Mémoire au ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires concernant les fouilles du personnel, des visiteur(euse)s et des adolescent(e)s dans les centres de justice pour la jeunesse
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
Mars 2024
Aperçu
Le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires veut obtenir des commentaires sur le projet de modification du Règlement de l’Ontario 155/18 pris en application de la Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille pour y ajouter des dispositions sur les fouilles du personnel, des visiteur(euse)s et des adolescent(e)s dans les centres de justice pour la jeunesse.
Je me réjouis des fins énoncées de ces modifications, soit établir des exigences claires et uniformes pour les fouilles du personnel et des visiteur(euse)s ainsi qu’expliquer la démarche de fouille à nu des adolescent(e)s placé(e)s sous garde ou en détention dans un centre. Toutefois, d’après mon examen, le Ministère devrait être plus explicite sur certains points pour assurer l’uniformité, la responsabilisation et la transparence en lien avec ce type de fouille.
Rôle et compétence de l’Ombudsman
L’Ombudsman, nommé en application de la Loi sur l’ombudsman[1], est un haut fonctionnaire indépendant et impartial de l’Assemblée législative de l’Ontario. En tant que tel, il a le pouvoir d’effectuer des examens et des enquêtes sur des centaines d’organismes du secteur public, y compris les prisons, les centres de détention et les centres de justice pour la jeunesse de la province. Depuis 2019, le mandat de l’Ombudsman comprend aussi l’examen des plaintes sur les services fournis par les sociétés d’aide à l’enfance et les titulaires de permis d’établissement ainsi que sur les services en français fournis aux termes de la Loi sur les services en français[2].
Mon Bureau a une équipe qui s’occupe exclusivement des dossiers touchant les centres de justice pour la jeunesse, et en 2022-2023, il a reçu 187 cas (plaintes et demandes de renseignements) concernant ces établissements. Dans les cinq dernières années, mon Bureau a reçu neuf (9) cas concernant les fouilles à nu dans les centres de justice pour la jeunesse. Même si ce chiffre est peu élevé, les problèmes soulevés peuvent avoir de graves conséquences.
Récemment, mon Bureau a reçu une plainte d’un adolescent subissant des fouilles à nu sans motif précis après ses rencontres avec son avocat, ce qui est contraire à la politique ministérielle et aux politiques du centre concerné. Lorsqu’il a fait part de ses préoccupations au personnel, on lui a dit que tous les centres de justice pour la jeunesse de l’Ontario procédaient ainsi. Le personnel de mon Bureau a discuté de cette pratique avec des haut(e)s fonctionnaires du Ministère. Ce dernier a par la suite envoyé une note de service à tous les centres de justice pour la jeunesse qu’il exploite directement pour leur rappeler qu’il ne faut pas procéder sans motif précis à une fouille à nu après une visite.
En plus de régler les plaintes individuelles, mon Bureau a mené une enquête systémique sur les centres de justice pour la jeunesse. En avril 2022, j’ai publié Occasions perdues[3], un rapport d’enquête sur la planification et la mise en œuvre, par le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, de la fermeture des programmes de garde et de détention en milieu fermé dans deux centres pour la jeunesse. J’ai fait 16 recommandations pour améliorer la procédure, qui ont toutes été acceptées par le Ministère.
Plus généralement, mon Bureau possède une solide expertise dans le domaine correctionnel et a toujours insisté sur l’importance de doter les établissements correctionnels ontariens de politiques claires, d’un processus de surveillance rigoureux et d’une formation complète du personnel. Par exemple, en 2017, nous avons effectué une enquête systémique sur la manière dont le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels (maintenant le ministère du Solliciteur général) fait le suivi de l’admission et du placement des personnes détenues en isolement ainsi que sur la pertinence et l’efficacité du processus d’examen de ces placements. Le rapport à ce sujet, Les oubliés de la surveillance[4], contient 32 recommandations d’amélioration qui ont toutes été acceptées par le Ministère. J’ai fait plusieurs recommandations visant à améliorer les ressources, la formation et les outils technologiques nécessaires pour faire le suivi du placement en isolement des personnes détenues et permettre l’analyse et la publication annuelle de données concernant ces personnes.
