Enquête sur l’efficacité et la crédibilité des operations de l’Unité des enquêtes spéciales
« Une surveillance imperceptible »
André Marin
Ombudsman de l'Ontario
septembre 2008
Contributeur(trice)s
Enquêteur principal
Enquêteur(euse)s
- Mary Jane Fenton
- Rosie Dear
- Elizabeth Weston
- Grace Chau
- Irene Buncel
- Ciaran Buggle
- Domonie Pierre
Agente de règlement préventif
Avocate principale
Table des matières
1 L’attention critique du monde entier s’est tournée vers le Canada à l’automne dernier, alors que des millions de spectateurs étaient témoins de l’agonie de Robert Dziekanski, captée en images vidéo terriblement saisissantes. Après un long vol international en provenance de la Pologne, son pays natal, M. Dziekanski a atterri à l’aéroport de Vancouver. Son avion étant arrivé avec beaucoup de retard, M. Dziekanski a passé de longues heures à errer à la recherche de la sortie, où il devait rencontrer sa mère. Ne parlant pas anglais, incapable d’obtenir de l’aide, il s’est montré de plus en plus confus et agité. Des agents de la GRC ont alors été détachés sur les lieux. Quelques minutes plus tard, ils tiraient sur lui avec un Taser. Maîtrisé par les décharges électriques, M. Dziekanski est mort peu de temps après. À la suite de cette tragédie, les accusations publiques ont fusé de partout alléguant que la police avait camouflé les faits et avait eu recours à une force excessive. Le public a demandé que la vérité soit faite sur ce malheureux incident et beaucoup de gens ont fait savoir qu’ils avaient peu confiance en une enquête qui serait effectuée par la police des polices.
2 L’Ontario a un grand mérite : dans cette province, les incidents causant de graves blessures ou le décès de civils au contact de la police ne sont pas soumis à une enquête de la police, mais de l’Unité des enquêtes spéciales (UES) – organisme civil d’enquêtes criminelles. Créée en 1990, l’UES témoigne de la force des principes démocratiques dans notre province et reflète la valeur que notre gouvernement attache au renforcement de la confiance du public envers la surveillance exercée sur la police.
3 Malheureusement, au cours des deux dernières années, plusieurs graves problèmes ont été soulevés par des particuliers, des familles, des avocats et des défenseurs communautaires qui se sont plaints à mon Bureau de la crédibilité et de l’efficacité de l’UES.
4 Comme diverses études indépendantes l’ont montré précédemment, les débuts de l’UES ont été marqués par une insuffisance des ressources allouées par les gouvernements successifs et par une résistance exacerbée de la police à cette surveillance. En dépit de ressources maintenant accrues, et d’exigences réglementaires qui définissent plus clairement les obligations de la police, mon enquête a conclu que l’Unité des enquêtes spéciales continue de lutter pour affirmer son autorité, maintenir son équilibre contre les puissants intérêts de la police et bien s’acquitter de son mandat.
5 L’UES est un organisme récemment créé. Elle n’a toujours pas de loi constitutive, son mandat manque de clarté, elle souffre de difficultés administratives et techniques et elle dépend du ministère du Procureur général.
6 De son côté, le ministère du Procureur général s’en est remis à l’UES pour apaiser la police et la communauté, ainsi que pour éviter les controverses. Mais ce faisant, il a outrepassé les limites d’une gouvernance indépendante. Le rendement professionnel du directeur est évalué et récompensé de manière subjective, ce qui compromet l’intégrité structurelle et l’autonomie de l’UES. La crédibilité de l’Unité en tant qu’organisme indépendant d’enquêtes est encore plus compromise par la présence prédominante et continue, parmi ses rangs, d’anciens fonctionnaires de police qui gardent des liens avec la police. De plus, l’UES est si empreinte de culture policière qu’elle en arrive parfois à tolérer des symboles évidents d’affiliation avec la police.
7 De plus, alors qu’elle souffre déjà de ne pas avoir l’autorisation légale d’agir de manière décisive quand les dirigeants de la police ne respectent pas les exigences réglementaires, l’UES ignore bien souvent les ressources dont elle dispose, par exemple la censure publique, et opte pour l’impuissance face aux défis que lui lance la police. Les retards avec lesquels la police avise l’UES des incidents, divulgue ses notes et se présente aux entrevues sont très fréquents. Mais au lieu d’examiner et de documenter rigoureusement les retards et les autres preuves de résistance de la police, l’UES traite ces cas de non-coopération comme des incidents isolés. Elle ignore les répercussions systémiques et tente de résoudre les problèmes individuellement, de manière conciliatrice.
8 L’UES a non seulement relâché sa vigilance quant au respect des règlements par les policiers, mais elle a cédé aux arguments fallacieux disant que ses enquêtes ne sont pas semblables aux autres enquêtes criminelles, et qu’il est donc justifié de traiter différemment les policiers-témoins et les témoins civils. L’UES fait rarement les entrevues avec les policiers dans les délais imposés et retarde trop souvent ces entrevues – de plusieurs semaines et même parfois de plusieurs mois. L’UES ne veut pas importuner les policiers ou les corps de police en leur demandant de faire des entrevues en dehors de leurs heures de service. Quand l’UES se heurte à une résistance ouverte des dirigeants de la police, elle adopte une approche de diplomatie feutrée qui échappe au radar du public. Le plus souvent, si elle ne parvient pas à régler le désaccord, elle accepte tout simplement la défaite.
9 En outre, l’UES ne réagit pas avec rigueur et urgence aux incidents – omettant inexplicablement d’appeler les enquêteurs les plus proches du lieu d’un incident, dans certains cas, et suivant des processus qui lui font perdre de précieuses minutes, ou même de précieuses heures d’enquête. L’UES s’est embourbée dans ses propres problèmes internes et s’est enlisée dans un examen introspectif.
10 Le système de surveillance de l’UES est déséquilibré. L’UES doit non seulement veiller à ce que la police rende compte de sa conduite, mais aussi à ce que le public perçoive qu’il en est ainsi. Actuellement, on demande au public de croire que l’UES mène des enquêtes exhaustives et objectives et d’accepter que ses décisions sont solidement fondées, quand elle décide par exemple de ne pas porter d’accusations contre des policiers. Mais de nombreux éléments sont dissimulés au public, notamment les rapports du directeur et diverses questions importantes de politique. Pour que l’UES remplisse les fonctions qui lui ont été confiées, il faut une plus grande transparence dans ses résultats d’enquêtes, de même que dans ceux du processus disciplinaire de la police qui est déclenché par les enquêtes de l’Unité.
11 En théorie, l’UES est un pilier de redevabilité en Ontario. Mais en réalité, elle pourrait faire beaucoup mieux qu’à présent. Il appartient au gouvernement de donner aux organismes créés par lui les moyens nécessaires pour s’acquitter pleinement de leur mandat. Les citoyens de l’Ontario sont en droit d’attendre que l’Unité des enquêtes spéciales dispose des ressources et des outils requis pour exceller dans son travail. À cet égard, j’ai fait 46 recommandations dans ce rapport pour améliorer le système. Les 25 premières portent sur l’UES même. Je crois que l’UES peut faire beaucoup, de son propre chef, pour montrer plus de rigueur dans ses méthodes d’enquête et pour réagir plus fermement quand son autorité est contestée. J’ai aussi fait des recommandations pour remédier aux problèmes causés par l’influence persistante de la culture policière à l’UES et pour parvenir à une plus grande transparence.
12 J’ai présenté six recommandations au Ministère pour régler les problèmes qui résultent de son omission à accorder à l’UES l’appui nécessaire, ainsi que la distance voulue pour qu’elle puisse fonctionner en pleine autonomie.
13 Enfin, j’ai présenté 15 recommandations au gouvernement de l’Ontario, car je crois que le système de surveillance exercée sur la police exige un soutien structurel supplémentaire, qui ne peut venir que d’un amendement législatif. Il est temps d’accorder à l’UES le respect et le statut auxquels elle a droit, en lui conférant sa propre loi constitutive. C’est l’étape naturelle à venir dans l’évolution de l’UES. C’est aussi l’adaptation requise pour maintenir la confiance du public envers l’UES et, par conséquent, pour renforcer la confiance du public envers le maintien de l’ordre dans cette province.
14 Le 7 juin 2007, j’ai lancé une enquête systémique sur l’efficacité et la crédibilité des opérations de l’Unité des enquêtes spéciales (UES). Cette enquête a été déclenchée par des plaintes déposées par des particuliers, des membres de leur famille, des avocats et des groupes communautaires qui ont mis en doute l’autonomie et l’objectivité de l’UES, de même que la rigueur de ses enquêtes. Le manque de renseignements donnés par l’UES aux parties intéressées a également été soulevé. Après l’annonce de cette enquête, nous avons reçu des dizaines de plaintes supplémentaires du public.
15 Notre enquête a porté sur la période commençant après février 2003, soit après le dernier examen externe qui a été fait de l’UES.
16 L’Équipe d’intervention spéciale de l’Ombudsman (EISO) a mené l’enquête. Elle était composée de six enquêteurs et d’un agent de règlement préventif, qui ont procédé à l’enquête sur le terrain, avec l’appui de l’avocate principale. Deux autres enquêteurs ont participé à l’étude de la documentation.
17 Les enquêteurs de l’EISO ont mené plus de 100 entrevues, dont 83 en personne. Ils ont notamment interviewé la plupart des membres actuels du personnel de l’UES, des anciens membres du personnel de l’UES, des cadres supérieurs du ministère du Procureur général, des plaignants, des groupes communautaires, des experts, des conseillers, des représentants d’organismes du maintien de l’ordre et notamment le commissaire de la Police provinciale de l’Ontario, ainsi que les chefs de la police communautaire de Peterborough Lakefield, du Service de police de Thunder Bay, du Service de police de Toronto et de la Police régionale de York, l’avocat de l’Association de la police, le président de l'Association des policiers de Thunder Bay, un ancien directeur adjoint de l’UES et un ancien directeur. L’équipe d’enquête a aussi interviewé des dirigeants du Collège canadien de police, du Collège de police de l’Ontario, le surintendant principal et commissaire adjoint de la police criminelle, Division E, à la GRC, ainsi que Scot Wortley, criminologue et professeur agrégé à l’Université de Toronto qui a effectué d’importantes recherches sur les questions de maintien de l’ordre. Toutes les entrevues faites en personne et certaines des entrevues faites au téléphone ont été enregistrées numériquement, donnant au total plus de 200 heures d’enregistrement.
18 Nos enquêteurs ont également communiqué avec plusieurs organismes comme l’Independent Police Complaints Commission au Royaume-Uni, l’Office of the Police Ombudsman de l’Irlande du Nord et la Commission des plaintes du public contre la GRC afin de déterminer quelles étaient les « pratiques exemplaires » utilisées par les organismes chargés de surveiller les corps de police.
19 Cette enquête est la plus vaste de toutes celles effectuées jusqu’à présent par l’EISO. Au départ, l’équipe a obtenu 25 boîtes-classeurs de l’UES et deux du ministère du Procureur général, dont elle a examiné les dossiers. En octobre 2007, l’UES a fait de son propre chef une présentation écrite formelle à notre Bureau et nous a remis 11 autres boîtes-classeurs remplies de documents. Nous avons procédé à une étude approfondie de 21 dossiers de cas d’enquête de l’UES, dont 10 nous avaient été fournis par l’UES en appui à sa présentation. Au total, notre équipe a examiné des dizaines de milliers de pages de documents, de même que de nombreux enregistrements d’entrevues et des vidéos et DVD connexes.
20 La première réaction de l’UES à notre enquête a été la défensive. L’Unité a émis un communiqué de presse dans lequel elle mettait en valeur « l’excellence de ses normes d’enquête » et se présentait comme « un chef de file mondial de la surveillance civile de la police ». Mais ces mots n’étaient que de l’esbroufe et ils ont vite disparu au cours de notre enquête. Dès octobre 2007, l’UES reconnaissait dans sa présentation qu’il était peu sage pour un organisme de se vanter d’être « à l’avant-garde » ou de compter parmi les « chefs de file mondiaux ».
21 Dans l’ensemble, l’UES et le ministère du Procureur général ont fait preuve d’une excellente collaboration tout au long de l’enquête.
22 Quand elle assume son rôle essentiel de maintien de l’ordre, la police est en droit de recourir à la force, y compris à la force létale, au besoin[1]. Dans bien des cas, le recours à la force est complètement justifié, mais les policiers sont tout particulièrement vulnérables aux allégations d’abus de pouvoir. Et puis ils sont humains : ils peuvent commettre des erreurs, et parfois enfreindre les lois qu’ils ont fait serment de respecter. À l’occasion, ils peuvent même commettre des crimes violents contre les personnes qu’ils ont pour mission de servir et de protéger.
23 Pendant plus d’un siècle en Ontario, quand quelqu’un était gravement blessé ou était tué lors d’un incident impliquant la police, il revenait essentiellement à la police d’enquêter sur ses propres activités. Bien que la police soit experte en enquêtes criminelles, cette situation laissait grandement à désirer du point de vue de l’impartialité. Avec l’apparition du Mouvement pour la défense des droits civiques dans les années 1960, les citoyens ont commencé à contester de plus en plus fortement les actes de la police et à demander que les autorités soient tenues de rendre compte de leur conduite.
24 Un dicton affirme que « le pire ennemi de la surveillance policière, c’est l’absence de confiance du public[2] ». Le public doit donc avoir la certitude que la police travaille dans le respect des lois. Au cours des trois dernières décennies en Ontario, les législateurs et les décideurs de politiques publiques ont cherché à garantir que la police ne soit pas entravée de manière indue dans l’exercice de ses fonctions, tout en s’assurant qu’elle soit suffisamment tenue de rendre compte de ses activités à ses communautés.
25 De 1974 à 1980, six examens ont été faits relativement à la surveillance policière en Ontario[3]. En 1981, un projet pilote a été créé pour mettre en place un système civil d’examen des plaintes contre les agents du Service de police de Toronto. Dès 1984, la question de la surveillance civile de la police était ancrée dans les esprits à propos de la police de Toronto. En 1988, deux incidents de tirs policiers meurtriers sur des hommes noirs ont galvanisé la communauté afro-américaine et ont mené à la création du Groupe d’étude sur les relations interraciales et la surveillance policière[4]. En 1989, ce groupe d’étude a fait 57 recommandations en vue de réformes, proposant notamment la création d’une équipe indépendante d’enquête composée de policiers et de civils, chargée d’enquêter sur les tirs policiers et de déterminer si des accusations devraient être portées ou non. En 1990, le rapport de ce groupe de travail a mené à la mise en place d’un système provincial de plaintes du public contre la police ainsi qu’à la création de l’Unité des enquêtes spéciales – organisme civil autonome qui a pour mandat d’enquêter sur les circonstances de toute blessure grave et de tout décès de civils impliquant la police[5].
26 En 1990, l’Ontario est devenu la seule province au Canada à avoir un organisme indépendant de surveillance civile chargé de mener les enquêtes criminelles impliquant la police. Depuis, aucune province ne l’a suivi sur cette voie. Toutefois, le système de surveillance civile de la police dans notre province, y compris l’Unité des enquêtes spéciales, a continué de susciter la controverse et de provoquer des appels à la réforme. Au cours des 12 années qui ont suivi, six autres examens du système ont été effectués :
27 À la suite d’une émeute sur la rue Yonge à Toronto en mai 1992, durant laquelle les facteurs raciaux étaient intervenus, Stephen Lewis a été nommé conseiller en relations raciales auprès de Bob Rae, alors premier ministre. Le rapport de M. Lewis en juin 1992 a recommandé diverses réformes du système de surveillance, dont certaines visaient directement l’UES[6]. M. Lewis s’est dit particulièrement préoccupé par la crédibilité de l’UES et il a recommandé que cet organisme soit placé sous la direction du procureur général, qui est responsable du système provincial de justice, au lieu de relever du solliciteur général, qui était responsable de la police. Il a aussi préconisé d’allouer un financement adéquat à l’UES, pour garantir son autonomie totale dans la conduite des enquêtes. En septembre 1992, le procureur général a pris la responsabilité de l’UES, mais la question du financement de cet organisme est restée en suspens[7].
28 Dans le sillage du rapport Lewis, le gouvernement a reconstitué le Groupe d’étude sur les relations interraciales et la surveillance policière, qu’il a chargé de surveiller les progrès de mise en œuvre des recommandations et d’en rendre compte[8]. Dans son rapport de 1992, le Groupe d’étude a fait savoir que si les ressources de l’UES restaient inadéquates, son rôle essentiel en souffrirait et serait exposé aux critiques sévères du public.
29 Cette commission a été créée à la fin de 1991, la police ayant tiré sur quatre Noirs ontariens au cours d’une période de 50 jours[9]. Dans son rapport en 1995, la Commission a noté que la création de l’UES n’avait aucunement amélioré l’obligation redditionnelle de la police relativement à son recours à la force. Le rapport soulignait que depuis 1978, les policiers en service avaient tiré sur au moins 16 Noirs en Ontario, tuant 10 d’entre eux[10]. Le rapport déplorait le fait que la structure et la performance de l’UES ne répondent pas aux critères d’un système indépendant et efficace d’enquête[11]. Selon le rapport, les problèmes fondamentaux qui nuisaient au bon travail de l’UES étaient un financement inadéquat, un manque de coopération de la part de la police et le refus personnel des policiers à être interviewés. La Commission a notamment recommandé des amendements législatifs et réglementaires pour garantir la coopération de la police.
30 En 1996, alors qu’un nouveau gouvernement était au pouvoir sous la direction du premier ministre Mike Harris, Roderick McLeod a été chargé de faire un autre examen du système de surveillance de la police et du système de plaintes du public contre la police[12]. Parmi ses recommandations, le rapport McLeod préconisait l’adoption d’exigences réglementaires pour contraindre la police à coopérer avec l’UES[13]. En 1997, une refonte importante du système de plaintes du public a été entreprise[14]. Cependant, malgré des recommandations répétées en vue d’une réforme, aucun changement n’a été apporté pour résoudre les problèmes chroniques de performance de l’UES et de coopération de la police. Cette même année, huit civils ont trouvé la mort sous les balles de la police, dont cinq dans la région de Toronto. Cette série de tirs meurtriers de la police a fait ressortir une fois de plus les problèmes résultant du manque de coopération de la police avec l’UES[15].
31 En septembre 1997, en raison de pressions accrues pour régler le problème persistant de l’UES, le procureur général et le solliciteur général ont demandé à l’ancien juge de la Cour supérieure George Adams de consulter la communauté et les organismes de police pour déterminer comment améliorer les rapports entre l’UES et la police. Les problèmes soulevés ont notamment été les suivants : notification en temps opportun des incidents à l’UES par la police, protection des scènes d’incident en attendant l’arrivée des enquêteurs de l’UES et coopération en temps opportun des policiers impliqués dans les incidents.
32 M. Adams n’avait pas pour mandat de faire des recherches exhaustives, ni de recommander des changements systémiques s’appuyant sur les pratiques exemplaires. Dans le contexte alors tumultueux de la surveillance policière, il avait plutôt pour tâche d’explorer le potentiel d’un consensus entre la police et les intervenants communautaires. Dans son rapport de consultation, présenté en mai 1998, il a fait 25 recommandations. L’une des recommandations principales était que l’UES dispose des ressources requises par son important mandat. Comme d’autres avant lui, il a également préconisé un cadre détaillé de réglementation pour les enquêtes de l’UES[16].
33 En réponse, le gouvernement a adopté un règlement intégrant bon nombre des recommandations de M. Adams, qui précisait la conduite et les obligations des policiers lors des enquêtes de l’UES[17]. Un règlement complémentaire a stipulé que le non-respect des exigences réglementaires constituait une inconduite en vertu de la Loi sur les services policiers[18]. L’UES a aussi reçu un supplément de financement fort attendu et son budget a presque doublé, passant à 5,3 millions $.
34 En août 2002, le procureur général a une fois de plus chargé M. Adams de mener un examen consultatif pour évaluer la mise en œuvre des réformes préconisées pour l’UES en 1999. Ce rapport, paru en février 2003[19], a conclu que grâce à l’augmentation du financement public et aux modifications réglementaires, la confiance de la police – tout comme celle de la communauté – envers l’UES s’était améliorée, et qu’un système efficace d’enquête avait été mis en place à l’UES[20]. Tout en reconnaissant que les intervenants restaient inquiets, M. Adams a déclaré ceci : « Aucune des préoccupations signalées… dans le cadre du présent examen, ne constitue le type de défaut systémique qui existait à l’époque de ma première consultation »[21].
35 Ayant moi-même été directeur de l’Unité des enquêtes spéciales de septembre 1996 à juin 1998, je connais fort bien les défis des personnes chargées d’enquêter sur la conduite de la police durant la période couverte par le premier rapport Adams. Non seulement l’UES manquait de ressources alors, mais elle devait faire face à une résistance obstinée du milieu policier. Un policier accusé alors que j’étais en poste est même allé jusqu’à attaquer l’UES en justice. Le juge a déclaré un non-lieu en 2001, notant ce qui suit dans sa décision :
Il y a apparemment, de la part de certains policiers-témoins et de certaines associations de police, une réaction presque pavlovienne contre un organisme civil chargé d’enquêter sur la conduite des policiers dans l’exercice de leurs fonctions et contre la notion qu’un tel organisme puisse mener une enquête juste pour les policiers[22].
36 Bien que la situation financière de l’Unité des enquêtes spéciales se soit améliorée au fil des années, et que les cadres supérieurs de l’UES tout comme ceux de la police déclarent entretenir maintenant des relations de travail respectueuses et fructueuses, notre enquête a révélé que bon nombre des problèmes identifiés il y a plus d’une décennie à propos de la coopération de la police subsistent, bien que moins évidents. L’absence de tension palpable entre l’UES et les services policiers en Ontario n’est pas forcément indicatrice d’une saine situation. En fait, je crains qu’elle reflète une profonde culture de la complaisance, et non la fin des conflits.
37 Bien que le sentiment de crise qui régnait il y a quelques décennies semble s’être amenuisé, un courant de malaise reste en profondeur parmi le public à propos de la surveillance exercée par l’UES. Les civils continuent d’être blessés en nombres relativement importants aux mains de la police. De 2003 à 2006, il y a eu 51 incidents de tirs policiers sur des civils dans la province, dont 22 ont été mortels[23]. La nécessité reste aussi forte que jamais de s’assurer que ces graves incidents avec la police font l’objet d’enquêtes indépendantes et exhaustives. Même si les protestations du public se sont faites moins fortes, les mêmes questions restent soulevées au sujet de l’indépendance, de l’impartialité et de la crédibilité des enquêtes. En fait, les voix qui s’élèvent se sont peut-être habituées à un manque d’intervention efficace de l’UES, après plus d’une douzaine d’examens systémiques.
38 Le problème résulte sans doute en partie du fait que, officiellement, les gouvernements de l’Ontario ont hésité à inscrire le modèle de l’UES dans le cadre d’une loi. C’est pourquoi il est utile d’étudier le contexte législatif dans lequel fonctionne cet organisme.
39 Le seul fondement constitutif de l’UES repose sur un article squelettique enfoui, comme après coup, dans la Loi sur les services policiers. L’article 113 stipule ceci : « Est constituée une unité des enquêtes spéciales », composée d’un directeur nommé par le Conseil des ministres, ainsi que d’enquêteurs désignés conformément à la Loi sur la fonction publique de l’Ontario. L’UES relève du ministère du Procureur général.
40 Pour faciliter l’autonomie de l’UES, la Loi interdit aux policiers ou aux anciens policiers d’occuper le poste de directeur. De plus, aucun policier en fonction ne peut être nommé enquêteur de l’UES. Et les enquêteurs ne peuvent pas participer à une enquête impliquant les membres d’un corps de police qui les a précédemment employés.
41 Le mandat du directeur est expressément défini. Il doit, à la demande du solliciteur général ou du procureur général, faire mener des enquêtes sur les circonstances à l’origine de blessures graves et de décès pouvant avoir été causés par des infractions criminelles de la part des policiers. Il peut aussi faire mener des enquêtes de son propre chef. Si le directeur estime qu’il existe des motifs raisonnables de le faire, il « fait déposer des dénonciations contre les agents de police au sujet des questions visées par l’enquête et les renvoie au procureur de la Couronne pour qu’il engage une poursuite ». Le directeur doit faire rapport des résultats des enquêtes au procureur général.
42 L’article 113 traite également de la responsabilité des dirigeants de la police en ce qui concerne les enquêtes de l’UES. Il stipule que :
Les membres de corps de police collaborent entièrement avec les membres de l’Unité au cours des enquêtes. (art. 113 (9)).
43 Comme nous l’avons mentionné précédemment, le degré de coopération exigé de la police lors des enquêtes de l’UES est source de conflits presque depuis la création de cet organisme. Pour tenter de clarifier cette obligation de « coopérer », des règlements ont été adoptés le 1er janvier 1999.
44 En vertu du Règlement de l’Ontario 673/98[24], les chefs de police sont tenus d’aviser l’UES immédiatement de tout incident qui peut raisonnablement être considéré comme relevant de son mandat d’enquête. Ils sont également tenus de s’assurer que les scènes des incidents sont sécurisées en attendant l’arrivée de l’UES et – « dans la mesure du possible », ils doivent isoler les uns des autres tous les policiers impliqués dans l’incident jusqu’à ce que l’UES ait terminé ses entrevues. Les chefs de police peuvent désigner des cadres supérieurs pour agir en leur nom.
45 Les règlements indiquent clairement que l’UES est l’enquêteur en chef et a priorité sur tout corps de police[25]. Ils énoncent également les responsabilités individuelles des policiers[26]. Il est interdit aux policiers impliqués dans un incident de communiquer entre eux tant que l’UES n’a pas terminé ses entrevues. Les policiers qui ont pris part à un incident mais qui ne sont pas considérés avoir causé le décès ou la blessure grave de la victime sont des « policiers-témoins ». Ils doivent prendre des notes complètes de l’incident et les remettre au chef de police dans les 24 heures suivant la requête de l’UES. À son tour, le chef de police doit remettre les notes des policiers à l’UES au plus tard 24 heures après la requête. Mais le directeur de l’UES peut, à sa discrétion, permettre au chef de police de remettre les notes après ce délai de 24 heures.
46 Les policiers-témoins sont également tenus de se soumettre à une entrevue de l’UES « immédiatement » sur demande, et au plus tard 24 heures après la requête « en cas de motifs pertinents de retard ». Les demandes d’entrevues doivent être faites en personne. Les entrevues doivent être enregistrées et un enregistrement de l’entrevue doit être remis dès que possible à chaque policier-témoin. Les entrevues ne peuvent pas être enregistrées sur support sonore ou vidéo sans le consentement du policier. Le directeur de l’UES peut dispenser les chefs de police de se conformer aux dispositions réglementaires si, à son avis, il leur est impossible de le faire pour des raisons qui échappent soit à leur contrôle, soit à celui des policiers.
47 Les « policiers-sujets », qui sont considérés avoir causé la blessure grave ou le décès visé par l’enquête, sont tenus de prendre des notes complètes de l’incident mais ne sont pas obligés de les remettre à l’UES, pas plus qu’ils ne sont contraints de faire une entrevue avec elle. L’UES doit aviser le chef de police ou son remplaçant désigné et lui faire savoir si un policier impliqué est considéré comme policier-sujet ou policier-témoin. Dans les cas très rares où la désignation d’un policier-témoin change, pour passer à policier-sujet, toute preuve obtenue de ce policier doit lui être rendue.
48 En 1995, la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario a recommandé que les policiers-sujets soient tenus de coopérer avec l’UES[27]. Les défenseurs communautaires ont continué de faire pression pour que les policiers-sujets soient contraignables lors des enquêtes de l’UES[28]. Certains considèrent que, comme les policiers ont le pouvoir de recourir à la force de coercition, ils ne devraient pas avoir le droit de garder le silence lors des enquêtes de l’UES à propos de leur conduite dans l’exercice de leurs fonctions. Cette position n’est toujours pas acceptée actuellement. Même si les policiers-sujets étaient légalement contraints de fournir des déclarations à l’UES, il est presque certain que, vu leur droit à la protection contre l’auto-incrimination en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, ces déclarations seraient considérées inadmissibles lors de toute poursuite criminelle qui pourrait leur être intentée.
49 Conformément aux règlements, qu’un policier soit désigné policier-sujet ou policier-témoin, il est en droit de consulter un avocat ou un représentant de l’association de police, et d’obtenir que celui-ci soit présent lors de son entrevue avec l’UES[29]. Le directeur de l’UES peut exempter les policiers-témoins de ce droit si ce droit peut « causer un retard déraisonnable de l’enquête ».
50 Les règlements évoquent aussi la publicité qui peut entourer les enquêtes de l’UES[30]. Un corps de police peut faire savoir que l’UES a été avisée d’un incident et a entamé une enquête, mais ni le corps de police, ni ses membres ne peuvent alors divulguer d’autres renseignements au sujet de l’enquête. De même, il est interdit à l’UES de faire toute déclaration publique durant l’enquête, à moins que cette déclaration n’ait pour but de préserver l’intégrité de l’enquête[31].
51 Étant donnée que le comportement d’un policier-sujet peut représenter une inconduite, voire une conduite criminelle, et que les incidents peuvent révéler d’autres problèmes relativement à l’administration de la police, les règlements stipulent que le chef de police doit mener une enquête parallèle sur l’incident soumis à enquête de l’UES, et ceci en vue d’examiner les politiques internes du corps de police. Pour ces enquêtes administratives, les réserves à propos de l’auto-incrimination disparaissent et tous les membres du corps de police, y compris les « policiers-sujets », sont tenus de coopérer pleinement avec l’enquête de leur chef de police. Au cours de ce processus, les policiers-sujets sont contraints de produire leurs notes et leurs déclarations. Le chef de police est tenu de faire rapport à la commission locale des services policiers à propos des résultats de l’enquête, au plus tard 30 jours après avoir été avisé par l’UES qu’elle a communiqué les résultats de son enquête au procureur général. La commission des services policiers est en droit de rendre public le rapport du chef de police. De même, le commissaire de la Police provinciale de l’Ontario est tenu de faire enquête et de faire rapport dans les 30 jours, dans pareils cas, et il est en droit de rendre public son rapport.
