« Surveillance renforcée »
Mémoire au Comité permanent de la justice sur le Projet de loi 175, Loi de 2017 pour plus de sécurité en Ontario
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
Février 2018
Table des matières
1 Concevoir un système efficace et crédible de surveillance des services policiers en Ontario s’est avéré difficile. Depuis 1974, il y a eu des dizaines de cas où le recours à la force par la police – et surtout le recours à une force mortelle contre les personnes en crise – a soulevé de profondes questions sur les normes, la formation et la responsabilisation de la police. Il y a donc eu plus d’une dizaine d’examens, suivis de nombreuses recommandations de réforme. Malgré les améliorations progressives apportées au fil des ans, le système de surveillance des services policiers en Ontario a continué de susciter des critiques et de miner la confiance du public à l’égard de la police. Des incidents plus récents – comme les fusillades mortelles dont ont été victimes Sammy Yatim, 19 ans, tué dans un tramway vide à Toronto, et Andrew Loku, décédé dans une résidence torontoise pour personnes atteintes de troubles mentaux – ont intensifié les appels en faveur d’un renforcement de la responsabilisation et de la transparence dans la surveillance des services policiers. Quand le gouvernement a répondu à ces préoccupations en nommant le juge Michael Tulloch à la tête d’un nouvel examen du système de surveillance de la police en Ontario, j’ai été prudemment optimiste quant à la perspective d’un changement significatif.
2 Après avoir mené des consultations partout dans la province dans le cadre de son Examen indépendant des organismes de surveillance de la police, y compris auprès de mon Bureau, le juge Tulloch a présenté plus de 100 recommandations en vue d’une réforme complète de la surveillance des services policiers en Ontario[1]. De nombreuses ont fait écho aux recommandations que j'avais faites dans mon mémoire[2] à cet Examen, incluant le fait que les citoyens devraient avoir le droit de porter plainte auprès de mon Bureau au sujet du Bureau du directeur indépendant de l'examen de la police et de la Commission civile de l’Ontario sur la police – comme ils peuvent déjà le faire pour l’Unité des enquêtes spéciales.
3 Je suis heureux de constater aujourd’hui que la plupart de ces recommandations sont sur le point de devenir loi grâce au Projet de loi 175, Loi de 2017 pour plus de sécurité en Ontario[3]. C’est réellement un jour historique pour la responsabilisation, la transparence et la crédibilité de la surveillance de la police. Je félicite la province d’apporter ces réformes depuis trop longtemps attendues. En tant qu’officier de l’Assemblée législative, j’ai de vastes pouvoirs d’enquête et je peux publier des rapports et des recommandations visant à promouvoir des améliorations constructives en matière de législation, de politiques et de pratiques dans l’intérêt des Ontariens. Je crois que l’intérêt public sera bien servi par un élargissement de la surveillance de l’Ombudsman à chacun des trois organismes de surveillance de la police en Ontario.
4 Mon Bureau est en droit d’enquêter – indépendamment et impartialement – sur les plaintes individuelles et systémiques concernant la conduite administrative de plus de 1 000 organismes du secteur public aux paliers provincial et local – ceci inclut la plupart des tribunaux provinciaux.
5 Toutefois, mon pouvoir d’examiner les plaintes relatives à la police et à la surveillance des services policiers a toujours été fragmenté. Mon Bureau n’est pas en droit d’examiner les plaintes sur la police municipale, ni sur les services policiers de la Police provinciale de l’Ontario (OPP)[4]. Mon Bureau peut examiner certaines plaintes au sujet de la Police provinciale de l’Ontario, et il le fait, comme en témoigne le rapport de 2011, Dans le feu de l’action, sur notre enquête systémique quant à la réponse apportée par l’OPP et le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels aux blessures de stress opérationnel chez les policiers[5].
6 En Ontario, la responsabilité de la surveillance des services policiers a été partagée entre trois organismes civils indépendants, créés en vertu de la Loi sur les services policiers : l’Unité des enquêtes spéciales (UES), le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police (BDIEP) et la Commission civile de l’Ontario sur la police (CCOP).
