Enquête sur une plainte concernant une réunion tenue à huis clos par la Ville de Cochrane le 13 février 2024
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
Novembre 2024
Plainte
1 Mon Bureau a reçu une plainte concernant une réunion tenue par le Conseil de la Ville de Cochrane (la « Ville ») le 13 février 2024. Selon cette plainte, une discussion tenue à huis clos à propos du commissaire à l’intégrité n’entrait pas dans les exceptions aux règles des réunions publiques prévues par la Loi de 2001 sur les municipalités[1] (la « Loi »).
2 Mon enquête m’a permis de conclure que cette discussion sur le commissaire, y compris sa démission, relève de l’exception relative aux renseignements privés concernant une personne pouvant être identifiée. Toutefois, le Conseil a contrevenu aux règles des réunions publiques en discutant à huis clos de la marche à suivre pour lui trouver un remplaçant.
Compétence de l’Ombudsman
3 La Loi de 2001 sur les municipalités dispose que toutes les réunions d’un conseil ou d’un conseil local et de leurs comités doivent être ouvertes au public, sauf si les exceptions prévues par la Loi s’appliquent.
4 Depuis le 1er janvier 2008, la Loi accorde à quiconque le droit de demander une enquête visant à déterminer si une municipalité a respecté ou non la Loi en se réunissant à huis clos. Les municipalités peuvent nommer leur propre enquêteur(euse). La Loi fait de l’Ombudsman l’enquêteur par défaut pour les municipalités qui n’ont pas désigné le(la) leur.
5 L’Ombudsman enquête sur les réunions à huis clos de la Ville de Cochrane.
6 Lorsque nous enquêtons sur des plaintes concernant des réunions à huis clos, nous cherchons à savoir si les exigences relatives aux réunions publiques énoncées dans la Loi et dans le règlement de procédure municipal ont été respectées.
7 Depuis 2008, mon Bureau a enquêté sur des centaines de réunions à huis clos. Pour aider les conseils municipaux, le personnel municipal et le public, nous avons créé un recueil en ligne des cas de réunions publiques. Ce recueil interrogeable vise à permettre aux intéressé(e)s d’accéder facilement aux décisions de l’Ombudsman et à ses interprétations des règles des réunions publiques. Les membres du Conseil et le personnel peuvent consulter ce recueil pour éclairer leurs discussions et leurs décisions afin de déterminer si certaines questions devraient ou pourraient être discutées à huis clos, ainsi que pour examiner les questions liées aux procédures des réunions publiques. Des résumés des décisions antérieures de l’Ombudsman sont consultables dans ce recueil : www.ombudsman.on.ca/digest-fr/accueil.
8 L’Ombudsman de l’Ontario est également habilité à réaliser des examens et enquêtes impartiaux concernant des centaines d’organismes publics. Cela comprend les municipalités, les conseils locaux et les sociétés contrôlées par des municipalités ainsi que les organismes gouvernementaux provinciaux, les universités financées par les fonds publics et les conseils scolaires. Il peut aussi examiner les plaintes sur les services fournis par les sociétés d’aide à l’enfance et les titulaires de permis d’établissement, et sur les services en français fournis aux termes de la Loi sur les services en français. Pour en savoir plus sur les organismes relevant de notre Bureau, consultez le site www.ombudsman.on.ca/portez-plainte/champ-de-surveillance.
Processus d’enquête
9 Le 21 juillet 2024, nous avons avisé la Ville de notre intention d’enquêter sur la plainte.
10 Nous avons lu les dispositions pertinentes des règlements municipaux et de la Loi. Nous avons obtenu et lu les documents de la réunion du 13 février 2024, y compris le procès-verbal de la séance publique et la version provisoire du procès-verbal de la séance à huis clos. La Ville nous a aussi fourni un enregistrement audiovisuel des séances publique et à huis clos.
11 Mon Bureau a obtenu une pleine coopération dans cette affaire.
Réunion du 13 février 2024
12 Le Conseil s’est réuni le 13 février 2024. Le procès-verbal indique qu’il a adopté une résolution de retrait à huis clos pour discuter de quatre points, notamment du [TRADUCTION] « Règlement 1531-2023 – Règlement pour nommer un(e) commissaire à l’intégrité pour la Corporation de la ville de Cochrane ». La plainte reçue par mon Bureau soulevait des préoccupations sur ce point.
13 Selon l’enregistrement audiovisuel de la séance à huis clos, le Conseil a discuté du commissaire à l’intégrité, de sa démission et de la procédure pour le remplacer. Le procès-verbal de cette séance confirme ces points de discussion.
