adjointe nous a dit qu’elle avait envoyé sa plainte au sujet de M. Martin au directeur général, tard le vendredi 12 septembre, par courriel. Puis elle avait porté plainte officiellement au directeur général lorsqu’elle avait repris le travail, après la fin de semaine, le lundi 15 septembre 2014. Elle nous a dit aussi qu’elle avait rencontré ce même jour le directeur général et le maire pour leur parler de ses problèmes.
44 Le maire nous a déclaré qu’il avait tenté de régler la question de manière informelle et qu’il avait téléphoné à M. Martin pour lui demander d’assister à une réunion afin de discuter « d'une question d’une certaine urgence ». M. Martin nous a dit que le maire lui avait téléphoné, mais qu’il n’avait pas laissé de message. Il a ajouté qu’il avait accepté de rencontrer le maire, par la suite, à condition de pouvoir faire un enregistrement sonore de leur conversation. Il a affirmé que le maire avait refusé cette requête, mais avait proposé que quelqu’un prenne des notes. En raison de ses précédentes expériences malheureuses avec le bureau du Canton, M. Martin a décidé de ne pas rencontrer le maire. Le maire ne se souvient pas d’une discussion avec M. Martin à propos d’un enregistrement sonore ou d’une prise de notes lors d’une réunion. Le 22 septembre 2014, le maire a envoyé une lettre à M. Martin pour lui proposer de nouveau une rencontre le 29 septembre. Une fois de plus, M. Martin a décidé de ne pas rencontrer le maire.
45 Le Canton n’a pas cherché à poursuivre une médiation dans ce cas, alors que sa politique anti-harcèlement l'autorisait. Toutefois, le directeur général nous a dit qu’il avait enquêté en vertu de cette politique[2]. Pour cela, il a interrogé la greffière adjointe, l’autre employée présente le 11 et le 12 septembre 2014, ainsi que le conseiller qui avait assisté aux échanges le 11 septembre.
46 Le directeur général n’a pas gardé de relevé séparé de ses notes d’entrevue avec les trois témoins. Il a rédigé deux pages et demie de remarques écrites au total, sans les attribuer à quiconque, en date du 16 septembre 2014.
47 Il n’est pas passé à l’étape suivante de la politique anti-harcèlement, qui aurait été de préparer un rapport étayant la plainte pour le Conseil et faisant des recommandations pour remédier au problème. Il nous a dit qu’à un certain moment, il avait renoncé à effectuer une enquête en vertu de la politique anti-harcèlement du Canton et avait décidé de procéder à un examen du problème conformément à la Loi sur la santé et la sécurité au travail. Il a déclaré qu’en vertu de cette Loi, il est de son obligation de protéger la sécurité des employés du Canton. Il n’a pas pu se souvenir du moment où il avait changé d'orientation de processus. Toujours est-il qu’au lieu de chercher une solution en vertu de la politique anti-harcèlement, il a décidé d’émettre un avis d’interdiction d’entrée contre M. Martin en vertu de la Loi sur l’entrée sans autorisation de l’Ontario. L’avis, daté du 20 octobre 2014, interdisait à M. Martin d’entrer dans le bureau municipal de 8 h 30 à 16 h 30, durant trois mois.
48 Une lettre envoyée en annexe par le directeur général indiquait que l'avis était « explicite ». Elle précisait que l’avis ne pourrait « être révoqué qu’après des excuses présentées par écrit précédant votre signature et acceptées par [la greffière adjointe] ». Elle faisait aussi cet avertissement : « Si des excuses ne sont pas présentées et acceptées par [la greffière adjointe], l’avis d’interdiction d’entrée sans autorisation pourrait être prolongé ».
49 Le directeur général a informé la greffière adjointe – puis le Conseil du Canton – qu’il avait émis un avis d’interdiction d’entrée sans autorisation à M. Martin. Son rapport au Conseil indique simplement que la Police provinciale de l’Ontario avait livré cet avis d’interdiction d’entrée dans le bureau municipal. D’après le procès-verbal de la réunion du Conseil le 3 novembre 2014, durant laquelle ce rapport a été examiné, il n’y a pas eu de discussion de cette question, ni d’approbation officielle de cette sanction par voie de résolution ou de règlement.
50 M. Martin a été élu le 27 octobre 2014 et il a pris son poste de conseiller du Canton de Red Rock le 1er décembre 2014. Quand le premier avis d’interdiction d’entrée sans autorisation a pris fin en janvier 2015, le directeur général a émis un nouvel avis d’interdiction d’entrée pour les six mois suivants, soit jusqu’en juillet 2015. Puis il a émis un autre avis d’interdiction d’entrée, interdisant cette fois au conseiller Martin d’entrer dans tout le bâtiment municipal aux heures de bureau (de 8 h 30 à 16 h 30, du lundi au vendredi) durant une année. Il nous a dit que l’avis d’interdiction d’entrée avait été élargi quand il s’était avéré que la greffière devait vaquer à ses activités dans tout le bâtiment aux heures d’ouverture. En juillet 2016, un quatrième avis a été émis, encore une fois pour une durée d'un an, et pour tout le bâtiment municipal. M. Martin est donc privé du droit d’entrée dans le bureau municipal ou dans le bâtiment municipal aux heures d’ouverture depuis octobre 2014.