7 L’UES, fondée en 1990, enquête sur les cas de blessures graves et de décès résultant de la conduite de policiers. Son directeur peut porter des accusations criminelles contre les policiers en cause, à la suite d’une enquête de l’UES. Il doit communiquer les résultats des enquêtes de l’UES au procureur général, y compris lorsqu’aucune accusation n’est portée.
8 Créé en 2007, le BDIEP a pour mission de recevoir, de gérer et de suivre toutes les plaintes du public contre la police. Le BDIEP accepte les plaintes concernant la conduite individuelle des policiers, ainsi que les plaintes sur les politiques générales et les services généraux de police. Bien que la plupart des plaintes fassent l’objet d’une enquête par les services de police, le BDIEP enquête directement sur certains problèmes de conduite. Si les plaintes du public s’avèrent fondées, elles peuvent mener à des procédures disciplinaires en vertu de la Loi sur les services policiers.
9 Créée elle aussi en 2007, la CCOP se prononce sur des questions relatives aux services de police comme les appels de décisions disciplinaires et les différends budgétaires entre les services de police et les municipalités. Elle peut aussi enquêter sur la conduite des chefs de police, des policiers et des membres des commissions de services de police[6].
10 Mon Bureau a disposé d’un pouvoir limité pour traiter les plaintes sur la conduite administrative des organismes de surveillance de la police en Ontario. Nous avons été en droit d'examiner les plaintes sur l’UES depuis sa création, mais notre droit de regard sur le BDIEP et la CCOP a été restreint – nous n'avons pu examiner que les problèmes hors de leurs processus de plaintes du public et de mesures disciplinaires. Bien évidemment, la plupart des plaintes concernant ces organismes portent sur des questions qui échappent à notre mandat.
11 Malgré de telles restrictions, mon Bureau a pu jouer un rôle actif dans le suivi des questions liées à la surveillance de la police, et au besoin dans les enquêtes à cet égard.
12 Deux enquêtes systémiques menées par l’Équipe d’intervention spéciale de l’Ombudsman ont cerné de graves problèmes structurels et opérationnels au sein de l’UES. Le premier rapport d'enquête, Une surveillance imperceptible (2008), a porté sur l’efficacité et la crédibilité des opérations de l’UES, entraînant 46 recommandations pour améliorer la rigueur de ses enquêtes, répondre aux perceptions de favoritisme envers la police, et garantir que l’UES puisse mettre les services de police devant leurs responsabilités[7]. Le second rapport, Le sabordage de la surveillance (2011), a révélé que le ministère du Procureur général n’avait pas appuyé adéquatement le rôle de l’UES et n’avait pas donné réponse aux recommandations de réformes législatives préconisées dans le premier rapport, par crainte d’une résistance de la police[8]. Ce deuxième rapport a fait 16 recommandations de plus pour renforcer la surveillance des services de police dans la province, dont 13 réitéraient celles du premier rapport. Les deux rapports ont recommandé que :
- L’UES soit tenue de divulguer publiquement les rapports du directeur dans les cas où il a été décidé de ne pas porter d’accusations contre des policiers ayant causé de graves blessures.
- Le gouvernement érige en infraction le fait que la police ne coopère pas avec l’UES.
- Le gouvernement adopte une loi distincte de la Loi sur les services policiers pour clarifier et renforcer le mandat et l’indépendance de l’UES.
13 Pendant des années, ces recommandations sont restées lettres mortes et les problèmes soulevés pour la première fois en 2008 ont continué de miner la confiance du public envers la surveillance exercée par l’UES sur la police.
14 Mon Bureau a continué de surveiller de près les organismes de surveillance de la police en Ontario, et de préconiser l’acceptation de nos recommandations faites auparavant. En octobre 2016, j’ai rencontré le juge Tulloch et je lui ai fait part du solide point de vue de mon Bureau sur la question dans mon mémoire à son Examen, faisant 16 recommandations pour guider la réforme de la surveillance des services policiers dans la province.