Projet de cadre réglementaire
Le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires propose de modifier le Règlement de l’Ontario 155/18 pris en application de la Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille[5] (LSEJF).
La LSEJF régit la prestation de services dans les centres de garde pour jeunes en milieu ouvert, les centres de garde pour jeunes en milieu fermé et les centres de détention provisoire. Son objet primordial est de « promouvoir l’intérêt véritable de l’enfant, sa protection et son bien-être[6] ». Son préambule précise qu’elle a pour objectif d’être compatible avec les principes énoncés dans la Convention relative aux droits de l’enfant de l’Organisation des Nations Unies et de s’en inspirer. Selon l’alinéa 37c) de cette convention, tout enfant privé de liberté doit être traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d’une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge.
Le paragraphe 155(1) de la LSEJF permet au(à la) responsable d’un centre de justice pour la jeunesse de procéder à des fouilles et perquisitions dans l’établissement, notamment de fouiller un(e) adolescent(e) ou une autre personne, par exemple un(e) membre du personnel ou un(e) visiteur(euse), et ses effets personnels. Les articles 67 à 73 du Règlement de l’Ontario 155/18 précisent les règles générales régissant les fouilles.
Selon les notes de consultation du Ministère, le Règlement ne fait aucunement mention d’exigences détaillées et uniformes sur le déroulement des fouilles du personnel et des visiteur(euse)s. Le Ministère reconnaît aussi que le Règlement, dans sa version actuelle, ne précise pas comment peuvent être effectuées les fouilles autorisées, notamment les fouilles à nu d’adolescent(e)s. Le cadre qu’il propose comblerait cette lacune, ce qui favoriserait l’uniformité et la transparence des procédures pour fouiller le personnel, les visiteur(euse)s et les adolescent(e)s dans les centres de justice pour la jeunesse de l’Ontario.
Même si les modifications réglementaires proposées touchent la fouille de ces personnes, mon mémoire traitera essentiellement des fouilles à nu d’adolescent(e)s, vu la vulnérabilité propre à cette clientèle.
Fouilles à nu d’adolescent(e)s
D’après ses documents de consultation, le Ministère envisage d’apporter diverses modifications réglementaires aux fouilles à nu des adolescent(e)s. Il a notamment proposé que les fouilles soient effectuées individuellement, en privé et sans contact physique. Les adolescent(e)s ne seraient pas complètement nu(e)s. Et si un(e) membre du personnel présent(e) n’est pas du même genre que l’adolescent(e), cette personne devrait se placer de manière à voir son(sa) collègue uniquement.
En outre, les modifications proposées au Règlement précisent les circonstances dans lesquelles une fouille à nu peut être menée, comme lors de l’admission, lorsque l’adolescent(e) sort du centre (p. ex. pour une comparution) et lorsque l’adolescent(e) est de retour au centre, s’il(si elle) n’a pas fait l’objet d’une surveillance constante par un(e) membre du personnel. Il serait aussi possible de procéder à une fouille à nu s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’adolescent(e) dissimule des objets interdits, si une fouille causant moins d’ingérence ne permet pas de repérer les objets interdits et en cas de risque direct de préjudice.
Le Ministère a aussi dit que ces modifications pourraient exiger des centres qu’ils présentent un rapport mensuel résumant chaque fouille à nu, et que le(la) ministre analyse dans les cinq ans le recours aux fouilles à nu dans les centres de justice pour la jeunesse et leurs répercussions.
Limiter les fouilles à nu d’adolescent(e)s
Permettre les fouilles à nu seulement en dernier ressort
Beaucoup de sources canadiennes insistent sur l’importance de limiter sérieusement le recours aux fouilles à nu chez les adolescent(e)s. Dans l’arrêt R. c. Golden, la Cour suprême du Canada a statué que les fouilles à nu sont « fondamentalement humiliantes et avilissantes pour les personnes détenues, peu importe la manière dont elles sont effectuées[7] ». La Cour a ajouté ceci : « [l]a nécessité de prévenir les fouilles injustifiées avant qu’elles ne se produisent est d’une importance particulièrement critique dans le contexte des fouilles à nu, puisque celles-ci portent une atteinte importante et très directe au droit à la vie privée[8] ».
