Enquête sur une plainte à propos de réunions à huis clos tenues par la Municipalité d’Arran-Elderslie les 12 et 26 septembre 2022
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
Mars 2023
Plainte
1 Mon Bureau a reçu une plainte alléguant que, le 12 et le 26 septembre 2022, le conseil de la Municipalité d’Arran-Elderslie (la « Municipalité ») avait tenu des réunions qui ne relevaient pas des exceptions relatives aux réunions à huis clos, énoncées dans la Loi de 2001 sur les municipalités[1] (la « Loi »). La plainte alléguait que le conseil avait discuté à huis clos d’un poste municipal vacant, contrairement aux règles des réunions publiques.
Compétence de l’Ombudsman
2 En vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités (la « Loi »), toutes les réunions d’un conseil municipal, d’un conseil local et des comités de l’un ou de l’autre doivent se tenir en public, sous réserve des exceptions prescrites.
3 Depuis le 1er janvier 2008, la Loi accorde à quiconque le droit de demander une enquête visant à déterminer si une municipalité a respecté la Loi en se réunissant à huis clos. Les municipalités peuvent nommer leur propre enquêteur(euse). La Loi fait de l'Ombudsman l'enquêteur par défaut dans les municipalités qui n'ont pas désigné le(la) leur.
4 L’Ombudsman enquête sur les réunions à huis clos pour la Municipalité d’Arran-Elderslie.
5 Lorsque nous enquêtons sur des plaintes concernant des réunions à huis clos, nous examinons si les exigences relatives aux réunions publiques énoncées dans la Loi et dans les procédures de gouvernance de la municipalité ont été respectées.
6 Depuis 2008, mon Bureau a enquêté sur des centaines de réunions à huis clos. Pour aider les conseils municipaux, le personnel municipal et le public, nous avons créé un recueil en ligne des cas de réunions publiques. Nous avons créé ce recueil interrogeable pour permettre aux intéressé(e)s d'accéder facilement aux décisions de l'Ombudsman et à ses interprétations des règles des réunions publiques. Les membres du Conseil et le personnel peuvent consulter ce recueil pour éclairer leurs discussions et leurs décisions afin de déterminer si certaines questions devraient ou pourraient être discutées à huis clos, ainsi que pour examiner les questions liées aux procédures des réunions publiques. Des résumés des décisions antérieures de l’Ombudsman sont consultables dans ce recueil : https://www.ombudsman.on.ca/digest-fr/accueil.
Processus d’enquête
7 Le 27 octobre 2022, nous avons informé la Municipalité de notre intention d’enquêter sur cette plainte.
8 Nous avons examiné les parties pertinentes des règlements et des politiques de la Municipalité, la documentation des réunions, et la Loi. Nous avons interviewé les membres du conseil, la greffière, la directrice générale (« DG »). Nous avons aussi parlé au directeur du développement économique du Comté de Bruce.
9 Mon Bureau a obtenu une entière collaboration dans cette affaire.
Contexte
10 La directrice générale a informé mon Bureau qu’avant la réunion du 12 septembre le directeur du développement économique du Comté de Bruce l’avait contactée pour lui proposer d’accorder à la Municipalité un soutien au développement économique dans le cadre d’un projet pilote d’aide régionale au développement économique (le « projet pilote »). Dans le cadre de ce projet pilote, les municipalités recevraient une aide, dont des services du personnel du Comté, pour divers projets de développement économique. Le Comté contactait également ses autres municipalités de palier inférieur pour les inviter à participer à ce programme.
11 Selon la DG, à cette époque, le poste de coordonnateur(rice) du développement communautaire de la Municipalité (responsable de promouvoir la croissance économique locale) était vacant et la Municipalité avait besoin d’aide pour ses projets de développement économique. La DG a travaillé avec le directeur du développement économique du Comté pour déterminer les critères du projet pilote, notamment les initiatives de développement économique à privilégier. Le personnel a préparé une ébauche de protocole d’entente entre le Comté et la Municipalité, pour que le conseil du Comté et le conseil de la Municipalité puissent l’examiner.
