Canton d'Alberton

Canton d'Alberton

juillet 12, 2023

12 juillet 2023

Notre Bureau a reçu une plainte d’une personne ayant été expulsée d’une réunion hybride du Conseil du Canton d’Alberton le 11 mai 2022 parce qu’elle refusait de s’identifier sur Zoom. Le Canton exige que quiconque participe à l’une de ses réunions, que ce soit en personne ou par voie électronique, s’identifie afin de prévenir les « intrusions sur Zoom » dans les réunions virtuelles auxquelles se joignent des personnes non conviées pour semer la confusion.
 
L’Ombudsman a conclu qu’en raison de cette expulsion, le Canton a contrevenu aux règles des réunions publiques. Les municipalités sont tenues de faire en sorte que le public puisse accéder librement aux réunions publiques et les observer, et de veiller à mettre en place les conditions le permettant. Si ces conditions ne contreviennent pas toutes aux règles des réunions publiques, en l’espèce, exiger l’identification de chaque membre du public présent(e) était une mesure exagérément intrusive et non proportionnée à l’objectif de prévenir les « intrusions sur Zoom ».

Enquête sur une plainte à propos d’une réunion tenue par le Canton d’Alberton le 11 mai 2022

Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario

Juillet 2023

 

Plainte

1    Mon Bureau a reçu une plainte d’une personne expulsée de la réunion virtuelle du Conseil du Canton d’Alberton (le « Canton ») le 11 mai 2022 parce qu’elle refusait de s’identifier.

2    Pour les raisons qui suivent, j’ai conclu qu’en expulsant la personne plaignante de cette réunion, le Canton a contrevenu aux règles des réunions publiques.

 

Compétence de l’Ombudsman

3    La Loi de 2001 sur les municipalités prévoit que toutes les réunions d’un conseil, d’un conseil local ou d’un comité de l’un ou de l’autre doivent être publiques, sauf si elles entrent dans les exceptions prescrites[1].

4    Depuis le 1er janvier 2008, la Loi accorde à quiconque le droit de demander une enquête pour déterminer si une municipalité a respecté la Loi en se réunissant à huis clos. Les municipalités peuvent nommer leur propre enquêteur(euse) ou recourir aux services de l’Ombudsman, qui est l’enquêteur par défaut pour les municipalités n’ayant pas désigné le(la) leur, selon la Loi.

5    L’Ombudsman enquête sur les réunions à huis clos du Canton d’Alberton.

6    Lors d’une enquête sur une plainte à propos d’une réunion à huis clos, nous cherchons à savoir si les exigences de la Loi et les procédures régissant la municipalité ont été respectées.

7    Depuis 2008, mon Bureau a enquêté sur des centaines de réunions à huis clos en Ontario. Pour aider les conseils municipaux, le personnel municipal et le public, nous avons créé un recueil en ligne des cas de réunions publiques. Nous avons créé ce recueil interrogeable pour permettre aux intéressé(e)s d’accéder facilement aux décisions de l’Ombudsman et à ses interprétations des règles de réunions publiques. Des résumés des décisions antérieures de l’Ombudsman sont consultables dans ce recueil : www.ombudsman.on.ca/digest-fr/accueil.

 

Processus d’enquête

8    En février 2023, nous avons avisé le Canton de notre intention d’enquêter sur cette plainte.

9    Nous avons examiné l’ordre du jour et le procès-verbal de la réunion du 11 mai 2022 ainsi que le règlement de procédure du Canton et les séquences pertinentes de l’enregistrement vidéo de la réunion. Et nous avons parlé avec le préfet[2] et la directrice générale et greffière-trésorière.