Le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police de l’Ontario a indiqué que les fouilles à nu sont particulièrement humiliantes, dégradantes et traumatisantes pour les adolescent(e)s[9]. Les tribunaux ont reconnu que pour fouiller à nu un(e) adolescent(e), il faut tenir compte de son âge[10]. Puisque les fouilles à nu sont particulièrement traumatisantes pour les adolescent(e)s, je recommande vivement au Ministère de les limiter lorsque possible; elles devraient être extrêmement rares et n’être effectuées qu’en dernier ressort.
Parfois, les avancées technologiques dans le domaine des fouilles peuvent éliminer la nécessité de recourir aux types de fouilles causant le plus d’ingérence. Les systèmes de détection à balayage corporel permettent de passer le corps entier au scanner pour repérer des objets interdits qui sont dissimulés à la surface ou à l’intérieur du corps, que ne détectent pas les mesures de sécurité existantes[11], et n’obligent pas la personne à se dévêtir. Ces types de scanners sont utilisés avec succès dans certains établissements correctionnels pour adultes de la province depuis des années. Même s’il n’y en a pas dans tous les centres de justice pour la jeunesse, je recommande vivement au Ministère de préciser comment et quand ces dispositifs doivent être utilisés comme méthode causant moins d’ingérence.
Proposition 1
Le Règlement de l’Ontario 155/18 devrait expressément indiquer que les fouilles à nu ne doivent servir qu’en dernier ressort, lorsque toutes les autres options visant à protéger les adolescent(e)s et à assurer la sécurité dans un centre de justice pour la jeunesse ont été envisagées.
Proposition 2
Le Règlement de l’Ontario 155/18 devrait préciser comment et quand les scanners corporels doivent être utilisés comme méthode causant moins d’ingérence.
Interdire les fouilles à nu sans motif précis
Le Ministère a dit que les modifications proposées au Règlement pourraient indiquer quand une adolescent(e) peut être fouillé(e) à nu, par exemple lors de l’admission au centre, lorsque l’adolescent(e) sort du centre (p. ex. pour une comparution) et lorsque l’adolescent(e) est de retour au centre, s’il(si elle) n’a pas fait l’objet d’une surveillance constante par un(e) membre du personnel. Je crains que ces exceptions puissent mener à des fouilles à nu sans motif précis, ce qui est contraire à la Charte canadienne des droits et libertés.
L’article 8 de la Charte prévoit que chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives[12]. Dans son examen de la portée du pouvoir de la police d’effectuer des fouilles à nu, la Cour suprême du Canada a soutenu que « [l]e fait qu’une fouille à nu soit effectuée dans le cadre d’une politique systématique de la police et qu’elle soit pratiquée de façon raisonnable ne change rien à son caractère abusif au sens de l’article 8 de la Charte[13]. » Dans la décision R. v. A.(Z.), il a été statué que la fouille à nu d’un adolescent contrevenait à l’article 8 de la Charte, entre autres [TRADUCTION] « [parce qu’elle] avait été effectuée sans motif précis, sans tenir compte des circonstances personnelles de l’adolescent et de la nécessité de procéder à une fouille à nu en l’espèce[14] ». J’encourage le Ministère à interdire les fouilles à nu d’adolescent(e)s sans motif précis, par exemple lors de l’arrivée au centre ou du départ du centre, et à préciser que chaque fouille à nu doit être réalisée en tenant compte des circonstances individuelles de l’adolescent(e) et de la nécessité de la procédure.
Proposition 3
Le Règlement de l’Ontario 155/18 devrait interdire les fouilles à nu d’adolescent(e)s sans motif précis et préciser que chaque fouille doit être réalisée en tenant compte des circonstances individuelles de l’adolescent(e) et de la nécessité de la procédure.
Définir les types d’objets interdits pouvant justifier une fouille à nu
Le Ministère propose aussi d’autoriser les fouilles à nu lorsqu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un(e) adolescent(e) dissimule des objets interdits, si une fouille causant moins d’ingérence ne permet pas de repérer les objets interdits et en cas de risque direct de préjudice. Je trouve encourageante la proposition ministérielle consistant à préciser dans quelles circonstances un(e) adolescent(e) peut être fouillé(e) à nu. Toutefois, dans sa formulation actuelle, cette proposition pourrait mener à des fouilles à nu visant à trouver des objets interdits insignifiants, ce qui serait disproportionné par rapport au risque posé.