52 Pour régler les questions de manque de coopération lors des enquêtes de l’UES, le Règlement de l’Ontario 123/98 stipule expressément que le non-respect des exigences réglementaires lors d’une enquête de l’UES constitue une inconduite en vertu de la Loi sur les services policiers.
53 Les différents services policiers et la Commission civile des services policiers de l’Ontario – organisme autonome du ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels – étudient les questions de discipline et les plaintes dans le cadre d’un processus d’enquête administrative et de décision arbitrale. La Loi sur les services policiers établit un processus de plaintes du public, qui sera remplacé lorsque la nouvelle Loi de 2007 sur l’examen indépendant de la police entrera en vigueur[32].
54 Bien que la Loi et les règlements indiquent comment les enquêtes de l’UES doivent se dérouler en théorie, leur application suscite des doutes et des discordances considérables en pratique. Avant d’étudier le sujet en détail, il est utile de considérer la structure de l’UES et son processus fondamental d’enquête.
55 Depuis plusieurs années, l’UES travaille avec un budget annuel d’environ 5,5 millions $. Chaque année, elle enquête sur à peu près 200 incidents ayant causé des blessures graves ou des décès[33]. En 2006, l’UES a enquêté sur 226 incidents et a porté deux accusations criminelles. Environ un tiers des cas étudiés par l’UES a trait à la Police provinciale de l’Ontario, un autre tiers au Service de police de Toronto, le reste concernant les divers corps policiers municipaux de la province.
56 Le directeur gère l’UES avec l’aide d’un chef enquêteur et de divers autres gestionnaires et administrateurs. Les enquêtes sont menées par 12 enquêteurs à plein temps qui travaillent à partir du bureau de l’UES à Mississauga et par 30 enquêteurs à temps partiel installés un peu partout dans la province, qui sont déployés « selon les besoins ». Trois superviseurs d’enquête (deux personnes partagent l’un de ces postes) encadrent le personnel d’enquête. L’UES a sa propre Section d’identité judiciaire, menée par deux superviseurs à plein temps et dotée de 10 techniciens en identité judiciaire à temps partiel. L’équipe est responsable de protéger, recueillir et préserver les preuves physiques et d’analyser en partie ces preuves.
57 Les enquêteurs à plein temps travaillent par roulement d’équipes, couvrant la période de 7 h à 20 h. En dehors de ces heures, la police communique avec l’UES en appelant un numéro de téléavertisseur, auquel répond un superviseur qui est de garde. Nous avons été informés que, de par le passé, un enquêteur à plein temps répondait aux appels après les heures de service. Mais récemment, en raison de la charge accrue de travail, un deuxième enquêteur a été désigné pour répondre aux appels après les heures de service durant les fins de semaine. De plus, en tout temps, quatre enquêteurs « selon les besoins » restent prêts à répondre aux appels dans la province.
58 Quand un service de police appelle l’UES, il appartient au superviseur d’enquête de déterminer si l’incident relève du mandat de l’UES et d’évaluer les ressources nécessaires à une intervention. Une fois que le superviseur a décidé qu’une intervention s’impose, une équipe d’enquête est détachée sur les lieux, avec un enquêteur principal – généralement l’un des enquêteurs à plein temps – qui coordonne l’enquête avec le superviseur. Les enquêteurs « selon les besoins » sont déployés, avec les membres de l’équipe d’identité judiciaire, si des preuves physiques doivent être recueillies.
59 Une fois sur la scène de l’incident, les enquêteurs recueillent les preuves et font des entrevues avec les civils et les policiers-témoins. L’UES assure généralement les témoins que les renseignements donnés resteront confidentiels, sauf si les témoins acceptent qu’ils soient divulgués à une tierce partie, ou si la loi exige leur divulgation. Bien que les policiers-témoins soient contraignables, ils reçoivent cette même assurance des enquêteurs de l’UES.
60 En plus d’étudier les preuves physiques, l’UES examine les documents de sources diverses, notamment les transcriptions des communications du service de régulation CAD de la police, les enregistrements/les imprimés de communications et les opinions d’experts. Selon le cas, les preuves physiques sont aussi envoyées au Centre des sciences judiciaires de l’Ontario, qui peut faire des analyses plus complexes, par exemple d’ADN et de balistique.
61 En outre, les enquêteurs de l’UES sont généralement chargés d’informer les familles des incidents mortels. Le directeur actuel, James Cornish, a créé le poste de coordonnateur des services aux personnes concernées, en avril 2006, pour combler un manque identifié par le rapport Adams en 2003. Ce coordonnateur a pour rôle d’intervenir dans les cas pertinents, notamment auprès des familles qui ont perdu l’un des leurs pour les référer à des services sociaux ou de counseling.
62 L’UES a également mis en place un programme de liaison avec les Premières nations pour améliorer la prestation de ses services lors des incidents impliquant des Autochtones. Un enquêteur à plein temps originaire des Premières nations gère ce programme, avec l’aide d’un enquêteur « selon les besoins ».
63 À la fin d’une enquête, le directeur peut porter des accusations criminelles, ou présenter un rapport au procureur général concluant que la police n’était aucunement coupable d’acte criminel.
64 Sous sa forme la plus simple, le processus de l’UES comprend les étapes suivantes : notification de la police, intervention de l’UES, enquête, rapport – et dans certains cas, accusations criminelles. Mais dès la notification de la police, le processus est compliqué par des nuances d’interprétation et des intérêts conflictuels.
65 Bien que le pouvoir d’intervention de l’UES soit déclenché par des incidents policiers causant des blessures graves et/ou des décès de civils, le terme clé de « blessure grave » n’est pas défini par la loi. Ce fait a provoqué la confusion et a mené à de nombreux conflits quant à savoir si un incident relève ou non du mandat de l’UES.
66 La Loi sur les services policiers ne donne aucune définition de « blessure grave ». Le juge John Osler, premier directeur de l’UES, a élaboré une définition ad hoc en 1991, en consultation avec l’Association des chefs de police de l’Ontario. Cette définition est toujours en usage à l’UES de nos jours :
Les « blessures graves » incluent les blessures qui risquent d’interférer avec la santé ou le confort de la victime et qui ne sont pas simplement transitoires ou insignifiantes; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle.
Il y aura initialement présomption de « blessure grave » si la victime est admise à l’hôpital, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur la majeure partie du corps, ou perd toute partie du corps, ou souffre d’une perte de la vue ou de l’ouïe, ou allègue qu’il y a eu agression sexuelle. S’il y a probabilité d’attente prolongée avant que la gravité de la blessure ne puisse être évaluée, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider de l’envergure de son intervention.
67 De par le passé, comme l’a signalé M. Adams, les dirigeants de la police ont tenté de restreindre le champ de compétence de l’UES en donnant leur propre définition de « blessure grave », tandis que les groupes communautaires ont cherché à l’étendre en incluant les dommages psychologiques[34]. L’interprétation donnée à cette expression par l’UES a varié selon l’époque.
68 À une époque, l’UES considérait qu’un nez cassé était une blessure grave, mais ce n’est plus le cas. Certains membres du personnel d’enquête de l’UES ont dit à nos enquêteurs que le seuil des « blessures graves » changeait constamment. Ils ont évoqué un cas où le mandat de l’UES n’a pas été invoqué une semaine, mais l’a été la semaine suivante, pour deux blessures similaires causées par le même policier.
69 Certains des dirigeants de la police que nous avons interviewés nous ont aussi parlé des contradictions qu’ils voyaient dans la manière dont l’UES interprétait « blessure grave ». L’un d’eux a précisé que, dans certains cas, des fractures aux côtes font l’objet d’une enquête, mais pas dans d’autres cas – et ceci sans explication. Nous avons aussi entendu parler d’un cas où la perte d’une douzaine de dents n’avait pas été considérée comme grave, ce qui avait surpris le responsable de police chargé du cas.
70 En fait, la définition ad hoc de « blessure grave » utilisée par l’UES laisse beaucoup à désirer. Par exemple, les tirs de la police ne déclenchent pas forcément une enquête de l’UES. Dans un cas, une balle de pistolet avait traversé l’épaule de la victime et avait causé des dommages aux tissus, mais l’UES n’avait pas enquêté, considérant qu’il y avait eu simplement « blessure des tissus mous ». Certains membres du personnel de l’UES se sont dit inquiets de l’interprétation restrictive de leur mandat. Pour illustrer ces préoccupations, l’un des membres du personnel d’enquête de l’UES a décrit un cas où une personne avait été « rouée de coups jusqu’à en être bleue ». Mais alors que la nature de ces blessures soulevait de graves questions quant à la conduite de la police, cet incident n’avait pas été considéré comme relevant du mandat de l’UES.
71 Dans une note de service datée du 23 février 2007, rédigée pour clore un cas en le déclarant hors du mandat de l’UES, le directeur Cornish a exprimé ses réserves quant à la définition de « blessure grave ». L’incident était survenu alors que des parents, témoins de l’arrestation de leur fils pour bris de probation, s’étaient approchés des policiers. L’un des policiers avait repoussé la mère alors qu’elle tentait d’agripper le bras de son fils, et celle-ci était tombée à terre. Le père avait réagi en parlant sur un ton agressif au policier, qui lui avait alors ordonné de lui montrer ses mains. Le père avait placé ses mains sur le coffre de la voiture de police. Le policier avait saisi le père par le devant de son manteau et l’avait frappé de trois coups de coude, avant de le mettre à terre. Puis il lui avait donné un coup de poing au côté gauche du visage. Le père avait été arrêté pour obstruction. Cet événement avait déclenché toute une série de malheurs pour l’homme blessé. Alors qu’il avait été soigné uniquement pour des coupures et des éraflures à la tête, il avait par la suite souffert de troubles à la fois physiques et psychologiques. De plus, l’incident avait apparemment été le catalyseur de la rupture de son mariage, de la faillite de son entreprise et de la perte de sa maison.
72 Dans son dossier du cas, le directeur a noté ces commentaires :
La plainte qui me parvient – et qui est parvenue à d’autres avant moi – est que je suis faible, que je protège la police, que je suis malavisé, etc. Les groupes communautaires se plaignent, disant que si l’UES ne fait pas enquête, il n’y a personne vers qui se tourner. Je précise qu’on peut avoir recours au chef du service de police en question ou à la Commission civile des services policiers de l’Ontario. Cette réponse est rarement jugée satisfaisante.
En fait, vu l’application historique de la définition Osler [de « blessure grave »], toute tentative faite par un directeur pour considérer que ce type de blessure relève de son champ de compétence serait perçue comme une tentative d’élargir le mandat de l’UES. Si un directeur songeait à exercer son pouvoir en cas de blessure importante aux tissus mous, ou en cas de blessure causant des dommages psychologiques, ce directeur ferait bien de chercher tout d’abord à s’assurer qu’une définition claire du terme « blessure grave » est incluse à la Loi sur les services policiers, ou à ses règlements.
73 Il est fort possible que l’expression « blessure grave » soit restée non définie pour permettre une certaine souplesse d’interprétation. La définition Osler est utile et pratique, mais elle n’a pas force de loi. Les limites de la définition actuelle de « blessure grave » sont en partie auto-imposées et reflètent la réticence de l’UES à appliquer son mandat au-delà de ce que le milieu policier a accepté de mauvaise grâce.
74 Certains groupes communautaires ont proposé que le terme « blessure grave » soit expressément défini dans la Loi sur les services policiers[35]. L’UES a également soulevé cette question auprès du ministère du Procureur général. De plus, le comité des ressources du directeur de l’UES, groupe composé de cadres supérieurs de l’UES et de représentants communautaires, a fait cette suggestion dans une présentation au Comité permanent de la justice, en novembre 2006, alors que celui-ci considérait la Loi de 2007 sur l’examen indépendant de la police.
75 Les dirigeants du ministère du Procureur général, qui ont toujours souligné l’importance d’un consensus en matière d’enquêtes criminelles sur la conduite de la police, nous ont fait savoir qu’il serait difficile de parvenir à un accord sur l’envergure à donner à la définition de « blessure grave ». En novembre 2005, l’avocat du Ministère a préparé une note d’information interne en réponse à un « plan d’action » élaboré par l’UES, qui comprenait un certain nombre de recommandations de réformes. Cette note d’information n’était pas en faveur de définir le terme de « blessure grave », précisant que le faire prêterait à « controverse ».
76 Le fait que ce problème de définition n’ait pas été réglé contribue aux incertitudes et aux incohérences qui entourent à la fois la notification des incidents par la police et la réponse de l’UES aux incidents. Vu les origines de l’UES, et vu la résistance historique que lui a opposée la police, il serait raisonnable de légiférer pour définir clairement son mandat. Ce faisant, le gouvernement devrait aussi envisager d’inclure à la définition de « blessure grave » les cas où une personne est blessée par balle (quelle que soit la gravité de la blessure), les blessures psychologiques graves et les lésions graves aux tissus mous. Certes, il est peu probable que le gouvernement obtienne un « consensus » sur la définition, mais l’absence de consensus ne devrait pas justifier l’inaction.
77 Par conséquent, pour régler la question de l’incertitude qui entoure le mandat de l’UES, je fais la recommandation suivante :
Le mandat de l’Unité des enquêtes spéciales devrait être clairement défini dans sa législation constitutive. (Recommandation 33)
La législation constitutive de l’Unité des enquêtes spéciales devrait définir ce qu’est une blessure grave et cette définition devrait comprendre les blessures psychologiques graves, toutes les blessures par balle et les lésions graves aux tissus mous. (Recommandation 34)
[NOTE : Une liste complète des recommandations commence à la page 116 de ce rapport.]
78 Pour enquêter sur un incident où il y a eu des blessures graves ou un décès impliquant la police, l’UES doit tout d’abord en prendre connaissance. Or l’un des problèmes chroniques de l’UES provient des retards avec lesquels la police l’avise des incidents. Quand M. Adams a étudié la situation en 1998, voici ce qu’il a déclaré :
Il n’est pas pertinent pour un service policier de chercher à déterminer le champ de compétence de l’UES au sens juridique, avant même de l’aviser, en fonction des incertitudes inhérentes à de nombreux incidents. La question de la notification à l’UES devrait être traitée davantage comme celle d’un appel à une ambulance – dans le doute, il faut appeler[36].
79 La loi est maintenant claire : les chefs de police sont tenus d’aviser l’UES immédiatement de tout incident qui peut raisonnablement être considéré comme relevant de son mandat. Étant donné la rapidité et la facilité des communications de nos jours, on pourrait présumer que la notification à l’UES devrait se faire en quelques minutes dans la plupart des cas. Il est donc difficile d’expliquer pourquoi la notification des incidents à l’UES reste problématique dans de nombreux cas que nous avons étudiés. Bien souvent, la police avait tout simplement omis d’aviser l’UES, ou l’avait fait bien après l’incident. Quand une notification arrive avec retard, l’intervention se fait également avec retard, et des preuves essentielles peuvent alors avoir disparu. Des policiers peuvent avoir terminé leur quart de service, des témoins civils peuvent ne pas être retrouvés, des preuves peuvent s’être envolées, et l’UES peut devoir s’en remettre au corps de police sur lequel elle enquête non seulement pour conserver mais aussi pour recueillir les preuves.
80 En février 2003, M. Adams a déclaré que, d’après ses consultations, la situation s’était beaucoup améliorée et que les questions comme les retards de notification ne présentaient plus un problème systémique grave pour l’UES[37]. Cependant, notre examen des cas de l’UES semble indiquer que cette observation ne reflétait pas vraiment la situation, même en février 2003. Il ne faut pas s’en étonner, car l’examen fait par M. Adams visait la consultation et le consensus, sans devoir présenter une étude en profondeur de l’expérience d’enquête de l’UES.
81 Le 16 février 2003, un jeune homme a déclaré avoir été battu alors qu’il était en garde à vue[38]. Il a fallu 42 heures à la police, après avoir appris que ce jeune homme souffrait d’une rupture rénale et d’une fracture de vertèbre, pour aviser l’UES. Entre-temps, la police avait entrepris une enquête interne et avait interviewé le plaignant et huit témoins civils. Le directeur de l’UES avait alors exprimé son inquiétude face à la conduite de la police, suggérant qu’elle était typique de l’approche de ce service policier relativement à la notification des incidents à l’UES. Le directeur avait noté ceci dans un rapport :
Cette apparente infraction n’est qu’un autre exemple de la négligence maintenant évidente avec laquelle ce service considère ses obligations de faire rapport en vertu [du Règlement] 673/98. De plus, le retard de notification a clairement nui à l’enquête de l’UES : il y avait eu contamination de la scène, tout comme il est permis de croire qu’il y avait eu contamination des policiers-témoins, auxquels les dispositions réglementaires d’isolement et de non-communication n’avaient aucunement été appliquées.
82 D’autres services policiers ont aussi suivi des méthodes qui ont entraîné des retards de notification à l’UES dans certains cas. Depuis peu, le Service de police de Toronto envoie proactivement un avis à l’UES avant d’entreprendre une opération importante de police qui risque d’entraîner des incidents relevant du mandat de l’UES. Mais pendant de nombreuses années, le Service de police de Toronto a insisté pour considérer si un incident soulevait la possibilité de conduite criminelle avant d’aviser l’UES. En 2005, ce problème de « présélection » des incidents a finalement été résolu, le service de police reconnaissant alors qu’il appartenait à l’UES d’évaluer la criminalité d’un incident.
83 Durant notre enquête, les cadres supérieurs de l’UES, dont le directeur et le chef enquêteur, ont minimisé les répercussions du retard ou de l’absence de notification, disant que la situation s’était considérablement améliorée au cours des dernières années. Toutefois, les preuves données par le personnel d’enquête de l’UES révèlent une situation bien différente. Les notes d’une réunion annuelle des enquêteurs, le 20 septembre 2004, indiquaient que le retard et l’absence de notification étaient l’une des principales raisons de malaise à l’UES. En outre, de nombreux membres du personnel d’enquête de l’UES ont confirmé lors de nos entrevues que les retards de notification continuent de nuire grandement à l’efficacité des enquêtes de l’UES. En fait, l’UES continue de soulever les difficultés de notification des incidents dans ses programmes d’éducation et de liaison. Lors d’une présentation faite le 13 juin 2006 à Aide juridique Ontario, l’UES a noté que les retards et les absences de notification posent un problème constant. Et le 30 mai 2007, l’UES a tenu un atelier avec l’Association des chefs de police de l’Ontario durant lequel il a été question des problèmes de notification des incidents. L’UES a souligné alors que les retards occasionnés quand les services policiers attendent de confirmer la nature des blessures avant de l’aviser continuaient de compromettre la tenue de ses enquêtes.
84 Dans sa présentation écrite à notre Bureau, en octobre 2007, l’UES a proposé diverses explications aux retards de notification de la police :
Dans la plupart des cas, l’agent de liaison a expliqué les problèmes de retard ou d’absence de notification en disant qu’il y avait eu détérioration des communications dans leur unité, que quelqu’un avait commis une erreur, que les premiers répondants n’étaient pas familiarisés avec le mandat de l’UES, qu’il y avait eu un manque de renseignements à propos d’une blessure avant la remise en liberté du plaignant, ou même à l’occasion en disant qu’il y avait eu un problème dans le système de communications de l’UES.
85 Le chef enquêteur de l’UES a précisé que les retards et les absences de notification ne sont généralement pas délibérés, mais résultent du manque de compréhension qu’a la police des textes de lois et de la définition de « blessure grave ». Mais de nombreux enquêteurs de l’UES que nous avons interviewés se sont montrés plus cyniques, disant que les retards permettent bien souvent aux policiers de s’entendre sur l’histoire à raconter et « d’accorder leurs violons ».
86 Les renseignements sur l’heure de l’incident et sur sa notification sont consignés manuellement sur les formulaires d’enregistrement de l’UES. Il n’y a aucune vérification systématique de ces formulaires, pas plus qu’il n’y a d’évaluation pour les retards de notification, et nous avons constaté que de nombreux formulaires n’indiquaient pas l’heure de l’incident. De plus, rien n’exige que le personnel de l’UES demande les raisons des retards de notification. Si un problème de notification parvient à l’attention du directeur, il peut y donner suite, mais de nombreux cas de retard restent tout simplement non déclarés ou inexpliqués. Un climat de lassitude règne à l’UES quand il est question de recueillir des renseignements sur le processus d’enquête. Cas après cas dans les incidents où il y avait eu retard de notification, le directeur et le chef enquêteur nous ont dit qu’il était impossible d’évaluer si un retard était justifié ou non, sans connaître les circonstances de l’incident. Mais l’UES en est ainsi arrivée à rationaliser les retards, étant donné que personne ne demande ou n’enregistre systématiquement les raisons des retards de notification des incidents.
87 Nos enquêteurs ont étudié 64 formulaires d’incidents de tir, de 2003 à la mi-juin 2007. Nous avons constaté que dans 23 de ces cas – soit près d’un tiers du total – il avait fallu à la police une heure ou plus après avoir pris connaissance de l’incident pour aviser l’UES. Dans un cas, la police avait attendu trois heures et 43 minutes pour informer l’UES. En 2006 et 2007, le Service de la police régionale de Peel – dont on nous a dit qu’il faisait généralement les notifications d’incidents avec retard parce qu’il insiste pour que le chef les communique personnellement à l’UES – avait attendu plus de 90 minutes dans trois des quatre cas signalés par lui à l’UES. Le contraste est grand avec la pratique standard suivie par la police en cas d’incidents graves, comme les homicides, qui ne relèvent pas du mandat de l’UES. Dans ces cas, les services policiers ne gaspillent pas de temps de réponse en alertant méthodiquement leurs supérieurs. Au contraire, les détectives sont immédiatement avisés et détachés sur les lieux, selon les circonstances.
88 L’expérience de l’UES est aussi fort différente de celle de l’Ombudsman de la police de l’Irlande du Nord, qui s’est distingué à l’échelle internationale pour sa surveillance policière. L’ancien Ombudsman nous a fait savoir que les dirigeants de la police savent parfaitement qu’il faut appeler l’Ombudsman, et qu’il est entendu que même les policiers aux plus bas échelons doivent communiquer avec l’Ombudsman dans les quelques minutes après un incident relevant du mandat de son bureau. Les Guidance Notes for Police de l’Ombudsman soulignent qu’il est important d’aviser son bureau sans retard, alors même que d’autres mesures d’action sont prises.
89 Récemment, l’Unité des enquêtes spéciales a analysé 28 incidents de 2006 impliquant le Service de police de Toronto. La fréquence et la longueur des retards de notification des incidents étaient choquantes. Dans seulement deux de ces cas, le Service de police de Toronto avait mis moins d’une heure pour aviser l’UES. Dans sept des cas, il lui avait fallu de trois à six heures pour le faire. Dans cinq des cas, il lui avait fallu de neuf à 14 heures, et dans deux des cas 17 heures. Dans trois des cas, les retards de notification ne s’étaient pas chiffrés en heures mais en jours – avec un retard d’un peu plus de 24 heures, un autre d’un jour et demi, et un troisième de 14 jours.
90 L’UES a également fait ressortir plusieurs cas où divers services de police l’avaient avisée avec retard en 2007. Certains des regards se chiffraient en heures, d’autres étaient de deux à 12 jours, et dans un cas d’agression sexuelle l’UES n’avait pas été avisée avant un mois et demi environ.
91 Le guide de l’UES, Checklist for Police Services, indique que la police devrait aviser l’UES « quand elle soupçonne qu’il y a blessure grave, mais encore non confirmée ». Pourtant, dans de nombreux cas, il ressort clairement qu’une personne a été blessée mais que la police a attendu d’évaluer la gravité de la blessure avant d’appeler l’UES – ce qui a causé la perte de possibilités cruciales d’enquête. Un cadre supérieur de la police a dit à nos enquêteurs que ceci provient généralement du fait que la police attend une évaluation médicale sur la portée des blessures. En voici des exemples :
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14 mars 2006 : Une automobiliste blessée dans une collision grave avec un véhicule de la Police provinciale de l’Ontario a été emmenée à l’hôpital, après avoir eu une crise épileptique sur la scène de l’incident. Souffrant d’un grave traumatisme crânien fermé, elle a dû être plongée dans un coma par neurosédation. Elle avait aussi une clavicule et un os de la poitrine cassés, ainsi que des contusions aux poumons. Malgré la gravité de son état, la Police provinciale de l’Ontario n’a avisé l’UES que quatre heures plus tard.
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Décembre 2006 : Un incident survenu à 14 h 30 n’a été signalé à l’UES que plus de quatre heures et demie après, une fois que la gravité des blessures a été confirmée. Entre-temps, la police avait examiné la scène, la nuit était tombée et l’UES a mis du temps à retrouver les témoins.
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13 mai 2007 : Un VUS a grillé un stop et a frappé une voiture de la police locale. Le VUS a fait un tonneau et la conductrice s’est retrouvée coincée dans son véhicule. Après avoir été délivrée, elle a immédiatement été emmenée à l’hôpital. Mais l’UES n’a été avisée que plus de huit heures après. Le service de police a donné pour explication que les blessures ne paraissaient pas graves au départ.
92 Certains enquêteurs de l’UES ont déclaré que la Police provinciale de l’Ontario était tout particulièrement lente à communiquer les notifications d’incidents, en raison de la lourdeur de sa structure administrative. Les appels doivent suivre la chaîne hiérarchique de cet organisme avant que l’UES ne soit avisée, ce qui peut prendre des heures. Un cadre supérieur de l’UES nous a déclaré que quand tout marche bien, l’OPP informe l’UES dans l’heure qui suit, mais que de par le passé des retards de deux à trois heures étaient la norme.
93 Nous avons constaté que, dans plusieurs cas, il y avait clairement confusion parmi les rangs de l’OPP à propos de l’envergure du mandat de l’UES et de la définition de « blessure grave ». Ces cas illustrent le déroulement des événements quand les policiers ne connaissent pas bien la portée de l’autorité de l’UES :
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En 2006, il a fallu plus de trois mois à l’OPP pour aviser l’UES d’un incident au cours duquel l’orbite droite d’un homme avait été fracturée. En raison du retard de notification, une preuve importante avait été viciée – le témoignage de l’épouse de cet homme. On a découvert par la suite que les policiers de l’OPP avaient suivi les ordres de la police indiquant qu’il fallait uniquement aviser l’UES si un civil était « admis » à l’hôpital. Les politiques de l’OPP[39] ont finalement été modifiées en juin 2007 pour clarifier que l’hospitalisation n’est pas une condition de la notification de l’incident à l’UES. Vu le grand nombre d’incidents qui surviennent entre l’OPP et des civils, cette erreur dans les ordres de la police est particulièrement troublante. Le fait qu’elle n’ait été découverte que tout récemment est lui aussi alarmant.
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Dans un autre cas, l’OPP a omis d’aviser l’UES d’une plainte pour agression sexuelle. À cause d’une erreur dans la version électronique des politiques de l’OPP, les policiers s’en étaient remis à un ancien document disant qu’il n’était pas nécessaire d’aviser l’UES si l’allégation portait sur un « simple toucher ». L’UES a pris connaissance de l’incident presque deux ans plus tard. L’erreur dans les documents n’a pas été rectifiée avant juin 2007.
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Les policiers de l’OPP ont également omis pendant trois ans et demi d’aviser l’UES d’une allégation d’agression sexuelle faite par l’épouse d’un policier. L’OPP a déclaré que la version révisée de ses procédures de notification, datant de juin 2007, contribuera à assurer la notification des incidents à l’UES en temps opportun dans pareils cas.
94 Bien que l’incertitude quant à la gravité des blessures et à l’envergure du mandat de l’UES puissent expliquer certains cas de retard dans la notification des incidents, des retards inexplicables, parfois considérables, se produisent dans bien des cas où la notification devrait être une affaire simple comme bonjour. Voici quelques-uns des cas les plus troublants qui ont été portés à notre attention :
95 Peu après minuit le 23 août 2003, une mère désemparée a vu son fils de 15 ans, souffrant de troubles psychologiques, prendre 80 ou 90 pilules de Seoquel, un neuroleptique antipsychotique. Lors de la surdose précédente de son fils, la police l’avait aidée à le faire hospitaliser. Elle a donc fait appel à la police pour lui demander son aide cette fois encore. L’appel parvenu au 911 disait que le jeune homme avait attaqué sa mère, avait pris une surdose de médicaments et avait quitté la maison. La police régionale d’Halton avait répondu à l’appel, avait retrouvé le jeune homme et l’avait arrêté vers 1 h du matin.
96 Le soulagement qu’avait éprouvé la mère à voir son fils retrouvé a vite cédé à la panique quand elle a supplié les policiers d’emmener son fils à l’hôpital, mais que ceux-ci ont refusé. Les policiers ne considéraient pas la situation comme une urgence médicale. Ils ont cru le jeune homme, qui leur a dit qu’il avait avalé quelques pilules et qu’il avait recraché le reste. Les policiers l’ont donc emmené au poste de police local où ils l’ont mis en garde à vue pour inobservation d’engagement. À leur connaissance, il était interdit au jeune homme d’être en contact avec sa mère en raison d’une poursuite criminelle antérieure.