12 Le directeur du développement économique a dit à mon Bureau que les détails et les critères du projet pilote avaient été communiqués à titre confidentiel à la Municipalité, en partie parce qu’ils contenaient des renseignements sur les relations de travail et des données financières. Il ne s’agissait pas d’un accord explicite. Selon le directeur du développement économique, il existait un accord implicite entre le personnel du Comté et le personnel de la Municipalité selon lequel le projet pilote et le protocole d’entente ne devaient pas être rendus publics avant d’avoir été examinés et approuvés par le conseil du Comté.
13 La DG a corroboré ce point et a dit à notre Bureau qu’elle avait compris implicitement que les renseignements communiqués par le Comté étaient confidentiels.
14 Une fois que le protocole d’entente a été préparé par le personnel, ce document a été inscrit à l’ordre du jour du huis clos de la réunion du conseil de la Municipalité le 12 septembre 2022, en vue d’un examen par le conseil.
Réunion du 12 septembre 2022
15 Le conseil d’Arran-Elderslie a tenu une réunion le 12 septembre 2022. Selon le procès-verbal de cette réunion, le conseil s’est réuni à huis clos pour discuter de trois points. L’un des points a été décrit en ces termes : « Question de recrutement/de personnel ». La greffière a dit à notre Bureau que ce point faisait référence au projet pilote. La résolution de se retirer à huis clos indiquait que le conseil invoquait l’exception des « renseignements privés » à l’alinéa 239 (2) b) de la Loi pour examiner ce point.
16 Les membres du conseil et du personnel présent(e)s à la réunion à huis clos nous ont dit que, durant le huis clos, le personnel avait présenté la proposition de projet pilote et l’ébauche du protocole d’entente. Le conseil avait discuté du projet pilote et avait posé des questions au personnel à ce sujet.
17 En plus de discuter du projet pilote, le conseil avait examiné la question du poste vacant pour le(la) coordonnateur(rice) du développement communautaire de la Municipalité. Notre Bureau a été informé que certain(e)s membres du conseil s’inquiétaient de l’impact du projet pilote sur le rôle et les responsabilités du(de la) coordonnateur(rice) du développement communautaire.
18 Selon le procès-verbal de la séance à huis clos, les discussions ont eu lieu à huis clos, car le projet pilote et le protocole d’entente n’avaient pas été rendus publics par le Comté. Les membres du Comté nous ont également dit qu’ils(elles) avaient compris que le Comté préférait que les renseignements sur le projet pilote restent confidentiels.
19 Durant le huis clos, le conseil a donné des directives au personnel.
Réunion du 26 septembre 2022
20 Le conseil a tenu une réunion le 26 septembre 2022. Selon le procès-verbal de la réunion, le directeur du développement économique du Comté a assisté à la réunion et a discuté du projet pilote en séance publique. Le procès-verbal indique que le conseil a approuvé la participation de la Municipalité au projet pilote et a demandé au personnel de finaliser le protocole d’entente.
21 Le directeur du développement économique a informé mon Bureau qu’à l’époque de la réunion du 26 septembre le Comté ne considérait plus les renseignements comme confidentiels, car le conseil du Comté avait examiné et approuvé le projet pilote et le protocole d’entente.
22 Des membres du personnel et du conseil ont confirmé qu’il n’y avait pas eu de discussion à huis clos à ce sujet lors de la réunion du 26 septembre.
Analyse
Applicabilité de l’exception des renseignements privés
23 La Municipalité a cité l’alinéa 239 (2) b), renseignements privés concernant une personne qui peut être identifiée, pour se retirer en séance à huis clos afin de discuter du projet pilote le 12 septembre 2022.