51 Chaque fois, le directeur général a émis l'avis unilatéralement, puis a fait un rapport au Conseil. Le Conseil n’a jamais adopté de résolution ou de règlement au sujet de M. Martin et des avis d’interdiction d’entrée sans autorisation. Cependant, lors de nos entrevues, tous les membres du Conseil, à l’exception de M. Martin, ont confirmé que chacun appuyait la décision prise par le directeur général pour que des avis continuent d’être émis jusqu’à ce que M. Martin présente des excuses et que la greffière adjointe « se sente en sécurité ».
52 La greffière adjointe nous a dit que la situation continuait de la mettre mal à l’aise et qu’elle aimerait la voir réglée.
53 Je comprends que Red Rock est une petite communauté, dotée de ressources limitées. Néanmoins, ses habitants sont en droit d’attendre que leurs services municipaux soient administrés de manière équitable, raisonnable et responsable. Malheureusement, le traitement de la plainte contre M. Martin reflète à la fois un manque de clarté dans les politiques, des pratiques administratives inadéquates, une mauvaise compréhension et une mauvaise application de la loi.
54 Dès le départ, des difficultés sont survenues en raison d’une politique anti-harcèlement qui n'était singulièrement pas faite pour répondre aux inquiétudes de la greffière adjointe quant à M. Martin.
55 La Loi sur la santé et la sécurité au travail traite du harcèlement au travail, et en donne la définition suivante :
a) ... fait pour une personne d’adopter une ligne de conduite caractérisée par des remarques ou des gestes vexatoires contre un travailleur dans un lieu de travail lorsqu’elle sait ou devrait raisonnablement savoir que ces remarques ou ces gestes sont importuns;
b) ... harcèlement sexuel au travail[3].
56 La Loi est censée être appliquée par le biais de politiques et de programmes anti-harcèlement au travail conçus et suivis par chaque employeur. L’article 32.0.1 stipule que chaque employeur doit formuler une politique concernant le harcèlement au travail et élaborer et maintenir un programme visant à la mettre en œuvre. Red Rock a élaboré une politique anti-harcèlement, comme l’exige la Loi, en 2010.
57 Le personnel du Canton nous a dit que la politique anti-harcèlement avait été copiée sur un modèle en ligne. De toute évidence, elle n’a pas été adaptée à ce milieu de travail. Par exemple, les plaintes fondées sont censées être transmises par écrit « au président », alors qu’aucun responsable du Canton ne porte ce titre. De plus, dans la partie consacrée aux solutions, on trouve une référence inexplicable à l’obtention d’excuses « du harceleur et de la compagnie XYZ ».
58 Les membres du Conseil (à l’exception du conseiller Martin), de même que le personnel du Canton, nous ont dit que la politique anti-harcèlement s’appliquait à tout le monde, y compris les membres du Conseil, les entrepreneurs et les citoyens. Cependant, le libellé de la politique ne le dit pas. La politique stipule qu’un harcèlement peut se produire entre un employé et un « client » ou un « demandeur d'emploi ». Le directeur général nous a dit que quelqu’un qui n’est pas employé est considéré comme un « client ». Cependant, il n’y a pas de référence particulière aux plaintes contre des membres du grand public. Les mesures correctives prévues par la politique du Canton semblent aussi viser principalement les cas de harcèlement au travail entre collègues. Par exemple, elles font référence à des réprimandes écrites, des amendes, des suspensions, des mutations, des rétrogradations, des renvois et une formation anti-harcèlement.
59 Dès le début, en raison des limites inhérentes à sa formulation, la politique anti-harcèlement ne convenait pas pour traiter la plainte contre M. Martin. Son manque de clarté peut expliquer, en partie, pourquoi elle a été rapidement abandonnée en faveur d'une mesure correctrice en vertu de la Loi sur l’entrée sans autorisation. Conformément à ses obligations en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, le Canton est en droit de chercher à protéger son personnel contre des actes de harcèlement de la part du public. Malheureusement, sa politique anti-harcèlement n’est pas adaptée à cet objectif. À l’avenir, pour éviter toute confusion, le Canton devrait veiller à ce que sa politique anti-harcèlement traite avec précision des différentes catégories de personnes auxquelles elle s’applique, et adapter ses procédures et ses solutions en ce sens.
60 Il y a maintenant plus de six ans que le Canton a conçu sa politique anti-harcèlement à partir d’un modèle. Mon enquête a montré que cette politique s’avère problématique à plusieurs égards. Le Canton devrait la revoir, pour rectifier les erreurs de formulation résultant clairement du fait qu’elle a été copiée, sans être adaptée, afin qu’elle reflète des pratiques exemplaires. Lors de ce processus, le Canton devrait examiner les renseignements donnés par le ministère du Travail à ce sujet[4]. De plus, l’Association of Municipal Managers, Clerks and Treasurers of Ontario a un excellent outil de recherche en ligne sur son site Web, l’AMCTO Municipal Google search, qui peut aider à trouver des politiques anti-harcèlement et anti-violence au travail appliquées dans des municipalités plus ou moins grandes[5].
Recommandation 1
Le Canton de Red Rock devrait effectuer des recherches, et examiner et revoir sa politique anti-harcèlement, pour garantir qu’elle :
- reflète son propre milieu de travail;
- adopte des pratiques exemplaires municipales;
- traite précisément des catégories de harceleurs présumés auxquels elle est censée s’appliquer.