10    Mon Bureau a bénéficié d’une coopération pleine et entière pour son enquête.

 

Contexte

11    L’alinéa 23b) du règlement de procédure du Canton précise les exigences de contenu des procès-verbaux des réunions :

[Traduction]
23. Le document de la réunion (procès-verbal) sera dressé par le(la) greffier(ère) s’il s’agit d’une réunion du Conseil ou par l’agent(e) désigné(e) s’il s’agit d’une réunion d’un conseil local ou d’un comité et contiendra :
[…]
le nom du(de la) président(e) ou des président(e)s de séance et des membres présent(e)s et autres participant(e)s […] [soulignement ajouté]


12    Selon ce qui nous a été dit, avant la pandémie, quiconque assistait à une réunion en personne devait signer le registre de présence du Canton ou s’identifier pour figurer dans le procès-verbal. La directrice générale et greffière-trésorière a expliqué que cette pratique était en place depuis plus de 20 ans. Cette règle visait à tenir un registre chronologique précis.

13    On nous a expliqué que lorsque le Canton a commencé à tenir ses séances du Conseil par voie électronique peu après le début de la pandémie en mars 2020, cette pratique a été « reportée » au contexte virtuel en demandant aux personnes de s’identifier par leur nom dans Zoom. On nous a aussi dit qu’outre la tenue d’un registre chronologique précis des réunions, le Canton exigeait cette identification pour des raisons de sécurité afin de prévenir les « intrusions électroniques sur Zoom » (des personnes non conviées joignant une réunion pour la perturber). La directrice générale et greffière-trésorière nous a dit qu’à ce moment-là, on parlait d’intrusions du genre dans les nouvelles et entre greffiers(ères).

14    Enfin, nous avons été informés que le préfet, en tant que président du Conseil, pouvait « expulser quiconque pour cause de conduite irrégulière », ce qui comprend les personnes refusant de s’identifier. Ce pouvoir découle du paragraphe 241(2) de la Loi de 2001 sur les municipalités et est aussi mentionné dans le règlement de procédure du Canton, en plus de figurer en haut de la première page de chaque ordre du jour des réunions du Canton, notamment celui du 11 mai 2022.

 

Réunion du 11 mai 2022

15    La réunion du 11 mai 2022 avait une forme hybride, les membres du Conseil étant là en personne, mais ceux du public pouvant y assister uniquement sur Zoom. Ces derniers étaient d’abord placés dans une « salle d’attente » virtuelle en attendant leur « admission » par le préfet.

16    L’ordre du jour de cette réunion indiquait la nature hybride de la séance, que le public devait y assister par voie électronique et que chaque participant(e) en ligne devait s’identifier.

17    Selon le procès-verbal, la réunion a été ouverte à 19 h 10. Toutes les personnes présentes y sont nommément identifiées – tant les membres du Conseil et le personnel en personne que les membres du public sur Zoom.

18    L’enregistrement vidéo de la réunion montre qu’environ 55 minutes après l’ouverture, le préfet a remarqué que « iPhone » avait joint la salle d’attente. C’était la personne plaignante, qui a signifié à mon Bureau sa volonté d’observer les débats sur l’un des points à l’ordre du jour de la réunion du 11 mai 2022. La directrice générale et greffière-trésorière a demandé au préfet de qui il s’agissait et celui-ci a répondu qu’il lui serait demandé de s’identifier. Il a admis la personne plaignante à la réunion, dont la dénomination « iPhone » seulement apparaissait à l’écran.

19    Le procès-verbal et la vidéo confirment que le préfet a demandé à la personne qui avait joint la réunion en tant que « iPhone » de s’identifier [Traduction] « pour la bonne tenue du procès-verbal ». Il n’y a pas eu de réponse. La personne plaignante nous a dit qu’elle ne considérait pas devoir s’identifier pour observer la réunion.

20    Le préfet a demandé une deuxième fois à la personne plaignante de s’identifier et l’a avertie que si elle ne le faisait pas, elle serait expulsée de la réunion. Ne recevant à nouveau aucune réponse, le préfet a indiqué qu’il laissait à la personne une « dernière chance » de s’identifier avant de l’expulser. L’avertissement est resté sans réponse. Peu après, le préfet a expulsé « iPhone » de la réunion. La vidéo confirme que la personne plaignante a été expulsée de la réunion deux minutes après y avoir été admise.