Le terme « objet interdit » est défini de manière très vague dans la LSEJF comme tout ce qu’un(e) adolescent(e) n’est pas autorisé(e) à avoir en sa possession, tout ce qu’il(elle) est autorisé(e) à avoir en sa possession, mais qui se trouve dans un endroit où il(elle) n’est pas autorisé(e) à l’avoir en sa possession, et tout ce qu’un(e) adolescent(e) est autorisé(e) à avoir en sa possession, mais dont il(elle) fait un usage non autorisé. Il pourrait s’agir, par exemple, d’aliments non dangereux qu’un(e) adolescent(e) conserve de son dîner pour les manger plus tard dans sa chambre. Bien qu’il soit important que les centres puissent effectuer des fouilles pour repérer les objets présentant un danger, j’encourage le Ministère à examiner attentivement et à préciser rigoureusement les types d’objets interdits qui justifient de fouiller à nu un(e) adolescent(e). Par exemple, il devrait donner des précisions et des directives claires sur ce qui constitue un « risque direct de préjudice » justifiant la réalisation d’une fouille à nu.
Proposition 4
Le Règlement de l’Ontario 155/18 pris en application de la LSEJF devrait indiquer clairement et rigoureusement les types d’objets interdits qui justifient de fouiller à nu un(e) adolescent(e). Il devrait aussi contenir des directives claires sur ce qui constitue un « risque direct de préjudice » justifiant la réalisation d’une fouille à nu.
Former le personnel sur la fouille à nu d’adolescent(e)s
Il est important de former le personnel sur les exigences juridiques ainsi que les pratiques et techniques applicables aux fouilles à nu d’adolescent(e)s si l’on veut assurer l’uniformité et la responsabilisation. Selon l’article 71 du Règlement de l’Ontario 155/18, les responsables des centres de justice pour la jeunesse doivent former la totalité des membres du personnel qui fournissent des soins directs aux adolescent(e)s sur la façon d’effectuer les fouilles. J’encourage le Ministère à recommander expressément que cette formation soit suivie chaque année. Je lui conseille aussi vivement de valider que la formation porte notamment sur les politiques applicables, les exigences juridiques et les stratégies de réduction des fouilles à nu d’adolescent(e)s[15].
Proposition 5
Le Règlement de l’Ontario 155/18 pris en application de la LSEJF devrait indiquer que les centres de justice pour la jeunesse doivent former chaque année la totalité des membres du personnel qui fournissent des soins directs aux adolescent(e)s sur les politiques applicables, les exigences juridiques et les stratégies de réduction des fouilles à nu d’adolescent(e)s.
Protéger la vie privée et préserver la dignité des adolescent(e)s
Réaliser les fouilles à nu dans un endroit privé et intime
Il est généralement reconnu que les adolescent(e)s placé(e)s sous garde ont droit à la protection de leur vie privée, même pendant une fouille à nu. Le Comité des droits de l’enfant est l’organe officiel de surveillance de l’application de la Convention relative aux droits de l’enfant de l’Organisation des Nations Unies. D’après lui, les besoins d’intimité des enfants dans le système de justice devraient être « dûment pris en considération »[16].
Il est primordial que les fouilles à nu soient effectuées de manière à protéger la vie privée et à préserver la dignité des adolescent(e)s, dans toute la mesure du possible[17]. En 2004, David Meffe, 16 ans, est décédé par suicide au centre d’évaluation des jeunes de Toronto, un centre de justice pour la jeunesse. Le jury convoqué à l’enquête qui a examiné les circonstances entourant ce décès a fait 40 recommandations, notamment que les fouilles à nu d’adolescent(e)s soient réalisées dans un endroit privé et intime, hors de la vue des autres jeunes. Il a dit que cette recommandation visait [TRADUCTION] « [à] préserver la dignité et l’intimité des jeunes ». Il a ajouté que [TRADUCTION] « [l]a fouille à nu est une expérience très dégradante en soi; le fait que d’autres jeunes en soient témoins amplifie les risques de victimisation et mine l’estime de soi ». Dans son document de consultation, qui s’inscrit dans la recommandation du jury, le Ministère propose d’exiger que les fouilles soient effectuées individuellement, en privé et sans contact physique. Je lui recommande fortement d’appliquer cette exigence et d’établir que les fouilles à nu d’adolescent(e)s doivent être réalisées dans un endroit privé et intime.