61 Le Canton devrait aussi déterminer s’il est plus pertinent pour lui de traiter certains cas de comportements par le biais d’une politique distincte. Par exemple, beaucoup de municipalités ont établi un code de conduite, en vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités, pour faire face à toute conduite inacceptable de la part des membres du Conseil, notamment dans leurs interactions avec le personnel. Le Projet de loi 68, Loi de 2016 sur la modernisation de la législation municipale ontarienne, qui était déposé à l’Assemblée législative alors que nous rédigions ce rapport, propose de rendre obligatoires les codes de conduite pour toutes les municipalités et d’exiger que celles-ci aient recours aux services d’un commissaire à l’intégrité pour les appliquer. Le Canton devrait envisager d’adopter la pratique exemplaire d'instaurer un code de conduite pour les membres du Conseil et de nommer un commissaire à l’intégrité chargé de l’appliquer.
Recommandation 2
Le Canton de Red Rock devrait envisager d’adopter un code de conduite applicable aux membres du Conseil et de nommer un commissaire à l’intégrité.
62 Après avoir entrepris d'examiner la plainte contre M. Martin en vertu de la politique anti-harcèlement de Red Rock, le directeur général a décidé d’ignorer cette voie. Il n’a pas fait de rapport de son enquête au Conseil, et il a décidé seul d'une mesure correctrice à prendre. Certes, il aurait été difficile d’appliquer la politique du Canton à ce cas, vu les limites qu’elle comporte, mais le processus adopté par le directeur général s'est avéré superficiel, arbitraire et injuste sur le plan de la procédure.
63 Le directeur général a justifié son approche en disant que M. Martin ne voulait pas coopérer en rencontrant le maire, et qu’il avait donc décidé d'appliquer la Loi sur la santé et la sécurité au travail plutôt que la politique. Le directeur général nous a dit à plusieurs reprises qu’il était tenu de par la Loi sur la santé et la sécurité au travail de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger un employé. En vertu de cette Loi, un superviseur « prend toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour assurer la protection du travailleur » (al. 27 (2) c)). Toutefois, la Loi sur la santé et la sécurité au travail comprend des dispositions précises sur la violence et le harcèlement au travail. La Loi exige des employeurs qu’ils conçoivent et instaurent des politiques contre la violence et le harcèlement au travail. Il n’existe pas de cadre législatif pour appliquer la Loi généralement, au lieu de recourir à une politique ou un programme précis élaboré à cet égard conformément à la Loi. La politique continue de s’appliquer même si le répondant ne coopère pas. Les preuves avancées par le directeur général sur ce point témoignent de son manque de compréhension de la loi en ce qui concerne la violence et le harcèlement au travail.
64 Bien que sa politique anti-harcèlement ait grand besoin d’être modifiée, le Canton devrait veiller à ce que les mesures énoncées par elle soient suivies si une plainte est faite en vertu de cette politique, en l’absence de toute autre politique applicable à la situation. Comme ce cas l’a prouvé, la seule autre option est un processus non autorisé, peu clair et injuste, qui ne concorde pas avec l'esprit de la Loi sur la santé et la sécurité au travail.
Recommandation 3
Le Canton devrait veiller à ce que les plaintes en vertu de sa politique anti-harcèlement soient traitées conformément à cette politique.
65 Il est clair qu’un enquêteur chargé d’examiner des dossiers en vertu de la politique anti-harcèlement du Canton n’a pas le droit d’imposer des mesures correctives unilatéralement. Seul le Conseil a le pouvoir de sanctionner les harceleurs en vertu de cette politique, après avoir reçu le rapport et des recommandations de l’enquêteur. De plus, émettre un avis d’interdiction d’entrée sans autorisation n’est pas l’une des mesures correctives qui peut être imposée en vertu de cette politique. Malgré ces restrictions juridictionnelles, le directeur général a émis un avis d’interdiction d’entrée de son propre chef, avant de récidiver à trois reprises. Le Canton devrait veiller à ce que le pouvoir de recourir à des mesures correctives et réparatrices ne soit exercé que dans le strict respect des termes de la politique.
Recommandation 4
Le Canton devrait veiller à ce que le pouvoir d'imposer des mesures correctives en vertu de sa politique anti-harcèlement soit uniquement exercé dans le respect des termes de cette politique.
66 En vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, les employeurs sont tenus de mener des enquêtes appropriées, en fonction des circonstances, sur les incidents et les plaintes concernant des actes de harcèlement au travail (par. 32.0.7 (1)).
67 La politique anti-harcèlement du Canton stipule qu’une personne spécialement formée au sein de l’organisation, ou un consultant, enquêtera sur les plaintes qui ne sont pas réglées de manière informelle ou par la médiation. Lorsqu’il nous a parlé de sa formation et de son expérience, le directeur général s’est dit confiant quant à ses capacités d’enquêter sur de tels problèmes. Toutefois, le processus qu’il a suivi prouve clairement son manque de compréhension des principes d’enquête fondamentaux.
68 Récemment, le ministère du Travail a fait paraître un Code de pratique sur le harcèlement au travail. Ce Code fait référence aux pratiques exemplaires à suivre pour respecter les exigences de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, et notamment pour mener des enquêtes[6].
69 Par exemple, il stipule que la personne qui enquête sur une plainte de harcèlement au travail devrait savoir comment mener une enquête pertinente. Il fait aussi référence aux normes minimales d’enquête à respecter, dont les suivantes :
-
interviewer de manière exhaustive et séparément le travailleur qui a porté plainte, d’autres témoins pertinents, et si le présumé harceleur n’est pas un employé, faire des efforts raisonnables pour l’interviewer également;
-
prendre dûment des notes et consigner les déclarations durant les entrevues;
-
préparer un rapport écrit résumant les mesures prises durant l’enquête, la plainte, les allégations du travailleur qui dit avoir été harcelé, la réponse du présumé harceleur, les preuves de tous les témoins et les autres preuves recueillies, et établissant les constats et une conclusion montrant s’il y a eu un harcèlement ou non.