14 L’enregistrement montre que les membres du Conseil ont analysé les services fournis à la Ville par le commissaire à l’intégrité. Certain(e)s ont donné leurs avis sur l’aptitude du commissaire à remplir ses fonctions et leur satisfaction à l’égard de son rendement. Il a notamment été question de renseignements accessibles au public. Pendant la discussion, la greffière a informé le Conseil qu’elle avait reçu une lettre de démission du commissaire à l’intégrité.
15 Les membres se sont ensuite interrogés sur la marche à suivre pour remplacer le commissaire à l’intégrité. Le Conseil a dit que selon le Règlement 1531-2023[2] et la résolution 435-2022[3], le commissaire à l’intégrité avait été nommé par intérim et que le Règlement était muet sur l’embauche d’un(e) commissaire permanent(e). Les conseiller(ère)s ont envisagé de recruter quelqu’un sur le marché libre, proposant quelques candidatures, sans discuter d’une personne en particulier.
16 De retour en séance publique, le Conseil a adopté une résolution reconnaissant la démission du commissaire à l’intégrité et annonçant que la Ville chercherait un(e) remplaçant(e) :
[TRADUCTION] QUE le Conseil donne suite à la Résolution 435-2022 et cherche une personne pour remplacer le commissaire à l’intégrité par intérim, qui a démissionné.
Analyse
Applicabilité de l’exception relative aux renseignements privés concernant une personne pouvant être identifiée
17 Le Conseil a invoqué l’alinéa 239(2)b), soit l’exception relative aux renseignements privés concernant une personne pouvant être identifiée, le 13 février 2024 pour discuter à huis clos du commissaire à l’intégrité.
18 Généralement, les discussions portant sur des renseignements concernant une personne à titre professionnel n’entrent pas dans l’exception des renseignements privés[4]. Toutefois, des renseignements concernant quelqu’un à titre professionnel peuvent être considérés comme personnels s’ils révèlent quelque chose de personnel sur la personne[5] ou s’ils visent à examiner sa conduite[6].
19 Mon Bureau a également conclu que les renseignements afférents aux compétences d’une personne et à l’examen de celles-ci relèvent de l’exception des renseignements privés, puisque la discussion peut révéler quelque chose de nature personnelle au sujet de la personne. Les renseignements qui seraient normalement considérés de cette nature peuvent ne pas entrer dans l’exception s’ils ont déjà été discutés publiquement ou sont généralement connus du public[7].
20 Dans une lettre à la Ville de Grimsby, j’ai statué qu’une discussion à huis clos sur la satisfaction du Conseil à l’égard du commissaire à l’intégrité et de son aptitude à exercer ses fonctions relevait de l’exception des renseignements privés[8].
21 En l’espèce, la discussion sur le commissaire à l’intégrité a eu lieu à huis clos en raison de sa relation professionnelle avec la Ville. Les membres du Conseil ont donné leur avis sur lui d’une manière qui allait au-delà de son rôle et ont parlé de son rendement et de son aptitude à occuper ses fonctions. Même si certains renseignements étaient accessibles au public, la discussion a révélé des choses de nature personnelle sur le commissaire à l’intégrité.
22 La lettre de démission du commissaire constituait aussi des renseignements privés que le Conseil était autorisé à aborder à huis clos.
23 Par conséquent, cette partie de la discussion entre dans l’exception des renseignements privés.
24 Cependant, la discussion sur la procédure pour remplacer le commissaire à l’intégrité ne constitue pas en soi un renseignement privé. En effet, mon Bureau a conclu que les discussions sur les étapes à suivre pour pourvoir un poste vacant ne relèvent pas de l’exception des renseignements privés, car elles ne concernent pas des personnes pouvant être identifiées[9]. Cette partie de la discussion portait sur la manière dont la Ville trouverait un(e) commissaire à l’intégrité – par exemple si elle se tournerait « vers le marché » ou retiendrait les services d’une personne en particulier. Même si les membres du Conseil ont parlé de candidatures potentielles, les personnes n’avaient été que brièvement mentionnées et il n’avait été question d’aucun de leurs renseignements privés.
Alternance de la discussion
25 À présent que j’ai établi que seulement une partie de la discussion à huis clos du Conseil entrait dans l’exception des renseignements privés, je dois déterminer si le Conseil aurait pu alterner entre séances publique et à huis clos.
26 Dans certains cas, il pourrait être déraisonnable d’attendre d’un conseil qu’il alterne sa discussion entre séances publique et à huis clos. La Cour divisionnaire de l’Ontario a conclu que c’était le cas si cela risquait de [TRADUCTION] « nuire à des discussions libres, ouvertes et ininterrompues »[10]. Mon Bureau a aussi conclu qu’il serait irréaliste d’alterner lorsque la discussion porte sur des sujets grandement interreliés. Toutefois, il applique ce principe de façon stricte. En effet, si la discussion à huis clos peut être divisée en séance publique et en séance à huis clos, alors l’exception ne s’applique pas[11].