24 Le Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée (CIPVP) a conclu que les renseignements ne seront considérés comme des renseignements privés aux fins de la Loi que s’ils se rapportent à quelqu’un à titre personnel, et non à titre professionnel. Toutefois, les renseignements concernant une personne à titre professionnel peuvent être considérés comme des renseignements privés s’ils peuvent révéler quelque chose de personnel à propos de cette personne[2]. Mon Bureau a systématiquement conclu que les discussions sur les antécédents professionnels d’une personne qui peut être identifiée, ainsi que ses qualifications pour un emploi particulier, relèvent de l’exception des renseignements privés[3]. Les discussions concernant la conduite de quelqu’un sont généralement considérées comme des renseignements privés[4].
25 Notre Bureau a été informé que le conseil avait invoqué l’exception des renseignements privés pour discuter du projet pilote à huis clos, car les discussions étaient susceptibles de porter sur une personne qui pouvait être identifiée, à savoir une personne employée précédemment comme coordonnateur(rice) du développement communautaire. Cependant, notre enquête a confirmé que les discussions à huis clos n’avaient pas porté sur des renseignements privés concernant une personne qui pouvait être identifiée, incluant l’ancien(ne) coordonnateur(rice) du développement communautaire.
26 Les membres du conseil et la greffière ont également dit à mon Bureau que l’exception des « renseignements privés » s’appliquait, car les discussions avaient portée sur des renseignements sur le poste de coordonnateur(rice) du développement communautaire, dont les responsabilités et les fonctions générales, le salaire et d’autres détails d’emploi, ainsi que l’incidence éventuelle du projet pilote sur ce rôle.
27 Les renseignements concernant une personne à titre professionnel, comme le salaire, peuvent être considérés comme des renseignements privés s’ils révèlent quelque chose de nature personnelle. Dans ce cas, le poste de coordonnateur(rice) du développement communautaire était vacant à l’époque de la réunion, si bien que la discussion ne portait pas sur une personne qui pouvait être identifiée. La discussion du conseil était de nature générale et concernait uniquement le poste en question, et non la personne occupant ce rôle. Par conséquent, l’exception des « renseignements privés » ne s’appliquait pas à la discussion tenue le 12 septembre 2022.
Applicabilité de l’exception des renseignements communiqués à titre confidentiel par une tierce partie
28 Le conseil n’a pas cité l’exception des « renseignements communiqués à titre confidentiel par une tierce partie », à l’alinéa 239 (2) l) de la Loi, dans sa résolution pour se retirer à huis clos le 12 septembre 2022. Toutefois, lors de son examen, mon Bureau a examiné si la discussion du conseil relevait de cette exception.
29 L’objectif de l’exception est de protéger les renseignements confidentiels de tierces parties qui ont été communiqués à la municipalité[5]. Cette exception s’applique à ce qui suit : « un secret industriel ou des renseignements d’ordre scientifique, technique, commercial, financier ou qui ont trait aux relations de travail, communiqués à titre confidentiel à la municipalité ou au conseil local et qui, s’ils étaient divulgués, pourraient, selon toutes attentes raisonnables, avoir pour effet de nuire gravement à la situation concurrentielle ou d’entraver gravement les négociations contractuelles ou autres d’une personne, d’un groupe de personnes ou d’une organisation »[6].
30 Dans un rapport de 2021 sur la Ville du Grand Sudbury, mon Bureau a conclu que les renseignements communiqués au personnel par une tierce partie à propos d’une proposition de développement relevaient de l’exception. Dans ce cas les tierces parties craignaient que, si les détails de la proposition étaient rendus publics, des pressions pourraient être exercées sur elles pour qu’elles fournissent des fonds à d’autres municipalités dans le cadre de projets similaires, à des conditions similaires[7].
31 Dans le cas présent, le conseil a reçu des renseignements sur des relations de travail et des questions financières provenant du Comté de Bruce, en séance à huis clos. Le directeur du développement économique et la DG ont confirmé que ces renseignements avaient été implicitement communiqués à titre confidentiel et qu’ils étaient la propriété du Comté de Bruce, tierce partie.