70 Lorsqu’il a examiné la plainte déposée contre M. Martin, le directeur général n’a même pas suivi ces étapes les plus fondamentales. Il a apparemment interviewé divers témoins, mais il n’existe aucune déclaration individuelle d'eux, ni aucune note d'entrevues. Le maire a envoyé des lettres à M. Martin lui proposant une rencontre, mais le directeur général n’a pas pris d’autres mesures pour essayer de recueillir des preuves auprès de M. Martin. Le dossier, qui est bien mince, comprend simplement la lettre de plainte et un résumé court et global des renseignements sur les visites de M. Martin au bureau municipal le 11 et le 12 septembre 2014, sans aucune attribution à des témoins précis. Enfin, aucun rapport d’enquête n’a été préparé, ce qui est contraire à la politique anti-harcèlement du Canton et aux pratiques exemplaires énoncées dans le Code du Ministère.
71 À l’avenir, le Canton devrait veiller à ce que seule une personne adéquatement formée mène des enquêtes en vertu de la politique anti-harcèlement. Je comprends bien que ceci puisse présenter des difficultés pour cette petite communauté, qui aura du mal à garder un enquêteur chevronné en matière de plaintes liées au travail. Cependant, divers cours sont offerts en Ontario pour donner une formation à la conduite d’enquêtes approfondies, justes et bien documentées, dont une formation spécialisée sur les enquêtes liées au milieu de travail.
72 Conformément à sa politique anti-harcèlement actuelle, le Canton de Red Rock devrait veiller à ce que toutes ses enquêtes soient menées par une personne dotée d’une formation spéciale sur les enquêtes liées au milieu de travail, ou par un consultant chevronné dans ce secteur. Tout manquement à ce principe pourrait contribuer à miner la confiance du public envers l’administration.
Recommandation 5
Conformément à sa politique, les enquêtes menées en vertu de la politique anti-harcèlement du Canton de Red Rock devraient l’être par une personne dotée d’une formation spéciale sur les enquêtes liées au milieu de travail, ou par un consultant chevronné dans ce secteur.
73 Il est fondamental pour la crédibilité des enquêtes que les enquêteurs soient indépendants et impartiaux. Comme le stipule le Code du Ministère, une enquête doit être objective et la personne chargée de l’enquête « ne doit en aucune manière être directement touchée par l’incident ou la plainte »[7]. Tous les organismes n’ont pas les moyens d’engager un consultant externe pour effectuer chacune des enquêtes, mais comme l’a fait remarquer récemment un avocat spécialisé en droit du travail, l’enquêteur doit fondamentalement être neutre et « n’avoir aucun lien direct avec les questions qui font l’objet de l’enquête »[8].
74 En fin de compte, tout le processus d’enquête suivi dans ce cas s’est avéré problématique car le directeur général s'est nommé lui-même au poste d'enquêteur. Le rôle qui lui revenait était celui d'un témoin qui avait assisté aux échanges ayant donné lieu à la plainte. Le directeur général n’avait ni l’impartialité ni l’indépendance nécessaire pour effectuer une enquête crédible.
75 Le Canton devrait veiller désormais à ce que les enquêtes sur les plaintes soient menées par des personnes qui ne sont d'aucune manière directement touchées par les événements ou la plainte en question. Le non-respect de ce principe, en vertu de cette politique, mènera inévitablement à des enquêtes qui seront injustes sur le plan de la procédure et qui pourront faire l'objet de reproches. La perception que des enquêtes sont injustes mine la crédibilité du processus et amoindrit les possibilités que le public accepte les résultats avec confiance.
Recommandation 6
Le Canton de Red Rock devrait veiller à ce que les enquêteurs nommés pour examiner les plaintes en vertu de sa politique anti-harcèlement ne soient pas touchés directement par les événements ou les incidents qui ont donné lieu à une plainte.
76 Le compte rendu de l’enquête fait par le Canton était simplement composé de la plainte et d'un résumé superficiel et global du travail d’enquête. En omettant de conserver des comptes rendus pertinents et de suivre un processus d’enquête raisonné et exhaustif, le Canton s'expose à des allégations d’irrégularités et d’incompétence. Conformément aux recommandations du Code publié par le Ministère, et aux pratiques exemplaires générales d’enquête, le Canton devrait veiller à pleinement documenter tous les aspects de ses enquêtes liées au milieu de travail[9]. S'il adopte cette pratique, il pourra mieux donner la preuve qu’il suit un processus équitable et respecte les règles applicables.
Recommandation 7
Le Canton de Red Rock devrait pleinement documenter toutes les plaintes reçues et toutes les enquêtes effectuées en vertu de sa politique anti-harcèlement.
77 Le Canton devrait aussi veiller à élaborer des procédures détaillées en vertu de sa politique anti-harcèlement pour garantir que son personnel suit un processus d’enquête qui est conforme aux exigences de la Loi sur la santé et la sécurité au travail et qui reflète les pratiques exemplaires promues par le ministère du Travail.
Recommandation 8
Le Canton devrait élaborer des procédures en vertu de sa politique anti-harcèlement qui reflètent les exigences de la Loi sur la santé et la sécurité au travail et les pratiques exemplaires du Code de pratique sur le harcèlement au travail du ministère du Travail.