27 Mon Bureau a statué que les discussions sur les plans d’embauche doivent être distinctes des discussions sur les renseignements privés. Par exemple, dans un rapport à la Ville de Timmins, une discussion à huis clos sur l’embauche d’une personne pour remplacer un(e) représentant(e) partant à la retraite aurait pu être tenue en séance publique, ce départ ayant été annoncé publiquement juste après le huis clos[12].
28 En l’espèce, je suis convaincu que le Conseil aurait dû éviter de discuter de l’embauche d’un(e) commissaire à l’intégrité à huis clos. En effet, après avoir levé la séance à huis clos, le Conseil a publiquement annoncé la démission du commissaire. Ce faisant, il était inutile de discuter de la procédure d’embauche à huis clos. En outre, la discussion sur cette procédure n’était pas liée à la discussion sur la démission du commissaire, mais bien séparée et distincte. Le Conseil aurait dû mettre fin au huis clos pour annoncer la démission et discuter de la procédure d’embauche en séance publique.
Avis
29 Le Conseil de la Ville de Cochrane n’a pas contrevenu aux règles des réunions publiques prévues par la Loi de 2001 sur les municipalités le 13 février 2024 lorsqu’il s’est retiré à huis clos pour discuter du commissaire à l’intégrité et de sa démission. Mais il y a contrevenu lorsqu’il a discuté à huis clos de la procédure d’embauche d’un(e) commissaire; ce sujet ne relève ni de l’exception des renseignements privés ni d’aucune autre exception aux règles des réunions publiques. Par conséquent, cette partie de la discussion aurait dû avoir lieu en séance publique.
Recommandations
30 Je fais les recommandations suivantes pour aider la Ville de Cochrane à s’acquitter des obligations qui lui incombent selon la Loi de 2001 sur les municipalités et à accroître la transparence de ses réunions :
Recommandation 1
Les membres du Conseil de la Ville de Cochrane devraient faire preuve de vigilance dans l’exercice de leur obligation individuelle et collective de s’assurer que la Ville remplit ses responsabilités prévues dans la Loi de 2001 sur les municipalités.
Recommandation 2
La Ville de Cochrane devrait veiller à ne discuter d’aucun sujet en séance à huis clos qui ne relève pas clairement de l’une des exceptions légales aux exigences des réunions publiques.
Rapport
31 Le Conseil de la Ville de Cochrane a pu examiner une version préliminaire du présent rapport et la commenter pour mon Bureau. Nous n’avons reçu aucun commentaire.
32 Ce rapport sera publié sur le site Web de mon Bureau et devrait aussi être rendu public par la Ville de Cochrane. Conformément au paragraphe 239.2(12) de la Loi de 2001 sur les municipalités, le Conseil doit adopter une résolution indiquant comment il entend y donner suite.
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Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
[1] L.O. 2001, chap. 25.
[2] Ville de Cochrane, Règlement 1531-2023, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletBeing a by-law to appoint an integrity commissioner for the corporation of the Town of Cochrane, en ligne.
[3] Ville de Cochrane, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletréunion ordinaire du Conseil, le mardi 10 janvier 2023, page 25, en ligne.
[4] Aylmer (Town) (Re), Ce lien s'ouvre dans un nouvel onglet2007 CanLII 30462 (ON IPC), en ligne.
[5] Lettre de l’Ombudsman de l’Ontario à la Ville d’Elliot Lake (8 septembre 2014), en ligne.
[6] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur les réunions à huis clos tenues par le Conseil de la Municipalité de South Huron entre novembre 2008 et décembre 2013, (février 2015), en ligne.
[7] Lettre de l’Ombudsman de l’Ontario à la Ville de Midland (4 février 2014), en ligne.
[8] Lettre de l’Ombudsman de l’Ontario à la Ville de Grimsby (14 avril 2021), en ligne.
[9] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur des réunions tenues par le conseil du Canton de Nipissing les 17 février, 9 mars, 6 avril, 18 mai, 8 juin, 13 juillet et 3 août 2021, (janvier 2023), en ligne.
[10] Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletSt. Catharines (City) v. IPCO, 2011 ONSC 2346, en ligne.
[11] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur des réunions à huis clos tenues par le Conseil de la Municipalité de St.-Charles les 15 mai 2012, 19 juin 2013 et 29 mai 2014, (février 2016), en ligne.
[12] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur une plainte à propos d’une réunion à huis clos tenue par le Conseil de la Ville de Timmins le 27 juin 2016, (janvier 2017), paragraphe 30, en ligne.