97 L’avocate du jeune homme a appelé la police pour expliquer la vérité et a encouragé les policiers à emmener le jeune homme à l’hôpital. Elle a expliqué aux policiers que l’accusation en vertu de laquelle ils avaient mis le jeune homme en garde à vue était invalide, étant donné qu’il ne lui était plus interdit d’être en contact avec sa mère et qu’il était retourné vivre à la maison. Malgré ces renseignements, la police a maintenu sa garde à vue.
98 Vers 3 h 30 le matin, la mère est arrivée au poste de police avec les médicaments de son fils. L’état dans lequel il était l’a profondément alarmée. Il avait le regard vide et il bavait. Les policiers en service ont dit à la mère que le jeune homme serait relâché à sa garde, mais quand elle est revenue avec sa voiture pour l’emmener chez elle, il avait été transporté à l’hôpital dans un véhicule de la police. Il avait été admis à 4 h 40. À 7 h, il avait commencé à avoir des crises épileptiques; à 13 h 25, il était mort d’une surdose de médicament.
99 L’UES a été appelée à 16 h 12 – soit presque 12 heures après le transport du jeune homme à l’hôpital, neuf heures après son entrée évidente en état critique et près de trois heures après son décès. Ce n’est que 10 heures après le départ du jeune homme pour l’hôpital que les responsables de la police ont sécurisé les pourtours de la cellule où il avait été détenu. Quand l’UES est arrivée sur les lieux, les policiers-témoins n’étaient plus en service et l’UES a eu des difficultés à retrouver le corps du jeune homme, qui n’avait pas été dûment sécurisé. Les enquêteurs de l’UES affectés à cette affaire ont dit être très inquiets du retard de notification et de ses répercussions sur le travail médico-légal. Mais le service de police a maintenu que le jeune homme n’était pas en garde à vue quand il est entré dans un état critique. Une enquête a été entreprise sur l’affaire, mais a été ensuite annulée.
100 Le 2 juin 2007, une terrible collision s’est produite entre plusieurs véhicules aux petites heures du jour, au carrefour de Finch et d’Islington à Toronto. Alors que deux autos-patrouille de la police de Toronto poursuivaient un véhicule volé, ce véhicule a grillé un feu rouge et a frappé de plein fouet un taxi, qui a fait ricochet sur un autre taxi. Les résultats ont été catastrophiques. Deux jeunes passagères de l’un des taxis ont été projetées hors de leur véhicule. L’une d’elles, âgée de 16 ans, gisait morte au milieu de la route, le corps coupé en deux. Sa meilleure amie, âgée de 17 ans, était à quelques pas d’elle, atteinte de blessures qui allaient s’avérer mortelles. Le conducteur du véhicule volé, un jeune garçon de 15 ans, souffrait d’un traumatisme massif. Il est décédé par la suite.
101 Vu le carnage, et vu que la police était impliquée avant l’accident, le cas relevait clairement de l’UES. La police a appelé les urgences à 2 h 26 mais n’a avisé l’UES que 74 minutes plus tard. En raison de ce retard, l’UES a identifié les victimes avec retard, ce qui a entraîné un retard dans l’annonce de la nouvelle aux proches parents. Le début de l’enquête a lui aussi été retardé.
102 Dans son rapport d’incident du 13 novembre 2007, le directeur Cornish a noté le retard survenu « bien que la gravité des blessures ait été immédiatement évidente pour tous les policiers immédiatement sur les lieux ».
103 Nous avons passé en revue d’autres histoires similaires. En avril 2007, un suspect a été blessé par balle au bras. Un policier avait tiré, la balle avait perforé le bras du suspect, qui avait abondamment saigné – et pourtant il a fallu plus de cinq heures à la police pour aviser l’UES. Le 30 juin 2007, à 1 h 20 du matin, une auto-patrouille est rentrée dans l’arrière d’un véhicule, blessant ses trois occupants, dont un nouveau-né de trois mois. L’UES n’a été avisée que le lendemain à 10 h 35 le matin, soit plus de 33 heures plus tard.
104 La police devrait automatiquement appeler l’UES dans des cas aussi évidents – ce devrait être un réflexe chaque fois qu’un incident grave met en jeu des policiers. Le fait qu’il en soit autrement est alarmant.
105 Il est tout aussi déconcertant de découvrir les nombreux cas où ce n’est pas la police qui a avisé l’UES, mais une tierce partie. Sur les 856 incidents survenus de 2003 à juin 2007, 76 ont été portés à l’attention de l’UES par des particuliers touchés, par leur parenté, par des avocats, des procureurs de la Couronne, des coroners ou des journalistes – et non pas par le corps de police concerné. En voici quelques exemples :
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En décembre 2003, le frère d’un malade psychiatrique a communiqué avec l’UES huit jours après que son frère a subi des lacérations faciales et une fracture de la clavicule gauche, alors que la police tentait d’immobiliser celui-ci. Le personnel de l’hôpital avait critiqué ce recours à la force qu’il considérait excessif, mais la police ne s’était pas donné la peine d’aviser l’UES.
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En décembre 2004, un avocat s’est plaint à l’UES que son client avait eu un poumon collabé alors qu’il était placé en garde à vue. Cet homme avait dû être opéré, et pourtant la police n’avait pas communiqué avec l’UES.
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Le 23 mars 2005, vers 16 h, un journaliste a communiqué avec l’UES pour lui demander si elle était au courant d’un communiqué de presse de l’OPP à propos d’un trouble de l’ordre public le 20 mars, durant lequel un jeune homme avait été arrêté puis hospitalisé avec une fracture du crâne.
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Le 22 avril 2005, plusieurs médias ont informé l’UES d’une collision survenue juste avant midi, qui mettait en jeu la police. L’UES a communiqué avec le corps de police et presque une heure plus tard, celui-ci l’a rappelée pour confirmer qu’un de ses véhicules avait été dans un accident avec un civil. Le civil avait trois côtes cassées et un poumon collabé. Dans son rapport du 1er juin 2005, le directeur Cornish a indiqué que les policiers n’avaient pas signalé l’incident parce qu’ils considéraient qu’il ne pourrait pas mener à des accusations criminelles.
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En janvier 2007, l’avocat d’un homme, qui avait accusé la police de recourir à une force excessive après avoir eu une orbite cassée, a avisé l’UES de l’incident. Le corps de police concerné ne l’avait pas fait.
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Le 7 juillet 2008, l’UES a été informée d’un incident survenu deux ans auparavant par un organisme de presse local. En rejetant les accusations criminelles le 26 juin 2008, un juge avait conclu que les deux jeunes accusés avaient été physiquement maltraités par la police lors de leur arrestation le 7 juin 2006. L’un d’eux avait apparemment souffert d’une côte fracturée, d’un tympan perforé et de meurtrissures autour d’un œil. De toute évidence, durant les deux années qu’il avait fallu pour que cette cause passe en justice, la police avait omis de faire son devoir et d’aviser l’UES.
106 Les renseignements que nous avons recueillis lors de notre examen des dossiers de l’UES corroborent les données anecdotiques que nous ont communiquées les enquêteurs de l’UES à propos des problèmes continus que posent les retards de notification d’incident. Il est évident que dans un certain nombre de cas, l’UES a été indûment avisée avec retard, parfois inexplicablement. La prévalence de ces retards est difficilement explicable, en grande partie parce que l’UES omet de demander, de consigner et d’analyser systématiquement leurs raisons. Il est essentiel que l’UES demande et évalue plus rigoureusement les explications de la police au sujet des retards de notification d’incident.
107 Par conséquent, pour garantir que l’UES adopte des méthodes plus proactives pour déterminer et enregistrer les cas où la police omet de l’aviser promptement d’un incident relevant de son mandat, je fais la recommandation suivante :
L’Unité des enquêtes spéciales devrait exiger que son personnel recherche systématiquement les manquements de la police à respecter promptement et complètement les exigences législatives et réglementaires sur la notification des incidents relevant de son mandat, qu’elle en consigne les raisons et qu’elle en avise la direction. (Recommandation 1)
108 Quand la notification d’un incident est retardée, chaque étape du processus d’enquête en souffre, particulièrement la capacité qu’a l’UES de se mobiliser pour y répondre.
109 Dans le monde des enquêtes criminelles, le temps de réponse est d’une importance critique. Pour reprendre les mots du commissaire de l’OPP, Julian Fantino : « Il est essentiel d’arriver rapidement sur la scène d’un incident, d’en prendre immédiatement le contrôle, d’évaluer les priorités… souvent, les preuves disparaissent, les témoins quittent la scène, les versions des faits changent… la scène change… ». Plus la réponse est rapide et intense, plus grande sont les chances de recueillir des preuves de qualité – preuves qui peuvent s’évanouir et se détériorer aussi rapidement qu’elles sont apparues.
110 Les mêmes principes d’enquête s’appliquent aux enquêtes sur les tirs policiers et sur les incidents causant des blessures graves à des civils. En Colombie-Britannique, les enquêtes internes de la Gendarmerie royale du Canada commencent dans les quelques minutes qui suivent pareils incidents. En Irlande du Nord, l’Ombudsman de la police, qui dispose de plus de 100 membres du personnel et d’un budget de 17 millions $, avec quelque 60 enquêteurs, s’est fait une réputation mondiale pour ses méthodes de surveillance policière[40]. Cet Ombudsman décrit « la période immédiatement après l’incident, quand le potentiel de recueillir les preuves est optimale » comme « l’heure d’or »[41].
111 Malheureusement, dans de nombreux cas à l’UES, cette « heure d’or » s’écoule sans qu’elle prenne connaissance d’un incident relevant de son mandat. Voir arriver les enquêteurs de l’UES en retard sur la scène d’un incident n’inspire guère confiance dans ses enquêtes.
112 Au début, comme l’a signalé M. Adams, la capacité qu’avait l’UES d’intervenir rapidement et efficacement en cas d’incident était limitée par son manque de ressources. En 1998, quand M. Adams a procédé à son premier examen de l’UES, cet organisme ne disposait que de trois enquêteurs à plein temps, de 18 enquêteurs à temps partiel éparpillés dans la province, d’un enquêteur en science médico-légale à plein temps et de trois enquêteurs en sciences médico-légales à temps partiel. Avec d’aussi maigres ressources, l’UES pouvait difficilement réagir vite, et ne pouvait détacher que d’un à trois enquêteurs à la fois.
113 Depuis, les ressources de l’UES se sont accrues et l’organisme a la capacité de réagir. Mais notre enquête a révélé qu’un certain nombre de facteurs continuent d’empêcher bien souvent l’UES de déployer son personnel d’enquête aussi efficacement que l’exige la situation.
114 L’un des indices de performance que l’UES a adoptés pour effectuer une autoévaluation est un temps de réponse moyen d’une heure dans la région du Grand Toronto et d’une heure et demie dans le reste de la province. Mais une étude des statistiques de l’UES pour les années financières de 2003-2004 à 2005-2006 semble indiquer que, dans bien des cas, elle ne respecte pas cette norme qu’elle s’est donné[42].
115 Étant donné que le temps influe sur les preuves, la réponse idéale à un incident serait de déployer au plus vite autant de ressources que l’exige la situation. Comme nous l’a dit l’ancien Ombudsman de la police en Irlande du Nord, mieux vaut intervenir trop que pas assez. Et d’ajouter : « La réponse initiale ne peut jamais être intensifiée, mais peut toujours être réduite ». L’UES a adopté cette méthode en principe. Voici ce que déclarent les ordres opérationnels :
Dans tous les cas de décès ou de blessures graves, un nombre aussi grand de membres du personnel de l’UES que requis sera déployé au plus vite… cette méthode « d’intervention-éclair » ou « d’opération frontale » est une de celles utilisées par la plupart des organismes policiers en Ontario[43].
116 Cependant, les plaignants et de nombreux membres du personnel d’enquête de l’UES que nous avons interviewés nous ont fait savoir que l’UES ne faisait pas tout son possible pour garantir une intervention rapide et complète. Les causes citées étaient les facteurs géographiques, la lourdeur du système d’appels échelonnés du personnel, le fait que les enquêteurs restent souvent coincés dans la circulation car leur véhicule n’est pas désigné « véhicule prioritaire » et les restrictions quant au temps supplémentaire.
117 Il est clair que la capacité de mobiliser une réponse à l’UES est limitée par les facteurs géographiques. Vu la grandeur de la province, l’UES est confrontée à des défis réels quand un incident survient dans des lieux éloignés. Ainsi, il peut falloir une bonne partie de la journée aux enquêteurs et au personnel médico-légal pour arriver sur la scène d’un incident dans le Nord de l’Ontario :
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En 2003, il a fallu environ 20 heures aux enquêteurs de l’UES pour arriver sur la scène d’un incident à Kenora.
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Le 16 novembre 2006, l’UES a été avisée à 0 h 25 d’une allégation d’agression sexuelle envers une adolescente de Thunder Bay. Le superviseur de l’UES alors en service a tenté pendant une heure et 45 minutes de déployer du personnel, mais sans succès. À 7 h le matin, un autre superviseur a entrepris de contacter les enquêteurs, et un enquêteur principal a finalement été désigné. À 10 h, l’équipe a découvert que l’adolescente était autochtone et a communiqué avec l’agent de liaison des Premières nations. Ce dernier n’est arrivé sur la scène qu’à 21 h – et la plaignante n’a été interviewée que le lendemain.
118 Les politiques de l’UES stipulent que les enquêteurs à plein temps qui sont en attente doivent répondre immédiatement à un appel par téléavertisseur et se mettre en route dans la demi-heure qui suit. Ceux qui sont de garde doivent répondre et se mettre en route dans un délai de 1 à 2 heures[44]. Nous avons été informés que les superviseurs utilisent un seul téléphone pour appeler ainsi les enquêteurs, de même que pour recevoir leurs appels de retour. L’un des superviseurs nous a dit que, dans de telles circonstances, il n’est d’aucune utilité d’appeler par téléavertisseur plus d’un ou de deux enquêteurs à la fois. Un autre superviseur nous a expliqué que, s’il ne reçoit pas de réponse à un appel dans les cinq minutes, il appelle un autre enquêteur. Nous avons appris que les superviseurs de l’UES appellent généralement un enquêteur, puis attendent sa réponse un certain temps avant de tenter de communiquer avec un autre.
119 Quand nous avons étudié les formulaires d’enregistrement de l’UES, nous avons découvert que le processus d’appel des enquêteurs pouvait prendre un temps considérable. Au lieu de déclencher une « intervention-éclair » massive de son personnel, l’UES suit une méthode d’appels échelonnés et ses enquêteurs arrivent donc par intervalles sur la scène de l’incident.
120 Apparemment, un temps d’enquête considérable, et extrêmement précieux, est souvent perdu à cause de cette méthode de déploiement graduel du personnel d’enquête de l’UES. Alors que les politiques de l’UES s’alignent, en pure théorie, sur la méthode « d’opération frontale », son délai de réponse est en réalité incroyablement long dans certains cas. Plusieurs enquêteurs « selon les besoins » ont fait ressortir que, contrairement à leurs collègues à plein temps, ils n’ont ni BlackBerries, ni GPS portatifs. Beaucoup ont indiqué que, à cause de cette disparité d’équipement, leur capacité de répondre à un appel et d’arriver rapidement sur la scène d’un incident est limitée.
121 Les considérations d’équipement peuvent certainement intervenir, mais il est clair que l’essentiel pour l’UES est d’agir avec un plus grand sentiment d’urgence quand elle doit déployer son personnel d’enquête. L’UES devrait appeler autant d’enquêteurs qu’il le faut, aussi vite que possible, pour assurer une intervention rapide et complète. Elle ne le fait tout simplement pas, à présent.
122 Un autre aspect des méthodes d’appel de l’UES nuit à sa capacité d’intervention rapide et concertée – à savoir, qui est appelé.
123 Généralement, un seul enquêteur à plein temps est appelé, d’habitude un enquêteur qui est de garde. Cet enquêteur a généralement pour rôle de prendre la tête de l’enquête. Mais on nous a dit qu’il n’en avait pas toujours été ainsi : auparavant, plus d’un enquêteur était régulièrement appelé. De plus, même si d’autres enquêteurs à plein temps sont plus près de la scène d’un incident que les enquêteurs « selon les besoins » ou que les enquêteurs à temps partiel, ils ne sont appelés qu’une fois qu’un enquêteur à plein temps a été désigné.
124 Les cas suivants illustrent un certain nombre de problèmes graves que nous avons découverts quant à la réponse de l’UES :
125 Le dimanche 13 juin 2004, vers midi, le Service de police de Toronto a reçu un appel lui disant qu’il y avait un homme, torse nu, avec un grand couteau, à Edwards Gardens près de Lawrence et Don Mills. Trois policiers se sont rendus sur les lieux. Selon les policiers, l’homme a refusé de poser son couteau à terre quand ils ont tenté de l’arrêter et il s’est rué sur l’un d’eux. Les trois policiers ont alors tous fait feu. Après huit balles tirées, l’un des policiers avait une blessure superficielle à la jambe et O’Brien Christopher-Reid, un jeune Noir de 26 ans atteint de maladie mentale, gisait dans les affres de la mort avec quatre blessures par balles. L’UES a été avisée de l’incident en moins d’une heure. Mais il a fallu plus d’une heure au superviseur de l’UES pour communiquer avec tout le personnel d’enquête à déployer.
126 Un examen du dossier de l’affaire Christopher-Reid à l’UES indique que le superviseur a appelé les enquêteurs par téléavertisseur puis a attendu qu’ils lui répondent. En fin de compte, l’UES a déployé des enquêteurs venant d’aussi loin que Peterborough et Niagara Falls. Le premier enquêteur est arrivé de Guelph à 15 h, soit près de deux heures après la notification de l’incident. Il est fort possible qu’un temps précieux ait été perdu alors que le superviseur attendait les réponses des enquêteurs à propos de leur disponibilité. Un enquêteur d’Oshawa, qui était plus proche de la scène que les autres, a été le dernier appelé, près d’une heure après la notification de l’UES.
127 Le 27 juin 2005, à 16 h 20, l’UES a été informée d’une horrible affaire criminelle à London, en Ontario – le meurtre à coups de couteau de deux enfants et de leur mère par Frank Greda, qui s’est tué par balle après un échange de feu avec la police. L’équipe d’enquête de l’UES a été appelée par téléavertisseur à divers intervalles. Il a fallu une heure et demie à l’UES pour appeler sept enquêteurs. Le dernier enquêteur a été appelé près de trois heures après la notification de l’UES. Le premier enquêteur est arrivé sur les lieux trois heures après l’appel reçu par l’UES et environ cinq heures après l’incident. Le dernier enquêteur n’est arrivé sur les lieux que près de six heures après l’appel à l’UES, et huit heures après l’incident.
128 Le 18 septembre 2005, James Maltar, 45 ans, a été arrêté à 22 h 33 pour avoir refusé de s’identifier aux policiers après avoir été arrêté parce qu’il conduisait une voiture sans plaques d’immatriculation. Moins de 30 minutes plus tard, il était mort d’un tir policier au poste de l’OPP à Port Credit, après s’être battu avec deux policiers. L’UES n’a été avisée de l’incident qu’une heure plus tard.
129 Le processus d’appel des enquêteurs de l’UES a duré deux heures. En fin de compte, huit enquêteurs de l’UES, y compris du personnel médico-légal, ont été déployés graduellement. Le premier enquêteur est arrivé sur la scène de l’incident à 1 h 15 du matin. Trois autres enquêteurs sont parvenus sur les lieux dans les deux heures. Mais les quatre derniers enquêteurs sont arrivés entre 2 h et 4 h du matin, soit de deux à quatre heures après l’appel à l’UES, et jusqu’à cinq heures après la mort de James Maltar sous le tir policier.
130 Le 20 mai 2004, une dispute a éclaté entre deux groupes de jeunes sur un terrain de basket-ball à l’extérieur d’une école de Scarborough. L’un des jeunes a été blessé. Le lendemain, plusieurs jeunes sont revenus sur les lieux et se sont battus. La police a été appelée et deux policiers en civil sont arrivés. Les policiers ont ordonné à l’un des jeunes, Jeffrey Reodica, 17 ans, de laisser tomber la pierre qu’il tenait dans la main. Il a obéi, mais quand ils lui ont donné l’ordre de s’arrêter de marcher, il a continué de s’éloigner.
131 Les policiers sont allés vers lui, ont lutté avec lui et l’ont mis à terre. Ils ont tenté de lui passer les menottes, mais il s’est libéré et s’est relevé. Il a alors frappé de sa main gauche l’un des policiers. Croyant qu’il avait reçu un coup de couteau, le policier a tiré trois fois au pistolet – frappant l’adolescent sur le côté, au-dessus de la hanche droite et dans le dos. Jeffrey Reodica a été emmené à l’Hôpital Sunnybrook, où il est mort trois jours plus tard.
132 L’incident est survenu à 16 h 10 le vendredi précédant la longue fin de semaine de la Fête de Victoria. À 17 h 08, soit près d’une heure plus tard, le Service de police de Toronto a avisé l’UES de l’incident. Avec sa méthode d’appels échelonnés, ce n’est qu’à 18 h 30 que l’UES a contacté et déployé tout son personnel d’enquête. L’UES a envoyé 10 enquêteurs sur les lieux, mais selon ses habitudes, n’a désigné qu’un seul enquêteur à plein temps. Un enquêteur en sciences médico-légales, « selon les besoins », a été le premier à arriver sur la scène à 18 h 25, suivi quelques minutes plus tard de l’enquêteur principal à plein temps. Un autre enquêteur « selon les besoins » est arrivé à l’Hôpital Sunnybrook à 18 h 55, puis trois autres à 19 h 20. Enfin, quatre enquêteurs « selon les besoins » sont arrivés pour aider, entre 20 h et 22 h 55 – le dernier parvenant sur les lieux cinq heures après la notification faite par la police.
133 Deux enquêteurs à plein temps étaient disponibles ce soir-là dans la région de Toronto, mais ils n’ont pas été appelés. Par contre, des enquêteurs « selon les besoins » ont été appelés alors qu’ils étaient dans des villes aussi éloignées qu’Huntsville, Kingston et Peterborough. Ce fait a eu des répercussions sur le bon déroulement de l’enquête. L’enquêteur principal a été contraint de commencer les entrevues seul, au lieu de le faire avec un collègue.
134 À la suite de l’incident, la police a détenu plusieurs jeunes de 12 à 16 ans au poste de police, pour les interroger. En raison de la réponse inadéquate de l’UES, certains des jeunes ont été gardés au poste pendant plus de huit heures, soit jusqu’à 2 h du matin – seuls et épuisés, alors que leurs parents ignoraient tout de ce qui s’était passé.
135 Quand nous leur avons parlé, les enquêteurs de l’UES ont reconnu que cette longue attente pleine d’incertitude avait eu des répercussions sur les déclarations des jeunes. Par la suite, le père de l’un d’eux avait appelé un enquêteur et lui avait expliqué que son fils n’avait pas tout dit des faits à l’UES. En effet, après avoir attendu anxieusement pendant cinq heures dans une pièce où il faisait froid, le jeune voulait en finir au plus vite et rentrer chez lui quand l’UES est arrivée pour l’interviewer. Il a été interviewé de nouveau quatre jours après l’incident.
136 Aux toutes premières heures du matin, le 20 juin 2006, un policier et une policière en auto-patrouille ont découvert une fourgonnette volée, qui roulait sur l’avenue Lawrence à Toronto. Ils ont suivi la fourgonnette jusqu’à un immeuble, où son chauffeur l’a garée dans un cul-de-sac à l’arrière de l’immeuble. Quand les deux agents de police se sont approchés du véhicule, le conducteur a appuyé sur l’accélérateur et a foncé sur la policière. Craignant pour la sécurité de celle-ci, son collègue a tiré sur le chauffeur à travers le pare-brise. La fourgonnette est allée s’écraser contre un arbre et le conducteur, Duane Christian, un jeune Noir âgé de 15 ans, a été déclaré mort sur la scène de l’incident un peu plus tard.
137 L’incident est survenu à 4 h 55 du matin. Peu après, sept agents du Service de police de Toronto étaient sur la scène et 14 policiers commençaient à quadriller les environs pour retrouver des témoins. Alors que cet incident était similaire à ceux qui avait mené à la création de l’UES (la police avait tiré sur un jeune Noir) l’UES n’a été avisée qu’à 6 h 10 – soit une heure et quart plus tard.
138 Il a fallu 50 minutes après la notification de l’UES pour que le premier de ses enquêteurs arrive sur la scène. L’enquêteur principal n’a suivi qu’une heure et 10 minutes plus tard. L’UES devait alors examiner la scène, quadriller les immeubles voisins et aviser les proches – tandis que quatre témoins étaient détenus au poste de police en attendant d’être interviewés. Le facteur-temps aurait dû être considéré comme critique, et pourtant la réponse de l’UES a grandement tardée. Les enquêteurs et les techniciens en sciences médico-légales qui ont été appelés se trouvaient dans des régions à des centaines de kilomètres de là – Cornwall, Harrowsmith, Kingston, Ottawa et Stittsville. Les inspecteurs n’ont commencé à quadriller les immeubles que cinq heures après le tir, opération qui s’est poursuivie pendant plusieurs jours.
139 Entre-temps, les enquêteurs de l’UES ignoraient que l’un des témoins en attente au poste de police était la mère de Duane, qui craignait que la victime ne soit son fils. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’elle a été officiellement avisée du décès de celui-ci.
140 Lors de l’enquête du coroner sur le décès de Jeffrey Reodica, le jury a recommandé d’aviser au plus vite les parents des jeunes qui sont détenus pour être interrogés. L’UES a donc adopté une nouvelle directive à compter du 18 décembre 2006, ordonnant à ses enquêteurs de tenter de communiquer avec les parents des jeunes de moins de 18 ans et d’obtenir l’approbation de leur superviseur avant d’interroger ces jeunes sans le consentement de leurs parents. Malheureusement, l’incident n’a pas fait comprendre à l’UES que ses méthodes d’appels échelonnés contribuaient au retard et à l’inefficacité de son intervention. Certes, les politiques de l’UES exigent que ses enquêteurs interviennent rapidement en cas d’incidents de tir policier – étant donné qu’ils peuvent être mortels et qu’ils attirent toujours beaucoup l’attention des médias – mais le processus suivi en réalité à l’UES pour mobiliser ses effectifs, même dans des cas critiques, s’avère intrinsèquement problématique[45].
141 En ce qui concerne l’affaire Duane Christian, même s’il n’est pas clair dans quelle mesure la méthode d’appels échelonnés de l’UES a contribué à cette tragédie, il est bien évident que plus la réponse de l’UES est rapide et intense, moins le potentiel de retard est grand, aussi bien pour l’identification de la victime que pour la notification des parents proches. De plus, la réponse de l’UES lors de cet incident ne se compare pas favorablement à celle du Service de police de Toronto, qui a déployé 21 policiers sur les lieux dans les quelques minutes après l’incident. L’intervention de l’UES est aussi bien faible comparée à celles de l’Ombudsman de la police de l’Irlande du Nord, qui peut déployer jusqu’à 35 enquêteurs immédiatement après un tir mortel.
142 Il est contraire au principe d’indépendance des enquêtes d’arriver sur les lieux d’un incident bien après les enquêteurs de la police, comme l’UES l’a fait dans le cas de Duane Christian. Il en va de même pour son arrivée sur la scène d’un incident alors que l’avocat de l’Association de la police est déjà présent, comme cela s’est passé dans de nombreux incidents à Toronto. Certains des enquêteurs de l’UES que nous avons interviewés nous ont dit combien ils étaient embarrassés d’arriver sur la scène plusieurs heures après un incident. Ils ont déclaré que les routes étaient parfois fermées et que les témoins attendaient longtemps l’arrivée de l’UES.
143 Le 4 mai 2004, vers environ 15 h 20, les agents de l’escouade antidrogue du Service de police de Toronto ont tenté l’arrestation à haut risque d’un trafiquant de drogues, au carrefour du boulevard Rexdale et de l’avenue Islington. Alors que le suspect tentait de s’échapper en voiture, il a essayé d’écraser l’un des policiers. Ce dernier a fait feu sur lui et a été frappé par le véhicule. Le suspect a continué dans sa course jusqu’à ce qu’il entre en collision avec le véhicule d’un civil. Le suspect a été frappé d’une balle au bras et le civil a été blessé lui aussi.
144 L’UES a été avisée de l’incident à 16 h 25. C’était alors l’heure de pointe et les sorties de l’autoroute 401 vers l’avenue Islington avaient été fermées. Plusieurs civils attendaient dans leur véhicule l’arrivée de l’UES. Un superviseur de l’UES a déployé neuf enquêteurs sur la scène de l’incident. Bien sûr, leur arrivée a été retardée en raison de la circulation. Un enquêteur à plein temps affecté à l’affaire a appelé son superviseur et a demandé que deux autres enquêteurs à plein temps, qui vivaient près du lieu de l’incident (Oakville et Etobicoke), soient contactés. Sa demande a été refusée. Le premier des neufs enquêteurs est arrivé à 17 h 30, soit plus de deux heures après l’incident. Les autres, qui venaient de Burlington, Hamilton, Oshawa, Orangeville, Cambridge et Peterborough, sont arrivés encore plus en retard.
145 L’UES a tenté, sans succès, de persuader le ministère des Transports d’accorder un statut prioritaire à ses véhicules en vertu du Code de la route. Les dirigeants de l’UES affirment que c’est un facteur du retard de ses enquêteurs sur les lieux des incidents – ils ne peuvent tout simplement pas rouler à toute vitesse jusqu’aux scènes d’incidents. Or les enquêteurs de l’UES mènent des enquêtes criminelles. Quand ils arrivent en retard à cause des bouchons de circulation, ils ne sont pas simplement dans l’embarras – mais un temps d’enquête précieux a été perdu. Tout comme la police, les enquêteurs de l’UES devraient pouvoir arriver aussi vite que possible sur la scène d’incidents criminels graves. Certes, une désignation prioritaire des véhicules de l’UES nécessiterait probablement davantage de ressources, de même qu’une formation du personnel, mais les coûts de cette décision devraient être évalués par rapport aux avantages d’une arrivée rapide de l’UES sur les scènes d’incidents.