78 En vertu de la Loi sur l’entrée sans autorisation, les personnes qui ont la responsabilité et le contrôle de l’état de lieux ou des activités qui s’y déroulent ont le droit d’interdire l’entrée par un avis, soit complètement, soit sous réserve de diverses conditions[10]. Le non-respect d’un avis d’interdiction d’entrée sans autorisation est une infraction provinciale, qui peut entraîner une amende de 10 000 $ au plus[11]. Le Canton n’a aucun règlement, aucune procédure ni politique sur les avis d’interdiction d’entrée sans autorisation.
79 Bien que les municipalités soient en droit d’émettre des avis d’interdiction d’entrée sans autorisation pour protéger le personnel et les biens de la municipalité, en vertu de la Loi sur l’entrée sans autorisation, c’est une mesure corrective qui ne devrait être prise que judicieusement. Certaines municipalités ont élaboré des politiques qui stipulent précisément quand et comment les avis d’interdiction d’entrée sans autorisation peuvent être émis, mais Red Rock ne l'a pas fait. En l’absence d’un processus clair, le directeur général s’est arrogé le pouvoir d’émettre des avis d’interdiction d’entrée sans autorisation, sans y avoir été nommément invité par le Conseil.
80 Dans trois causes récentes, les cours ontariennes se sont penchées sur la pertinence des avis d’interdiction d’entrée sans autorisation émis par des municipalités. Bien que ces causes portent principalement sur les droits qu'ont les citoyens d’assister aux réunions des conseils municipaux, elles prêtent à conclure que les avis d’interdiction d’entrée sans autorisation ne devraient être considérés que comme un dernier recours, quand il s’agit de restreindre l’accès du public à des services municipaux.
81 Dans une décision rendue en 2014 dans l’affaire Gammie v. Town of South Bruce Peninsula[12], la cour a examiné deux résolutions adoptées par une municipalité qui interdisaient l'accès d’un membre du public au bâtiment municipal, entre autres restrictions. La Ville avait déclaré qu’elle avait dû adopter ces résolutions pour protéger les employés en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, affirmant que M. Gammie constituait une menace pour la sécurité des fonctionnaires municipaux, du personnel ou des membres du public.
82 La cour n’a pas été convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que M. Gammie s’était montré violent ou qu'il avait proféré des menaces de violence ayant raisonnablement amené les fonctionnaires de la ville, le personnel ou les membres du public à craindre pour leur sécurité. La cour a considéré que c’est ce type de crainte qui constitue le seuil de déclenchement des obligations de la municipalité quant à la violence au travail, en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail.
83 La cour a conclu que l’interdiction d’assister aux réunions du conseil imposée à M. Gammie violait ses droits à la liberté d’expression, en vertu du paragraphe 2 b) de la Charte des droits et libertés. Elle a aussi conclu que l’interdiction imposée par la ville était trop générale, et qu’elle ne constituait pas une mesure corrective soigneusement conçue, nuisant aussi peu que possible aux droits de M. Gammie. La cour a donné des exemples montrant comment la Ville aurait pu réagir au comportement perturbateur de M. Gammie autrement que par une interdiction catégorique, par exemple en restreignant ses communications avec le personnel municipal à une personne désignée.
84 La cour a aussi conclu que cette interdiction privait M. Gammie de son droit de liberté et de sécurité en vertu de l’article 7 de la Charte, car « bannir quelqu’un d’un lieu public où le reste du public est libre d'entrer est contraire à l’article 7 de la Charte quand cette personne utilise le lieu public de manière conforme à l’objectif public de ce lieu »[13].
85 Dans Bracken v. Regional Municipality of Niagara[14], la cour s’est penchée sur un avis d’interdiction d’entrée sans autorisation émis par la municipalité régionale de Niagara contre un membre du public. Dans ce dossier, le directeur général de la Région a émis l’avis à la suite de deux incidents – l’un durant lequel on a demandé à M. Bracken d’arrêter de filmer une réunion du Conseil, et un second durant lequel une membre du Conseil a déclaré que M. Bracken faisait peser sur elle un sentiment d’intimidation et de menace. Les preuves ont montré que M. Bracken avait parlé calmement et que personne ne lui avait demandé de quitter les lieux. La cour a conclu que M. Bracken n’avait ni exercé ni tenté d’exercer la moindre force physique, fait la moindre déclaration ou eu le moindre comportement pouvant raisonnablement être interprété comme une menace de force physique, déclenchant les obligations de la municipalité en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail. La cour a conclu que l'avis d'interdiction d'entrée n'était pas valide, dans les circonstances.
86 Par contre, la cour en est arrivée à une conclusion différente en 2016, au sujet d'un avis d’interdiction d’entrée sans autorisation émis par la Ville de Fort Erie contre M. Bracken[15]. La cour a confirmé cet avis, concluant que le comportement de M. Bracken avait grandement différé de celui qui avait mené à un avis d'interdiction d'entrée dans l’affaire Bracken v. Niagara, et qu'il n’était pas protégé par la Charte.