Proposition 6
Le Règlement de l’Ontario 155/18 pris en application de la LSEJF devrait préciser que les fouilles à nu d’adolescent(e)s doivent être réalisées dans un endroit privé et intime, à l’écart des autres adolescent(e)s.
Règles sur le genre du personnel chargé des fouilles à nu
La Commission ontarienne des droits de la personne a recommandé que les fouilles à nu soient réalisées par un(e) membre du personnel du même sexe que la personne soumise à la fouille, sauf lorsque l’identité de genre exige une autre approche[18].
Dans la version actuelle du Règlement de l’Ontario 155/18, il est précisé qu’une fouille à nu ne doit pas être effectuée par une personne de l’autre sexe, sauf s’il y a « des motifs raisonnables de croire qu’une fouille immédiate est nécessaire du fait que l’adolescent dissimule des objets interdits qui constituent un danger immédiat pour la sécurité des adolescents, du personnel ou de toute autre personne se trouvant dans le lieu, soit pour la sécurité du lieu[19] ». Il est aussi dit que l’adolescent(e) trans peut demander qu’une fouille soit effectuée par un membre masculin du personnel, un membre féminin du personnel ou des membres du personnel des deux sexes, sous réserve de la même exception[20].
Les adolescent(e)s trans ou issu(e)s de la pluralité des genres sont particulièrement vulnérables, surtout lors des fouilles à nu. Les centres de justice pour la jeunesse devraient préalablement s’informer auprès de cette clientèle de la marche à suivre souhaitée pour la fouille. J’encourage le Ministère à exiger expressément que les centres de justice pour la jeunesse consultent comme il se doit les adolescent(e)s trans ou issu(e)s de la pluralité des genres sur leur préférence concernant le genre de la personne effectuant la fouille à nu.
Proposition 7
Le Règlement de l’Ontario 155/18 pris en application de la LSEJF devrait exiger que les adolescent(e)s trans ou issu(e)s de la pluralité des genres soient consulté(e)s sur leur préférence concernant le genre de la personne effectuant la fouille à nu.
Préciser que les adolescent(e)s peuvent porter plainte à propos d’une fouille à nu
Selon la proposition du Ministère, le Règlement dans sa version modifiée permettra au personnel et aux visiteur(euse)s de porter plainte sur le déroulement d’une fouille et exigera que chaque centre ait un processus de règlement rapide des plaintes.
Conformément à l’article 18 de la LSEJF et à l’article 22 du Règlement de l’Ontario 155/18, les centres de justice pour la jeunesse doivent mettre au point un protocole écrit respectant diverses exigences. Le Ministère devrait modifier le Règlement pour indiquer expressément que le mécanisme en place autorise les adolescent(e)s placé(e)s dans les centres de justice pour la jeunesse à porter plainte sur la façon dont une fouille à nu a été réalisée.
Proposition 8
Le Ministère devrait modifier le Règlement de l’Ontario 155/18 pour indiquer expressément que le protocole écrit en place autorise les adolescent(e)s placé(e)s dans les centres de justice pour la jeunesse à porter plainte sur la façon dont une fouille à nu a été réalisée.
Exigences de production de rapports
La proposition du Ministère indique que la version modifiée du Règlement pourrait exiger la présentation d’un rapport mensuel résumant chaque fouille à nu. Le Ministère n’a pas encore dit qui devrait soumettre et examiner ces rapports. À des fins de clarté et d’uniformité, il devrait préciser clairement qui (personne ou organe) soumettra ces rapports et qui en prendra acte et les examinera.
