Enquête sur une plainte à propos d’une réunion tenue par le Canton de Lanark Highlands le 22 septembre 2020
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
Août 2021
Plainte
1 Mon Bureau a reçu une plainte à propos d’une réunion tenue par le conseil du Canton de Lanark Highlands (le « Canton ») le 22 septembre 2020. La plainte alléguait que la discussion du conseil ne relevait pas des exceptions des réunions à huis clos énoncées dans la Loi de 2001 sur les municipalités (la Loi)[1].
Compétence de l’Ombudsman
2 En vertu de la Loi sur les municipalités, toutes les réunions d’un conseil municipal, d’un conseil local et des comités de l’un ou de l’autre doivent se tenir en public, sauf si elles font l'objet d'exceptions prescrites.
3 Depuis le 1er janvier 2008, la Loi accorde à quiconque le droit de demander une enquête visant à déterminer si une municipalité a respecté la Loi en se réunissant à huis clos. Les municipalités peuvent nommer leur propre enquêteur. La Loi fait de l'Ombudsman l'enquêteur par défaut pour les municipalités qui n'ont pas désigné le leur.
4 L'Ombudsman est l'enquêteur des réunions à huis clos pour le Canton de Lanark Highlands.
5 Quand nous enquêtons sur les plaintes à propos de réunions à huis clos, nous cherchons à déterminer si les exigences de la Loi en matière de réunions publiques et les procédures de gouvernance de la municipalité ont été respectées.
6 Notre Bureau a enquêté sur des centaines de réunions à huis clos depuis 2008. Pour aider les conseils municipaux, le personnel municipal et le public, nous avons créé un recueil en ligne des cas de réunions publiques. Nous avons créé ce recueil interrogeable en ligne pour permettre aux intéressé(e)s d'accéder facilement aux décisions de l'Ombudsman et à ses interprétations des règles des réunions publiques. Les membres du conseil et le personnel peuvent consulter ce recueil pour éclairer leurs discussions et leurs décisions afin de déterminer si certaines questions devraient ou pourraient être discutées à huis clos, ainsi que pour examiner les questions liées à la procédure des réunions publiques. Des résumés des décisions antérieures de l'Ombudsman sont consultables dans ce recueil à : https://www.ombudsman.on.ca/digest-fr/accueil.
Processus d’enquête
7 Le 27 octobre 2020, mon Bureau a informé le Canton que nous allions enquêter sur la réunion du 22 septembre 2020.
8 Les membres de mon équipe chargée des réunions publiques ont examiné les parties pertinentes du règlement de procédure du Canton et de la Loi. Nous avons aussi examiné l’ordre du jour de la réunion, les documents pertinents et les procès-verbaux de la séance publique et de la séance à huis clos de la réunion.
9 De plus, nous avons fait des entrevues avec tous les membres du conseil, le greffier/directeur général (DG) et la greffière adjointe.
10 Mon Bureau a obtenu une entière coopération dans cette affaire.
Contexte
11 Nous avons appris que le Canton était alors en train de négocier une transaction foncière éventuelle avec une association locale. Cette transaction foncière concernait certains terrains particuliers.
12 Durant les négociations, le personnel du Canton a soulevé des questions au sujet de l’association et de ses relations avec une autre organisation. Nous avons été informé(e)s que le conseil avait demandé au personnel de recueillir plus de renseignements sur l’association avant de procéder à cette transaction foncière éventuelle.
13 Selon le DG/greffier, le personnel a rencontré les membres nouvellement nommé(e)s du conseil d’administration de l’association avant la réunion du conseil municipal le 22 septembre 2020, pour recueillir plus de renseignements.
14 Nous avons appris qu’après la réunion entre le personnel et les membres nouvellement nommé(e)s du conseil, le personnel avait sollicité des avis juridiques pour savoir si le conseil pouvait être informé d’une mise à jour sur cette question, lors d’une réunion à huis clos du conseil. Nous avons également appris que la décision de la municipalité de discuter cette question à huis clos s’appuyait sur l’avis juridique qu’elle avait reçu.
Réunion du 22 septembre
15 Le conseil s’est réuni en séance ordinaire à 19 h 50. À 20 h 04, le conseil a résolu de procéder à huis clos en vertu de l’exception des « renseignements privés » (alinéa 239 (2) b)) et de l’exception de « l’acquisition ou la disposition d’un bien-fonds » (alinéa 239 (2) c)) pour discuter de l’association.
16 Nous avons appris que durant la réunion le conseil avait interrogé le personnel quant à la pertinence de poursuivre la discussion à huis clos. Le personnel a communiqué l’avis juridique qu’il avait reçu, et le conseil s’est appuyé sur cet avis pour poursuivre en séance à huis clos.