146 Beaucoup d’enquêteurs de l’UES que nous avons interviewés nous ont dit que, si l’UES n’appelle pas tous les enquêteurs à plein temps requis ou si elle ne contacte pas le personnel le plus proche du lieu d’un incident, c’est parce que la direction veut éviter de payer du temps supplémentaire, surtout en fin de semaine.
147 En 2003, à la suite d’une directive gouvernementale générale, l’UES a dû trouver un moyen de faire des économies. L’une des mesures qu’elle a prises a été d’instaurer un quart de travail en après-midi. Une autre a été de limiter le temps supplémentaire aux appels après les heures de service[46]. Le personnel n’a donc plus le droit de faire du temps supplémentaire pour son travail administratif régulier, par exemple pour interviewer des témoins, aller au tribunal ou assister à un post-mortem. Ces activités doivent être attribuées à des enquêteurs « selon les besoins ». Lorsque ce changement a été proposé, l’UES a averti que sa capacité de réponse aux incidents pourrait s’en trouver réduite.
148 Plusieurs enquêteurs « selon les besoins » nous ont dit qu’ils doivent régulièrement confirmer qu’ils ne sont pas en heures supplémentaires avant d’être déployés sur les lieux d’un incident. Certains enquêteurs nous ont déclaré qu’ils étaient préoccupés par les problèmes de continuité des enquêtes, précisant que des enquêteurs « selon les besoins » sont parfois parachutés en plein milieu d’une enquête tout simplement parce qu’un autre enquêteur, qui connaît bien le cas, a déjà fait trop d’heures. Ils ont ajouté qu’on leur disait souvent d’arrêter de travailler une fois qu’ils entraient en heures supplémentaires. Un enquêteur principal a été réprimandé pour ne pas avoir renvoyé chez lui un enquêteur, dans de telles circonstances. Dans un autre cas, les policiers-témoins étaient disponibles pour une entrevue à 21 h – plus d’une semaine après l’incident. L’enquêteur de l’UES a appelé son superviseur à 15 h 07, pour lui demander la permission de faire les entrevues ce soir-là, mais l’approbation de temps supplémentaire a été refusée, apparemment pour une simple raison du coût. Les entrevues avec les policiers-témoins ont donc été retardées de 15 jours de plus. Même dans l’affaire Reodica (page 39) où les ressources déployées étaient maigres, l’un des enquêteurs a reçu l’ordre de rentrer chez lui en raison d’heures supplémentaires.
149 En 2004-2005 et 2005-2006, les coûts des heures supplémentaires de l’UES ont radicalement baissé, schéma qui confirme les preuves empiriques que l’UES a jonglé avec les entrevues et d’autres tâches pour éviter de payer du temps supplémentaire.
150 Les dirigeants de l’UES ont admis que le temps supplémentaire était l’un des facteurs considérés lors du déploiement des enquêteurs, mais ils ont catégoriquement nié qu’il s’agissait là d’une considération décisive. Le chef enquêteur a souligné que « l’intervention est plus importante que le temps supplémentaire », mais il a reconnu qu’il est extrêmement rare d’appeler plus d’un enquêteur à plein temps à la fois sur les lieux d’un incident.
151 De 2003 à 2004, le nombre d’appels passés à l’UES a fortement baissé. Ceci a donné lieu à de nombreuses spéculations parmi le personnel d’enquête, qui s’est demandé si les superviseurs n’essayaient pas de contrôler les coûts en répondant à moins de notifications d’incidents et en limitant la réponse de l’UES, selon des considérations d’heures supplémentaires. Le chef enquêteur a étudié la question et a déterminé que ces rumeurs étaient sans fondement. Cependant, notre enquête a constaté que, lors de plusieurs incidents, l’UES avait choisi de retarder son intervention.
152 Quand un corps de police prend l'initiative d’appeler l’UES et que celle-ci ne déploie pas d’enquêteurs pour procéder à une recherche indépendante des faits, la crédibilité de l’UES en souffre. Conformément aux ordres opérationnels de l’UES, les superviseurs sont tenus de confirmer les faits rapportés, ce qui peut exiger la mise en service d’un enquêteur[47]. Les superviseurs peuvent, à leur discrétion, retarder l’intervention si la police a fait parvenir sa notification avec retard, si la scène n’est plus protégée ou si la valeur potentielle des preuves a été perdue, ou encore s’il faut minimiser le coût de maintenir inutilement une présence policière[48].
153 Nous avons appris que dans un certain nombre de cas les superviseurs de l’UES n’avaient pas obtenu suffisamment de faits pour déterminer si l’incident exigeait l’intervention de l’UES et s’étaient contentés de surveiller la situation :
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Le 6 mars 2005, un homme a kidnappé sa petite fille âgée de quatre ans. Alors que la police était à proximité de lui, il a jeté la petite par-dessus le pont qui enjambait l’autoroute 401. Celle-ci a été gravement blessée. Tout de suite après, le père s’est jeté dans le vide. Le Service de police de Toronto a appelé l’UES à deux reprises ce jour-là pour l’aviser de l’incident, mais il croyait alors que ses policiers sur les lieux de l’incident étaient à quelque distance du père et de sa fille. L’UES n’a pas cherché à en savoir davantage. Le lendemain, Le Service de police de Toronto a rappelé, disant qu’un policier avait parlé au téléphone avec l’homme suicidaire peu avant qu’il ne saute dans le vide, et que des policiers s’avançaient sur le pont pour tenter de le distraire, tandis que d’autres se rapprochaient de lui. Selon le rapport de l’UES au procureur général, c’est uniquement quand ces renseignements ont été dévoilés qu’il est devenu clair que l’incident relevait du mandat de l’UES. Mais nous avons appris que ce n’est qu’après l’appel du bureau du coroner, soucieux de savoir pourquoi l’UES n’avait pas assisté au post-mortem, que celle-ci a finalement déployé ses enquêteurs. Il n’y avait alors plus de scène à examiner, l’autoroute 401 était rouverte et les policiers étaient rentrés chez eux. L’UES a dû s’en remettre aux preuves photographiques du Service de police de Toronto et n’a pas pu mener d’enquête médico-légale indépendante.
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Le 4 avril 2005, un homme a affirmé avoir été battu dans un poste de police. Il avait été emmené à l’hôpital et à 21 h 22, les médecins avaient diagnostiqué une épaule et des côtes cassées. La police avait ensuite ramené cet homme au poste et avait avisé l’UES de l’incident à 22 h 20. Alors que le plaignant se trouvait au poste de police, disponible pour une entrevue, l’UES n’est intervenue que le lendemain. La police a décidé d’interroger le plaignant avant de le relâcher à 4 h du matin le 6 avril 2005. Le Service de police de Toronto a de nouveau avisé l’UES de cette affaire vers midi le lendemain. Ce n’est finalement que le 15 avril 2005 que les enquêteurs de l’UES ont retrouvé et interviewé le plaignant. Le directeur Cornish a critiqué le retard de l’UES dans cette affaire, mais il a déploré le fait que le Service de police de Toronto ait interrogé le plaignant.
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Le dimanche 24 avril 2005, un homme a eu l’orbite fracturée lors de son arrestation pour voies de fait contre de la parenté et pour agression contre un policier. Une fois que l’hôpital a confirmé la fracture, il a fallu deux heures au Service de police de Toronto pour informer l’UES de l’incident, et ce n’est que le lendemain matin à 7 h que l’UES a déployé du personnel – soit avec un retard de presque 10 heures. Il a fallu ensuite plus de cinq heures aux enquêteurs de l’UES pour intervenir. Les policiers n’étaient plus en service, la scène de l’incident n’était plus protégée et les preuves avaient été recueillies. L’homme blessé avait été relâché et avait parlé de l’incident avec d’autres témoins civils, dont son amie. Le dossier de l’UES ne comportait aucune explication quant à ce retard.
154 Quand la police avise l’UES, surtout en cas de décès, l’UES devrait se montrer prudente et agir de manière proactive, présumant que la question relève de son champ de compétence au moins tant qu’elle n’a pas vérifié d’elle-même qu’il en est autrement. Au printemps 2005, le directeur Cornish a fait circuler une note de service à propos des « blessures graves » et du processus d’appels de l’UES, en partie pour mettre fin « aux rumeurs et aux inférences » internes à propos des méthodes suivies par elle. Il a discuté la définition des blessures graves donnée par Osler et a souligné que le principe fondamental du déploiement de l’UES était l’indépendance. Il a indiqué que, si les superviseurs n’étaient pas certains de la « gravité » d’une blessure, ils devaient vérifier la nature de cette blessure auprès de sources indépendantes.
155 Pourtant, nous avons découvert des cas où les superviseurs avaient retardé à tort le déploiement des effectifs, bien après ces instructions données par le directeur Cornish à propos du processus d’appels. Dans l’affaire du 14 mars 2006, où la police a mis quatre heures pour aviser l’UES de l’automobiliste blessé qui avait été plongé dans un coma médicamenteux (page 38), l’UES avait attendu deux heures de plus – c’est-à-dire jusqu’à un deuxième appel de la police – pour déployer ses enquêteurs. L’état de l’automobiliste s’était alors aggravé, la Police provinciale de l’Ontario avait déjà enquêté sur la collision et la scène n’était plus protégée. Nous avons aussi été informés d’un cas à Waterloo en août 2006 où un malade mental avait été blessé et hospitalisé après être entré par infraction dans une maison, et où le superviseur de l’UES avait dit à la police de le rappeler si cet homme mourait.
156 Le 23 mai 2006, juste avant minuit, M. Mohammed a été blessé au cours de son arrestation pour conduite en état d’ivresse. M. Mohammed a affirmé avoir été battu, frappé et étranglé par les policiers du Service de la police régionale de Durham. Le 24 mai 2006, il a subi un examen à l’hôpital puis a été remis à la garde de la police. La police a appelé l’UES le jour suivant à 16 h 20, mais a suggéré que l’œil tuméfié de M. Mohammed ne répondait pas à la définition de « blessure grave ». Le superviseur de l’UES a demandé à la police de l’aviser de tout changement.
157 Cinq jours plus tard, le 29 mai 2006, à 14 h 30, la police a informé l’UES que M. Mohammed avait été conduit à St. Michael’s Hospital afin d’être soigné pour une blessure de nature inconnue. L’UES a ensuite appris que M. Mohammed souffrait d’une fracture au maxillaire gauche et avait une orbite cassée. Les photographies prises alors montrent que le visage de M. Mohammed est tuméfié et contusionné.
158 Ce cas montre qu’une blessure peut s’avérer beaucoup plus grave qu’elle ne le paraît à l’origine, même à des professionnels de la santé. L’UES devrait donc faire preuve de grande prudence et chercher à obtenir des faits supplémentaires, indépendamment, dans toute la mesure du possible. Une omission à cet égard peut causer la perte de preuves précieuses. L’UES ne devrait retarder son intervention que dans des circonstances limitées. Et quand il y a le moindre doute, elle devrait toujours répondre à une notification de la police.
159 Dans bien des cas que nous avons examinés, l’UES semblait avoir retardé sa réponse car les incidents étaient survenus en fin de semaine. Une étude des appels passés par l’UES durant les longues fins de semaine en 2006 montre qu’une intervention immédiate de sa part est plus probable en cas de décès qu’en cas de blessure grave. Dans deux cas de décès durant une garde à vue, l’un le lundi de Pâques et l’autre le jour de la Fête du Canada, les enquêteurs ont été déployés sans retard. Par contre, une notification de blessure en garde à vue, faite dimanche 2 juillet, n’a entraîné une intervention que le mardi suivant, tandis qu’une autre datant du dimanche 6 août n’a déclenché une réponse que le mardi 8 août. Une blessure causée à une personne en garde à vue le lendemain de Noël n’a donné lieu à une enquête que huit jours plus tard.
160 Un enquêteur nous a dit qu’il y a eu des améliorations depuis que nous avons commencé notre enquête. Il nous a expliqué qu’auparavant, il arrivait que les superviseurs surveillent simplement la situation quand une personne était hospitalisée pour blessures de nature inconnue, mais qu’actuellement ils étaient davantage enclins à déployer les enquêteurs sur le champ. Certains membres du personnel d’enquête nous ont aussi dit que, depuis le début de notre enquête, la direction semble moins préoccupée par le temps supplémentaire quand elle affecte le personnel. De plus, le directeur Cornish nous a avisés que la direction élaborait des directives pour clarifier les questions de déploiement des effectifs, aussi bien à l’intention des superviseurs que des intervenants « externes ».
161 Dans la plupart des cas, nous avons conclu que l’enquête de l’UES s’était déroulée de manière adéquate une fois que les effectifs avaient été déployés. Mais certains des enquêteurs de l’UES nous ont donné des renseignements anecdotiques montrant que les ressources nécessaires n’étaient pas allouées dans toutes les circonstances :
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Dans un cas qui a eu lieu dans le Nord de l’Ontario, au lieu d’envoyer un technicien en sciences médico-légales examiner l’état de la cellule où une personne avait eu un bras cassé alors qu’elle était en garde à vue, l’UES a demandé à l’enquêteur d’utiliser une « caméra jetable » ou de s’en remettre à des photographies prises par l’OPP.
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Un enquêteur chargé d’examiner un cas en 2004 a critiqué le fait que seulement deux enquêteurs avaient été détachés sur la scène de l’incident.
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Dans un cas survenu en 2005, un enquêteur a noté un manque de personnel d’enquête résultant du fait que les enquêteurs « selon les besoins » étaient affectés ailleurs.
162 L’utilisation des véhicules de l’UES est également source de controverses internes considérables. Jusqu’en août 2007, le directeur, le chef enquêteur, les enquêteurs à plein temps et les superviseurs disposaient de véhicules de fonction. En septembre 2006, à la demande de l’UES, le ministère des Finances a fait une vérification du parc automobile de l’Unité. Le délai d’intervention de l’UES n’a pas été l’un des facteurs considérés durant cette vérification. Tout en reconnaissant qu’une intervention rapide de l’UES est exigée, et que l’accès en tout temps à des véhicules bien équipés est d’une importance critique pour les opérations d’enquête de l’UES, la vérification a conclu à une diminution marquée du nombre de cas où des enquêteurs à plein temps avaient été appelés alors qu’ils étaient en congé (et non de garde ou en attente) – au point où aucun n’avait été appelé dans de telles circonstances durant l’année financière 2005-2006. En fin de compte, la vérification a déterminé qu’il n’y avait plus de raison professionnelle légitime d’accorder aux membres du personnel leur propre véhicule de fonction.
163 Actuellement, seul les enquêteurs et les superviseurs de garde ont droit à un véhicule de l’UES en dehors de leurs heures de travail. Par conséquent, si l’UES détache un enquêteur à plein temps qui n’est pas de garde, il doit voyager jusqu’au bureau, prendre un véhicule, puis se rendre sur les lieux de l’incident. Le chef enquêteur nous a dit que ce changement n’a aucunement affecté le temps de réponse. Ceci n’a rien de surprenant : étant donné que l’UES a pour pratique courante d’affecter un seul enquêteur à plein temps à chacun des incidents, et que cet enquêteur est généralement celui qui est de garde, il pourrait difficilement en être autrement.
164 Selon le directeur Cornish, le seul moyen de renforcer la capacité de réponse de l’UES serait d’avoir plus d’enquêteurs « selon les besoins », davantage répartis dans la province. Certes, une augmentation des ressources serait très utile, mais il est clair que l’UES dispose déjà de moyens pour améliorer sa capacité d’intervention. Ainsi, tant que l’UES n’appellera pas les enquêteurs à plein temps et les enquêteurs « selon les besoins » les plus proches d’un incident, sans se soucier s’ils sont de garde ou en heures supplémentaires, son temps de réponse continuera d’en pâtir.
165 À mon avis, pour s’acquitter pleinement de son mandat, l’UES doit mobiliser toutes les ressources nécessaires de sorte à répondre sans retard aux incidents. Une modification de sa politique de véhicules automobiles s’impose. La légitimité professionnelle de garantir à tout le personnel d’enquête de l’UES les moyens de se rendre au plus vite sur les scènes d’incidents est tout à fait claire. Les conclusions de la vérification effectuée par le ministère des Finances reposaient sur un changement apporté aux méthodes d’appels de l’UES au cours des dernières années qui allait à l’encontre de ce devoir professionnel et des pratiques exemplaires d’enquête en général. L’UES semble avoir perdu de vue qu’il est essentiel pour elle d’intervenir dans toute la mesure où l’exige la situation, et en temps opportun. Bien sûr, l’UES doit éviter les gaspillages de fonds et les dépenses inutiles, mais pouvoir intervenir pleinement et rapidement en cas d’incidents est un élément fondamental de sa capacité d’agir. Au lieu de limiter son intervention pour se conformer à un budget restrictif, l’UES devrait demander les ressources nécessaires pour remplir pleinement son mandat – et le ministère du Procureur général devrait appuyer ces efforts.
166 Par conséquent, pour garantir une réponse plus efficace de l’UES aux incidents relevant de son mandat, je fais les recommandations suivantes :
L’Unité des enquêtes spéciales devrait veiller à répondre aux incidents aussi rapidement que possible grâce à un système d’appels continus – et non pas intermittents – de son personnel d’enquête et de son personnel médico-légal. (Recommandation 4)
L’Unité des enquêtes spéciales ne devrait retarder sa réponse aux incidents que dans des circonstances exceptionnelles, et uniquement après avoir vérifié les faits indépendamment. En cas de doute, l’UES devrait répondre à la notification de la police. (Recommandation 5)
L’Unité des enquêtes spéciales devrait s’assurer que les enquêteurs les plus proches du lieu d’un incident sont appelés, peu importe s’ils sont enquêteurs à plein temps ou à temps partiel, ou s’ils vont entrer en heures supplémentaires. (Recommandation 6)
L’Unité des enquêtes spéciales devrait revoir sa politique sur les véhicules automobiles en concordance avec le changement des méthodes de déploiement recommandées ci-dessus. (Recommandation 7)
Si l’Unité des enquêtes spéciales a besoin de plus amples ressources pour mettre en œuvre mes recommandations, elle devrait présenter une requête appropriée au ministère du Procureur général. (Recommandation 24)
Le ministère du Procureur général devrait s’assurer que l’Unité des enquêtes spéciales dispose des ressources nécessaires pour s’acquitter efficacement de son mandat lui enjoignant de mener des enquêtes criminelles sur les blessures graves et les décès de civils causés par la police. (Recommandation 27)
Le gouvernement de l’Ontario devrait envisager d’accorder un statut prioritaire aux véhicules de l’Unité des enquêtes spéciales, en vertu du Code de la route. (Recommandation 45)
167 Une fois que l’UES a été avisée d’un incident et a commencé son intervention, elle doit s’assurer que la scène est protégée et que toutes les preuves pertinentes sont rassemblées.
168 Nous avons été informés que les corps de police respectent généralement les exigences leur enjoignant de protéger une scène en attendant l’arrivée de l’UES. Cependant, l’un des dirigeants de l’UES nous a dit que bien souvent, à sa connaissance les scènes ne sont pas correctement protégées. Il a évoqué un cas où l’avocat de la police avait franchi le ruban jaune délimitant le périmètre de la scène, et un autre où un photographe de presse avait été autorisé à l’intérieur du périmètre pour prendre les photos d’une voiture accidentée. L’UES a protesté quand un corps de police a omis de protéger une scène en septembre 2005, et de nouveau en janvier 2007, quand des autos-patrouille accidentées avaient été déplacées, contrairement aux règles.
169 Il arrive que l’intégrité d’une scène soit compromise non pas par la police, mais par les enquêteurs de l’UES. Dans une note de communication interne d’octobre 2004, l’UES a rappelé ses enquêteurs à l’ordre à propos des erreurs de conduite professionnelle, après avoir pris connaissance d’un cas où un enquêteur était rentré dans le périmètre de la scène en tenant un café, avait buté sur l’une des preuves et avait tenté de la remettre en place sans alerter quiconque[49].
170 À l’exception de cas isolés, nous n’avons pas trouvé de preuve de problèmes généralisés quant à la sécurité des scènes d’incident à l’UES. Malheureusement, nous ne pouvons pas dire la même chose de la façon dont l’UES procède aux entrevues – surtout à celles des policiers-témoins et des policiers-sujets.
171 Tout comme les preuves physiques, les preuves des témoins à un incident peuvent se dégrader avec le temps. Et je cite :
… les équipes d’enquête doivent pouvoir trouver rapidement les gens et les interviewer, pour obtenir des dépositions présentant un indice maximal de crédibilité et de fiabilité; trouver et protéger les preuves utiles; obtenir et documenter les observations et les comptes rendus avec le plus d’exactitude…[50]
172 Dans chacun de ses deux examens, M. Adams a reconnu que les retards dans les entrevues des policiers-témoins posaient un grave problème à l’UES. Il a évoqué plusieurs facteurs qui contribuaient à de tels retards à cette époque, notamment l’insuffisance des renseignements donnés par les responsables de la police pour différencier les policiers-témoins et les policiers-sujets, le fait que les policiers étaient mis en congé pour stress professionnel, et la non-disponibilité d’un avocat pour représenter les policiers-témoins. En février 2003, il a suggéré que ces difficultés pourraient être surmontées grâce à un « effort immédiat et soutenu » de la part des chefs de police et de l’UES[51], mais notre enquête a conclu que le problème des retards dans les entrevues des policiers-témoins persiste de nos jours et continue de compromettre l’intégrité du processus d’enquête de l’UES.
173 L’un des principes fondamentaux des enquêtes criminelles est la nécessité de recueillir au plus vite les renseignements des témoins[52]. Le commissaire Fantino a souligné qu’il est « absolument critique » d’identifier et d’interviewer les principaux témoins sur-le-champ. En effet, les versions des faits changent et les souvenirs s’estompent avec le temps. Le commissaire Fantino a précisé que même une brève entrevue initiale, suivie au besoin d’une entrevue complémentaire une fois que d’autres preuves ont été recueillies, est cruciale. Un sous-commissaire de l’OPP a fait écho à ces commentaires, soulignant l’importance d’interviewer rapidement les témoins pour éviter les problèmes causés par les pertes de mémoire et par les influences extérieures sur les souvenirs des témoins.
174 Cependant, les dirigeants de la police ont franchement reconnu que l’UES ne procédait pas ainsi, le plus souvent, dans ses enquêtes. Certains ont suggéré que de nombreux facteurs intervenaient, par exemple l’intervention des associations de police, les avocats qui représentent les policiers, ainsi que le « traumatisme » des policiers. Un avocat de la défense de la police nous a dit que bien souvent les policiers sont trop troublés après un incident pour donner un témoignage cohérent. Le commissaire Fantino a déclaré qu’il était inconvenant de mettre dans le même sac les professionnels de la police et les simples criminels, ajoutant que l’UES devrait procéder à un exercice neutre de recherche des faits, et non pas à une enquête criminelle. Lui et d’autres dirigeants de la police ont déclaré que, en ce qui concerne les entrevues des policiers-témoins, les enquêtes de l’UES ne présentent pas forcément la même urgence que les causes criminelles majeures. Fait particulièrement troublant : bon nombre des enquêteurs de l’UES partagent apparemment cette opinion.
175 Les règlements exigent clairement que les policiers-témoins se soumettent à une entrevue immédiatement sur demande et, en cas de motifs pertinents de retard, au plus tard 24 heures après en avoir reçu la demande de l’UES[53]. Mais le chef enquêteur de l’UES a confirmé que la plupart des entrevues des policiers ont lieu plus de 24 heures après la requête de l’UES. Conformément aux ordres opérationnels de l’UES, les enquêteurs doivent interviewer les policiers-témoins « à la convenance de l’enquêteur[54] », mais les politiques de cet organisme ne soulignent pas l’importance d’interviewer les témoins au plus vite, et ce principe n’est pas suivi uniformément ou clairement.
176 Beaucoup des membres du personnel d’enquête de l’UES que nous avons interviewés nous ont dit qu’il est souvent préférable d’interviewer le plaignant en premier et d’examiner les autres preuves pertinentes avant d’interviewer les policiers. Certains attachaient plus d’importance aux notes des policiers et nous ont dit que les entrevues avec les policiers-témoins pouvaient être retardées de plusieurs jours, sans conséquence. L’un des enquêteurs est allé jusqu’à dire que les souvenirs qu’ont les policiers de l’incident s’améliorent avec le temps. Un autre a déclaré qu’il serait prématuré de faire des entrevues immédiates, tandis qu’un autre encore considérait qu’il était « archaïque » de garder les policiers-témoins jusqu’à l’arrivée de l’UES et « malavisé » de les interviewer sur le champ. Certains ont suggéré qu’il était plus facile de retracer les policiers-témoins que les témoins civils, ajoutant que c’était pourquoi les civils étaient généralement interviewés en premier. Mais d’autres enquêteurs ont souligné l’importance d’interviewer les policiers immédiatement, quand leurs souvenirs sont intacts, encore non déformés et plus précis.
177 Bien sûr, certaines circonstances peuvent justifier des retards occasionnels dans les entrevues avec les policiers-témoins, mais il est contraire aux principes d’enquête criminelle de laisser les enquêteurs décider individuellement du moment où faire ces entrevues. Le manque d’uniformisation du processus d’entrevues des policiers-témoins n’est pas accidentel. Le directeur actuel a décidé, et je le cite, « de laisser les enquêteurs enquêter, les superviseurs superviser, et le chef enquêteur encadrer le tout ». Le directeur Cornish et le chef enquêteur ont avancé des justifications similaires à celles données par certains enquêteurs pour expliquer pourquoi le personnel d’enquête peut vouloir retarder les entrevues. L’UES a élaboré sur ce point, dans une présentation à notre bureau en octobre 2007 :
… à propos du choix du moment pour les entrevues des policiers-témoins, précisons que, selon les circonstances, certains enquêteurs de l’UES préfèrent ne pas interviewer certains policiers-témoins, ou tous les policiers-témoins, au début de l’enquête. Ceci peut découler de diverses raisons, mais généralement ces enquêteurs souhaitent se faire une meilleure idée de l’incident avant de parler aux policiers-témoins. Ils peuvent cerner la nature de l’incident en parlant à l’agent de liaison, en examinant le travail d’identification fait sur la scène et en parlant aux témoins civils qui ont pris part à certaines parties de l’incident ou qui les ont observées.
178 Cependant, le directeur et le chef enquêteur de l’UES acceptaient généralement la règle voulant que les entrevues se fassent au plus vite. Cette position quelque peu contradictoire a mené à des divergences surprenantes dans certains cas. Alors que le chef enquêteur a tout d’abord défendu la décision de retarder les entrevues avec les policiers-témoins pour obtenir au préalable les preuves d’autres sources, il a ensuite fermement défendu la nécessité de contraindre les policiers-témoins à coopérer aux entrevues « immédiatement ». Il a suggéré qu’avec des efforts de l’UES, les entrevues pourraient se faire dans les trois à quatre heures – à condition que l’UES dispose de meilleures ressources, que cette obligation soit réglementaire et que des sanctions soient prévues en cas de non-respect.
179 Le simple bon sens voudrait que les principes généralement suivis lors des entrevues dans les grandes causes criminelles s’appliquent aux enquêtes de l’UES. Que certains des intervenants du secteur de la surveillance le veuillent ou non, les enquêtes de l’UES sont clairement de nature criminelle. Les autres instances acceptent généralement le principe d’interviewer rapidement les policiers impliqués. Ainsi, le New York City Complaints Review Board exige que les policiers soient interviewés au plus vite et qu’ils soient interviewés de nouveau, le cas échéant, si de nouvelles preuves font jour ou si les preuves existantes sont réexaminées. Selon le surintendant en chef et commissaire adjoint des opérations criminelles de la Division E de la GRC en Colombie-Britannique, les enquêteurs internes interviewent généralement dans les 12 heures les agents de la GRC impliqués dans les incidents de tirs policiers, lors de leurs enquêtes criminelles. Le président de la Commission des plaintes du public contre la GRC a confirmé que plus une déposition est prise rapidement, plus elle a de poids et de crédibilité.
180 Aux États-Unis, le Police Assessment Resource Center, organisme à but non lucratif, est fortement partisan des entrevues immédiates avec les policiers impliqués dans des tirs et dans des incidents causant des blessures graves. Dans un rapport d’août 2003, cet organisme a déclaré :
Pour les policiers chevronnés, il ne fait aucun doute que les témoins devraient être interviewés au plus vite. En outre, les pratiques exemplaires exigent que les entrevues avec les policiers impliqués dans un tir ou dans un décès durant une garde à vue soient effectuées au plus tard quelques heures après l’incident. La contemporanéité des entrevues renforce l’intégrité du processus, en réduisant la probabilité de contamination délibérée de la version des faits donnée par les policiers (p. ex., en raison d’efforts pour « ajuster les récits des policiers ») ou de contamination accidentelle (p. ex., quand les souvenirs d’un policier sont subjectivement modifiés par ce qu’il entend dire)[55].
181 Le Centre rejette la suggestion de retarder les entrevues à cause de leur effet traumatique sur les policiers présents lors de l’incident et souligne que les policiers devraient être traités comme les témoins civils :
Les policiers devraient être traités de la même manière que les civils pareillement traumatisés, par exemple ceux qui ont été victimes d’un crime violent. En règle générale, les enquêteurs chargés d’un homicide interviewent au plus vite les civils impliqués dans un tir policier ou dans un décès durant une garde à vue, ou qui en ont été témoins – et ceci quel que soit leur état émotionnel. Dans bien des cas, ces civils sont emmenés de la scène de l’incident au poste de police et sont contraints d’y rester – souvent pendant des heures – en attendant que l’équipe chargée de l’homicide puisse complètement les interviewer.