15 L’une de mes recommandations principales était que mon Bureau soit en droit d’enquêter sur les plaintes à propos du BDIEP et de la CCOP, comme il a toujours eu le droit de le faire pour l’UES. Ce changement remédierait aux lacunes et aux incohérences de la loi, qui ont privé les Ontariens de la surveillance efficace que seul un officier de l’Assemblée législative peut assurer.
16 Pour améliorer l'indépendance et la responsabilisation de ces trois organismes de surveillance de la police, j’ai aussi recommandé que tous trois soient reconstitués en vertu d’une nouvelle loi définissant précisément leur mandat et leurs pouvoirs d’enquête. En outre, j’ai recommandé qu’il y ait une plus grande représentation civile au sein du personnel et de la direction de chacun d'eux.
17 En ce qui concerne l’UES, j’ai recommandé qu’elle soit tenue de divulguer les rapports du directeur dans les cas où il a été décidé de ne pas porter d’accusations, et qu’une infraction soit prévue, passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement, pour la non-coopération de la police aux enquêtes de l’UES.
18 Et pour améliorer le partage de l’information entre les organismes de surveillance de la police, j’ai recommandé qu'ils aient le pouvoir de se transmettre mutuellement les dossiers d’incidents qui ne relèvent pas de leur mandat propre, en vue d’un examen, le cas échéant.
19 Le juge Tulloch a inclus ces propositions aux 129 recommandations de son rapport final. Le gouvernement a été guidé de près par son rapport quand il a élaboré le Projet de loi 175 qui, dit-il, applique 118 de ses recommandations[9].
20 Je suis heureux de voir que le Projet de loi 175 modifie en profondeur la loi provinciale sur les services policiers. Ce Projet de loi comprend beaucoup de changements importants, dont certains présentent un intérêt particulier pour mon Bureau car ils répondent précisément à nos recommandations visant à accroître la crédibilité, la responsabilisation, la transparence et l’efficacité de la surveillance des services policiers.
21 D’abord et avant tout, le Projet de loi accorde à mon Bureau un droit de regard sur chacun des trois organismes de surveillance de la police, qui portent désormais tous un nouveau nom : l’UES ajoutera « Ontario » à son nom pour devenir l’UESO, le BDIEP deviendra l’Agence ontarienne des plaintes relatives aux services policiers (AOPSP), tandis que la CCOP prendra le nom de Tribunal disciplinaire de l’Ontario en matière de services policiers (TDOSP). Nous devrions aussi avoir le droit d’examiner les plaintes à propos d’un Inspecteur général, dont le bureau sera créé, qui supervisera et surveillera les services policiers et les commissions de service de police. Comme je l’ai recommandé, chaque organisme de surveillance se verra confier un mandat plus clair et un fondement législatif solide, étant reconstitué en vertu d’une nouvelle loi distincte de la Loi sur les services de police. Afin d’améliorer le partage d’information et de réduire les inefficacités, ces organismes seront aussi en droit de se renvoyer mutuellement les cas qui ne relèvent pas de leur propre mandat, s’il y a lieu, en vue d’un examen.
22 D’autres changements dans le Projet de loi permettraient de renforcer la responsabilisation et la transparence de chaque organisme de surveillance. Conformément à nos recommandations de longue date, l’UESO sera tenue de divulguer publiquement les rapports du directeur dans la plupart des cas où il a été décidé de ne pas porter d'accusations. L’AOPSP – qui, en tant que BDIEP transmettait précédemment presque toutes les plaintes sur l’inconduite des policiers aux chefs de police – commencera à enquêter sur ces plaintes directement au cours des cinq prochaines années. Le TDOSP se prononcera uniquement sur les questions disciplinaires, et les plaintes du public ne seront plus jugées à l’interne par les services de police.
23 Bien que je félicite le gouvernement d’avoir apporté ces changements positifs au système de surveillance de la police en Ontario, plusieurs lacunes subsistent dans la loi qui pourraient nuire à une responsabilisation complète, transparente et efficace de la police.