17 Selon le procès-verbal, qui a été rédigé par la greffière adjointe, le conseil a entendu une mise à jour faite oralement par le DG/greffier au sujet de la réunion entre le personnel du Canton et les nouveaux membres du conseil d’administration de l’association. Le DG/greffier nous a aussi confirmé que tel était le but de la séance à huis clos.
18 Le procès-verbal indique que le personnel du Canton et les nouveaux membres du conseil d’administration avaient discuté de la gouvernance et de la gestion de l’association. Les nouveaux membres du conseil d’administration avaient également des questions à poser au personnel du Canton au sujet d’une entente existante entre le Canton et l’association. Cette entente existante comprenait certaines dispositions que l’association souhaitait préciser.
19 Selon le procès-verbal, le personnel a dit au conseil municipal qu’il continuerait à travailler avec l’association pour éclaircir les questions soulevées.
20 Les membres du conseil et le personnel avec qui nous avons parlé avaient gardé des souvenirs différents de cette séance à huis clos. Certain(e)s nous ont dit que la transaction foncière proposée avait été discutée brièvement, pour donner un contexte à la discussion. D’autres ont dit que la transaction foncière proposée n’avait pas été discutée du tout pendant la réunion. L’un(e) des membres du conseil a dit à mon Bureau que cette proposition de transaction foncière avait été « une question complètement distincte » de la discussion durant la réunion du 22 septembre.
21 Nous avons appris que certain(e)s membres anciennement ou actuellement au conseil d’administration de l’association avaient été identifié(e)s au cours de la discussion du conseil. L’un(e) des membres du conseil et des membres du personnel ont dit à mon Bureau que la discussion avait consisté à examiner de près la conduite personnelle et le tempérament d’une personne identifiée. Un(e) autre membre du conseil a dit à mon Bureau que la discussion avait porté sur l’association dans son ensemble, plutôt que sur des personnes identifiées. Nous avons également appris que le conseil avait discuté de préoccupations concernant les méthodes antérieures de tenue des dossiers financiers et de gouvernance de l’association.
22 Bien que le procès-verbal de la réunion ne comporte aucune indication de tels renseignements, d’après ce que nous ont rapporté certain(e)s conseiller(ère)s et membres du personnel, j’estime selon la prépondérance des probabilités que le conseil a examiné de près la conduite et le tempérament d’une personne identifiée durant sa réunion du 22 septembre.
23 D’après le procès-verbal, le conseil a repris sa séance publique à 20 h 42.
Analyse
Applicabilité de l’exception de « l’acquisition ou la disposition d’un bien-fonds »
24 Le 22 septembre 2020, le conseil s’est réuni à huis clos en invoquant l’alinéa 239 (2) c) de la Loi, qui permet de tenir à huis clos une réunion, en tout ou en partie, si l’objet de la réunion concerne l’acquisition ou la disposition d’un bien-fonds.
25 L’exception relative à « l’acquisition ou la disposition d’un bien-fonds » vise à protéger la position de négociation de la municipalité en permettant la tenue de discussions à huis clos au sujet d’une d’acquisition ou d’une disposition de bien-fonds, proposée ou en attente, par une municipalité.
26 Dans un rapport précédent à la Ville de Fort Erie, mon Bureau a examiné deux réunions à huis clos tenues en vertu de l’exception de « l’acquisition ou la disposition d’un bien-fonds »[2]. Dans ce cas, le conseil de Fort Erie avait discuté des détails d’une proposition de partenariat avec un établissement d’enseignement postsecondaire, qui aurait éventuellement requis l’achat de biens immobiliers. J’ai conclu que le conseil n’avait discuté d’aucune propriété en particulier qu’il prévoyait d’acheter ou de louer à bail. Le conseil en était aux premières étapes d’un processus visant à décider de ce partenariat, et n’agissait pas alors dans le but de protéger sa position de négociation dans le cadre de négociations immobilières.
27 Dans ce cas, le procès-verbal de la séance à huis clos indique que le conseil a discuté de la gouvernance de l'association. Selon ce procès-verbal, le conseil n'a pas discuté des propriétés relatives à la transaction foncière proposée et il n'a pris aucune mesure concrète durant cette réunion en vue d'acquérir des propriétés ou d’en disposer. De plus, rien dans le procès-verbal n'indique que le conseil ait discuté de renseignements pouvant avoir une incidence sur la position de négociation de la municipalité dans le cadre de la transaction foncière proposée.
28 Nous avons appris que le DG/greffier avait fait une mise à jour au conseil à propos de la réunion entre le personnel du Canton et les nouveaux membres du conseil d’administration de l’association. Certaines des personnes que nous avons interviewées ont dit à mon Bureau que la proposition de transaction foncière avait été mentionnée brièvement pour donner un contexte à la discussion, tandis que d’autres ont déclaré que cette proposition n’avait pas été discutée.