87 Dans Fort Erie, la Ville a émis un avis d’interdiction d’entrée sans autorisation contre M. Bracken car il avait protesté à l’extérieur de l’hôtel de ville avec un mégaphone et une sirène. Le personnel municipal a témoigné que M. Bracken avait fait les cent pas, avait juré, crié, s'était montré agité et agressif, et s’était précipité vers des membres du public pour les empêcher d’entrer dans le bâtiment municipal lors d'une réunion du conseil. Le personnel avait alors craint pour sa sécurité et celle du public. La police a été appelée sur les lieux et les policiers ont déclaré qu’ils avaient trouvé M. Bracken dans un état d’agitation, se comportant de manière incompréhensible. À plusieurs reprises, il a refusé de quitter les lieux à la demande des policiers. Il a aussi déchiré une contravention que les policiers venaient de lui donner, et la police a dû le forcer physiquement à quitter les lieux, puis a dû le mettre en détention. La cour a confirmé l’avis d’interdiction d’entrée sans autorisation, concluant que le comportement de M. Bracken était violent, harcelant, agité et perturbateur, et qu'il allait « bien au-delà des limites d’une protestation dans le calme ».
88 Dans le cas de M. Martin, il n’existe aucune preuve de violence ou de menace de violence de sa part durant les échanges au bureau municipal, les 11 et 12 septembre 2014. Certes, la greffière adjointe a pu avoir un sentiment de malaise alors, mais l’incident ne semble pas avoir atteint le seuil de ce qui justifierait, selon les cours de justice, une intervention en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, et/ou un avis d’interdiction d’entrée sans autorisation. De plus, le renouvellement perpétuel de cet avis d’interdiction d’entrée, sans autre examen de sa pertinence ou des intérêts de M. Martin, s’avère fort problématique.
89 De plus, M. Martin est maintenant un conseiller élu. Il participe régulièrement aux réunions du Conseil depuis décembre 2014, et il n’y a pas eu d’autres incidents ou d’autres plaintes quant à son comportement.
90 En outre, l’avis d’interdiction d’entrée sans autorisation émis par Red Rock contre M. Martin est extrêmement général. Si son but était de restreindre un comportement perturbateur dans le bureau municipal, la mesure corrective la moins restrictive aurait dû être imposée. Ainsi, Red Rock aurait pu lui demander de ne communiquer qu’avec un membre désigné du personnel, ou par écrit. En revanche, les avis d’interdiction d’entrée émis par Red Rock sont devenus encore plus restrictifs après juillet 2015, quand il a été interdit à M. Martin d’entrer dans tout le bâtiment municipal, et ceci sans aucune explication ou justification.
91 Dans ces circonstances, l’avis d’interdiction d’entrée sans autorisation était une mesure corrective disproportionnée et arbitraire. Elle devrait être éliminée immédiatement.
Recommandation 9
Le Canton de Red Rock devrait immédiatement mettre fin à l’avis d’interdiction d’entrée sans autorisation émis contre M. Martin.
92 Pour éviter qu’une situation similaire ne se reproduise à l’avenir, le Canton devrait élaborer une politique sur l’émission des avis d’interdiction d’entrée sans autorisation conformément aux principes établis par les cours. Il devrait envisager de recourir à des outils comme Municipal Google Search d’AMCTO pour trouver des exemples de politiques d’interdiction d’entrée sans autorisation appliquées par les autres instances.
Recommandation 10
Le Canton de Red Rock devrait élaborer et communiquer publiquement une politique sur les interdictions d’entrée sans autorisation, déterminant au minimum :
- les circonstances pouvant justifier un avis d’interdiction d’entrée sans autorisation, incluant des exemples;
- la procédure à suivre pour émettre et communiquer des avis d’interdiction d’entrée sans autorisation, incluant une délégation pertinente au personnel;
- la documentation requise pour justifier un avis, incluant les documents liés à la plainte et à toute enquête entreprise;
- les délais réglementaires pour les avis;
- le droit pour une personne concernée de demander un examen et/ou de faire appel d'un avis.
93 Bien que je ne croie pas que la conduite de M. Martin ait constitué un « harcèlement » aux termes de la politique anti-harcèlement du Canton, Red Rock est en droit d’encourager des échanges respectueux et courtois du public avec son personnel. D’autres municipalités de l’Ontario, aussi bien grandes que petites, ont élaboré des politiques pour donner réponse à des comportements difficiles ou déraisonnables de la part de leurs citoyens. Ces politiques de conduite publique diffèrent des politiques de violence et de harcèlement au travail requises par la législation provinciale. Elles permettent aux administrateurs de réagir de manière plus pertinente, plus équilibrée et plus équitable envers les citoyens, et incluent des références précises à des mesures correctives comme les avis d’interdiction d’entrée sans autorisation.
94 Par exemple, la Ville de Wasaga Beach a instauré une politique intitulée « Handling Unreasonable Customer Behaviour »[16]. Cette politique indique que son but est de régler les problèmes de comportement « vexatoires, futiles et/ou déraisonnablement persistants », plutôt que ceux causés par des « clients généralement difficiles ». Elle inclut :
-
des exemples concrets de comportements déraisonnables et vexatoires ou de requêtes futiles, sans pour autant limiter l’application de la politique à ces exemples;
-
des mesures claires à prendre en réponse à de tels comportements;
-
une liste non exhaustive des restrictions potentielles qui peuvent être imposées par la municipalité;
-
l’obligation de réexaminer les restrictions après un certain temps, leur longueur dépendant de la gravité de la situation;
-
un processus d’appel ou d’examen pour toute sanction.
95 Un autre exemple est celui de la Procédure « Rzone » (le « R » indiquant le respect) que la Ville d’Oakville a mise en place dans le cadre de sa Politique de conduite respectueuse[17]. Cette procédure présente des exemples de comportements inappropriés, ainsi que des mesures et des solutions détaillées, allant de lettres d’avertissement à des avis d’interdiction d’entrée sans autorisation, dont la longueur dépend des circonstances. Les membres du public qui font l’objet de telles mesures en vertu de cette procédure peuvent demander qu'un autre examen soit fait par une autre personne de la municipalité. De plus, la procédure précise explicitement que tout le personnel doit être formé et informé au sujet de la procédure.