24 Dans sa rédaction actuelle, la loi ne comporte pas suffisamment de garanties pour que les plaintes sur les policiers et les commissions de service de police fassent l’objet d’une enquête par des civils, plutôt que par d’actuels ou d’anciens policiers.
25 La confiance du public dans l’indépendance et l’impartialité des personnes qui se voient confier les enquêtes sur la police est essentielle à la crédibilité de la surveillance des services policiers. Même s'il se peut fort bien que les enquêteurs qui ont des antécédents dans la police se montrent indépendants et impartiaux dans leur approche, le public pourrait percevoir, et c’est compréhensible, un conflit d’intérêts dans leur cas. Comme je l’ai souligné dans mon mémoire au juge Tulloch, la confiance de la communauté exige que les organismes de surveillance civile prennent toutes les mesures raisonnables pour éviter les structures et les pratiques organisationnelles donnant lieu à une perception de favoritisme.
26 À la lumière de ces préoccupations, le Projet de loi 175 interdit à l’Agence ontarienne des plaintes relatives aux services policiers de nommer des policiers en exercice en tant qu'enquêteurs et permet au ministre de limiter le nombre d’enquêteurs qui sont d’anciens policiers[10]. Les anciens policiers, et ceux en exercice, ne peuvent pas non plus être membres du Tribunal disciplinaire de l’Ontario en matière de services policiers. Toutefois, il n’y a pas de restriction similaire pour les employés du Tribunal[11]. L’Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario ne peut pas employer de policiers en exercice et son directeur ne peut pas être un ancien policier ou un policier en exercice[12]. Toutefois, il n’y a pas de limite quant au nombre d’anciens policiers que cette Unité peut employer.
27 Ce Projet de loi ne se penche pas non plus sur la question d’anciens policiers ou de policiers en exercice qui sont nommés à un poste d’inspecteur général, d'inspecteur général adjoint ou d'inspecteur. Par conséquent, des organismes de surveillance de la police pourraient inclure des policiers en exercice ou être principalement constitués d’anciens policiers. Quand mon Bureau a enquêté sur l’UES, il a constaté que c’était là un problème grave, qui minait l’indépendance perçue de cet organisme.
28 De plus, il ne semble pas y avoir de disposition pour interdire aux enquêteurs qui ont des antécédents dans la police de traiter des cas concernant leurs anciens services de police pour l’AOPSP, le TDOSP ou l’Inspecteur général – bien que le Projet de loi préserve cette mesure de protection existante pour l’UES.
29 Vu l’importance de la confiance du public envers le processus de surveillance de la police, j'ai fait les recommandations suivantes dans mon mémoire à l'Examen indépendant des organismes de surveillance de la police[13] pour renforcer l’indépendance et la crédibilité, perçues et réelles, des organismes de surveillance de la police en Ontario :
Recommandation 1
Les organismes de surveillance de la police en Ontario devraient immédiatement prendre des mesures pour garantir une plus grande représentation civile au sein de leur personnel et de leur direction.
Recommandation 2
Les organismes de surveillance de la police en Ontario devraient veiller à ce qu’aucun ancien policier ne soit appelé, de quelque manière que ce soit, à traiter de cas concernant son ancien service de police.
30 Conformément à ces recommandations, le Comité permanent de la justice pourrait vouloir réviser l’ébauche du Projet de loi pour ajouter les articles pertinents comme suit, ou pour les modifier :
Loi de 2017 sur les services de police (Annexe 1)
Inspecteur général des services policiers (Partie VI)
[Ajouter] Inspecteur général des services policiers
79 (1.1) (1) Un membre ou un ancien membre d’un service de police, un agent spécial ou un ancien agent spécial, ou un membre auxiliaire ou un ancien membre auxiliaire d’un service de police ne peut pas être nommé inspecteur général des services policiers.
(2) Un membre d’un service de police, un agent spécial ou un membre auxiliaire d’un service de police ne peut pas être nommé adjoint de l’inspecteur général des services policiers.
[Ajouter] Limite du nombre de policiers, d’agents
87 (1.1) (1) L’inspecteur général ne peut ni employer ni nommer au poste d’inspecteur un membre d’un service de police, un agent spécial ou un membre auxiliaire d’un service de police.