Deuxièmement, il n’y a aucune preuve concrète que des entrevues faites avec les témoins dans les heures qui suivent un événement très stressant produisent obligatoirement des témoignages non fiables….
Le troisième problème qui découle des retards dans les entrevues, c’est qu’il renforce les possibilités de connivence entre les policiers ou de contamination accidentelle des souvenirs des témoins. Une fois que les policiers impliqués ont quitté la scène du crime, rien ne les empêche « d’accorder leur version des faits ». De plus, les souvenirs qu’ont les policiers de l’incident peuvent être déformés, subconsciemment ou autrement, par ce qu’ils lisent ou entendent au sujet de l’affaire durant la période d’attente[56].
182 Bien que l’UES ait souvent cité le stress résultant d’un traumatisme comme excuse pour ne pas interviewer immédiatement les policiers-témoins, elle applique clairement une norme différente aux entrevues des témoins civils :
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Le 1er juin 2004, une femme a été retenue prisonnière, sous la menace d’un pistolet, par son ami Filip Cancar. Puis elle a été poursuivie par lui, alors qu’il était toujours armé, au centre-ville de Toronto. Confronté par la police, cet homme a pointé son arme sur sa tempe et a tiré, vers 4 h du matin. De toute évidence, l’événement a été traumatique pour cette femme, mais rien n’a empêché l’UES de l’interviewer à 8 h 36 au poste de police, où elle était détenue après avoir passé toute la nuit éveillée, alors qu’elle avait été témoin de la mort violente de son ami. Mais ce n’est que le lendemain soir suivant que l’UES a interviewé les policiers-témoins présents lors de l’incident.
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Le personnel de l’UES nous a parlé d’un autre cas où la police avait tiré sur un homme qui les menaçait de son pistolet. Deux policiers et deux auxiliaires médicaux avaient été témoins de l’incident. Les auxiliaires médicaux sont restés sur les lieux et ont fait une déposition à l’UES, mais les policiers ont été autorisés à rentrer chez eux.
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Dans l’affaire de meurtres multiples avec suicide de Frank Greda à London, le 27 juin 2005 (page 38), la police a interviewé la petite survivante âgée de neuf ans le jour même de cet événement traumatique, alors qu’elle venait d’assister à l’attaque mortelle dont sa mère avait été victime. Mais l’UES n’a interviewé les policiers-témoins que le lendemain soir.
183 L’iniquité du traitement des témoins s’étend à la remise des notes d’entrevue. Conformément aux règlements, les policiers reçoivent un exemplaire de la déposition qu’ils ont faite à l’UES[57]. Mais généralement, l’UES ne fait pas preuve de la même courtoisie envers les témoins civils. Un exemplaire de leur déposition ne leur est communiqué que s’ils en font la demande et uniquement si « l’intégrité de l’enquête de l’UES ne s’en trouve pas menacée »[58].
184 Pour que l’UES conserve la confiance du public dans sa propre devise « Une seule loi », elle doit veiller à ce que son processus d’enquête s’aligne sur les pratiques exemplaires des enquêtes criminelles. Elle devrait donc traiter de la même manière les civils et les policiers. Les civils devraient obtenir une copie de leur déposition, tout comme les policiers-témoins, sous réserve de toute crainte légitime d’atteinte à l’intégrité de l’enquête.
185 Le fait que l’UES n’exige pas que ses enquêteurs procèdent sans retard aux entrevues des policiers-témoins témoigne d’un manque de rigueur regrettable de sa part. Je soupçonne que cette contradiction et cette indulgence contribuent à encourager la police à résister à l’UES et à lui manquer de respect. Un substitut du procureur général, doté d’une solide expérience dans la poursuite des causes de l’UES, a souligné que bien souvent la police obtient plus directement et plus efficacement des preuves auprès de ses membres que ne le fait l’UES, parce que la police « ne se laisse généralement pas manipuler… par de stupides raisons ou de stupides retards ».
186 Si l’occasion leur en est donnée, de nombreux policiers tenteront de retarder le moment où ils doivent se conformer aux demandes de l’UES, ou chercheront à y résister complètement. En effet, les policiers peuvent craindre d’être désignés policiers-sujets, ou de voir leur déposition utilisée contre eux lors de mesures disciplinaires. Leurs réactions peuvent aussi être attribuées à ce qu’un avocat de l’UES a appelé « le mur bleu du silence » lors d’une procédure judiciaire en 2007. Il a dit que le phénomène résulte :
« … de la convergence de certains aspects de la culture policière et de la pression uniformisante dans certains segments du milieu policier, qui empêche des policiers de coopérer ou d’être perçus comme coopérant à une enquête sur un collègue policier, de crainte d’être mis au ban par leur entourage »[59].
187 L’UES garantit aux policiers-témoins la confidentialité de leur déposition, s’engageant à ne pas divulguer leur témoignage, sauf si la loi l’exige. Mais il ne faut pas s’étonner que bon nombre de dirigeants de la police ne considèrent pas les demandes d’entrevues de l’UES comme urgentes, ou n’y répondent pas promptement. Nous avons appris que les enquêteurs de l’UES pouvaient mettre un temps considérable à désigner les policiers-témoins et les policiers-sujets. De plus, une fois qu’une demande d’entrevue a été faite, plusieurs excuses de retard sont régulièrement acceptées, bien que de nombreux enquêteurs de l’UES – de même que son chef enquêteur – nous aient dit qu’ils savaient que ces excuses pouvaient être de simples tactiques.
188 Par exemple, l’UES ne fait pas d’entrevue avec les policiers-témoins qui partent en congé pour stress professionnel à la suite d’un incident. Bien sûr, il peut arriver que les policiers soient trop traumatisés pour parler immédiatement aux enquêteurs de l’UES. Mais le fait qu’ils soient en incapacité de service actif ne veut pas dire forcément qu’ils sont dans l’incapacité de rencontrer l’UES. Nous avons aussi été informés que l’UES se plie aux horaires de travail par roulement d’équipes des policiers et que les entrevues des témoins sont parfois retardées de jusqu’à six jours, en attendant le retour d’un policier. On nous a expliqué que la situation résultait du fait que les services de police auraient à payer des heures supplémentaires si l’UES insistait pour interviewer des policiers en congé.
189 En outre, alors que dans certaines instances les policiers rencontrent régulièrement l’UES sans avocat, de grands retards sont souvent causés dans d’autres secteurs quand les avocats des associations de police essaient de faire cadrer leurs horaires avec les exigences de l’UES. Pourtant, les règlements donnent au directeur de l’UES l’autorité expresse d’exiger qu’un policier soit interviewé en l’absence d’un avocat si cela peut éviter un retard déraisonnable[60]. Le directeur Cornish a confirmé qu’il n’a jamais exercé ce pouvoir de surpassement, et qu’à sa connaissance il n’a jamais été exercé.
190 Nous avons constaté des retards considérables dans les entrevues de policiers-témoins dans un certain nombre de cas examinés par nous. En voici des exemples :
191 Le 4 novembre 2005, Jason Steacy, âgé de 20 ans, est mort sous les balles des policiers venus enquêter à la suite d’un appel disant qu’il avait poignardé un résident du parc de caravaning où lui-même vivait. Les policiers étaient entrés dans la caravane de M. Steacy et l’un d’eux avait tiré, croyant que la souris d’ordinateur que tenait M. Steacy dans la main était un pistolet.
192 Trois des 10 policiers de l’OPP présents sur la scène ont été désignés par l’UES dans les quatre heures qui ont suivi le tir policier. Les sept autres ont été désignés deux jours après. Mais ce n’est que six jours après l’incident que l’UES a commencé ses entrevues, qu’elle n’a terminées que 69 jours plus tard.
193 L’UES a reconnu que ces retards étaient inacceptables. Le 15 mai 2006, l’avocat de l’UES a envoyé un courriel au directeur pour lui faire part de ses inquiétudes. En décembre 2006, il a de nouveau soulevé la question dans un courriel :
… apparemment, aucun des policiers-témoins n’a été interviewé en temps opportun… À mon avis, le retard pourrait avoir compromis l’intégrité de leurs souvenirs de l’incident, surtout dans le cas [du policier-témoin du tir] qui a admis avoir écouté l’enregistrement des communications de l’incident pour rédiger ses notes.
194 Les facteurs de retard dans l’entrevue du principal policier-témoin comprenaient le fait qu’il était parti en congé de maladie, de même que la réticence de son avocat à ce qu’il accepte une entrevue. Une note consignée dans le carnet de l’enquêteur principal résume le problème en ces termes : « Ai parlé [au chef enquêteur]. Il ne peut rien faire pour accélérer les entrevues. La Loi [sur les services policiers] n’a aucun mordant. »
195 Nous avons découvert des problèmes similaires dans d’autres cas cités précédemment dans ce rapport :
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James Maltar (page 38) : Il a fallu plus d’une semaine à l’UES pour interviewer les policiers-témoins et les témoins civils. Par la suite, un policier-sujet a été redésigné et interviewé six mois plus tard.
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Jeffrey Reodica (page 39) : L’UES a interviewé trois des policiers-témoins dans les heures qui ont suivi le tir, mais le principal policier-témoin n’a été interviewé que deux jours plus tard. Les policiers-témoins et les policiers-sujets se trouvaient à l’hôpital où l’adolescent avait été hospitalisé, et l’enquêteur de l’UES était présent lui aussi. Mais les policiers sont rentrés chez eux sans que l’UES ne cherche à leur parler.
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Duane Christian (page 40) : La principale policière-témoin n’a été interviewée que six jours après l’incident. Les six autres policiers-témoins ont été interviewés de 17 à 24 jours après l’incident.
196 De nombreux enquêteurs de l’UES nous ont dit leurs frustrations quant à l’impuissance apparente de l’UES face à la résistance de la police. Au lieu de tenter d’escalader le « mur bleu », l’UES s’est adaptée à lui pour chercher à le contourner. Certains enquêteurs nous ont avoué qu’ils avaient tout simplement renoncé à exiger le respect du délai de 24 heures pour les entrevues. Chose remarquable, le chef enquêteur de l'UES partage cette attitude défaitiste, considérant que la Loi sur les services policiers et ses règlements sont « faibles, très faibles ».
197 Certes, la Loi et ses règlements présentent certaines faiblesses, mais le problème semble résulter au moins en partie de la complaisance de l’UES. L'Unité est trop prête à accepter les excuses de retard et à croire à sa propre image d’impuissance. Le directeur Cornish a reconnu qu’il ignorait combien d’entrevues de policiers ne se faisaient pas dans les 24 heures prescrites
198 En 2006, une analyse de 28 incidents impliquant le Service de police de Toronto (voir page 27) effectuée par l’UES indique que les retards des entrevues avec les policiers étaient encore pires que les retards de notification à l’UES. Seuls quelques rares cas étaient proches de la norme pour les entrevues. Les policiers-témoins n’avaient été interrogés le jour même de l’incident que dans un seul de tous ces incidents. Dans quatre des incidents, les entrevues avaient eu lieu dans les trois jours. Cependant, la majorité des incidents s’accompagnaient de retards d’entrevues qui se chiffraient non pas en jours, mais en semaines et même en mois. Dans six cas, les entrevues des policiers-témoins ne s’étaient terminées que plus d’un mois après l’incident. Et dans deux cas, les entrevues n’avaient commencé qu’un mois après l’incident, pour s’achever deux mois plus tard. Deux policiers-témoins présents lors d’un incident le 15 novembre 2006 n’avaient été interviewés que le 24 février 2007. Dans un cas, l’UES avait attendu quatre mois pour interviewer un policier-témoin, et dans un autre, les entrevues avec les six policiers-témoins n’avaient commencé que cinq mois après l’incident et ne s’étaient achevées que six mois plus tard.
199 À la suite de l’examen de ces cas, l’UES a discuté la situation avec le chef du Service de police de Toronto, Bill Blair, et avec l’agent de liaison de l’UES. Les deux organismes se sont engagés à redoubler d’efforts pour que les policiers-témoins soient interviewés plus rapidement. La Toronto Police Association a également reconnu cette tendance et a indiqué qu’elle cherchait à inscrire d’autres avocats à sa liste pour ne pas retarder les entrevues des policiers-témoins. L’UES a également avisé son personnel des engagements qu’elle avait pris à propos de l’échéancier des entrevues, par communications internes, en novembre 2006 et avril 2007. En avril 2007, l’UES a par ailleurs souligné l’importance de désigner au plus vite les policiers-témoins et les policiers-sujets. (Le chef enquêteur de l’UES nous a dit que, après cette discussion, le premier cas de retard dans l’entrevue d’un policier-témoin de Toronto avait résulté du conflit d’échéancier de l’enquêteur de l’UES, et non pas d’une résistance de la police.)
200 Le schéma des retards découvert par l’UES lors de son examen des incidents impliquant le Service de police de Toronto montre les répercussions de son grand manque de rigueur à veiller au respect des exigences réglementaires. Alors pourquoi la police respecterait-elle ces exigences quand elles sont régulièrement ignorées par l’UES? Il semble incroyable que la situation ait pu s’envenimer à ce point durant toute une année avant d’être découverte, analysée et signalée au corps de police en question. Les membres du personnel d’enquête de l’UES que nous avons interviewés ont cité le manque de fermeté de l’UES quant au respect des exigences réglementaires comme l’une de leurs sources de mécontentement fréquentes.
201 Certes, de plus fortes incitations de réglementation pourraient aider l’UES à mieux obtenir la coopération de la police, mais je crois que l’UES peut faire beaucoup pour améliorer la situation, même en l’absence de modifications de loi. Le premier pas à faire pour elle est de modifier sa culture interne. L’UES doit acquérir plus de confiance dans son autorité. Au départ, on devrait présumer qu’il appartient au corps de police et aux policiers de justifier la pertinence des retards. L’UES devrait systématiquement insister pour procéder aux entrevues immédiatement et elle devrait régulièrement exiger les raisons de tout retard. Les entrevues avec les policiers ne devraient avoir lieu après les 24 heures suivant l’incident que dans de très rares circonstances – par exemple, en cas d’incapacité médicale documentée. La direction de l’UES devrait expressément approuver tout retard dans les entrevues. Au besoin, le directeur devrait faire valoir son autorité et exiger que les policiers-témoins soient interviewés sans avocat, si la non-disponibilité d’un avocat risque de causer un retard déraisonnable. L’UES devrait systématiquement contester les retards, consigner les raisons avancées pour les justifier et donner suite aux cas où les retards paraissent injustifiés.
202 L’UES doit aussi rejeter la notion sacro-sainte qu’il ne faut pas interviewer les policiers qui ne sont pas en service ou les policiers qui sont en congé pour stress professionnel – à moins que des preuves suffisantes ne confirment que la santé du policier en question pourrait s’en trouver menacée. Selon les circonstances, l’UES devrait se rendre au domicile des policiers, dans les hôpitaux ou dans tout autre lieu pour procéder aux entrevues sans retard. Le fait que les policiers risquent d’être en heures supplémentaires ne devrait jamais justifier un retard d’entrevues. Si l’UES ne dispose pas des ressources suffisantes pour faire toutes les entrevues requises, elle devrait demander officiellement un complément de ressources au Ministère.
203 Par conséquent, pour renforcer la rapidité et l’intégrité du processus suivi par l’UES pour interviewer les témoins, je fais les recommandations suivantes :
L’Unité des enquêtes spéciales devrait exiger que son personnel recherche systématiquement les manquements de la police à respecter promptement et complètement les exigences législatives et réglementaires sur la notification des incidents relevant de son mandat, qu’il en consigne les raisons et qu’il en avise la direction. (Recommandation 1)
L’Unité des enquêtes spéciales devrait exiger, en tant que norme, que les policiers-témoins soient interviewés immédiatement après une requête d’entrevue. Des retards d’entrevues au-delà des 24 heures ne devraient être permis que dans des circonstances extrêmes, par exemple en cas d’incapacité médicale corroborée et documentée. Les retards d’entrevues devraient être autorisés par un superviseur ou par un supérieur. (Recommandation 13)
Les entrevues avec les policiers-témoins devraient avoir lieu, qu’un policier soit en service ou non. Les enquêteurs de l’Unité des enquêtes spéciales devraient se rendre au domicile des policiers, dans les hôpitaux ou dans tout autre lieu pour faire les entrevues sans retard. (Recommandation 14)
L’Unité des enquêtes spéciales ne devrait pas retarder les entrevues des policiers-témoins qui sont en congé de maladie, à moins d’avoir obtenu la preuve satisfaisante que leur santé pourrait s’en trouver menacée. (Recommandation 15)
Le directeur de l’Unité des enquêtes spéciales devrait exercer son pouvoir de révoquer le droit d’un policier à être représenté juridiquement lors d’une une entrevue si cette entrevue risque de s’en trouver déraisonnablement retardée au-delà des 24 heures. (Recommandation 16)
L’Unité des enquêtes spéciales devrait montrer aux témoins civils la même courtoisie qu’aux policiers-témoins et leur remettre une copie de leur déposition, sous réserve de toute crainte légitime que l’intégrité de l’enquête n’en souffre. (Recommandation 18)
204 Conformément aux règlements de la Loi sur les services policiers, les policiers impliqués dans un incident doivent être séparés les uns des autres. C’est là une procédure standard d’enquête qui contribue à garantir que leurs témoignages et leurs notes écrites – qui doivent être recueillis rapidement – ne sont pas influencés par des facteurs externes. Les ordres opérationnels de l’UES stipulent que, si les témoins n’ont pas été séparés, l’enquêteur doit retracer chacune de leurs actions et doit déterminer s’ils ont parlé à quelqu’un de l’incident avant leur entrevue. En voici un extrait :
L’OBJET EST DE PROTÉGER LE TÉMOIN DE TOUTE ALLÉGATION SUBSÉQUENTE QUE SON TÉMOIGNAGE A ÉTÉ ALTÉRÉ PAR L’EXPOSITION À DE TIERCES PARTIES[61].
205 La plupart des enquêteurs auxquels nous avons parlé nous ont déclaré que les policiers étaient généralement isolés les uns des autres. Mais le problème, comme nous l’a indiqué l’un des enquêteurs, est qu’il n’existe aucune garantie que les policiers disent la vérité quand on leur demande s’ils se sont parlé. Étant donné que les policiers-témoins sont généralement autorisés à quitter les lieux, et ne sont bien souvent pas interviewés par l’UES avant plusieurs jours, les possibilités d’altération de leur témoignage s’en trouvent considérablement accrues.
206 L’UES enjoint à ses enquêteurs de s’assurer que les policiers impliqués dans un incident sont séparés et de noter les circonstances de leur isolement[62]. Mais l’UES devrait exiger davantage encore : elle devrait veiller à ce que les enquêteurs notent systématiquement, et de manière détaillée, qui a été isolé, comment, pendant combien de temps, et indiquent si les policiers-témoins ont discuté l’incident avec toute personne autre que leur avocat, et si oui consignent la teneur de leurs discussions.
207 Plusieurs enquêteurs de l’UES nous ont dit que les policiers rédigent régulièrement leurs notes après avoir consulté leur avocat. Un autre point, sur lequel M. Adams avait déjà attiré l’attention, reste problématique : il arrive qu’un même avocat représente tous les policiers impliqués dans un incident – et parfois non seulement les policiers-témoins mais aussi les policiers-sujets. Les associations de police procèdent ainsi afin de réduire les coûts, mais comme l’a noté M. Adams, « cette attention louable ne devrait pas nuire au devoir d’isoler les policiers, imposé par la loi[63] ». Cette pratique soulève des questions d’éthique, surtout en ce qui concerne l’obligation des policiers de ne pas communiquer avec d’autres policiers impliqués dans un incident tant que l’UES n’a pas fait toutes les entrevues. Je reconnais qu’une représentation juridique peut être coûteuse pour les associations de police, et pour les services qui se sont engagés à prendre en charge les frais juridiques de leurs membres, mais je crois qu’il faut s’efforcer au maximum de préserver l’intégrité du processus d’enquête. Pour cela, il faut éviter toute possibilité que les renseignements des témoins soient altérés ou modifiés, intentionnellement ou non. Il devrait aussi être interdit à un même avocat de représenter plusieurs policiers impliqués dans un incident.
208 L’UES a rappelé à ses enquêteurs de détailler complètement les circonstances dans lesquelles les policiers-témoins ont rédigé leurs notes afin de s’assurer qu’il n’y a pas eu d’influence irrégulière[64]. Mais nous avons appris qu’il n’est pas inhabituel pour les policiers de ne remettre leurs notes que plusieurs jours après la requête, et bien souvent pas avant qu’ils ne viennent à leur entrevue. Dans certains cas, les notes ont été incorrectement rédigées. Le 23 août 2005, un rapport du directeur a souligné que des déclarations révisées avaient été remises par des policiers, alors que les versions originales sont exigées. L’UES a averti ses enquêteurs à propos de cette pratique en juin 2006, après avoir appris qu’une policière avait éliminé des notes remises à l’UES plusieurs commentaires pertinents faits par un policier-sujet[65]. L’UES devrait s’informer du mode de préparation des notes des policiers et noter ces renseignements, indiquant par exemple quand et comment elles ont été préparées, si des aides à la préparation ont été utilisés, si les policiers ont discuté les faits de l’incident, si les notes ont été modifiées, et si oui pourquoi.
209 En septembre 2004, l’UES a identifié un cas où les preuves semblaient indiquer que les policiers présents sur la scène d’une collision avaient enfreint les règlements car ils avaient discuté ce qu’ils allaient dire à propos du gyrophare de l’auto-patrouille. Dans un autre cas, l’UES avait signalé qu’un policier avait écouté l’enregistrement des communications de l’incident afin de pouvoir mieux reconstituer ses notes. L’UES a dû avertir à plusieurs reprises des corps de police à propos de la pratique de « débreffage » régulièrement utilisée par eux après les incidents. Dans le contexte d’une enquête de l’UES, tout ceci représente un manquement à l’obligation d’isoler les témoins et de leur interdire de communiquer tant que l’UES n’a pas achevé ses entrevues.
210 Les enquêtes de l’UES peuvent être compromises par un autre facteur, à savoir par la présence des policiers aux autopsies. Dans sa présentation au Comité permanent de la justice, en novembre 2006, le Comité des ressources du directeur a déclaré que, pour éviter les fuites potentielles de renseignements confidentiels, les enquêteurs de l’UES devraient officiellement pouvoir assister le coroner, évitant ainsi la présence de la police aux post-mortems. Notre enquête a conclu que, bien que ce problème ressurgisse de temps à autre, l’UES et le Bureau du coroner se sont entendus pour réduire les conflits de cette nature.
211 Soulignons qu’en s’assurant avec fermeté que les entrevues se déroulent sans retard, et que toutes les circonstances de l’isolement et de la rédaction des notes des témoins sont bien documentées, l’UES renforcerait considérablement la crédibilité de ses enquêtes et des éléments de preuves obtenus auprès des policiers-témoins. L’UES devrait régulièrement demander les raisons de tout retard dans la divulgation des notes, consigner et contester ces raisons pour promouvoir un meilleur respect des exigences. L’UES ne devrait aucunement accepter une conduite non-conforme aux obligations stipulées par la loi, sauf dans des circonstances exceptionnelles et clairement justifiables.
212 Pour renforcer l’intégrité et la rigueur du processus d’enquête de l’UES, je fais les recommandations suivantes :
L’Unité des enquêtes spéciales devrait exiger que son personnel recherche systématiquement les manquements de la police à respecter promptement et complètement les exigences législatives et réglementaires sur la notification des incidents relevant de son mandat, qu’il en consigne les raisons et qu’il en avise la direction. (Recommandation 1)
L’Unité des enquêtes spéciales devrait s’assurer que son personnel d’enquête s’enquiert des circonstances pertinentes de l’isolement des policiers-témoins et de leur prise de notes, et qu’il consigne les faits. (Recommandation 2)
Il devrait être légalement interdit à un même avocat de représenter des policiers impliqués dans un même incident qui fait l’objet d’une enquête de l’Unité des enquêtes spéciales, afin de maintenir l’intégrité des enquêtes de l’Unité. (Recommandation 42)
213 Bien que les policiers-sujets ne soient pas tenus de parler à l’UES, beaucoup acceptent d’être interviewés. Bien évidemment, plus les entrevues sont faites promptement, et plus le potentiel est grand d’obtenir une version exacte des faits. Malheureusement, l’UES ne souligne pas combien il est important de demander au plus vite aux policiers-sujets s’ils acceptent de témoigner. Ceci n’a rien de surprenant, vu ses pratiques en ce qui concerne les policiers-témoins.
214 Dans l’affaire Duane Christian (page 40), le policier-sujet n’a jamais été interviewé, alors qu’il était prêt à coopérer avec l’UES. L’UES nous a fait savoir que c’était tout à fait inhabituel et que cette omission s’était produite à une époque où un directeur adjoint était à la tête de l’Unité, pendant une brève absence du directeur Cornish. Le cas était peut-être une anomalie, mais il a laissé une très mauvaise impression à la famille du jeune homme – et sans aucun doute aux dirigeants de la police concernés.
215 Même si elle reconnaît que les policiers-sujets sont en droit de refuser une entrevue, l’UES devrait s’assurer que les enquêteurs leur demandent immédiatement s’ils sont disposés à en faire une. Si les policiers-sujets répondent affirmativement, l’entrevue devrait avoir lieu immédiatement ou au plus vite. Fait troublant, un enquêteur « selon les besoins » à qui nous avons parlé nous a dit que, à son avis, il était inapproprié de parler aux policiers-sujets au début de l’enquête, même si un policier-sujet proposait de le faire. Cet enquêteur s’est souvenu d’avoir dit ceci à un policier sur la scène d’un incident : « Non, non, non. Il ne faut pas me parler. Retournez à votre véhicule. » Bien au contraire, rien n’interdit à l’UES de demander immédiatement une entrevue aux policiers-sujets. En le faisant, les enquêteurs pourraient aussi observer l’état d’esprit et l’état physique des policiers-sujets et de leur demander toute preuve physique en leur possession.
216 Par conséquent, pour garantir que les possibilités d’entrevue avec les policiers-sujets sont vigoureusement poursuivies, je fais la recommandation suivante :
L’Unité des enquêtes spéciales devrait exiger que ses enquêteurs communiquent immédiatement avec les policiers-sujets et déterminent s’ils sont disposés à faire une entrevue. Les entrevues avec les policiers-sujets devraient avoir lieu au plus vite. (Recommandation 17)
217 Avant d’en finir avec la question des entrevues, il est bon de discuter d’un anachronisme de loi qui continue de nuire à la rigueur des enquêtes de l’UES. Contrairement aux membres civils des corps de police municipaux, les membres civils de la Police provinciale de l’Ontario ne sont pas considérés comme des « membres » de la police en vertu des définitions de la Loi sur les services policiers, ce qui les exempte de l’obligation de coopérer aux enquêtes de l’UES.
218 M. Adams a révélé l’existence de cette anomalie dès 1998[66]. Dans son « plan d’action » de 2005, l’UES a demandé une modification de loi pour l’éliminer. De plus, le Comité des ressources du directeur a inclus une proposition à cet effet dans sa présentation au Comité permanent de l’Assemblée législative, en novembre 2006, alors que celui-ci étudiait la Loi sur l’examen indépendant de la police. Le Ministère n’a peut-être pas d’objection sérieuse à cette modification, mais jusqu’à présent il n’a pris aucune mesure pour remédier au problème[67].
219 Dans sa présentation écrite à notre Bureau, l’UES a indiqué que la question « est plus que simplement théorique ». Elle a donné l’exemple d’un cas à Trenton où elle n’avait pas pu obtenir la coopération de civils qui avaient probablement des preuves sur la manière dont une blessure avait été causée. Le directeur Cornish a attiré l’attention du procureur général sur la question dans ses rapports, tout comme il l’a signalée aux commissaires successifs de l’OPP. De plus, il a essayé d’obtenir la coopération de l’Ontario Provincial Police Association. De toute évidence, rien ne justifie cette lacune dans la loi. Il y va de l’intérêt public que tous les membres des corps de police de l’Ontario, qu’ils soient policiers ou civils, coopèrent avec l’UES. La solution à ce problème est une question de loi, et ne relève pas de l’UES, mais bien du gouvernement.
220 Par conséquent, je fais la recommandation suivante :
Les membres civils de la Police provinciale de l’Ontario devraient être tenus de coopérer aux enquêtes de l’Unité des enquêtes spéciales. (Recommandation 43)
221 Durant notre enquête, les enquêteurs et les gestionnaires de l’UES nous ont souvent dit combien ils étaient frustrés de ne pas pouvoir contraindre la police à coopérer. À de nombreuses reprises, nous avons entendu les membres de l’UES, comme les membres du public, nous dire que fondamentalement l’UES n’a « pas de mordant ». Ces remarques vont dans le sens des commentaires que les propres enquêteurs de l’UES ont faits lors de la réunion annuelle de cet organisme en septembre 2004.
222 Vu le grand nombre de cas de l’UES où la question de la coopération de la police continue de surgir, l’absence d’une méthode efficace pour contrer la résistance de la police s’avère particulièrement troublante. Selon une étude de plus de 1 000 incidents où la police avait eu recours à la force, et sur lesquels l’UES a enquêté du 1er janvier 2000 au 6 juin 2006, environ 10 % avaient donné lieu à un manque de coopération de la police[68].