21    La séance s’est ensuite poursuivie et a été levée à 23 h 14.

22    La personne plaignante nous a dit qu’après avoir son expulsion, elle avait tenté de la joindre à nouveau, mais en vain. Elle a tenté d’entrer son nom dans Zoom, même si elle ne croyait pas devoir le faire, mais a reçu un message précisant que du fait de son expulsion, elle ne pouvait plus être admise.

23    Le préfet et la directrice générale et greffière-trésorière nous ont dit qu’ils ignoraient que les personnes expulsées ne pouvaient plus joindre la réunion par la suite. Ils ont ajouté que tant qu’une personne acceptait de s’identifier, elle devrait pouvoir assister aux réunions du Canton. Il s’est avéré que l’incapacité pour une personne expulsée de joindre à nouveau une réunion était due à un paramètre par défaut dans Zoom. Après que notre Bureau a avisé le Canton de cette plainte, la directrice générale et greffière-trésorière a pu modifier les réglages du Zoom du Canton pour que toute personne expulsée d’une réunion puisse la joindre à nouveau.

24    Cependant, le Canton maintient la condition selon laquelle les membres du public doivent s’identifier pour pouvoir accéder à ses réunions publiques.

 

Analyse

25    Le paragraphe 239(1) de la Loi de 2001 sur les municipalités exige que toutes les réunions d’un conseil, d’un conseil local ou d’un comité de l’un ou de l’autre soient publiques, sauf si le sujet à débattre entre dans les exceptions prescrites. La Cour suprême a reconnu que la condition énoncée à l’article 239 s’applique au « droit (du public) d’observer le déroulement des travaux du gouvernement municipal »[3].

26    J’ai conclu précédemment que le refus d’accorder l’accès à une réunion publique, même par inadvertance ou à l’insu du conseil, constitue un huis clos illégal[4]. Par exemple, dans un rapport de 2016 sur la Ville de London, mon Bureau a conclu que la Ville avait vraiment fermé une réunion au public en ne s’assurant pas que les portes de l’hôtel de ville étaient déverrouillées durant la réunion, même si les membres du Conseil les croyaient ouvertes[5]. Selon mes conclusions dans une lettre adressée en 2019 à la Ville de Hamilton, les conseils municipaux sont tenus, en vertu de la Loi, de veiller à ce que les réunions soient publiques, donc le public doit pouvoir entrer dans le bâtiment et la salle de réunion[6].

27    La formulation impérative du paragraphe 239(1), à laquelle s’ajoute la conclusion antérieure de mon Bureau, à savoir que les municipalités sont tenues de faire en sorte que le public puisse accéder librement aux réunions publiques et les observer, force les municipalités à veiller à mettre en place les conditions propices. Selon la Loi, l’obligation et la responsabilité de transparence incombent au conseil et non aux personnes assistant aux réunions publiques.

28    Même si le moins de conditions possible devraient être imposées au public voulant assister aux réunions publiques si la sécurité n’est pas en jeu, cela ne signifie pas que toutes les conditions contreviennent aux règles des réunions publiques. Dans son rapport de 2016 à la Ville de London cité plus haut, mon Bureau a conclu que les exigences de réunion publique de la Loi n’interdisent pas au conseil de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et maintenir l’ordre lors de ses séances[7].

29    La jurisprudence portant sur la question de l’accès du public aux réunions dans le contexte de la Charte canadienne des droits et libertés[8] va dans le sens de cette conclusion. Les tribunaux ont conclu sur le fondement de la Charte que les mesures de sécurité (comme les détecteurs de métaux et la vérification des sacs) se justifiaient pour protéger la santé et la sécurité, mais ont fait observer qu’imposer aux personnes de s’identifier pouvait être considéré comme étant trop intrusif[9]. Ces mesures doivent, dans tous les cas, être en adéquation avec leur objectif et proportionnées à celui-ci.