96 La Procédure RZone d’Oakville a été adoptée par au moins huit autres municipalités, dont les villes de London, Guelph, Niagara Falls, Orangeville et Shelburne, les municipalités de North Perth et Middlesex Centre, et le Canton de Wellington Centre.
97 La mise en place d’une politique explicitement communiquée au public, qui définit clairement les attentes quant à la conduite des membres du public et aux moyens de réagir à des comportements problématiques, renforce la cohérence et la transparence de l’administration municipale. C’est une pratique exemplaire que Red Rock devrait adopter pour le bien de tout son personnel et de tous ses citoyens.
Recommandation 11
Le Canton de Red Rock devrait élaborer et appliquer une politique spécialement conçue pour traiter des questions de conduite des membres du public. Cette politique devrait être distincte de la politique anti-harcèlement du Canton.
98 Le Canton de Red Rock a failli à son devoir de suivre un processus équitable et raisonnable en réponse à une plainte faite contre Lewis Martin, en vertu de sa politique anti-harcèlement. Cette politique ne se prêtait pas aux circonstances, et elle a été abandonnée en fin de compte en faveur d’une mesure corrective excessivement punitive et disproportionnée, qui n’était autorisée par aucun règlement ou aucune politique en vigueur. Dans ces circonstances, je conclus que ces mesures d’action étaient déraisonnables, injustes, erronées et contraires à la loi conformément aux alinéas 21 (1) a), b) et d) de la Loi sur l’ombudsman.
99 Pour répondre aux préoccupations que j'ai observées lors de mon enquête, je fais les recommandations suivantes :
Recommandation 1
Le Canton de Red Rock devrait effectuer des recherches, et examiner et revoir sa politique anti-harcèlement, pour garantir qu’elle :
- reflète son propre milieu de travail;
- adopte des pratiques exemplaires municipales;
- traite précisément des catégories de harceleurs présumés auxquels elle est censée s’appliquer.
Recommandation 2
Le Canton de Red Rock devrait envisager d’adopter un code de conduite applicable aux membres du Conseil et de nommer un commissaire à l’intégrité.
Recommandation 3
Le Canton devrait veiller à ce que les plaintes en vertu de sa politique anti-harcèlement soient traitées conformément à cette politique.
Recommandation 4
Le Canton devrait veiller à ce que le pouvoir d'imposer des mesures correctives en vertu de sa politique anti-harcèlement soit uniquement exercé dans le respect des termes de cette politique.
Recommandation 5
Conformément à sa politique, les enquêtes menées en vertu de la politique anti-harcèlement du Canton de Red Rock devraient l’être par une personne dotée d’une formation spéciale sur les enquêtes liées au milieu de travail, ou par un consultant chevronné dans ce secteur.
Recommandation 6
Le Canton de Red Rock devrait veiller à ce que les enquêteurs nommés pour examiner les plaintes en vertu de sa politique anti-harcèlement ne soient pas touchés directement par les événements ou les incidents qui ont donné lieu à une plainte.
Recommandation 7
Le Canton de Red Rock devrait pleinement documenter toutes les plaintes reçues et toutes les enquêtes effectuées en vertu de sa politique anti-harcèlement.
Recommandation 8
Le Canton devrait élaborer des procédures en vertu de sa politique anti-harcèlement qui reflètent les exigences de la Loi sur la santé et la sécurité au travail et les pratiques exemplaires du Code de pratique sur le harcèlement au travail du ministère du Travail.
Recommandation 9
Le Canton de Red Rock devrait immédiatement mettre fin à l’avis d’interdiction d’entrée sans autorisation émis contre M. Martin.
Recommandation 10
Le Canton de Red Rock devrait élaborer et communiquer publiquement une politique sur les interdictions d’entrée sans autorisation, déterminant au minimum :
- les circonstances pouvant justifier un avis d’interdiction d’entrée sans autorisation, incluant des exemples;
- la procédure à suivre pour émettre et communiquer des avis d’interdiction d’entrée sans autorisation, incluant une délégation pertinente au personnel;
- la documentation requise pour justifier un avis, incluant les documents liés à la plainte et à toute enquête entreprise;
- les délais réglementaires pour les avis;
- le droit pour une personne concernée de demander un examen et/ou de faire appel d'un avis.
Recommandation 11
Le Canton de Red Rock devrait élaborer et appliquer une politique spécialement conçue pour traiter des questions de conduite des membres du public. Cette politique devrait être distincte de la politique anti-harcèlement du Canton.
100 Le Canton a reçu un rapport préliminaire présentant mes conclusions, mon opinion et mes recommandations, et il a eu la possibilité d’y donner réponse.
101 Le maire nous a fait parvenir une brève réponse par écrit le 18 mai 2017. Il a affirmé que le Canton avait suivi un processus équitable. Il a aussi confirmé que, exception faite du conseiller Martin, chacun de tous les membres du Conseil avait appuyé la décision du directeur général, visant à émettre des avis d’interdiction d’entrée jusqu’à ce que le conseiller Martin présente des excuses. Implicitement, le maire n’a pas accepté ma recommandation 9, demandant l'annulation de l’avis d’interdiction d’entrée. En outre, il n’a répondu à aucune de mes 10 autres recommandations.