29 D’après les preuves documentaires que nous avons obtenues et les entrevues que nous avons effectuées, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, le conseil n’a pas discuté de la proposition de transaction foncière durant sa réunion du 22 septembre. Si cette transaction a été mentionnée, c’était en passant, pour mettre la discussion en contexte, mais la transaction n’a pas été au centre de cette discussion.
30 Le fait que la discussion était connexe à la transaction foncière proposée ne signifie pas qu’elle avait pour sujet cette transaction. Dans ce cas, la discussion portait sur la gouvernance de l’association locale. Par conséquent, la discussion du conseil le 22 septembre 2020 ne relevait pas de l’exception des réunions publiques relative à l’acquisition ou la disposition d’un bien-fonds.
Application de l’exception des « renseignements privés »
31 Le conseil a aussi invoqué l’alinéa 239 (2) b) de la Loi pour se réunir à huis clos le 22 septembre 2020. Nous avons appris que le conseil avait invoqué cette exception car certain(e)s membres anciennement ou actuellement au conseil d’administration de l’association ont été identifié(e)s au cours de la réunion. Mon Bureau a appris que le conseil avait cité l’exception des « renseignements privés » pour éviter de mettre en cause certaines personnes, ou de les exposer à un examen public, relativement à la gouvernance de l’association.
32 L’exception des renseignements privés autorise la tenue d’une réunion à huis clos, en tout ou en partie, si le sujet concerne des renseignements privés à propos d’une personne qui peut être identifiée. La Loi ne définit pas les « renseignements privés » mais le Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée (CIPVP) a conclu que l’expression « renseignements privés » dans la Loi est analogue à l’expression « renseignements personnels » utilisée dans la Loi sur l’accès à l’information municipale et à protection de la vie privée[3]. Les décisions du CIPVP ne sont pas contraignantes pour mon Bureau, mais elles peuvent s’avérer instructives.
33 Le CIPVP a conclu que les renseignements ne sont considérés comme personnels aux fins de la Loi que s’ils concernent quelqu’un à titre personnel, et non à titre professionnel. Toutefois, des renseignements concernant quelqu’un à titre professionnel peuvent être considérés comme personnels s’ils révèlent quelque chose de personnel sur la personne en question. Les discussions sur la conduite de quelqu’un sont généralement considérées comme des renseignements personnels[4].
34 Dans un précédent rapport au Comté de Norfolk, mon Bureau a enquêté sur une réunion à huis clos tenue en vertu de l’exception des « renseignements privés » pour prendre connaissance d’une présentation orale d’un conseil local au conseil municipal[5]. Cette présentation portait sur les activités du conseil local et sur une demande de subvention importante. L’avocat du comté a dit à mon Bureau que la présentation contenait des renseignements qui auraient pu avoir une incidence sur la vie personnelle de certain(e)s membres du conseil. Par exemple, on craignait que des membres du conseil puissent faire l’objet d’un examen par la communauté ou les médias locaux en raison de leur rôle au conseil.
35 Dans mon rapport au Comté de Norfolk, j’ai conclu que les renseignements transmis au conseil municipal lors de la présentation du conseil d’administration avaient trait aux affaires du conseil d’administration. J’ai constaté que la discussion concernait les membres à titre professionnel, en tant que membres du conseil d’administration, et que par conséquent l’exception des « renseignements privés » ne s’appliquait pas.
36 Dans le cas présent, le procès-verbal de la séance à huis clos est détaillé et il n’indique aucunement que le conseil ait discuté de renseignements privés, ou de la conduite de personnes identifiables. Par contre, il montre que des personnes identifiées ont rencontré le personnel du Canton à titre de membres du conseil d’administration. Il indique que le conseil a discuté des affaires de l’association, y compris de la gouvernance et des finances, et a posé des questions sur les dispositions d’une entente existante entre le Canton et l’association.
37 Cependant, certaines des personnes à qui nous avons parlé ont indiqué que la discussion avait aussi porté de près sur la conduite personnelle et le tempérament de personnes identifiées, et avait soulevé des préoccupations quant à leur conduite. En réponse à une version préliminaire de ce rapport, le personnel du Canton a dit à mon Bureau que les déclarations faites au sujet du caractère de personnes identifiables avaient été incluses intentionnellement au procès-verbal de la réunion à huis clos, en raison de leur nature.
38 D’après les entrevues faites par mon Bureau, et selon la réponse du conseil à mon rapport préliminaire, je conclus selon la prépondérance des probabilités que le conseil a discuté de renseignements privés concernant des personnes qui pouvaient être identifiées durant la réunion du 22 septembre.