(2) Le nombre ou la proportion de personnes qui étaient membres d’un service de police ou agents spéciaux et qui sont nommées inspecteurs ne dépassera aucune limite pouvant être prescrite par le ministre.
[Modifier – changements soulignés] Restrictions applicables aux inspections
Commissaire ou Police provinciale
89 (1) L’inspecteur ne doit pas effectuer d’inspection concernant une question relative à la Police provinciale de l’Ontario s’il était anciennement employé au ministère, sauf s’il était anciennement employé dans le cadre d’un détachement au ministère[14].
Inspecteur employé par une entité
(2) L’inspecteur ne doit pas effectuer d’inspection concernant une question relative à une entité s’il était anciennement employé par celle-ci.
Inspecteur et chef de police employés par la même commission
(3) L’inspecteur qui était anciennement employé par une commission de service de police ne doit pas, aux termes de la présente partie, effectuer d’inspection auprès d’un chef de police qui était anciennement employé par la même commission.
Loi de 2017 sur la surveillance des services policiers (Annexe 2)
Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario (Partie II)
[Ajouter] Limite du nombre de policiers, d’agents
7 (2.1) Le nombre ou la proportion de personnes qui sont d’anciens responsables et qui sont nommées enquêteurs ne dépassera aucune limite pouvant être prescrite par le ministre.
Remarque : La même modification devrait aussi être incluse au texte de loi transitionnel, Loi de 2017 sur l’Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario.
Plaintes du public, enquêtes et audiences (Partie IV) – AOPSP
[Ajouter] Restriction
68 (2) Un enquêteur qui était membre d’un service de police ne sera pas affecté à une enquête liée à un membre de ce service de police, et ne participera pas à une telle enquête.
Loi de 2017 sur le Tribunal disciplinaire de l’Ontario en matière de services policiers (Annexe 3)
[Ajouter] Restriction
4 (1) Toute personne qui est ou qui était mentionnée à l’article 56 de la Loi de 2017 sur la surveillance des services policiers ne peut être nommée à titre d'employé.
31 En vertu du Projet de loi 175, mon Bureau aurait droit de regard sur l’Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario, l’Agence ontarienne des plaintes relatives aux services policiers et l’Inspecteur général des services policiers. Cependant, le Projet de loi comprend des dispositions de non-divulgation et de confidentialité qui, dans leur forme actuelle, pourraient gravement entraver les enquêtes de l’Ombudsman sur ces organismes.
32 En vertu de la Loi sur l’ombudsman, les organismes du secteur public sont tenus de se conformer aux demandes de renseignements et de documents de mon Bureau lors d’une enquête. Les renseignements en ma possession sont à leur tour protégés par de strictes exigences de confidentialité. Cependant, l’Annexe 1, Loi de 2017 sur les services de police, comprend une disposition de confidentialité qui pourrait empêcher mon Bureau d'accéder à des renseignements pertinents en la possession de l’Inspecteur général[15]. De même, l’Annexe 2, Loi de 2017 sur la surveillance des services policiers, comprend des dispositions de non-divulgation qui reconnaissent l'obligation de divulgation en vertu du Code des droits de la personne, et au Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée, mais pas à mon Bureau. Ces dispositions de non-divulgation, ajoutées aux dispositions de confidentialité énoncées dans le Projet de loi, pourraient contrecarrer les tentatives faites par mon Bureau pour obtenir des renseignements durant les enquêtes sur l’Unité des enquêtes spéciales de l'Ontario et sur l’Agence ontarienne des plaintes relatives aux services policiers[16]. L’Annexe 4, Loi de 2017 sur l’Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario, comprend des dispositions similaires de confidentialité en ce qui a trait à l’UESO[17].