102 Le directeur général nous a envoyé une réponse lui aussi. Au sujet de la recommandation 1, préconisant de réexaminer et réviser la politique anti-harcèlement du Canton, il a écrit que « toutes les politiques peuvent être améliorées et je suis certain que le Conseil envisagera de le faire ».
103 Il a aussi demandé l’élimination de la recommandation 2, préconisant que le Canton adopte un code de conduite et nomme un commissaire à l’intégrité. Il a maintenu que cette recommandation n’était pas pertinente pour l’enquête, et prématurée vu l’état actuel de la loi. Alors que nous rédigions ce rapport, des modifications de loi exigeant que toutes les municipalités adoptent un code de conduite et fassent appel aux services d’un commissaire à l’intégrité n’étaient pas encore en vigueur. Cependant, je continue d’encourager les municipalités à élaborer des codes de conduite et à nommer des commissaires à l’intégrité pour faciliter l’application de ces modifications, à titre de pratique exemplaire et par souci de bonne gouvernance.
104 En accord avec la position du maire, le directeur général a rejeté la recommandation 9, refusant d'annuler l’avis d’interdiction d’entrée. Il nous a dit que cet avis d’interdiction resterait en vigueur jusqu’à ce que le conseiller Martin présente des excuses satisfaisantes à la greffière adjointe. Il a souligné qu’il incombait au conseiller Martin de régler le problème.
105 Il est évident que le conseiller Martin, le directeur général et les autres membres du Conseil sont déterminés à maintenir fermement leur position sur la question de l’avis d’interdiction d’entrée. Cette impasse menace de miner la confiance du public face à l’administration du Canton. Un exemple récent d’un tel dysfonctionnement de cette situation est apparu quand mon rapport préliminaire a été communiqué à la municipalité, pour examen. Le directeur général a distribué des exemplaires du rapport à tous les membres du Conseil, mais pas au conseiller Martin. Notre Bureau a dû faire livrer directement le rapport à ce conseiller. Chose plus préoccupante encore, quand le Conseil s’est rencontré pour examiner le rapport préliminaire en séance à huis clos, il a appelé la Police provinciale de l’Ontario pour expulser le conseiller Martin de la séance. Le maire a justifié cette mesure en disant que le conseiller était en « conflit d’intérêt ».
106 Le Canton a tort de faire peser toute la responsabilité de régler le problème sur le conseiller Martin. Le Canton n’a pas accepté sa part dans ce problème, il n’a reconnu aucune des lacunes de procédure signalées par mon enquête, et il a refusé d'admettre qu’émettre plusieurs avis successifs d’interdiction d'entrée contre M. Martin était excessif et non conforme à la loi existante. Dans ces circonstances, je conclus que la réponse du Canton à mon rapport préliminaire est entièrement insatisfaisante.
107 Mon enquête a confirmé que le Canton avait agi de manière déraisonnable, injuste et contraire à la loi. Son absence de réponse concrète et positive à mon rapport et à mes recommandations rend un mauvais service aux citoyens de Red Rock. Je parachève ce rapport en espérant que le Conseil portera un second regard réaliste sur la question, reconsidérera sa position dans l’intérêt du public, et acceptera d’appliquer mes recommandations.
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Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
[1] Ministère des Affaires municipales et du Logement de l’Ontario, « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletGuide 2014 des élections municipales et scolaires en Ontario à l’intention des candidates et candidats », en ligne.
[2] En réponse à notre rapport préliminaire, le directeur général a déclaré que le maire avait fait l'enquête en vertu de la politique et qu’il avait été « le rapporteur ». Mais cette caractérisation du rôle du directeur général ne concorde pas avec ses preuves précédentes et avec le fait qu’il avait effectué les entrevues avec les témoins.
[3] Loi sur la santé et la sécurité au travail, L.R.O. 1990, chapitre O.1, par. 1 (1).
[4] Ce lien s’ouvre dans un nouvel onglethttps://www.labour.gov.on.ca/french/hs/topics/workplaceviolence.php
[5] Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletAMCTO Municipal Google Search, en ligne.
[6] Ministère du Travail de l’Ontario, « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletCode de pratique sur le harcèlement au travail en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario » (août 2016), en ligne.
[7] Ministère du Travail de l’Ontario, « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletCode de pratique sur le harcèlement au travail en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario, Partie III : Devoirs des employeurs à l’égard du harcèlement au travail », en ligne.
[8] Kelly J. Harbridge, Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletWorkplace Investigations: A Management Perspective, Association du Barreau canadien, Conférence nationale 2011 de droit administratif et de droit du travail et de l’emploi, 25-26 novembre 2011, Ottawa, en ligne.
[9] Voir p. ex. Dean Benard, « Protecting investigations from allegations of impropriety or incompetence » (2013) 3:4 Journal of Nursing Regulation 35.
[10] Par. 1 (1), 2 Loi sur l’entrée sans autorisation
[11] Art. 2 Loi sur l’entrée sans autorisation
[12] Gammie v. South Bruce Peninsula (Town) [2014] O.J. No. 5157 [QL].
[13] Gammie, supra à 106.
[14] 2015 ONSC 6934.
[15] Bracken v. Town of Fort Erie, [2016] O.J. No. 862.
[16] Ville de Wasaga Beach, Politique 2-15, « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletHandling Unreasonable Customer Behaviour » (2016), en ligne.
[17] Ville d’Oakville, « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletRespectful Conduct Policy » - HR-MNG-008, en ligne.