Proposition 9
Le Règlement de l’Ontario 155/18 pris en application de la LSEJF devrait préciser clairement qui (personne ou organe) soumettra les rapports mensuels sur les fouilles à nu, et qui en prendra acte et les examinera.
J’encourage aussi le Ministère à préciser le type d’information à inclure dans ces rapports, par exemple le motif de la fouille, le résultat et la race et le genre de la personne fouillée. La collecte de ces données favorisera la responsabilisation et la surveillance, et aidera à cerner les tendances et à établir des pratiques exemplaires pour les fouilles à nu d’adolescent(e)s[21]. Cette approche serait aussi cohérente avec les recommandations de la Commission ontarienne des droits de la personne, qui propose également que les établissements correctionnels consignent la race, le genre, la croyance et la déficience physique ou mentale des personnes fouillées à nu[22]. De la même façon, le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police (BDIEP) a recommandé que tous les services de police de l’Ontario compilent des statistiques sur le nombre de personnes fouillées à nu et les motifs invoqués pour ces fouilles. Il recommande aussi que ces statistiques comprennent, entre autres, la race de la personne fouillée.
Proposition 10
Le Règlement de l’Ontario 155/18 pris en application de la LSEJF devrait préciser l’information à inclure dans les rapports mensuels sur les fouilles à nu, par exemple le motif de la fouille, le résultat et la race et le genre de la personne fouillée.
La publication de rapports contenant ces données, de manière anonymisée, favorisera la surveillance des fouilles à nu d’adolescent(e)s. Le Ministère devrait rendre compte, au moyen de données agrégées, de l’information incluse dans les rapports mensuels en s’assurant qu’il ne divulgue aucun renseignement identificatoire[23]. Ces comptes rendus seraient précieux pour repérer les tendances inquiétantes et proposer des pratiques exemplaires relativement aux fouilles à nu d’adolescent(e)s.
Proposition 11
Le Règlement de l’Ontario 155/18 pris en application de la LSEJF devrait préciser que le Ministère rendra compte chaque année, au moyen de données agrégées, de l’information incluse dans les rapports mensuels sur les fouilles à nu d’adolescent(e)s. Il devrait aussi indiquer que ces rapports ne doivent pas contenir de renseignements identificatoires.
Selon le Ministère, le projet de modification du Règlement pourrait exiger que le(la) ministre examine le recours aux fouilles à nu dans les centres de justice pour la jeunesse dans les cinq ans de la prise d’effet des modifications. J’encourage aussi le Ministère à passer régulièrement en revue les rapports mensuels sur les fouilles à nu avant ce délai de cinq ans pour vérifier que les centres respectent les exigences réglementaires. Le fait de veiller à ce que le Ministère joue un rôle actif de surveillance par l’examen des rapports mensuels sur les fouilles à nu aidera à confirmer que les centres de justice pour la jeunesse respectent les bonnes politiques, procédures et exigences juridiques.
Proposition 12
Le Règlement de l’Ontario 155/18 pris en application de la LSEJF devrait préciser le processus et l’échéancier de surveillance et d’examen, par le Ministère, des rapports mensuels sur les fouilles à nu.
Services en français
Le Ministère a indiqué que le projet de modification du Règlement exigerait que l’on informe les adolescent(e)s de l’objet d’une fouille et du processus employé pour la réaliser. Mon Bureau a constaté que les services fournis aux enfants et aux jeunes francophones aux termes de la LSEJF ne sont pas toujours respectueux des droits et intérêts linguistiques de la population francophone de l’Ontario. Le Ministère devrait exiger officiellement que les centres fournissent l’information sur les fouilles à nu en anglais et en français, lorsque nécessaire, conformément à l’article 16 de la LSEJF. Les adolescent(e)s pourront ainsi comprendre l’objet de la fouille et comment elle sera réalisée.
Proposition 13
Le Règlement de l’Ontario 155/18 pris en application de la LSEJF devrait exiger que les centres fournissent aux adolescent(e)s, en français lorsque nécessaire, l’information sur l’objet d’une fouille et son déroulement.