33 Pour garantir l’accès de mon Bureau aux renseignements dont il a besoin pour s’acquitter efficacement de son rôle de surveillance, le Comité permanent pourrait envisager d’amender le Projet de loi comme suit :
Loi de 2017 sur les services de police (Annexe 1)
Inspecteur général des services policiers (Partie VI)
[Modifier – changements soulignés] Secret professionnel
87 (7) Les inspecteurs nommés en vertu du présent article sont tenus au secret à l’égard des renseignements qu’ils obtiennent dans l’exercice des fonctions que leur attribuent la présente loi ou les règlements et ne doivent les communiquer à personne sauf, selon le cas :
a) dans la mesure où l’exige l’application de la présente loi ou des règlements;
b) à leur avocat;
c) dans la mesure où l’exige l’exécution de la loi;
d) dans la mesure où l’exige la Loi sur l’ombudsman;
e) avec le consentement de la personne concernée par les renseignements, le cas échéant.
Loi de 2017 sur la surveillance des services policiers (Annexe 2)
Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario (Partie II)
[Modifier – changements soulignés] Restrictions en matière de divulgation
10 (10) Le directeur de l’UES, une personne employée à l’Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario ou un enquêteur ne peut divulguer les renseignements personnels recueillis en vertu du présent article que si l’une des conditions suivantes est remplie :
a) le particulier concerné par ces renseignements les a identifiés spécifiquement et a consenti à leur divulgation;
b) la divulgation est exigée par la loi, y compris comme l’exigent les articles 19 et 25 de la Loi sur l’ombudsman et l’article 31 du Code des droits de la personne;
…
[Modifier – changements soulignés] Secret professionnel
13 Le directeur de l’UES, tout enquêteur, toute personne employée à l’Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario et toute personne qui exerce des pouvoirs ou des fonctions sur les directives du directeur de l’UES sont tenus au secret à l’égard des renseignements qu’ils obtiennent dans l’exercice des pouvoirs ou des fonctions que leur attribue la présente partie et ne doivent les communiquer à personne sauf, selon le cas :
a) dans la mesure où l’exige l’application de la présente loi, de la Loi sur l’ombudsman, de la Loi de 2017 sur les services de police, de la Loi de 2017 sur le Tribunal disciplinaire de l’Ontario en matière de services policiers, ou des règlements pris en vertu de l’une ou l’autre de ces lois;
…
Remarque : Les mêmes modifications devraient également être incluses à la Partie III, Agence ontarienne des plaintes relatives aux services policiers, par. 50 (10) et 52, et dans le texte transitoire de la Loi de 2017 sur l’Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario (Annexe 4), par. 9 (10) et 12.
34 Les enquêtes précédentes de mon Bureau sur l’Unité des enquêtes spéciales ont mis en lumière des problèmes historiques de coopération et de réponse en temps opportun de la part de la police, en ce qui concerne le respect des directives et des demandes de l’UES. Dans ces circonstances, le libellé du paragraphe 33 (1) de l’Annexe 2, Loi de 2017 sur la surveillance des services policiers, et du paragraphe 32 (1) de l’Annexe 4 transitoire, Loi de 2017 sur l’Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario, s’avère préoccupant. Bien que ces dispositions exigent que les responsables se conforment « immédiatement ou à un autre moment prévu par la présente loi » à une directive ou demande de l’UESO, cette exigence est fortement modifiée par l’expression suivante : « à moins qu’il soit matériellement impossible de le faire ». La détermination de ce qui est « matériellement impossible » peut donner lieu à diverses interprétations subjectives, ce qui peut continuer de contrecarrer les efforts faits par l’UESO pour mener des enquêtes efficaces, en temps opportun.
35 Ces dispositions visent à contraindre les services de police à se conformer aux demandes de l’UESO et à collaborer avec elle. Cet objectif est miné – et l’article est rendu nul et non avenu – par le qualificatif « à moins qu’il soit matériellement impossible de le faire ». Historiquement, nous avons constaté la réticence des chefs de police à respecter le mandat de l’UES et à s’y conformer. Ce libellé mènera au maintien et au renforcement du problème auquel l’article visait à remédier. Imaginez le coup qui serait porté à la transparence et à la responsabilisation si la loi sur les réunions publiques stipulait que les réunions doivent se tenir en public « à moins qu'il soit matériellement impossible de le faire ».