Questions de procédure
Comptes rendus de réunion
39 Le procès-verbal de la séance à huis clos du 22 septembre est détaillé, et mon Bureau s’est appuyé sur ce document étant donné que les membres du conseil avaient gardé des souvenirs divergents de la séance à huis clos.
40 Cependant, dans une réponse à une version préliminaire de ce rapport, le conseil a souligné que le procès-verbal fait un résumé de la discussion et ne reflète pas toutes les déclarations faites. Le conseil a maintenu que la discussion avait inclus des renseignements privés concernant des personnes qui pouvaient être identifiées, même si le procès-verbal ne l’indiquait pas.
41 Dans mon Guide des réunions publiques, j’ai expliqué que la Loi ne contraint pas les municipalités à faire des transcriptions textuelles des réunions, mais que les procès-verbaux devraient être plus détaillés qu’une simple liste de résolutions[6]. Mon Bureau a précisé que le procès-verbal d’une réunion à huis clos devrait inclure les éléments suivants :
-
lieu de la réunion;
-
moment où la réunion a commencé, a été ajournée;
-
personne qui a présidé la réunion;
-
personnes présentes à la réunion, avec référence particulière au greffier et aux autres responsables du compte rendu;
-
indication de tout participant qui est parti ou arrivé durant la réunion, avec mention de l'heure de départ ou d'arrivée;
-
description détaillée des questions de fond et de procédure qui ont été discutées, avec référence à tout document considéré;
-
toute motion, avec référence à la personne qui a présenté la motion et à celle qui l'a appuyée;
-
tous les votes, et toutes les directives données.
42 Dans ce cas, le procès-verbal de la réunion à huis clos ne fait aucune référence à une discussion sur des renseignements privés concernant des personnes qui pouvaient être identifiées. À l’avenir, le conseil devrait s’assurer que le procès-verbal reflète les discussions du conseil sur toutes les questions de fond.
43 Les membres du conseil ont également dit à mon personnel qu’ils avaient du mal à se souvenir des détails de la conversation du conseil en raison du temps qui s’était écoulé depuis la réunion.
44 Mon Bureau recommande systématiquement que les municipalités fassent des enregistrements audio ou vidéo de leurs séances à huis clos, à titre de pratique exemplaire. Les enregistrements audio ou vidéo garantissent l’existence d’un compte rendu exact d’une discussion. Ils peuvent être d’une grande utilité lors d’une enquête et renforcer la confiance du public quant au respect des règles des réunions publiques par la municipalité.
Opinion
45 Le Canton de Lanark Highlands n’a pas enfreint la Loi de 2001 sur les municipalités quand il s’est réuni à huis clos le 22 septembre 2020. La discussion relevait de l’exception des « renseignements privés » aux exigences de la Loi en matière de réunions publiques.
Rapport
46 Le Canton a eu l’occasion d’examiner une version préliminaire de ce rapport et de la commenter pour mon Bureau. Nous avons reçu des commentaires écrits du conseil et de son avocat, dont nous avons tenu compte dans la préparation de ce rapport final.
47 Le conseil a souligné plusieurs facteurs qu’il jugeait pertinents pour mon analyse, notamment le fait qu’il avait obtenu un avis juridique avant de décider de se retirer à huis clos, et que la discussion du 22 septembre s’inscrivait dans une série de discussions plus vastes au sujet de l’association. Le conseil a également précisé qu’à son avis cinq autres exceptions aux règles des réunions publiques lui auraient permis de discuter de cette question à huis clos. Ces exceptions n’ont pas été invoquées pour tenir un huis clos et n’ont été mentionnées ni dans le procès-verbal de la séance à huis clos, ni lors des entrevues faites par mon Bureau. Comme le présent rapport conclut que la discussion relevait de l’exception des renseignements privés, il n’est pas nécessaire d’analyser l’applicabilité de ces autres exceptions.
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Paul Dubé,
Ombudsman de l’Ontario
[1] LO 2001, chap. 25.
[2] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur les réunions à huis clos tenues par le conseil de la Ville de Fort Erie les 4 et 6 décembre 2017, (avril 2018), en ligne.
[3] Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletClarington (Municipalité de) (Re), 2008 CanLII 68856 (ON IPC), en ligne.
[4] Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletMadawaska Valley (Canton de) (Re), 2010 CanLII 24619 (ON IPC), en ligne.
[5] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur une plainte à propos d’une réunion à huis clos tenue par le Comté de Norfolk le 14 mars 2017, (juillet 2017), en ligne.
[6] Réunions publiques : Guide pour les municipalités, Ombudsman de l’Ontario, en ligne.