223 Le rapport Adams de 1998 avait recommandé que, pour garantir le respect des exigences réglementaires, le statut officiel de « plaignant » soit accordé officiellement à l’UES dans le cadre du processus de plaintes du public[69]. L’UES a appuyé cette mesure dans son « plan d’action » de 2005. Bien qu’une note d’information du Ministère ait reconnu ensuite qu’un amendement visant à clarifier le droit de l’UES à recourir au processus de plainte ne provoquerait pas la controverse, le gouvernement n’y a jamais donné suite[70]. Alors que la Loi de 2006 sur l’examen indépendant de la police était à l’étude, le Comité des ressources du directeur a proposé une modification de loi pour donner expressément le statut de plaignant à l’UES, mais cette proposition a été rejetée. L’African Canadian Legal Clinic est allée plus loin lors de ses présentations à l’enquête d’Ipperwash en août 2006, disant que l’UES devrait avoir le pouvoir de déposer des accusations d’inconduite contre les policiers qui ne coopèrent pas, dans le cadre du processus disciplinaire de la police.
224 Dans sa présentation écrite à notre Bureau, l’UES a adopté une position quelque peu ambiguë sur la question. Elle a fait savoir que, dans son rapport de 2003, M. Adams avait recommandé de résoudre les difficultés par le dialogue et que ses méthodes actuelles reflètent cette approche. L’UES a déclaré qu’elle préférait suivre des méthodes conciliatoires de règlement des conflits, plutôt qu’un processus formel « essentiellement litigieux » et « imprévisible ». Mais elle a reconnu que le statut de plaignant dans le cadre du système de plaintes du public lui serait bénéfique : « Certes, les plaintes devraient être une option de dernier recours, mais la recommandation de M. Adams reste toute aussi pertinente de nos jours que lorsqu’il l’a faite. »
225 L’UES a fait part d’inquiétudes très précises aux différents corps de police et au commissaire de l’OPP sur la conduite de certains policiers et sur certaines pratiques policières. Elle a notamment signalé le manquement à informer l’UES d’un incident et à protéger une scène; la divulgation répréhensible de renseignements d’autopsie et la présence de policiers lors des post-mortems; la communication de renseignements erronés ou trompeurs; les communications irrégulières entre policiers et témoins; les fuites aux médias – et même l’obstruction lors d’une enquête de l’UES. Le chef enquêteur et le directeur ont rencontré les dirigeants de la police à ce sujet et ont même exprimé par écrit leurs inquiétudes à certaines occasions. Dans sa présentation écrite à notre bureau, l’UES a défendu cette approche informelle et a indiqué que, quand elle avait adopté une position plus formelle, « le processus s’était soldé par des résultats discutables ».
226 L’une des plaintes déposées à mon Bureau est que l’UES ne fait pas un suivi adéquat des services de police qui négligent régulièrement de l’aviser des incidents en temps opportun. L’UES a répondu que, lorsque des retards de notification sont portés à l’attention du directeur, celui-ci demande généralement au chef enquêteur de s’en enquérir. Au besoin, le directeur soulève directement la question auprès des cadres supérieurs de la police. Fait remarquable : ce n’est qu’à la suite de mon enquête que, pour tenter de donner la preuve de cette pratique, l’UES a demandé au chef enquêteur de tenir un relevé écrit de ces discussions avec les dirigeants de la police.
227 Grâce aux efforts informels de l’UES, la police s’engage souvent à prendre des mesures d’action correctrices et dans certains cas les corps de police avisent le directeur Cornish des résultats de leurs enquêtes internes et des mesures disciplinaires résultantes. Ainsi, dans le cas d’un policier qui avait retardé une notification d’incident, le fait avait été consigné dans son dossier personnel. Dans un autre cas, un policier avait été puni pour avoir avisé l’UES avec retard et pour ne pas avoir isolé les témoins. En février 2007, le directeur Cornish a déterminé qu’un policier avait délibérément trompé l’UES en omettant de mentionner l’utilisation d’un Taser lors d’un incident. Le corps de police a informé l’UES que ce policier avait été réaffecté et que des accusations avaient été portées contre lui en vertu de la Loi sur les services policiers.
228 Malheureusement, l’UES n’est pas toujours informée de la réponse donnée à ses préoccupations. Elle ne dispose d’aucun moyen formel de vérifier si des mesures disciplinaires ont été prises, et les résultats des enquêtes et des audiences policières internes ne sont généralement pas rendus publics. Dans sa présentation écrite à notre Bureau, l’UES a appuyé l’idée que les services de police devraient rendre publics leurs rapports, comme M. Adams l’avait proposé dans son rapport de 2003 – ou au moins qu’ils communiquent leurs rapports à l’UES et au nouveau directeur de l’Examen indépendant de la police.
229 Dans les cas de blessures graves et de décès de civils, l’intérêt du public quant à l’inconduite de la police ne consiste pas simplement à savoir si des accusations criminelles devraient être portées ou non contre la police. Les règlements prévoient la divulgation des résultats des enquêtes policières internes, qui découlent des enquêtes de l’UES[71]. Il est parfaitement censé que les résultats des enquêtes administratives connexes aux enquêtes de l’UES soient rendus publics. Ceci présenterait un double avantage : d’une part donner à l’UES des renseignements qui pourraient fort bien être utiles à la tenue de ses enquêtes et, d’autre part, favoriser la transparence du processus de surveillance policière.
230 Par conséquent, je fais la recommandation suivante :
Les rapports d’enquêtes internes de la police connexes aux enquêtes de l’Unité des enquêtes spéciales, et toute mesure d’action qui en résulte, devraient être rendus publics. (Recommandation 44)
231 L’UES nie l’existence de tout problème systémique actuel quant à la collaboration de la police, mais cette absence s’explique peut-être en partie du fait que sa capacité technologique restreinte l’empêche de se faire une idée précise de la vue d’ensemble. L’UES n’a pas vraiment connaissance du nombre de retards de notifications ou d’entrevues, pas plus qu’elle n’a vraiment le sens des raisons données en cas de non-respect des exigences.
232 À diverses occasions, les membres de la communauté qui siègent au Comité des ressources du directeur ont demandé que l’UES garde trace des retards de notifications et surveille les services de police pour s’assurer qu’ils se conforment à leur devoir de coopérer. Contrairement à la plupart des corps de police qu’elle surveille, l’UES ne dispose pas d’un système informatisé de gestion des cas, ce qui rend presque impossible toute surveillance et toute analyse systémiques. Cette technologie désuète de l’UES nuit aussi à sa capacité d’enquête. L’UES ne dispose d’aucun moyen aisé de faire des recoupements entre les différents cas pour déterminer si certains policiers ou certains services de police ont des types de conduite qui peuvent s’avérer pertinents lors d’une enquête.
233 Il y a quelques années, l’UES a tenté d’utiliser le logiciel Powercase dont se servent la police et d’autres organismes d’enquête, mais elle a renoncé car le système était trop exigeant en ressources. L’UES dépend des serveurs du gouvernement, ce qui contribue aussi à limiter sa souplesse technique.
234 Lorsque l’UES compile des renseignements statistiques, elle doit le faire manuellement. Notre examen des formulaires d’enregistrement des incidents de l’UES a révélé que, dans bien des cas, des données comme la date de l’incident manquaient, compliquant encore davantage cette tâche.
235 L’UES a étudié la question d’un nouveau système de gestion des cas l’an dernier. Il est maintenant impératif de donner à l’UES l’appui technique nécessaire pour qu’elle s’acquitte avec compétence de son mandat.
236 Par conséquent, je fais la recommandation suivante :
Le ministère du Procureur général devrait s’assurer que l’Unité des enquêtes spéciales dispose d’une technologie informatique adéquate pour surveiller les tendances et faire des références croisées de cas, afin d’accentuer l’efficacité des enquêtes de l’Unité. (Recommandation 26)
237 Le mantra de consensus, coopération et conciliation de l’UES est fermement enraciné dans la culture de gestion de l’Unité. Cette approche est parfois fructueuse dans les conflits avec la police. En voici un exemple : dans un rapport du 23 avril 2007, le directeur Cornish a signalé qu’un corps de police avait incorrectement refusé de communiquer à l’UES des données de GPS pour une auto-patrouille impliquée dans un incident, car la police considérait que les données n’étaient pas fiables. La police a finalement accepté de communiquer ce type de preuve, quelle que soit son opinion quant à sa fiabilité. Cependant, nous avons découvert que l’UES s’impose des limites dans l’exercice de son autorité. Plus un service de police se montre agressif, et plus il est probable que l’UES batte en retraite.
238 Quand les efforts de diplomatie de l’UES échouent, celle-ci a tendance à s’en remettre à l’adage disant que dans certains cas il faut tout simplement « être d’accord pour ne pas être d’accord ». Cette attitude a mené à un manque d’uniformité quant à la qualité de la surveillance exercée sur la police dans la province. Nous avons été avisés que certains services de police permettent régulièrement à l’UES de consulter leurs dossiers personnels et professionnels, tandis que d’autres résistent. De nombreux services de police refusent de donner des photos de policiers à l’UES, à des fins d’identification, argumentant que ces photos font partie des « dossiers des employés ». Nous avons pris connaissance d’un cas où un corps de police avait refusé de donner des renseignements notés dans un rapport de conduite d’un policier. L’UES avait dû obtenir un mandat de perquisition et avait finalement découvert que ce policier avait été accusé auparavant à trois reprises d’agression sexuelle envers des personnes détenues. Le directeur Cornish nous a dit qu’il était rare que l’UES obtienne l’accès aux dossiers disciplinaires des policiers et il a déclaré que demander à consulter ces documents revenait à « tirer dans le brouillard ».
239 Dans son rapport de février 2003, M. Adams avait souligné que certains corps de police se faisaient une opinion trop technique des documents à remettre à l’UES. Dans son rapport annuel 2002-2003, l’UES a indiqué que l’interprétation donnée aux expressions « notes », « écritures passées dans le carnet de notes » et « rapports » des policiers-sujets – éléments qui sont tous protégés d’une divulgation à l’UES – faisait l’objet de débats continus. Malheureusement, l’incertitude sur ce point reste forte. On nous a fait savoir que certains dirigeants de la police tentaient d’échapper à l’obligation de divulguer les preuves en argumentant que ces preuves font partie des notes des policiers-sujets. L’avocat de l’UES nous a dit que, d’après l’Unité, les renseignements connexes aux policiers-sujets provenant de sources comme les terminaux mobiles de données, les courriels, les messages-textes et même les images des caméras et des vidéos de bord, devraient être remis à l’UES à sa demande, mais que tous les dirigeants de la police ne partageaient pas cette opinion.
240 En juillet 2005, le directeur Cornish a tenté d’obtenir la divulgation de la déposition d’un témoin principal à propos de l’intervention des policiers lors d’une querelle de ménage à Thunder Bay, d’où un homme était sorti avec un poumon collabé. La déposition du témoin était incluse au carnet de notes d’un policier-sujet, mais le chef de police avait refusé de la communiquer, disant que la divulgation des « notes » d’un policier-sujet était interdite par les règlements. La commission locale des services de police a appuyé cette position. Dans son rapport du 12 juillet 2005, le directeur Cornish a déclaré que cette position du service de police l’avait « frustré », car il considérait qu’elle avait « le potentiel de nuire à la surveillance civile de la police ». Il a aussi tiré des conclusions négatives quant à la conduite des autres policiers présents sur la scène de l’incident, qui avaient négligé de prendre des notes. Voici ce que le directeur Cornish a noté :
Objectivement parlant, un observateur pourrait raisonnablement conclure que les policiers ont délibérément omis de prendre des notes, afin de ne pas avoir à en donner à l’UES. Les policiers pourraient rétorquer qu’ils ne savaient pas que le cas relevait de l’UES tant qu’ils n’avaient pas pris connaissance des blessures [de la personne blessée] un jour ou deux plus tard. Pourtant, la conclusion suivante peut être faite, à juste titre. Ces policiers étaient tenus de prendre des notes, et seuls les policiers-sujets l’ont fait, alors que la déposition du plaignant civil sur l’incident a été enfouie dans l’un de leurs carnets de notes. Le fait que cette déposition soit consignée là ne change rien à son caractère, mais [le Service de police de Thunder Bay] a appuyé la position des policiers-sujets… et à mon avis, le chef n’a pas coopéré avec l’UES…
Selon moi, la situation ne peut pas continuer. Si elle se reproduit, il se pourrait fort bien que des poursuites s’imposent car une telle réaction à une enquête enfreint la loi et va à l’encontre de la notion d’une surveillance civile de la police.
241 Bien que le directeur Cornish ait indiqué dans son rapport qu’il envisageait vraiment de porter plainte dans le cadre du système de plaintes du public à propos de la conduite de ce service de police, il a finalement choisi de ne pas le faire. La question reste irrésolue, bien loin des regards du public.
242 Avoir connaissance des politiques et des ordonnances générales de police est fort utile à l’UES, car elles peuvent contribuer à expliquer la conduite des policiers lors d’un incident. L’UES demande régulièrement à obtenir ces documents durant ses enquêtes. Il est tout à fait courant pour les services de police de donner un exemplaire de leurs politiques à l’UES, et en fait, l’OPP fait régulièrement parvenir à l’Unité la toute dernière version de ses politiques sur disque électronique.
243 Mais le Service de la police régionale de York maintient depuis longtemps que ses politiques et procédures sont confidentielles par intérêt public, et affirme que les divulguer à l’UES pourrait nuire à la sécurité des policiers et à l’efficacité de ses techniques d’enquête. En 2006, l’UES a tenté des efforts concertés, mais finalement infructueux, pour régler le problème. Le service a refusé de communiquer les renseignements demandés et le directeur Cornish a décidé de ne pas faire pression à ce sujet lors d’un tir accidentel, préférant fermer le dossier sans les preuves requises. Notons toutefois qu’à la suite des discussions qu’il a eues avec Armand La Barge, chef de la police de York, il croit que ce corps de police sera plus ouvert aux requêtes de l’UES à l’avenir.
244 Le 31 juillet 2006, le chef de police a écrit au directeur Cornish, lui présentant une ébauche de directives relativement aux demandes de divulgation des politiques et des procédures de la police. Le chef de police a expliqué que la coopération du service de police dépendrait de plusieurs facteurs. Les demandes de l’UES devraient être spécifiques, pertinentes, et au besoin expliquées par un superviseur ou par le chef enquêteur de l’UES. L’UES devrait garantir la confidentialité des renseignements et discuter d’autres options de divulgation si le chef de police considérait que la sécurité des policiers était en jeu. Le 11 septembre 2006, le directeur Cornish a écrit au chef de police lui disant qu’il était heureux que les deux organismes soient parvenus à s’entendre sur la question.
245 Le bien-fondé d’un tel protocole d’entente conclu par un organisme indépendant d’enquête comme l’UES est fort douteux. Nous avons été informés durant notre enquête que l’UES continue de livrer « bataille » au Service de la police régionale de York à propos de l’accès à ses politiques. La question a été étudiée avec le chef La Barge, de même qu’avec les responsables de l’UES, mais elle restait non résolue à notre connaissance. Cependant, dans la réponse qu’elle a adressée à mon rapport d’enquête préliminaire, l’UES a noté qu’en novembre 2007 la question avait été réglée et qu’elle parvenait à obtenir les politiques de la police auprès de ce service de police, depuis qu’elle avait porté ce sujet à l’attention du chef La Barge. Vu la facilité avec laquelle l’UES est prête à capituler, il ne faut pas s’étonner qu’elle continue d’avoir des difficultés à cet égard. On peut difficilement concevoir une situation où les politiques standard de la police ressortiraient du principe d’une immunité pour cause d’intérêt public. Fournir à l’UES de telles politiques devrait être la norme.
246 Bien que la Loi sur les services policiers décrive le devoir qu’ont les corps de police de coopérer avec l’UES en termes généraux, les corps de police ont essayé de restreindre l’application de la loi dans la pratique. Il serait très utile que les textes de loi régissant les enquêtes de l’UES précisent quels éléments doivent être divulgués dans le cadre de l’obligation de communiquer les notes des policiers-témoins, et quels éléments sont protégés parmi les notes des policiers-sujets – pour clarifier que la protection ne s’étend pas aux dépositions des témoins et à d’autres preuves similaires. La loi devrait aussi stipuler expressément que les corps de police doivent fournir les renseignements et les documents pertinents du personnel, comme les dossiers de formation professionnelle et les dossiers disciplinaires ou les photos des policiers, ainsi que les documents de politiques de la police qui peuvent tous aider l’UES à évaluer la conduite de la police.
247 Par conséquent, pour clarifier davantage le devoir qu’a la police de coopérer, je fais la recommandation suivante :
Les exigences législatives stipulant que la police doit coopérer avec l’Unité des enquêtes spéciales devraient comprendre une définition précise des notes des policiers, et devraient contraindre la police à divulguer les dossiers pertinents de son personnel, de même que ses politiques. (Recommandation 35)
248 En règle générale, les préoccupations du directeur Cornish à propos de la conduite et des pratiques de la police ont été enfouies dans ses rapports au procureur général ou ont été discutées lors de conversations informelles avec les dirigeants de la police. Bien que l’UES attire l’attention du ministère du Procureur général sur les problèmes, en certaines occasions, ces problèmes restent généralement cachés.
249 À l’automne de 2006, le ministère s’est intéressé aux retards de notifications identifiés par l’UES. L’inquiétude du Ministère était tout particulièrement grande alors car le directeur Cornish avait indiqué qu’il avait discuté la question avec un avocat de la défense criminelle, Julian Falconer, lors d’une conférence. Un rapport de presse sur la conférence avait cité la réponse du directeur de l’UES aux commentaires de M. Falconer :
Il y a un problème à cause du manque de remède législatif clair en cas de bris [de l’obligation qu’a la police d’informer l’UES]… Nous sommes entre deux barreaux de chaise. Nous pouvons entrer en désaccord avec un organisme de police – et je n’ai aucun problème à le faire – mais je ne crois pas que nous puissions gagner.
250 La situation a incité le Ministère à entreprendre un examen d’une durée de six mois sur les cas de l’UES, afin de détecter s’il y avait des habitudes de retards de notification. Une note d’information ministérielle a déclaré que, malgré « certains manquements importants de la police à aviser l’UES récemment » les omissions de notification ne semblaient pas endémiques. Le Ministère a continué de signaler à l’interne les cas de retards apparents. Mais il n’a pas conclu à une crise et il a considéré que le directeur pouvait résoudre tout problème avec les corps de police respectifs.
251 Bien que le Ministère considère que le manquement de la police à aviser sans retard l’UES n’est pas une question brûlante, son opinion est peut-être fondée sur une compréhension superficielle du problème, étant donné que l’UES n’enquête pas systématiquement sur les retards de notification, ne les documente pas et n’en fait pas le suivi. Le Ministère ne prend donc généralement connaissance des problèmes de retards que si l’UES les signale clairement. L’envergure réelle des problèmes de coopération de la police reste en grande partie non documentée.
252 En ce qui concerne les problèmes plus généraux de politiques, le Ministère n’a jugé utile d’intervenir dans aucune des questions que lui a signalées jusqu’à présent l’UES. En voici des exemples :
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En décembre 2004, le directeur Cornish a signalé un problème de longue date résultant du fait que le Service de police de Toronto utilisait des armes à feu Glock à rayures polygonales, qui empêchent de déterminer quel pistolet a tiré quelles balles. Le Ministère n’a pas étudié la question.
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Alors que l’UES a maintes fois attiré l’attention du Ministère sur le problème des notes des policiers-témoins et a demandé un amendement de réglementation pour définir clairement ce qu’elles comprennent, le Ministère a évité une question, qu’il considère controversée[72].
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En mai 2006, le directeur Cornish a voulu savoir si la formation de la police à l’utilisation du Taser incluait l’avertissement donné par le fabricant à propos de tout usage prolongé, car la police avait utilisé cette arme pendant 17 secondes sur un malade psychiatrique qui avait alors fait un arrêt cardiaque. En dépit des controverses considérables que suscitent les Taser et leur usage par la police, le Ministère n’a pas envisagé de communiquer avec le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels pour considérer davantage la question.
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En septembre 2006, le directeur Cornish a fait savoir que les services médicaux d’urgence d’Ottawa avaient carrément refusé de parler à l’UES, ce qu’il considérait fort troublant. En dépit de réunions entre l’UES et les dirigeants des SMU d’Ottawa, ce manquement à l’obligation de coopérer n’a pas pu être réglé. Les dirigeants ministériels ont discuté le problème avec l’UES, mais bien que des discussions aient été envisagées avec le ministère de la Santé et des Soins de longue durée et avec le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels, aucune mesure n’a été prise et le problème persiste.
253 L’UES et le Ministère ont conclu un protocole d’entente en octobre 2006 indiquant que l’un des rôles du procureur général est « de signaler les questions de politiques et les problèmes systémiques soulevés par l’UES dans ses rapports, ou de toute autre manière, au ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels et à d’autres secteurs du gouvernement, le cas échéant ». Le sous-procureur général a une responsabilité similaire en ce qui concerne le sous-ministre à la Sécurité communautaire et aux Services correctionnels. Le Ministère a pris des engagements sur papier, mais il doit être prêt à rompre sa tradition d’inaction pour remplir son rôle, en vertu de l’entente. Jusqu’à présent, les signes ne sont guère encourageants.
254 L’UES est bien placée pour jouer un rôle indicateur dans les pratiques de la surveillance policière au sein de la province. Étant donné son penchant conservateur et sa tendance naturelle à éviter les controverses, l’UES devrait être écoutée du Ministère qui ne devrait pas écarter ses avertissements à la légère. Les dirigeants ministériels ont souligné qu’en général il appartient au directeur de l’UES de résoudre les problèmes de résistance de la police. Mais le Ministère ne peut pas rester à l’écart quand il est question de la surveillance exercée sur la police. Comme c’est à lui que l’UES doit rendre compte de ses activités, il doit accepter de partager l’obligation d’identifier et de régler tout problème qui menace le bon fonctionnement de l’UES, de même que la crédibilité et l’intégrité de la surveillance policière dans la province.
255 Par conséquent, je fais la recommandation suivante :
Le ministère du Procureur général devrait signaler les problèmes relatifs aux pratiques de la police ou les problèmes ayant des répercussions d’enquête qui sont découverts par l’Unité des enquêtes spéciales au ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels, ainsi qu’à d’autres ministères, le cas échéant, et il devrait activement chercher à régler ces questions. (Recommandation 30)
256 En dehors des paramètres stricts de son mandat, l’UES a identifié à plusieurs reprises des pratiques policières déplorables qui échappent de peu aux conséquences de nature criminelle. Par exemple, elle a protesté que des policiers avaient traité avec des prisonniers à l’abri des caméras de la salle de mise en détention, avaient manqué à leur obligation de surveiller adéquatement un prisonnier suicidaire, avaient indûment utilisé un Taser sur un prisonnier confiné dans une auto-patrouille, avaient mal tenu leurs dossiers, ou avaient enfreint les règlements de la police. Le directeur Cornish a avisé plusieurs fois les chefs de police, par écrit, de ses observations personnelles à propos de tels incidents.
257 Nous avons passé en revue plusieurs lettres envoyées par le directeur aux divers chefs de police, disant ses inquiétudes quant à la conduite des policiers. Le directeur suggérait généralement que le chef de police en question le rencontre pour discuter la question de manière officieuse. Parfois, il faisait de vagues allusions aux problèmes; parfois encore, il demandait poliment une réunion.
258 Alors qu’elle explore les moyens de travailler dans une transparence accrue, l’UES hésite à attirer l’attention du public sur ses recommandations informelles aux corps de police, précisant que les dirigeants de la police pourraient s’y opposer car ils considèrent les réformes des pratiques policières comme leur domaine, et disant que le public pourrait ainsi être porté à croire que le mandat de l’UES est plus vaste qu’il ne l’est en réalité. Le président de la Commission des plaintes du public contre la GRC ne partage pas la réticence de l’UES à dire ses inquiétudes publiquement sur les questions générales de conduite de la police. Il a souligné dans son rapport annuel des questions qui ne relèvent pas strictement de son mandat :
J’ai une responsabilité résiduelle de porter ces éléments à l’attention du public si je les considère graves et d’exercer suffisamment de pression pour modifier les comportements à l’occasion. Un point c’est tout.
259 Certes, il y a des occasions où la discrétion s’impose pour des questions délicates, surtout des questions qui échappent au mandat de l’UES, mais le penchant qu’a l’UES de traiter les problèmes en coulisses s’applique même aux questions qui relèvent clairement de son autorité. L’UES a une crainte presque pathologique de la controverse publique et opte systématiquement pour la voie de la moindre résistance.
260 L’autorité qu’a l’UES d’exiger que les dirigeants de la police donnent suite à ses requêtes licites devrait être appuyée par des sanctions en vertu de la loi. L’UES devrait pouvoir signaler les problèmes de non-respect, causés aussi bien par des policiers individuels que par un corps de police, directement à la Commission civile des services policiers de l’Ontario en vue d’une audience visant à déterminer si des mesures disciplinaires s’imposent. Je comprends bien que ce processus contournerait le processus disciplinaire de la police, dans le cadre duquel il appartient aux chefs de police respectifs ou au Commissaire de l’OPP de prendre des mesures d’action. Mais je crois que ce processus serait pertinent si l’UES croit fermement que les exigences relatives à ses enquêtes n’ont pas été respectées.
261 Actuellement, la Commission considère les appels relatifs aux cas disciplinaires présentés par un plaignant ou par un policier impliqué. La Commission est en droit de confirmer, de modifier, de révoquer une décision disciplinaire ou d’y substituer sa propre décision quant aux sanctions à prendre. Dans les cas référés par l’UES, la Commission devrait entendre initialement les questions de discipline et en décider. Les policiers concernés pourraient exercer leur droit d’en appeler au tribunal d’une décision de la Commission. Ceci permettrait d’éliminer tout reste de soupçon quant à la partialité possible des dirigeants de la police, étant donné que les corps de police ne prendraient plus part aux décisions disciplinaires dans les cas référés par l’UES à la Commission.
262 Outre les remèdes offerts par le processus administratif, le manquement à coopérer avec les enquêtes de l’UES devrait être considéré comme une infraction en vertu de la loi qui régit l’UES, infraction passible d’une amende et/ou d’une peine de prison. Ceci inciterait fortement la police à coopérer et enverrait un message clair et ferme au milieu policier qu’il est illégal de ne pas se conformer aux exigences de l’UES.
263 En dehors des solutions législatives, l’UES pourrait faire beaucoup actuellement pour s’affirmer face à la résistance de la police. Dans sa présentation écrite à notre Bureau, l’UES a tenté de justifier le profil délibérément discret que le directeur Cornish présente aux médias, disant qu’il allait dans le sens des rapports Adams. Mais rien dans ces rapports ne dissuade l’UES de parler publiquement d’un corps de police qui résiste à ses demandes licites ou qui refuse tout autrement de coopérer. M. Adams a recommandé que, durant une enquête, les déclarations publiques aient pour but de préserver l’intégrité de l’enquête, et les règlements intègrent ce concept[73]. Déclarer publiquement qu’une enquête est freinée par le manque de coopération de la police est un moyen de préserver l’intégrité de l’enquête – en fait, dans certains cas, c’est peut-être le seul moyen de la préserver. L’UES peut aussi faire connaître une question au public une fois que son enquête est terminée, afin d’encourager la police à coopérer par la suite.
264 De plus, en ne rendant pas publiques les questions litigieuses, l’UES perd le pouvoir de persuasion morale qui résulte d’un examen public de toute conduite récalcitrante. La police est donc moins disposée à apporter des changements positifs et durables dans ses pratiques. En dissimulant les vraies conditions dans lesquelles elle travaille, l’UES perd l’élan exercé par la pression positive du public, qui a toujours été un catalyseur de réforme dans le domaine de la surveillance policière. L’Ombudsman de la police de l’Irlande du Nord sait la valeur de la publicité et a pour principe de rendre publics les cas où la police ne coopère pas au processus d’enquête.
265 L’UES semble se contenter de continuer à signaler discrètement les problèmes au Ministère et aux dirigeants de la police, sans attirer l’attention du public, et de concéder la défaite quand ses tentatives d’autorité échouent. De son côté, le Ministère maintient ses distances et semble heureux de laisser le directeur de l’UES régler les conflits cas par cas. De toute évidence, il faut agir pour détruire l’image de tigre édenté et de chien muselé qui est actuellement celle de l’UES, si l’on veut que l’UES gagne le respect de la police et du public.
266 L’UES n’a pas besoin d’un amendement de règlement pour se montrer plus insistante. Ce qu’il faut, c’est qu’elle change d’attitude. Laisser régulièrement péricliter les questions de conflits n’est pas une stratégie efficace. Si une interprétation juridique déterminante est requise pour régler un conflit de longue date, l’UES ne devrait pas hésiter à se tourner vers les tribunaux.
267 Comme mentionné précédemment, le Ministère doit intervenir davantage quand il est clair que l’UES se heurte à un mur. Le Ministère devrait prendre des mesures pour promouvoir des changements réglementaires qui aident l’UES à s’acquitter de sa mission. Il devrait aussi être préparé à engager le dialogue avec les cadres supérieurs d’autres ministères et organismes, quand son influence peut s’avérer utile à régler des problèmes de politiques ou des questions systémiques.