32 Les personnes que nous avons interviewées ont expliqué que les discussions entre le Comté de Bruce et la Municipalité sur le projet pilote étaient en cours à l’époque de la réunion du 12 septembre. Si des détails concernant le projet pilote ou le protocole d’entente étaient divulgués, ces renseignements auraient pu nuire gravement aux discussions en cours sur des projets similaires entre le Comté et d’autres municipalités de palier inférieur.
33 Par conséquent, les discussions à huis clos sur le projet pilote le 12 septembre 2022 relevaient de l’exception des « renseignements communiqués à titre confidentiel par une tierce partie ».
Entrecouper la discussion
34 Au cours des entrevues, mon Bureau a été informé que les discussions sur le projet pilote avaient également compris des discussions sur le poste vacant de coordonnateur(rice) du développement communautaire de la Municipalité. Les personnes que nous avons interviewées ont dit que le conseil n’aurait pas pu entrecouper les discussions sur le poste de coordonnateur(rice) du développement communautaire et celles sur le sujet plus général du projet pilote.
35 Dans St. Catharines c. IPCO, 2011, la Cour divisionnaire a conclu qu’il n’était pas réaliste de s’attendre à ce que les conseils municipaux entrecoupent leurs discussions pour s’assurer que rien de ce qui peut être discuté en séance publique ne l’est jamais en séance à huis clos[8]. Ceci s’applique aux discussions sur un sujet unique, quand le fait d’entrecouper la discussion exigerait d’interrompre la conversation.
36 Dans ce cas, les parties des discussions à huis clos portant sur le poste de coordonnateur(rice) du développement communautaire ne relevaient pas des exceptions aux règles des réunions publiques. Cependant, ces renseignements ont été discutés dans le cadre du projet pilote, notamment de l’impact du projet sur les responsabilités et le rôle du(de la) coordonnateur(rice) du développement communautaire. Ces renseignements étaient nécessaires au conseil pour évaluer judicieusement la participation de la Municipalité au projet pilote, et n’auraient pas pu être séparés de la discussion en séance à huis clos.
37 Par conséquent, la discussion à huis clos du conseil sur le poste de coordonnateur(rice) du développement communautaire le 12 septembre 2022 n’a pas enfreint les règles des réunions publiques.
Opinion
38 Le conseil de la Municipalité d’Arran-Elderslie était en droit de discuter à huis clos du projet pilote d’aide régionale au développement économique, le 12 septembre 2022. Certes, la discussion ne relevait pas de l’exception citée en vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités concernant les « renseignements privés », mais mon examen a conclu que l’exception des « renseignements communiqués à titre confidentiel par une tierce partie » s’appliquait à la discussion.
39 Le conseil n’a pas discuté d’un projet pilote d’aide régionale au développement économique en séance à huis clos le 26 septembre 2022.
Rapport
40 La Municipalité d’Arran-Elderslie a eu l’occasion d’examiner une version préliminaire de ce rapport et de la commenter. Nous n’avons reçu aucun commentaire.
41 Mon rapport devrait être communiqué à la Municipalité d’Arran-Elderslie. Il devrait être rendu public dès que possible, au plus tard pour la prochaine réunion du conseil.
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Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
[1] LO 2001, chap. 25.
[2] Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletAylmer (Town) (Re), 2007 CanLII 30462 (ON IPC), en ligne.
[3] Ombudsman de l'Ontario, Enquête visant à déterminer si les Conseils du Canton d’Armour et du Village de Burk’s Falls ont tenu des réunions à huis clos illégales le 16 janvier 2015, (octobre 2015), en ligne.
[4] Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletMadawaska Valley (Township) (Re), 2010 CanLII 24619 (ON IPC), en ligne.
[5] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur une réunion tenue par la Ville du Grand Sudbury le 12 janvier 2021, (mai 2021), en ligne.
[6] Loi de 2001 sur les municipalités, LO 2001, chap. 25, al. 239 (2) l).
[7] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur une réunion tenue par la Ville du Grand Sudbury le 12 janvier 2021, (mai 2021), en ligne.
[8] Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletSt. Catharines (City) c. IPCO, 2011 ONSC 2346, online.