36 J’exhorte donc fortement le Comité permanent à éliminer cette expression soulignée des articles en question afin de préserver l'objectif de la loi visant à garantir l’efficacité de la surveillance et de la responsabilisation.
37 En 2016, j’ai rendu public notre rapport d’enquête, Une question de vie ou de mort, sur les directives données à la police par le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels sur la désescalade des situations conflictuelles. Cette enquête a entraîné 22 recommandations visant à améliorer les directives ministérielles relativement à la formation des policiers sur le recours à la force et les techniques de désescalade[18]. Le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels a accepté mes recommandations sur un nouveau modèle de recours à la force et sur une formation qui mettraient l’accent sur les techniques de désescalade dans les situations de conflit. Après deux décennies de recommandations faites par des jurys de coroners et par d’autres pour améliorer la formation des policiers à la désescalade en Ontario, notre enquête a montré que l’Ontario reste loin derrière d’autres instances à cet égard.
38 Malgré l’engagement pris par le Ministère en vue d'appliquer mes recommandations, et bien que celui-ci ait reconnu la nécessité de changement, aucun progrès concret n’a été apporté. Nous avons entendu quelques déclarations publiques de la ministre actuelle et de son prédécesseur, mais il n’y a toujours pas de nouveau modèle de recours à la force, et la formation à la désescalade reste incohérente – elle varie grandement d’un service de police à un autre.
39 Malheureusement, le Projet de loi 175 manque une occasion importante de changement en omettant de faire précisément référence à la formation à la désescalade et à l’adoption d’un nouveau modèle de recours à la force. Si ce Projet de loi veut pleinement s’attaquer à la crise actuelle de confiance envers les services de police, il devrait reconnaître qu’il faut mettre l’accent sur la façon dont les policiers se conduisent avec les citoyens vulnérables, dont ceux qui se trouvent en situation de crise à cause d’une maladie mentale ou d’une toxicomanie. Les policiers doivent être formés pour comprendre l'importance d’utiliser les mots avant les armes à feu. Si l’objectif de cette loi est de renforcer la sécurité en Ontario, un nouveau modèle de recours à la force exigeant le recours à la désescalade face aux personnes en crise et une formation obligatoire des policiers à la désescalade sont des éléments clés manquants.
40 Il est crucial d’augmenter la responsabilisation et la transparence des organismes de surveillance de la police, mais les changements doivent aussi se produire sur le terrain. Une formation obligatoire à la désescalade permettrait de sauver des vies, d’améliorer la confiance du public envers la police et, idéalement, de réduire le nombre de cas troublants dont sont saisis l’UESO et d’autres organismes inclus à ce Projet de loi.
41 Le temps de l’étude et de la consultation est depuis longtemps révolu. Il faut maintenant apporter des changements concrets et majeurs à la façon dont les policiers sont formés, s’acquittent de leurs fonctions et sont tenus responsables en Ontario. Les Ontariens comptent sur l’Assemblée pour y parvenir.
42 Par conséquent, le Comité permanent voudra peut-être envisager de modifier l’Annexe 1, Loi de 2017 sur les services de police, comme suit :
Loi de 2017 sur les services de police (Annexe 1)
[Modifier – changements soulignés] Déclaration de principes (Partie I)
1. Les services policiers sont offerts dans l’ensemble de l’Ontario conformément aux principes suivants :
…
9. Le besoin de veiller à ce que tout modèle de recours à la force et toute formation donnée aux policiers mettent l’accent sur la désescalade des conflits lors de situations de crise.
43 Le Projet de loi 175 représente une étape cruciale vers une surveillance civile solide et transparente des services de police de cette province. Les Ontariens sont en droit d’avoir des organismes de surveillance de la police qui agissent dans la transparence, la responsabilisation et l'efficacité. Je recommande que le Projet de loi soit modifié pour refléter les propositions faites dans ce mémoire, afin d'améliorer plus encore ce travail. Je loue l’engagement pris par le gouvernement d’intégrer ces principes dans la loi et je serai heureux de voir l’élargissement du rôle de mon Bureau dans cet important domaine.