268 Pour renforcer l’intégrité du processus d’enquête de l’UES et pour promouvoir l’amélioration de la surveillance policière dans la province, je fais les recommandations suivantes :
L’Unité des enquêtes spéciales devrait rendre publics les problèmes importants relatifs aux pratiques et aux tendances dans le maintien de l’ordre, par exemple celles qui ont trait à l’utilisation des Taser et à la garde à vue, qu’elle découvre lors de ses enquêtes. (Recommandation 22)
L’Unité des enquêtes spéciales devrait s’assurer que tous les retards de la police, ou tout autre manquement par la police à se conformer aux exigences législatives et réglementaires, sont analysés comme il se doit et que des mesures rigoureuses sont prises pour garantir leur respect, notamment en rendant publics les incidents de non-respect et en faisant appel aux tribunaux pour un règlement déterminant en cas d’interprétation contestée. (Recommandation 3)
Le directeur de l’Unité des enquêtes spéciales devrait pouvoir, à sa discrétion, référer directement à la Commission civile des services policiers de l’Ontario les incidents de non-respect des exigences législatives et réglementaires par la police, relativement à la coopération des policiers aux enquêtes de l’Unité, pour une prise en considération dans le cadre du processus disciplinaire. (Recommandation 37)
Le manque de coopération ou l’obstruction de la police lors des enquêtes de l’Unité des enquêtes spéciales devrait constituer une infraction punissable d’une amende ou d’une peine de prison comparable à des infractions provinciales similaires. (Recommandation 38)
269 L’International Association of Chiefs of Police (IACP) a noté ceci à propos des enquêtes sur les policiers :
La réputation d’un organisme d’application de la loi dans la communauté et la crédibilité de son personnel… dépendent en grande partie du degré de professionnalisme et d’impartialité que cet organisme manifeste lors de telles enquêtes. Les enquêtes brèves ou superficielles sur les tirs policiers en général, et plus particulièrement sur les incidents où des citoyens sont blessés ou tués, peuvent avoir des répercussions dévastatrices sur l’intégrité et la crédibilité professionnelles d’un organisme d’application de la loi tout entier[74].
270 Il y va de l’intérêt du secteur policier, du grand public et de l’UES que les enquêtes de l’UES soient aussi compétentes et rigoureuses que possible. Les ordres opérationnels de l’UES comprennent des renseignements détaillés sur le processus d’enquête. Bon nombre de dirigeants de la police nous ont dit que, comparativement aux décennies précédentes, les enquêtes de l’UES étaient hautement professionnelles et bien menées. En fait, le 8 juin 2007, soit deux jours après le début de notre enquête sur l’UES, l’Association des chefs de police de l’Ontario a émis un communiqué de presse déclarant :
Nous gardons confiance en la capacité qu’a l’UES de s’acquitter de ses responsabilités de manière juste, indépendante et professionnelle… Nous considérons que l’UES est un organisme d’enquête compétent et autonome, qui effectue ses enquêtes en temps opportun et avec efficacité…
Sous sa direction actuelle, l’UES a pris des mesures afin de renforcer la qualité de ses enquêtes en employant des enquêteurs qualifiés et en créant l’infrastructure nécessaire pour enquêter sur les incidents graves… Les corps de police partout en Ontario… ont gagné confiance en la capacité de cet organisme à mener des enquêtes complètes, rigoureuses et indépendantes à la fois pour les citoyens de l’Ontario et pour les policiers qui les servent.
271 Le directeur des Services des poursuites nous a dit que les notes d’information de l’UES, qu’il examine dans le cadre de ses fonctions, sont très complètes et sont proches de « l’étalon or » de la division des homicides, au Service de police de Toronto. Plusieurs anciens policiers engagés actuellement comme enquêteurs à l’UES nous ont dit que les enquêtes de l’UES sont plus méticuleuses que celles menées par leurs anciens corps de police respectifs. Au sein de l’Unité, le directeur Cornish a la réputation de veiller à la qualité des dossiers d’enquête. Nous avons trouvé plusieurs cas où le directeur Cornish ou un autre cadre supérieur avait renvoyé les dossiers, demandant une poursuite de l’enquête ou des clarifications. Certains enquêteurs nous ont fait savoir que l’Unité se montrait encore plus diligente dans son travail d’investigation depuis l’annonce de notre enquête.
272 Notre enquête a révélé des problèmes à cet égard – par exemple, nous avons découvert qu’un certain nombre d’enquêteurs ne connaissaient pas leur obligation de dresser des plans d’enquête. Certains des dossiers que nous avons étudiés ne contenaient pas de plan d’enquête, alors qu’apparemment les ordres opérationnels les exigent[75]. Certains enquêteurs ignoraient que l’UES a le pouvoir de porter des accusations criminelles même s’il s’avère qu’un incident n’a pas causé de « blessure grave ». Ils ne comprenaient pas que, lors d’une allégation d’agression sexuelle, par exemple, un policier pouvait être accusé d’abus de confiance – même si aucune accusation d’agression sexuelle n’était déposée[76]. Ce genre d’idées fausses pourrait nuire à la collecte et à l’évaluation des preuves.
273 En 2001, l’UES a commencé à faire des sondages auprès des services de police, leur demandant leurs commentaires sur certaines enquêtes sélectionnées de l’Unité. En 2005, l’un de ces sondages a montré que l’UES avait omis de fouiller le véhicule de la personne décédée sur la scène de l’incident, tout comme elle avait omis de noter la présence d’alcool, de munitions et d’une note de suicide. Alors qu’elle enquêtait sur le décès de trois hommes le 2 octobre 2005, dont celui de Nicholas Vanderboom âgé de 19 ans, l’UES n’avait pas interviewé deux témoins potentiels. Cette omission est apparue lors de la procédure disciplinaire entreprise contre deux policiers accusés de quitter la scène de l’accident mortel. Nous avons aussi appris que dans plusieurs cas, le personnel de l’UES avait négligé d’interviewer le personnel paramédical et les pompiers sur les lieux d’un incident, mais la direction de l’UES nous a avisés qu’elle encourageait maintenant ses enquêteurs à faire de telles entrevues.
274 L’enquête sur la mort de Jason Steacy causée par un tir policier le 4 novembre 2005 (page 58) présentait plusieurs problèmes. La protection de la scène avait été levée avant que l’UES ne découvre une douille de balle et l’OPP était rentrée dans le périmètre avec un mandat du coroner et avait saisi les éléments de preuves. L’UES avait mené sa propre enquête sur l’incident et avait déterminé qu’une preuve importante – la souris numérique que les policiers avaient confondue avec un pistolet – n’avait jamais été photographiée, jamais été envoyée pour un examen médico-légal. L’étude a montré que l’enquête de l’OPP avait été plus complète. Après la conclusion de l’enquête, l’UES avait organisé une séance de counseling pour un enquêteur qui avait manqué d’objectivité et qui avait fait preuve de « pensée unique » dans sa perception de l’incident, et elle avait identifié un autre enquêteur qui avait posé des questions suggestives à un policier-témoin.
275 Dans l’affaire Duane Christian (page 40), la mère du jeune adolescent décédé a reproché à l’UES de ne pas avoir donné suite à sa déposition disant qu’elle avait vu un jeune homme et une jeune fille menottés sur les lieux de la scène. Après l’annonce de la décision du directeur en octobre 2006, l’UES a fait de nouvelles entrevues pour tenter de corroborer cet élément de preuve.
276 Dans l’affaire Jeffrey Reodica (page 39), l’enquête de l’UES présentait un certain nombre de problèmes. L’Unité avait omis de demander un examen d’ADN pour un couteau découvert sur la scène de l’incident, alors que les témoignages se contredisaient quant à savoir si le jeune homme était en possession de l’arme, et elle n’avait pas inclus le couteau dans les nombreuses armes similaires montrées aux témoins à des fins d’identification[77].
277 Dans son rapport à propos d’un autre cas le 28 février 2007, le directeur de l’UES avait noté que l’équipe d’identification avait manqué plusieurs preuves d’une importance critique, y compris une note de suicide. L’UES avait fait une séance de counseling avec les enquêteurs médico-légaux à propos de leur manque de diligence dans l’examen de la scène de l’incident.
278 Nous avons découvert d’autres cas où la collecte et l’analyse des preuves s’étaient avérées problématiques. Dans un des cas, un adolescent avait allégué qu’un policier l’avait frappé à la tête avec une lampe de poche. L’UES avait récupéré la lampe de poche du policier, mais elle ne l’avait pas envoyée aux analyses médico-légales initialement. Dans un autre cas, l’UES n’avait pas saisi la matraque et la tenue d’un policier, alors qu’une allégation indiquait que cette matraque avait servi à battre quelqu’un durant son arrestation.
279 En outre, les enquêteurs de l’UES ont regrettablement perdu des preuves précieuses et des biens appartenant à l’UES, qui n’avaient pas été sécurisés correctement. En 2004, 16 bandes d’enregistrement des entrevues faites avec les témoins civils dans les affaires Cancar et Reodica ont été volées du siège arrière d’un véhicule.
280 Les ordres opérationnels de l’UES stipulent que, dans les cas d’allégations d’agression sexuelle portées contre un policier, seuls les enquêteurs qui ont reçu une formation spéciale en enquête sur les agressions sexuelles peuvent être en contact direct avec la personne qui a porté plainte[78]. Mais certains des enquêteurs affectés aux cas d’agressions sexuelles n’avaient qu’une formation superficielle dans ce domaine. Dans une affaire mettant en cause une adolescente autochtone, l’agent de liaison des Premières nations avait mené l’entrevue de la plaignante, conformément aux pratiques de l’UES, bien qu’il n’ait pas reçu de formation intensive en agressions sexuelles à l’Ontario Police College. La jeune fille de 17 ans avait été interviewée en présence de trois enquêteurs, tous des hommes, dont un seul avait eu une formation poussée. Étant donné que les enquêtes sur les agressions sexuelles sont délicates, l’UES devrait tenter de s’assurer que seuls des enquêteurs dotés d’une formation spécialisée prennent part aux entrevues des présumées victimes et elle devrait veiller à ce que ses agents de liaison des Premières nations soient adéquatement formés. Dans cette affaire, l’enquête semblait avoir été menée avec rigueur, en temps opportun, sous tous les autres angles.
281 Dans certaines juridictions, les policiers impliqués dans des accidents et des incidents avec recours à la force doivent se soumettre à des analyses visant à détecter la présence d’alcool ou de drogues interdites[79]. Au Nouveau-Brunswick, à la suite d’un accident au cours duquel un jeune sourd avait été renversé et tué par une auto-patrouille alors qu’il rentrait chez lui à pied, un jury du coroner a récemment recommandé que les policiers subissent obligatoirement des analyses de sang. Mais l’UES ne demande pas aux policiers-sujets de donner des échantillons volontairement, sauf dans certains cas d’allégations d’agression sexuelle. Recueillir de telles preuves pourrait aider l’UES dans ses enquêtes – et pourrait être utile aux policiers-sujets qui peuvent n’avoir aucun autre moyen de prouver la fausseté des allégations disant qu’ils étaient sous l’influence de drogues ou d’alcool lors de l’incident.
282 Certes, nous avons conclu que certaines des enquêtes de l’UES présentaient des failles tant sur le plan des preuves que sur celui des procédures, mais la performance de l’UES ne devrait pas être systématiquement mesurée à une norme de perfection. D’après la documentation que nous avons étudiée, il semble qu’en général l’UES a pris des mesures correctives quand elle a découvert des problèmes relatifs à la rigueur d’une enquête ou à la pertinence de ses méthodes de travail. L’UES nous a informés qu’elle apportait actuellement des changements pour mettre en place un « système plus strict d’évaluation et de gestion de la performance du personnel ». Bien évidemment, il faut réagir aux problèmes à mesure qu’ils surviennent, et cette pratique devrait être encouragée. Toutefois, je crois que l’UES devrait non seulement réagir aux problèmes de compétences d’enquête, mais aussi prendre davantage de mesures proactives.
283 Dans ses rapports, M. Adams a recommandé que l’UES fasse faire un examen professionnel indépendant de ses méthodes d’enquête[80]. À un moment donné, l’UES a étudié la possibilité de demander à un organisme externe d’examiner ses normes et ses méthodes de formation, mais elle a conclu qu’il n’existait pas de normes uniformes et aucun examen professionnel externe n’a donc jamais été fait.
284 Bien que l’UES nous ait dit dans ses présentations que son système actuel de rétroaction des services de police sur ses enquêtes est utile, plusieurs des membres du personnel de l’UES nous ont expliqué en entrevue que l’utilité de ce système reste limitée. Le processus d’examen des incidents n’inclut pas bon nombre d’incidents majeurs. De plus, la propre documentation de l’UES indique que les demandes de commentaires reviennent généralement avec un simple mot ou avec des réponses vagues – et parfois ne reviennent pas du tout[81]. Beaucoup de réponses sont tout simplement des généralités positives, du genre : « C’est bon de savoir que les enquêteurs de l’UES semblent être en accord avec notre service… » Bien évidemment, le formulaire de sondage gagnerait à être modifié pour obtenir des réponses plus concrètes.
285 Rien ne montre clairement dans quelle mesure l’UES utilise les renseignements obtenus au cours de ce processus et le directeur Cornish a admis qu’ils pourraient être mieux « exploités ». Nous avons l’impression que l’UES envoie ce sondage davantage par simple formalité que pour véritablement évaluer la qualité d’une enquête. De plus, le processus est unilatéral, car seuls les services de police sont consultés – et personne d’autre parmi les gens concernés, comme les plaignants et les autres membres du public.
286 L’UES a récemment reconnu ce point et élabore actuellement un sondage visant à obtenir les commentaires des plaignants. S’ils sont bien gérés, évalués et utilisés, les sondages pourraient aider l’UES à évaluer la qualité de ses enquêtes. Mais ils ne peuvent pas remplacer un examen indépendant des « pratiques exemplaires » par un professionnel externe, spécialisé en enquêtes criminelles. Même si les normes d’enquête varient dans une certaine mesure, ce n’est pas une raison pour nier complètement la valeur d’un examen externe. Une analyse comparative de ses pratiques aiderait probablement l’UES à déterminer si elles sont actualisées et bien adaptées à ses besoins. Elle pourrait aussi dissiper les inquiétudes quant à la rigueur et à l’efficacité des enquêtes de l’UES.
287 Notre enquête a fait ressortir un certain nombre de points sur lesquels l’UES pourrait s’améliorer, à mon avis, mais il n’en reste pas moins qu’un examen professionnel de ses pratiques serait utile pour garantir qu’elles reflètent les normes d’excellence des enquêtes dans les causes criminelles majeures. Idéalement, cet examen serait mené par un organisme de surveillance civile qui a l’expérience des enquêtes criminelles sur la police – par exemple le Police Assessment Resource Center[82].
288 Par conséquent, je fais les recommandations suivantes en ce qui concerne la rigueur du processus d’enquête actuel de l’UES :
L’Unité des enquêtes spéciales devrait s’assurer que des enquêteurs ayant une formation spécialisée en agression sexuelle sont déployés pour enquêter sur les incidents d’agression sexuelle, et que les agents de liaison des Premières nations reçoivent en priorité une formation intensive sur les agressions sexuelles. (Recommandation 8)
L’Unité des enquêtes spéciales devrait soumettre ses pratiques et ses politiques à un examen professionnel pour s’assurer qu’elles reflètent les normes d’excellence des enquêtes sur les crimes majeurs, dont les homicides, et devrait chercher à adopter les pratiques exemplaires propres à son mandat. (Recommandation 19)
289 Une fois que l’UES a conclu son enquête, le directeur doit décider si des accusations sont justifiées ou non. Historiquement, le nombre de cas où l’UES a déposé des accusations est très faible. En général, chaque année, seules quelques accusations sont portées. De sa création en 1990 jusqu’en octobre 2007, l’UES a ouvert et fermé 2 771 dossiers d’incidents – et a porté 73 accusations au total. De ce nombre, 17 accusations ont été portées depuis février 2003.
290 Les critiques argumentent que ce petit nombre d’accusations témoigne de l’incompétence de l’UES, ou de sa tendance pro-police, mais il n’est pas juste de juger l’UES uniquement en fonction de ce critère. Le nombre d’accusations est relativement uniforme depuis bien des années, et les enquêtes indépendantes au criminel ne devraient pas être réduites à un simple jeu de chiffres. La vraie mesure de la compétence de l’UES, c’est la qualité de ses enquêtes. En outre, même si l’UES porte des accusations, ceci ne veut pas dire forcément qu’un policier sera poursuivi ou reconnu coupable.
291 Dans bien des cas, les accusations portées par l’UES n’entraînent pas de procès. En 2004, on a noté que 50 accusations avaient été portées par l’UES depuis sa création jusqu’en avril 2001, mais que 14 n’avaient jamais mené à un procès – en raison d’un retrait de la Couronne ou d’une décharge judiciaire en fin d’enquête préliminaire[83]. Les juges comme les jurys semblent réticents à condamner les policiers[84] et la situation est aggravée du fait que le directeur de l’UES suit des règles différentes de celles des avocats la Couronne.
292 Le directeur est tenu de porter des accusations contre un policier s’il y a raisonnablement des motifs de croire à une infraction[85]. Mais c’est l’Unité des poursuites relatives au secteur de la justice, au ministère du Procureur général, qui est chargée de poursuivre les représentants de la justice. Les avocats des poursuites relatives au secteur de la justice considèrent toute une gamme de facteurs pour décider s’ils doivent donner suite à des accusations criminelles ou non. Il ne suffit pas de considérer si la conduite d’un policier a été répréhensible. Il faut aussi voir s’il y va de l’intérêt public et s’il y a une probabilité raisonnable de condamnation.
293 La dichotomie qui résulte des différences de règles appliquées par l’UES et par les avocats de la Couronne a eu pour conséquence que, dans certains cas, le directeur a porté des accusations contre un policier, mais que la Couronne a décidé de ne pas intenter de poursuites. Les policiers accusés doivent alors vivre l’humiliation d’une arrestation, puis voir les accusations abandonnées sans pouvoir plaider leur cause au tribunal. Du point de vue de la police, l’UES semble avoir montré trop de zèle en portant ces accusations, alors que les familles des civils impliqués dans l’affaire, de même que les membres du public, en sortent souvent confus, mécontents et désillusionnés.
294 Un incident datant de mars 2005 et impliquant l’OPP illustre cet écart entre les attentes et les résultats. Revenons sur les faits : un policier a arrêté un automobiliste pour conduite dangereuse. Répondant aux questions du policier, le conducteur a fait preuve de violence verbale. Il a résisté à une arrestation et une altercation a suivi. Les deux hommes sont tombés dans un fossé et le conducteur a eu une clavicule cassée. La théorie de l’UES était que, même si le conducteur s’était montré belligérant, il n’avait pas menacé le policier, et son arrestation était donc injustifiée – le policier ayant techniquement commis une agression. Le directeur Cornish a demandé l’opinion de l’Unité des poursuites relatives au secteur de la justice. Tout en reconnaissant que l’arrestation du conducteur était illégale, cette Unité a considéré qu’il n’était pas dans l’intérêt du public d’intenter des poursuites au policier. Elle a indiqué que la question serait mieux réglée dans le cadre du processus disciplinaire, ou en étant considéré comme une question de formation professionnelle. Les dirigeants de l’UES étaient fermement convaincus que des accusations devaient être portées contre le policier. Ils ont rencontré l’avocat de l’Unité des poursuites relatives au secteur de la justice pour discuter l’affaire, mais ne sont pas parvenus à un accord.
295 L’UES a eu peu de choix dans ces circonstances. Conformément à son mandat statutaire, le directeur était tenu de porter des accusations – et il l’a fait. De son côté, l’avocat de la Couronne a retiré les accusations, comme l’Unité des poursuites relatives au secteur de la justice l’avait annoncé, disant qu’il n’était pas de l’intérêt public de poursuivre l’affaire. En imposant une norme obligatoire de motifs raisonnables, la loi crée un contexte où de nombreuses accusations portées par l’UES sont vouées à l’échec.
296 Étant donné la réalité des poursuites criminelles, on devrait envisager de modifier la norme statutaire en place afin de permettre au directeur de l’UES d’exercer un plus grand pouvoir discrétionnaire pour décider si un policier doit être accusé ou non. Pour contrer les allégations que ceci aurait pour conséquence que le directeur puisse être indûment influencé par l’opinion des avocats de la Couronne, ou que les policiers puissent être indûment protégés d’accusations criminelles, le directeur devrait être tenu de publier les raisons pour lesquelles il renonce à porter des accusations justifiées. Certains ont aussi suggéré que, dans les cas de conduite illégale manifeste qui ne justifient pas de poursuites, le directeur devrait pouvoir référer directement la question à la Commission civile des services policiers en vue d’instances disciplinaires[86], ce qui paraît censé.
297 Actuellement, le directeur de l’UES a pour habitude de référer les cas où des accusations semblent justifiées à l’Unité des poursuites relatives au secteur de la justice pour lui demander son opinion sur la viabilité de telles poursuites. Il a expliqué que c’était un domaine spécialisé d’expertise criminelle et que l’Unité des poursuites relatives au secteur de la justice pouvait apporter de précieux conseils. Ceci n’a rien de déraisonnable – il est utile à l’UES de savoir quelle position la Couronne prendra probablement en cas d’accusations et d’être informée de toute question juridique qui aurait pu avoir été négligée. L’Independent Police Complaints Commission au Royaume-Uni suit une démarche similaire et consulte régulièrement les avocats de la Couronne.
298 Beaucoup d’enquêteurs de l’UES que nous avons interviewés ont exprimé leur inquiétude sur ce point. Ils ont déclaré que le directeur avait été indûment influencé par la Couronne et avait appliqué de mauvais critères pour décider s’il devait porter ou non des accusations. Apparemment, de telles préoccupations ne sont pas nouvelles à l’UES. Au printemps 2007, le directeur Cornish a répondu à des rumeurs internes disant qu’il avait omis de porter des accusations justifiées[87]. Mais tant qu’il n’y a pas abdication du pouvoir décisionnel, consulter l’Unité des poursuites relatives au secteur de la justice est une approche pertinente pour l’UES – dans la mesure où le processus se déroule ouvertement et dans la transparence. Quand la direction de l’UES réfère une affaire à l’Unité des poursuites relatives au secteur de la justice, elle devrait faire savoir clairement pourquoi. Ceci pourrait mettre fin aux rumeurs et aux insinuations qui courent au sein de l’Unité.
299 En 1995, la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario a proposé l’adoption de directives publiques officielles, élaborées en consultation avec les divers intervenants, permettant au directeur de consulter les avocats de la Couronne à propos des accusations à porter[88]. Dans de telles circonstances, l’UES devrait tout au moins donner plus de renseignements sur ses échanges avec les avocats de la Couronne et indiquer clairement pour quelles raisons elle leur a demandé conseils. Bien que l’UES ait droit au secret professionnel, le directeur devrait dire dans ses rapports dans quelle mesure les conseils de l’Unité des poursuites ont influé sur sa décision, le cas échéant, s’il décide de ne pas déposer d’accusations après avoir consulté cette Unité.
300 De plus, je crois que le directeur devrait rendre publics les renseignements sur la pratique qu’à l’UES de consulter l’Unité des poursuites, afin de s’assurer que le processus décisionnel de l’UES est aussi transparent que possible.
301 Par conséquent, je fais les recommandations suivantes :
Le directeur de l’Unité des enquêtes spéciales devrait pouvoir décider, à sa discrétion, de ne pas porter d’accusations criminelles dans l’intérêt public, mais il devrait être tenu de rendre publiques de telles décisions, de même que les raisons qui les sous-tendent. Le directeur devrait pouvoir, à sa discrétion, référer ces cas directement à la Commission civile des services policiers de l’Ontario, en vue d’un examen disciplinaire. (Recommandation 36)
Le directeur de l’Unité des enquêtes spéciales devrait rendre publics les renseignements concernant sa pratique de consulter l’Unité des poursuites relatives au secteur de la justice, à propos de la viabilité des poursuites. (Recommandation 23)
302 La transparence est essentielle pour préserver la confiance du public envers le système civil de surveillance policière. Mais actuellement, un obstacle systémique considérable nuit à l’information du public au sujet des enquêtes de l’UES.
303 Au cours d’une enquête, l’UES ne doit pas faire de déclarations publiques, à moins qu’elles n’aient pour objet de préserver l’intégrité de ses enquêtes. Une fois l’enquête conclue, le directeur est tenu d’en communiquer les résultats au procureur général. Mais la Loi sur les services policiers ne dit mot sur la divulgation publique des rapports du directeur.
304 En 1989, quand le Groupe d’étude sur les relations interraciales et la surveillance policière a envisagé pour la première fois le concept d’un organisme indépendant chargé d’enquêter sur les tirs des policiers, les rapports publics étaient considérés essentiels au processus. Quand M. Adams a fait son premier examen des opérations de l’UES, il a recommandé que – dans les cas où aucune accusation n’est portée – les rapports du directeur soient rendus publics. Soulignant que tous les intervenants qu’il avait consultés en souhaitaient ainsi, il a précisé : « La transparence va main dans la main avec la confiance du public[89]. »
305 Dans son deuxième rapport en 2003, M. Adams a déclaré que les groupes communautaires continuaient de se plaindre que le public n’ait pas accès aux rapports du directeur de l’UES. Mais il a précisé que l’UES avait adopté l’habitude d’émettre des communiqués de presse plus détaillés après la conclusion d’enquêtes sans accusations, que les intéressés avaient un débreffage personnel et que des conférences de presse étaient données pour les causes majeures.
306 Les ordres opérationnels de l’UES autorisent l’Unité à communiquer avec les personnes concernées durant son enquête et à faire un débreffage au téléphone ou en personne une fois que son enquête est terminée[90]. Le directeur Cornish a personnellement assisté à ces débreffages dans plusieurs cas, afin d’expliquer pourquoi il avait décidé de ne pas porter d’accusations. Dans certains dossiers étudiés par nous, les enquêteurs de l’UES étaient apparemment restés régulièrement en communication avec les civils impliqués dans les enquêtes. Dans l’un des dossiers, les enquêteurs avaient noté plus de 200 communications avec une mère en détresse dont le fils était mort alors qu’il était en garde à vue. Mais ce qui compte, ce n’est pas le nombre de communications – c’est la nature des renseignements communiqués. Bien sûr, il peut falloir garder le secret pour préserver l’intégrité du processus dans l’attente d’une décision du directeur, mais les plaignants nous ont dit combien ils étaient frustrés quand l’UES maintenait son silence même une fois ses enquêtes terminées.
307 Certains se sont plaints d’obtenir très peu de renseignements sur l’enquête de l’UES et sur les conclusions du directeur. Toutefois, nous avons appris que les enquêteurs de l’UES apportaient couramment le rapport du directeur aux réunions avec les intéressés et leur lisaient le rapport au complet – en éliminant les noms et les renseignements jugés confidentiels. Dans certaines occasions, même les noms des témoins avaient été divulgués.
308 Il n’y a pas un grand pas à faire pour suggérer que ces renseignements devraient être communiqués sous forme écrite. Les personnes qui sont bouleversées ou traumatisées par des événements peuvent généralement mieux se souvenir des renseignements donnés par écrit. C’est la position qu’adopte l’Independent Police Complaints Commission au Royaume-Uni, qui prend pour acquis que ses rapports seront communiqués aux plaignants. Les enquêteurs de cet organisme évaluent les risques de divulgation pendant qu’ils recueillent les renseignements et répertorient séparément tout élément à ne pas divulguer.
309 Depuis le lancement de notre enquête, l’UES se montre plus disposée à divulguer plus de renseignements aux civils directement touchés par ses enquêtes. Elle élabore actuellement une politique sur un formulaire de réponse écrite aux familles, à remettre en fin d’enquête de l’UES.
310 Il est clairement de l’intérêt public que, lorsque l’UES enquête et décide de ne pas porter d’accusations contre les policiers impliqués dans un incident ayant causé une blessure grave ou un décès, les personnes concernées et leur entourage soient suffisamment informés pour comprendre les raisons des décisions du directeur. Dans la plupart des cas, le mieux serait de remettre à ces personnes une copie révisée du rapport du directeur. Je soupçonne que la réticence de l’UES à divulguer des renseignements écrits aux personnes concernées résulte en grande partie de sa crainte que ces documents ne soient remis aux médias. Je crois que la solution n’est pas de restreindre l’accès à l’information, mais de suivre la recommandation faite à l’origine par M. Adams et de rendre les rapports complètement publics.
311 La police et les intervenants communautaires nous ont dit qu’ils considéraient que les rapports du directeur devraient leur être communiqués. Actuellement, le directeur écrit au chef du service de police et l’informe de ses conclusions, mais sa lettre ne comprend aucune discussion détaillée des preuves. Du point de vue de la police, l’accès à davantage de renseignements faciliterait le processus d’enquêtes administratives, de même que l’évaluation des pratiques et des politiques de la police. Le public y gagnerait aussi, étant donné que le secret fait naître les soupçons.
312 Bien que l’UES émette actuellement des communiqués de presse dans environ un tiers de ses cas d’enquête, et qu’elle communique de brefs résumés de cas sur son site Web depuis 2004, seuls les faits élémentaires sont donnés à propos des incidents et des conclusions tirées par le directeur. Le public doit se débrouiller pour trouver le reste. Aucune explication n’est donnée quant aux raisons des décisions du directeur, et aucune analyse n’est fournie. Ces lacunes font naître des spéculations quant à la compétence et à l’intégrité des enquêtes de l’UES. L’un des enquêteurs de l’UES que nous avons interviewés a résumé ainsi la situation :
Comment peut-on dire qu’on travaille dans la transparence et comment peut-on dire qu’on est là pour montrer à tout le monde que la police doit rendre des comptes quand… on garde tout secret, en fin de compte?
313 Jusqu’à présent, les tentatives faites par le public et les médias pour obtenir les rapports auprès de l’UES ou du ministère du Procureur général, en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée, sont restées vaines. L’accès aux rapports a été refusé, soit disant parce qu’ils avaient été préparés dans le cadre de l’application de la loi et parce que leur divulgation porterait atteinte à la vie privée. Bien qu’on puisse argumenter que la divulgation des rapports de l’UES peut être justifiée dans l’intérêt impérieux du public, ou en raison d’autres exemptions, les dirigeants gouvernementaux maintiennent que leur confidentialité s’impose. Dans une note d’information du Ministère, datée de juin 2006, la pratique actuelle est justifiée par le fait que les rapports du directeur comprennent des renseignements personnels, des citations de témoins qui ont reçu une assurance de confidentialité, des résultats d’examens médico-légaux, des extraits de documents de la police et des évaluations franches du directeur. L’UES a elle aussi fermement défendu la confidentialité de ses rapports, affirmant que la forcer de les divulguer nuirait à sa capacité de remplir son mandat d’enquête.