30    J’admets que le Canton s’inquiétait des « intrusions électroniques sur Zoom » lors des réunions de son Conseil. Toutefois, exiger de toutes les personnes y assistant qu’elles s’identifient lors des réunions publiques constitue une mesure exagérément intrusive à cette fin. D’autres choix technologiques permettent au public d’observer le déroulement d’une réunion sans gêne. Certaines municipalités optent pour la diffusion en direct des réunions de leur conseil pour que le public puisse les visionner, mais non y participer. Beaucoup de plateformes électroniques permettent de tenir une réunion tout en contrôlant qui peut y prendre la parole et qui peut simplement l’observer.

 

Opinion

31    L’expulsion par voie électronique de la personne plaignante de la réunion du Conseil du 11 mai 2022 parce qu’elle refusait de s’identifier sur Zoom a placé le Canton d’Alberton en contravention avec les règles des réunions publiques énoncées dans la Loi de 2001 sur les municipalités. L’exigence du Canton d’obliger tous les membres du public à s’identifier pour assister à ses réunions publiques n’est pas proportionnée à l’objectif de protéger celles-ci des interruptions par le public. C’est donc illégalement que le Canton a fermé sa réunion du 11 mai 2022 au public.

 

Recommandations

32    Je formule les recommandations suivantes pour aider le Canton d’Alberton à remplir ses obligations aux termes de la Loi et à améliorer la transparence de ses réunions :

 
Recommandation 1

Les membres du Conseil du Canton d’Alberton devraient demeurer vigilant(e)s dans l’exercice de leur obligation individuelle et collective de s’assurer que la Municipalité remplit ses responsabilités prévues dans la Loi de 2001 sur les municipalités et son règlement procédural.

 
Recommandation 2

Le Conseil du Canton d’Alberton devrait veiller à ce que le public puisse observer sans entrave ses réunions publiques, qu’elles se tiennent par voie électronique ou en personne.

 
Recommandation 3

Le Conseil du Canton d’Alberton devrait éliminer de son règlement de procédure l’exigence que toutes les personnes assistant à ses réunions publiques s’identifient aux fins du procès-verbal.



 

Rapport

33    Le Canton a eu l’occasion d’examiner une version préliminaire du présent rapport et de la commenter pour mon Bureau. Le présent rapport définitif a été rédigé à la lumière de tous les commentaires que nous avons reçus. Je tiens à remercier le Canton de sa coopération durant mon examen.

34    Le présent rapport sera publié sur le site Web de mon Bureau et devrait aussi être rendu public par le Canton. Conformément au paragraphe 239.2(12) de la Loi de 2001 sur les municipalités, le Conseil doit adopter une résolution indiquant comment il entend y donner suite.

 
_______________________
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario



[1] L.O. 2001, chap. 25.
[2] Le Canton a récemment changé le titre de cette personne pour celui de maire. Cependant, dans le présent rapport, nous la désignerons comme le préfet, puisque c’était son titre au moment visé.
[3] Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletLondon (Cité) c. RSJ Holdings Inc., [2007] 2 RCS 588, 2007 CSC 29, para 32, en ligne.
[4] Voir p. ex., Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur des plaintes à propos d’une réunion tenue par le Conseil de la Ville de London le 10 juin 2015, (février 2016), en ligne; Lettre de l’Ombudsman de l’Ontario à la Ville de Hamilton (4 juillet 2019), en ligne; et Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur des plaintes à propos de réunions à huis clos tenues par la Ville de Hamilton le 9 et le 23 février 2019, (octobre 2019), en ligne.
[5] Voir p. ex., Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur des plaintes à propos d’une réunion tenue par le Conseil de la Ville de London le 10 juin 2015, (février 2016), en ligne.
[6] Lettre de l’Ombudsman de l’Ontario à la Ville de Hamilton (4 juillet 2019), à la page 3, en ligne; et Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur des plaintes à propos de réunions à huis clos tenues par la Ville de Hamilton le 9 et le 23 février 2019, (octobre 2019), au par. 106, en ligne.
[7] Voir Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur des plaintes à propos d’une réunion tenue par le Conseil de la Ville de London le 10 juin 2015, (février 2016), au par. 51, en ligne.
[8] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui est l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, chap. 11.
[9] Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletLangenfeld v. Toronto Police Services Board, 2019 ONCA 716, en ligne.