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
[1] Juge Michael Tulloch, Rapport de l’Examen indépendant des organismes de surveillance de la police (Ontario : 2017), en ligne.
[2] Ombudsman de l’Ontario, Une surveillance inchangée : Mémoire à l’Examen indépendant des organismes de surveillance de la police (Rapport de l’Ombudsman) P. Dubé (Toronto : Ombudsman de l’Ontario : 2016), en ligne.
[3] Projet de loi 175, Loi de 2017 pour plus de sécurité en Ontario, en ligne.
[4] L’Ombudsman n’est pas en droit de traiter les plaintes sur l’OPP qui relèvent de la Partie V de la Loi sur les services policiers, section des Plaintes et procédures disciplinaires; voir Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, chap. P15, art. 97.
[5] Ombudsman de l’Ontario, Dans le feu de l’action : Enquête visant à déterminer comment la Police provinciale de l’Ontario et le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels ont géré les blessures de stress opérationnel chez les policiers (Rapport de l’Ombudsman) A. Marin (Toronto : Ombudsman de l’Ontario : 2012), en ligne.
[6] Comme le Projet de loi 175 remplace l’expression « commissions de police » par « commissions de services de police », tout ce document adopte la nouvelle expression, sauf pour les noms officiels d'organismes spécifiques.
[7] Ombudsman de l’Ontario, Une surveillance imperceptible : Enquête sur l’efficacité et la crédibilité des opérations de l’Unité des enquêtes spéciales (Rapport de l’Ombudsman) A. Marin (Toronto : Ombudsman de l’Ontario, 2008) [Une surveillance imperceptible], en ligne.
[8] Ombudsman de l’Ontario, Le sabordage de la surveillance : Enquête sur l’application des recommandations concernant la réforme de l’Unité des enquêtes spéciales par le ministère du Procureur général (Rapport de l’Ombudsman) A. Marin (Toronto : Ombudsman de l’Ontario: 2011) [Le sabordage de la surveillance], en ligne.
[9] « Améliorer la transparence et la responsabilisation dans la surveillance de la police », ministère du Procureur général, communiqué de presse (2 novembre 2017), en ligne.
[10] Projet de loi 175, Loi de 2017 pour plus de sécurité en Ontario, Annexe 2, Loi de 2017 sur la surveillance des services policiers, par. 47 (2) et (4).
[11] Remarque : Le directeur de l’UESO ne peut pas être un ancien policier. Ibid, Annexe 3, Loi de 2017 sur le Tribunal disciplinaire de l’Ontario en matière de services policiers, par. 2 (2).
[12] Ibid, Annexe 2, Loi de 2017 sur la surveillance des services policiers, par. 6 (2), Annexe 4. Loi de 2017 sur l’Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario, par. 5 (2). Ceci est conforme aux dispositions existantes de la Loi sur les services policiers, par. 113 (3).
[13] Dans mon mémoire à l'EIOSP, ces deux recommandations sont ainsi présentées : la recommandation 1 est la recommandation 5 et la recommandation 2 est la recommandation 8.
[14] La modification que j’ai proposée au par. 89 (1) s’appliquerait si la référence à l’inspecteur employé au « Ministère » faisait référence à l’inspecteur employé à la « Police provinciale de l’Ontario ». Toutefois, la signification de ce paragraphe manque de clarté.
[15] Projet de loi 175, Loi de 2017 pour plus de sécurité en Ontario, Annexe 1, Loi de 2017 sur les services de police, par. 87 (7).
[16] Ibid, Annexe 2, Loi de 2017 sur la surveillance des services policiers, par. 10 (10), 13, 50 (10), 52.
[17] Ibid, Annexe 4, Loi de 2017 sur l’Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario, par. 9 (10), 12.
[18] Ombudsman de l’Ontario, Une question de vie ou de mort : Enquête sur les directives données par le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels aux services de police de l’Ontario sur la désescalade des situations conflictuelles, (Rapport de l’Ombudsman) P. Dubé (Toronto : Ombudsman de l’Ontario : 2016), en ligne.