Conclusion
Je trouve encourageants les efforts faits par le Ministère pour bonifier le Règlement de l’Ontario 155/18 afin de promouvoir la responsabilisation et la transparence relativement à la réalisation des fouilles dans les centres de justice pour la jeunesse. Mon examen a révélé d’autres points sur lesquels le Ministère devrait se prononcer pour encourager l’uniformité, la responsabilisation, la transparence et la surveillance des procédures de fouille à nu d’adolescent(e)s.
Mon personnel se fera un plaisir de communiquer plus d’information et de répondre aux questions sur ces propositions.
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Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
[1] L.R.O. 1990, chap. O.6.
[2] L.R.O. 1990, chap. F.32.
[3] Ombudsman de l’Ontario, Occasions perdues : Enquête sur la mise en œuvre par le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires de la décision de fermer des programmes de garde et de détention au Creighton Youth Centre et au J.J. Kelso Youth Centre (26 avril 2022), en ligne.
[4] Ombudsman de l’Ontario, Les oubliés de la surveillance : Enquête sur la manière dont le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels fait le suivi de l’admission et du placement des détenus en isolement, et sur la pertinence et l’efficacité du processus d’examen de tels placements (20 avril 2017), en ligne.
[5] L.O. 2017, chap. 14, annexe 1.
[6] Ibid., paragraphe 1(1).
[7] Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletR. c. Golden, 2001 CSC 83, paragraphe 90 [Golden], en ligne.
[8] Ibid., paragraphe 89.
[9] Dans son rapport de mars 2019 intitulé Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletLes lacunes dans l’application de l’arrêt Golden : examen des fouilles à nu effectuées par la police en Ontario, le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police indique, à la page 129, que « [l]es fouilles à nu peuvent se révéler particulièrement traumatisantes pour une adolescente ou un adolescent […] » et devraient être traitées « avec plus d’attention ». Les lacunes dans l’application de l’arrêt Golden, en ligne.
[10] Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletR. v. A.(Z.), 2012 ONCJ 541 [R. v. A.(Z.)], paragraphe 72, en ligne; et Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletR. v. M.(S.), 2013 ONCJ 219, note de bas de page 1, en ligne.
[11] Ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels, « Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletTous les établissements correctionnels pour adultes seront dotés de scanners corporels », Salle de presse du gouvernement de l’Ontario (3 mai 2016), en ligne.
[12] Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui est l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11.
[13] Golden, supra note 7, paragraphe 95.
[14] R. v. A.(Z.), supra note 10, paragraphe 73.
[15] La Commission ontarienne des droits de la personne a, elle aussi, recommandé que le personnel des établissements correctionnels pour adultes soit formé sur les règles, les critères et la jurisprudence qui limitent les fouilles à nu; les règles et les critères pour réaliser une fouille à nu; et les règles et les critères pour la consignation intégrale d’une fouille à nu. Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletMémoire de la Commission ontarienne des droits de la personne concernant l’appel de mémoires du ministère du Solliciteur général pour la modernisation du cadre réglementaire des fouilles de personnes incarcérées aux établissements correctionnels pour adultes (31 octobre 2022) [Mémoire de la CODP], en ligne.
[16] Comité des droits de l’enfant, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletObservation générale no 24 (2019) sur les droits de l’enfant dans le système de justice pour enfants (18 septembre 2019), à l’alinéa 95b), en ligne.
[17] La Cour suprême du Canada a statué que les fouilles à nu auxquelles on procède accessoirement à une arrestation doivent être « effectuées d’une manière qui porte le moins possible atteinte au droit à la vie privée et à la dignité de la personne qui y est soumise ». Golden, supra note 7, paragraphe 104.
[18] Golden, supra note 7, paragraphe 90; Mémoire de la CODP, supra note 15; Les lacunes dans l’application de l’arrêt Golden, supra note 9, paragraphe 20.
[19] Disposition ii du paragraphe 68(4).
[20] Disposition iii du paragraphe 68(4).
[21] Les lacunes dans l’application de l’arrêt Golden, supra note 9, page 14.
[22] Mémoire de la CODP, supra note 15.
[23] La Commission ontarienne des droits de la personne et le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police ont aussi recommandé que les statistiques sur le nombre de personnes fouillées à nu soient publiées chaque année. Mémoire de la CODP, supra note 15, et Les lacunes dans l’application de l’arrêt Golden, supra note 9, page 14.