314 Dans la présentation qu’elle nous a faite en octobre 2007, l’UES a souligné que la divulgation des renseignements d’enquête pourrait menacer l’équité des enquêtes ou des poursuites connexes et pourrait inciter les témoins potentiels à ne pas parler. Elle a ajouté que publier des versions révisées de ses rapports pour atténuer ces conséquences exigerait des ressources qu’elle n’a pas. Elle a aussi précisé que même les rapports révisés pourraient être utilisés pour relier certains renseignements à certaines personnes, contrairement à la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée.
315 Certes, les points soulevés par le Ministère et par l’UES pour défendre la confidentialité des rapports du directeur présentent des mérites, mais je ne suis pas convaincu qu’il est impossible de rédiger les rapports de l’UES de façon à mieux équilibrer l’intégrité du processus d’enquête et le respect de la privée, afin de garantir au public que le processus est aussi transparent et redevable que possible. Le public est en droit d’obtenir plus qu’un simple résumé des faits et plus qu’une brève conclusion. Les motifs de la décision du directeur devraient également être donnés. Ceci ne veut pas forcément dire que le directeur devrait énoncer toutes les preuves, en faisant référence au nom des témoins, mais simplement que la divulgation devrait être plus étoffée.
316 En ce qui concerne l’assurance de confidentialité donnée par l’UES aux policiers-témoins, rappelons que la loi exige que ceux-ci coopèrent. Si des policiers ne respectent pas leurs obligations juridiques, des mesures devraient être prises pour contrer leur résistance, et non pour calmer leurs réactions. Comme M. Adams l’a indiqué, une dérogation législative est possible quant aux questions de violation de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée[91]. Si le manque de ressources cause un problème, il devrait être réglé dans le cadre du processus budgétaire habituel, mais non freiner une transparence accrue.
317 La communication de l’information au public devrait suivre un processus continu, s’étendant des rapports de l’UES jusqu’à la conclusion des enquêtes administratives de la police et aux résultats des procédures disciplinaires internes. Quand des civils sont gravement blessés ou tués par des policiers, il est essentiel de rendre publics les résultats des enquêtes criminelles et administratives – non seulement pour garantir la confiance du public envers la surveillance exercée sur la police mais aussi envers la surveillance exercée par l’UES sur elle-même. C’est dans cet objectif que l’UES a été créée. Actuellement, le fait que le directeur ne rende pas publiques les explications de ses décisions alimente les théories de conspirations parmi les critiques qui considèrent que l’UES est en faveur de la police ou de connivence avec elle.
318 L’UES devrait présumer que les renseignements seront rendus publics, sauf si leur divulgation risque de poser un véritable danger. Un grand nombre d’enquêteurs de l’UES à qui nous avons parlé nous ont dit que, aussi longtemps que les noms des témoins ne sont pas divulgués, les rapports du directeur devraient être complètement rendus publics. Je suis certain que si l’on accordait expressément au directeur de l’UES le pouvoir discrétionnaire de divulguer les renseignements plus ouvertement, les intérêts des divers intervenants pourraient être bien équilibrés. Ma certitude est renforcée du fait que, en pratique, l’UES communique déjà bon nombre de renseignements sur ses enquêtes, de manière informelle, aux civils concernés.
319 Par conséquent, pour renforcer la transparence du système civil de surveillance policière et pour consolider la confiance du public envers ce système, je fais les recommandations suivantes :
L’Unité des enquêtes spéciales devrait être légalement tenue de divulguer publiquement les rapports du directeur dans les cas où il a été décidé de ne pas porter d’accusations, sous réserve que le directeur puisse, à sa discrétion, ne pas divulguer certains renseignements si leur divulgation risque de causer des torts graves. (Recommandation 39)
Tant qu’il n’existera pas de disposition législative pour exiger la divulgation des rapports du directeur, l’Unité des enquêtes spéciales devrait donner plus de renseignements aux dirigeants de la police, aux personnes concernées et au public sur ses raisons de ne pas porter d’accusations criminelles contre des policiers. (Recommandation 21)
320 Les critiques de l’UES, dont certains plaignants à notre Bureau, affirment que la réticence de l’UES à prendre des mesures décisives d’action pour contrer la résistance de la police reflète son parti pris systémique en faveur de la police. Ils argumentent que l’intégrité et la crédibilité de l’UES sont compromises par le fait qu’un nombre important d’enquêteurs de l’UES sont d’anciens policiers. N’oublions pas que la création de l’UES est née des soupçons du public envers les raisons d’agir de la police. Je cite :
C’est un fait connu et notoire que l’Unité des enquêtes spéciales a été créée pour atténuer le sentiment que continuent d’avoir les citoyens que la police ne peut pas enquêter efficacement sur elle-même[92].
321 Dans l’esprit de beaucoup d’intervenants communautaires, la présence continue d’un nombre important d’anciens policiers dans les rangs de l’UES est un rappel troublant du passé.
322 La Loi sur les services policiers comprend expressément des dispositions qui ont pour objectif d’amoindrir l’influence policière sur l’UES. Aucun policier en exercice ne peut être enquêteur à l’UES, le directeur ne peut pas avoir d’antécédents professionnels dans la police, et il est interdit aux enquêteurs de l’UES de « participer » à des enquêtes sur les membres d’un service de police qui les employait autrefois[93]. Pourtant, malgré ces précautions, l’influence de la culture policière au sein de l’UES est manifeste.
323 Actuellement, une toute petite majorité des enquêteurs à plein temps de l’UES sont des civils (sept sur 12), mais une grande partie des activités quotidiennes de l’UES sont assurées par quelque 30 enquêteurs « selon les besoins » un peu partout dans la province, dont 24 sont d’anciens policiers. De plus, neuf des 10 techniciens médico-légaux sont d’anciens policiers, tout comme le sont tous les superviseurs et le chef enquêteur. Bien sûr, le fait que d’anciens policiers fassent la plus grosse partie du travail d’enquête à l’UES ne veut pas forcément dire que ses enquêtes sont indûment biaisées. En fait, au cours de notre enquête, nous n’avons trouvé aucune preuve objective indiquant qu’un cas individuel ait été faussé par des motifs inconvenants. Toutefois, la présence d’un aussi grand nombre d’anciens policiers à l’UES présente certains défis quant à la perception de son indépendance.
324 Nous avons découvert un cas où un ancien policier de l’OPP avait participé directement à une enquête connexe à l’OPP. Ce policier avait été détaché pour surveiller la housse mortuaire scellée d’une personne tuée par le tir d’un membre du détachement local de l’OPP. Quand le chef enquêteur a pris connaissance de cet incident, il a reconnu que la présence du policier était inappropriée.
325 Le chef enquêteur est lui-même un ancien membre du Service de la police régionale d’Halton et quatre membres de sa famille travaillent actuellement pour ce corps de police. Le chef enquêteur nous a fait savoir qu’il avait évité de participer aux enquêtes concernant les membres de son ancien corps de police en cas de conflit d’intérêt clair. Mais il a indiqué que dans les autres cas concernant la police d’Halton, il est tenu informé de l’enquête et il conseille et avise parfois les enquêteurs. Dans un cas survenu à Halton, que nous avons examiné, le chef enquêteur était présent lors d’une discussion tenue en avril 2004 dans le but de décider s’il fallait transmettre ou non les transcriptions des communications de la police à l’avocat d’un policier-sujet. Le chef enquêteur nous a fait remarquer que son prédécesseur suivait une méthode similaire. Dans le cas des superviseurs d’enquête, les cas sont transférés à quelqu’un d’autre s’ils mettent en jeu leur ancien corps de police. Ceci n’est pas vrai pour le chef enquêteur, qui est titulaire d’un poste unique.
326 Le bien-fondé de permettre à un haut dirigeant de prendre connaissance de renseignements et de pouvoir influencer le processus d’enquête dans un cas concernant son ancien corps de police est hautement contestable. Même si une pratique similaire était suivie de par le passé, le processus n’en est pas juste pour autant. L’UES devrait immédiatement envisager comment éliminer la participation du chef enquêteur aux cas provenant de la région d’Halton.
327 À l’UES, le préposé principal à la reconstitution des accidents étudie tous les rapports de reconstitution des accidents, qu’ils émanent ou non de son ancien service de police. Récemment, comme certains s’inquiétaient de cette pratique, l’UES a entrepris d’examiner la définition de « participer » donnée dans la Loi quant à ce type de travail. À cet égard, l’UES devrait se souvenir que tout potentiel de perception d’influence doit être évité. La question ne vise pas l’intégrité individuelle, mais bien l’intégrité de tout l’organisme. Même si l’UES considère que la conduite individuelle de ses membres est sans reproche, elle doit s’assurer que sa structure organisationnelle et ses méthodes ne prêtent pas à croire qu’elle fait preuve de partisanerie.
328 Quand le concept d’un système civil de surveillance des incidents de tirs policiers a été exploré pour la première fois en Ontario, les porte-parole communautaires ont souligné les aspects négatifs d’une police des polices. Même si les enquêtes étaient parfaitement justes, « elles ne pourraient jamais paraître justes »[94]. Certains ont déclaré que, pour être complètement indépendante, l’UES devrait être entièrement composée de civils, tandis que d’autres ont dit qu’elle devrait inclure des enquêteurs chevronnés en affaires criminelles, issus de la police, pour garantir la compétence de cet organisme de surveillance policière[95].
329 Au cours de notre enquête, nous avons entendu exprimer des divergences d’opinion similaires à celles ci-dessus. La plupart des dirigeants de la police à qui nous avons parlé ont souligné le besoin de formation et de compétences spécialisées qui, à leur avis, pouvaient uniquement être acquises dans le secteur policier. Cependant, certains ont concédé que des civils bien formés pourraient devenir des enquêteurs compétents. Dans l’ensemble, les représentants communautaires et les plaignants se méfiaient de la composition de l’UES et ont contesté sa capacité à mener des enquêtes impartiales.
330 Dans la présentation écrite qu’elle nous a faite, l’UES s’est vraiment efforcée de contrer les allégations faites par plusieurs plaignants à notre Bureau à propos de la partialité de ses enquêtes. Elle a souligné que, depuis février 2003, il n’y avait eu aucune poursuite ou instance judiciaire contre l’UES pour cause de partialité. Elle a aussi précisé qu’aucun tribunal et qu’aucun jury du coroner n’avait jamais exprimé d’inquiétudes quant à son objectivité. Ceci n’a rien de surprenant. Les tribunaux et les jurys du coroner ne sont guère enclins à faire des commentaires sur un sujet comme le favoritisme envers la police, à moins que ce sujet ne soit très précisément soulevé et qu’il ne relève carrément des poursuites. Pour la plupart des gens, il n’est pas vraiment faisable d’intenter des poursuites en cours ou au tribunal – et il est très difficile de prouver un « favoritisme » au sens juridique. Ceci dit, il est clair que certains éléments organisationnels de l’UES rendent sa structure vulnérable aux allégations de favoritisme envers la police. Étant donné que la perception du public joue un rôle critique dans la crédibilité d’un organisme de surveillance policière, ces questions ne devraient pas être écartées à la légère. Comme l’a fait remarquer l’un des membres du Comité des ressources du directeur de l’UES :
Si le processus est perçu comme injuste, ou s’il est perçu comme empreint de favoritisme, c’est un problème – même si les perceptions sont erronées.
331 Même certains enquêteurs de l’UES que nous avons interviewés ont dit que, si le grand public connaissait la composition de l’UES, il aurait peut-être l’impression que les relations entre l’UES et la police sont un peu trop amicales.
332 Non seulement le personnel d’enquête de l’UES est principalement composé d’anciens policiers, mais ces policiers sont généralement des hommes, blancs, âgés de la cinquantaine ou plus, qui ont pris leur retraite de la police. Tous les gestionnaires d’enquête de l’UES appartiennent à cette catégorie. Comme l’a dit un superviseur de l’UES, en termes de relations publiques « c’est dur à vendre, quand on a des policiers retraités qui enquêtent sur la police ».
333 Déjà en 1989, le Groupe d’étude sur les relations interraciales s’était inquiété du fait que les corps de police étaient en grande partie composés d’hommes blancs et que les postes de commande étaient principalement occupés par des hommes blancs[96]. Ce groupe avait recommandé des changements de politiques d’embauche et de promotion, ainsi que la mise en place de programmes d’équité d’emploi. Depuis, les modifications aux politiques d’embauche de la police ont mené à une diversité accrue des forces de l’ordre locales, mais ces changements ne sont pas parvenus jusqu’à l’UES. Ceci ne veut pas dire que des policiers retraités, hommes, blancs et âgés ne peuvent pas mener des enquêtes intègres et impartiales – mais simplement que l’UES est à deux pas de perpétuer certains des stéréotypes que les services de police ont cherché à vaincre. Les rapports Adams ont recommandé que l’UES recrute des enquêteurs qualifiés provenant de milieux culturels et raciaux plus divers[97]. Celle-ci s’est efforcée de diversifier son personnel, mais elle s’est heurtée à des obstacles pratiques.
334 L’un des facteurs qui a restreint l’UES dans sa capacité d’embauche en dehors des rangs traditionnels de la police est son système de classification du personnel d’enquête. Quand l’UES ouvre des concours pour recruter des enquêteurs à plein temps ou « selon les besoins », les compétences d’entrée des ex-policiers qui posent leur candidature sont classées à un plus haut niveau que celles des candidats civils. De plus, il est apparemment difficile d’attirer des civils à ces postes à temps partiel, qui sont par contre recherchés par certains policiers à la retraite désireux d’avoir un complément de revenu. Il est arrivé que la représentativité d’anciens policiers d’une région donnée au sein du personnel de l’UES soit si grande que l’UES ait dû limiter les candidatures d’ex-policiers de cette région, étant donné qu’il est interdit aux policiers d’enquêter sur leur ancien service de police. Pour toutes ces raisons, l’UES tente depuis plus de quatre ans d’obtenir l’approbation du Ministère pour un nouveau système de classification des enquêteurs.
335 Actuellement, il existe un seul niveau d’enquêteur, selon une classification qui s’inspire de celle des pompiers. L’UES a fait pression auprès du Ministère pour obtenir la création de deux catégories d’enquêteurs – un niveau de premier échelon et un niveau supérieur. Elle pourrait ainsi recruter plus de civils, qui pourraient ensuite acquérir une expérience d’enquête à l’interne. Cette nouvelle classification aiderait aussi l’UES à diversifier ses effectifs. Vu l’importance du mandat de l’UES, et vu que l’efficacité perçue de cet organisme a des répercussions sur la confiance de la communauté envers la surveillance policière au sein de la province, le Ministère devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour aider l’UES à mieux refléter la communauté qu’elle sert. Si le statut à temps partiel de la plupart des enquêteurs de l’UES constitue un obstacle à l’embauche de civils, il serait bon de considérer d’autres options, par exemple augmenter le nombre de postes à plein temps.
336 L’Ombudsman de la police de l’Irlande du Nord dispose d’un personnel d’enquête composé à 50 % d’enquêteurs civils et à 50 % d’enquêteurs ayant des antécédents dans la police. Avec la collaboration de l’Université de Portsmouth, et dans le cadre d’une stratégie délibérée pour augmenter le nombre d’enquêteurs civils, l’Ombudsman a élaboré un programme agréé de formation des civils aux enquêtes criminelles. Ce programme à temps partiel est d’une durée de deux ans. L’UES n’a jamais envisagé pareil programme formel de formation, qui pourrait l’aider à atteindre son objectif de diversification des effectifs.
337 Le directeur de l’UES et le chef enquêteur ont tous deux maintenu que l’UES devrait toujours compter certains enquêteurs dotés d’une bonne connaissance des processus et des procédures de la police. Les dirigeants ministériels considéraient eux aussi que l’UES ne pourrait pas enquêter sur des homicides potentiels si les rangs de l’UES ne comptaient pas d’enquêteurs spécialisés en homicides. Il ne fait aucun doute que l’expérience policière aide l’UES à bien des égards, mais je crois que cet organisme devrait s’efforcer d’accroître la représentativité des civils dans son personnel, par tous les moyens possibles.
338 L’UES recrute ses enquêteurs et ses superviseurs à plein temps par des concours, mais il arrive encore qu’elle embauche des enquêteurs et des techniciens d’identification judiciaire « selon les besoins » de manière informelle, sans annoncer les offres d’emploi. Elle ne devrait recourir à cette méthode que très rarement, quand les circonstances rendent impossible le processus de concours. En embauchant du personnel sans passer par un processus bien établi et transparent, l’UES s’expose à des allégations de favoritisme et de pratiques répréhensibles, aussi bien à l’interne qu’à l’externe. Durant notre enquête, nous avons entendu exprimer des doutes quant au processus de recrutement de l’UES, surtout sous la forme qu’il avait avant l’arrivée du directeur Cornish. Certains ont avancé que la prépondérance des anciens policiers des services de police d’Hamilton, d’Halton et de Guelph à l’UES reflétait une méthode d’embauche préférentielle incorrecte, qui était non seulement à l’avantage d’anciens policiers, mais qui favorisait exclusivement les anciens corps de police des gestionnaires de l’UES. Plus le processus de recrutement de l’UES sera ouvert, et moins ses décisions d’embauche feront l’objet de contestations ou de spéculations. Inviter des membres de la communauté et des autorités policières à siéger au comité d’embauche de l’UES contribuerait aussi à accentuer la transparence et la responsabilisation du processus de recrutement.
339 Le fait que tous les gestionnaires d’enquête de l’UES soient des policiers retraités, tous hommes, tous blancs, entraîne un déséquilibre considérable dans la structure de cet organisme – déséquilibre qui mérite d’être redressé au plus vite. Plusieurs membres du personnel de l’UES nous ont dit qu’à leur avis cette composition du personnel de direction contribuait à perpétuer des coutumes policières et paramilitaires à l’UES. L’UES doit évoluer au-delà de ces traditions policières pour réaliser pleinement son potentiel d’organisme civil de surveillance. Bien que le directeur Cornish ait tenté pour cette raison de remplacer en partie la terminologie utilisée par l’Unité, les liens culturels qui attachent l’UES au milieu policier – et qui nuisent à la perception que se fait le public de cet organisme et de la police – vont bien au-delà des simples mots utilisés.
340 Plus l’UES ressemble à un corps de police et agit comme un corps de police, et plus elle est perçue comme un corps de police par le public. Même le code vestimentaire du personnel de l’UES rappelle celui de la police[98]. L’uniformité de l’apparence est requise, les enquêteurs doivent porter des costumes ou des tenues similaires, et des ordres détaillés sont donnés à propos de la longueur acceptable des cheveux, de la barbe et de la moustache. Fondamentalement, les enquêteurs de l’UES doivent s’habiller et se coiffer comme les détectives de la police. C’est un lien symbolique fort avec le milieu policier – lien qui ne passe pas inaperçu aux yeux des civils qui ont affaire avec l’UES.
341 L’une des personnes qui nous a parlé de cette question est Tom Walker, dont le frère Robert, âgé de 41 ans, est mort quand la police a tiré sur lui avec un pistolet au poivre et l’a maintenu immobilisé alors qu’il souffrait d’une surdose de drogue. Tom Walker s’est inspiré de l’expérience vécue par sa famille avec la police et l’UES pour demander des réformes. Bien qu’il ait fait l’éloge des enquêteurs de l’UES affectés au cas de son frère, il a exprimé des doutes quant à leur apparence de « flics » et quant à l’impression qu’ils donnent aux témoins civils qui observent leurs interactions avec les policiers.
342 Un certain nombre d’anciens policiers maintenant engagés comme enquêteurs à l’UES nous ont parlé franchement des répercussions de leur apparence et de leur comportement. Voici ce qu’a déclaré l’un d’eux : « Quand j’entre dans un poste de police… je suis un flic qui entre au poste… Je n’ai pas besoin de dire quoi que ce soit, ils ont juste à me regarder, et ils savent à la façon dont on marche, dont on parle… » Il a aussi reconnu ceci : « Je suis un flic… même si je ne suis plus policier… Une fois qu’on a été policier, on le reste… y a pas à dire ».
343 Certains de ces policiers ont souligné que leurs antécédents les aident à mettre les policiers-témoins à l’aise et à gagner leur confiance. Mais d’un autre côté, on comprend que certains civils considèrent que des liens aussi forts avec la police risquent d’influencer le processus d’enquête de l’UES. Voici ce qu’en dit Scot Wortley, professeur agrégé de criminologie à l’Université de Toronto :
Il y a un dicton : quand on est flic, on le reste… la « fraternité bleue » est très forte… une fois qu’on a été membre de cette fraternité, on l’est pour toujours… Je sais qu’il existe certains mécanismes de sécurité à l’UES… mais c’est une source de préoccupation… certains segments de la population, qui sont déjà cyniques et sceptiques envers la police et qui croient déjà en un favoritisme, vont dire que si la police enquête sur la police… elle va consciemment ou inconsciemment pencher en faveur de la police…
344 Il est difficile de quantifier les répercussions potentielles des antécédents policiers sur l’objectivité des enquêtes de l’UES, mais à un certain moment leurs effets deviennent indéniables. L’un des enquêteurs de l’UES en a parlé en ces termes :
C’est ce qu’on apporte de son expérience de travail, de son expérience de vie. Or beaucoup d’eux ont des expériences très similaires. Si pendant 30 ans vous procédez aux arrestations… du même type de personnes, et si vous enfermez ces gens-là dans une catégorie, c’est dur de sortir de cet état d’esprit. Et si vous travaillez pendant 30 ans avec certains types de gens, et si vous pensez qu’ils sont extraordinaires, c’est dur de se faire à l’idée que de temps en temps l’un d’eux peut avoir un comportement non idéal ou même criminel… Bien sûr, il y en a qui ne sont pas influencés par des idées préconçues, mais je dirais que la majorité d’entre eux le sont.
345 Plusieurs enquêteurs de l’UES que nous avons interviewés nous ont dit qu’ils avaient entendu leurs collègues ex-policiers faire des remarques en faveur de la police – disant par exemple qu’ils « n’accuseraient jamais un policier » – ou faisant valoir leur ancienne expérience de policier quand ils ont affaire avec la police. Certains des enquêteurs sont apparemment connus pour poser des questions suggestives à la police, et même pour rassurer les policiers en leur disant de ne pas s’inquiéter des cas soumis à enquête. Nous avons appris que certains termes dérogatoires et inappropriés qui circulent dans le milieu policier sont entrés dans le vocabulaire de l’UES et sont utilisés par certains, par exemple pour décrire les prostituées (« putains »), les personnes ayant un casier judiciaire (« rats de merde ») et les personnes de certaines origines raciales et culturelles (« Jamaïcains » pour toute personne noire présumée avoir un casier judiciaire). En outre, nous avons été informés que l’un des enquêteurs « selon les besoins » de l’UES continue d’être membre à vie de l’Association des chefs de police de l’Ontario.
346 Certains enquêteurs de l’UES qui ont des antécédents policiers affichent ouvertement leurs liens avec leurs anciens collègues. Nous avons appris que beaucoup d’entre eux portent des montres, des cravates ainsi que des bagues avec la « mince ligne bleue » associée à la police. Nos enquêteurs l’ont constaté de leurs propres yeux quand des enquêteurs de l’UES sont arrivés dans nos bureaux pour des entrevues, portant aux doigts des bagues avec des insignes de la police. L’un des enquêteurs a fait ce commentaire sur les effets de tels symboles ouvertement affichés :
… il peut y avoir un manque d’objectivité… parce que c’est une fraternité et quand vous portez votre bague de la police… avec une ligne bleue, vous envoyez un message [aux policiers]… « T’en fais pas, t’es en sécurité mon pote; je suis des vôtres… »
347 D’autres enquêteurs de l’UES nous ont dit le contraire, expliquant que d’après leur expérience le problème ne provient pas d’un favoritisme envers la police, mais de l’animosité montrée envers elle par quelques-uns des enquêteurs de l’UES qui viennent du civil.
348 Bien que tous les membres du personnel d’enquête de l’UES, sans exception, aient déclaré être fermement dévoués envers leur travail – et bien que je ne doute aucunement de leur sincérité – je m’inquiète que l’UES tolère ces symboles extérieurs de solidarité avec la police qui vont à l’encontre des principes fondateurs de l’Unité. Certes, l’UES a organisé diligemment des programmes de sensibilisation aux réalités culturelles pour les membres de son personnel, mais elle a ignoré certains des vestiges les plus évidents d’une culture policière qui ne devrait pas subsister au sein d’un organisme civil de surveillance policière. L’UES doit prendre des mesures strictes pour éliminer les traces les plus flagrantes des liens avec la police parmi son personnel et doit s’éloigner fermement des coutumes et des pratiques policières qu’elle affiche encore. Malheureusement, ce changement culturel ne sera peut-être pas possible tant que des civils ne feront pas partie de la haute direction des enquêtes à l’UES.
349 Par conséquent, je fais les recommandations suivantes en vue de renforcer la crédibilité de l’Unité :
L’Unité des enquêtes spéciales devrait s’assurer qu’aucun ancien policier, y compris son chef enquêteur, n’est mis dans une situation qui l’amène à traiter de cas concernant son ancien corps de police, à quelque titre que ce soit. (Recommandation 9)
L’Unité des enquêtes spéciales devrait s’assurer qu’aucun membre de son personnel d’enquête ne porte ou n’affiche des symboles suggérant qu’il s’identifie à la police ou montrant son ancienne appartenance à la police ou son ancien statut de policier. (Recommandation 10)
L’Unité des enquêtes spéciales devrait immédiatement prendre des mesures pour garantir une représentation civile au sein de son personnel de direction des enquêtes. (Recommandation 11)
L’Unité des enquêtes spéciales devrait veiller à recruter son personnel d’enquête par un processus de concours ouverts et devrait chercher à obtenir la représentation de la police et de la communauté au sein de ses comités d’embauche. (Recommandation 12)
Le ministère du Procureur général devrait immédiatement prendre des mesures pour s’assurer que l’Unité des enquêtes spéciales dispose d’un système de classification qui lui permet de recruter davantage de civils pour son personnel d’enquête. (Recommandation 28)
350 Un autre lien exerce une influence considérable sur la culture de l’UES et ce sont ses attaches aux administrateurs gouvernementaux. Afin de renforcer la crédibilité et l’intégrité structurelle de l’UES, la responsabilité de cet organisme est passée en avril 1993 du ministère chargé du maintien de l’ordre en Ontario (alors le Solliciteur général) au ministère du Procureur général. M. Adams a envisagé de recommander que le gouvernement donne à l’UES sa propre loi constitutive, de même que plus d’autonomie, mais il n’en a rien fait en fin de compte[99]. Actuellement, l’UES est reléguée au rang d’organisme périphérique, brièvement mentionné dans une loi portant principalement sur les services de police dans la province. L’UES travaille en relations étroites avec le ministère du Procureur général.
351 Depuis la création de l’UES en septembre 1990, 13 directeurs se sont succédé, dont beaucoup ont été nommés pour de brèves périodes intérimaires. De 1990 et le 7 juin 1998, seuls trois des 10 directeurs sont restés en fonction pendant plus d’une année. Deux d’entre eux sont restés à leur poste pendant un peu moins de deux ans, le troisième pendant un peu plus de deux ans. Pour remédier à ce manque de stabilité et de continuité à la direction de l’UES, M. Adams a recommandé que le Ministère s’assure que le mandat et la rétribution du directeur de l’UES correspondent aux responsabilités de cet « important bureau »[100]. Quand un nouvel examen de l’Unité a eu lieu en 2003, le directeur alors en fonction avait été nommé pour cinq ans. Mais il a quitté son poste après quatre ans seulement et il a été remplacé par un directeur qui a quitté son poste un an plus tard pour devenir juge de tribunal provincial. M. Cornish a assuré l’intérim pendant sept mois, puis a été nommé pour un mandat de deux ans et demi à la suite d’un concours ouvert. Son mandat a été prolongé en novembre 2006, et quand il prendra fin en octobre 2008, M. Cornish aura été à la tête de l’UES pendant quatre ans et demi.
352 Le poste de directeur est classé comme avocat de la Couronne. Le directeur rend directement compte de ses activités au sous-procureur général. Bon nombre des directeurs de l’UES sont sortis des rangs des avocats de la Couronne au ministère du Procureur général. Certains (dont M. Cornish) ont été détachés à ce poste, retournant ensuite à leurs fonctions d’avocat de la Couronne. Les critiques disent que le fait de conserver un statut d’avocat de la Couronne peut influencer indûment les décisions du directeur de l’UES. D’un autre côté, l’UES argumente que les directeurs qui sont en détachement bénéficient d’une plus grande sécurité puisqu’ils peuvent retourner au Ministère, quelles que soient les décisions rendues par eux. Si des mesures de sauvegarde institutionnelles sont adéquatement en place, il n’est pas forcément contraire au statut d’indépendance de l’UES de permettre à un avocat de la Couronne d’être détaché au poste de directeur de cet organisme. Bien que les avocats de la Couronne traitent régulièrement avec la police, ils sont tenus d’exercer un pouvoir décisionnel indépendant.
353 Le Protocole d’entente conclu entre le Ministère et l’UES en octobre 2006 a en partie pour objectif « d’illustrer, de reconnaître et de renforcer l’indépendance de l’UES et de son directeur face au gouvernement, et en fait face à tout groupe, organisme ou organisation ». L’un de ses principes directeurs stipule que « les décisions du directeur doivent être prises de manière indépendante et impartiale et doivent être perçues comme telles par le public ». Le protocole précise que le directeur de l’UES peut conserver son poste d’avocat de la Couronne, mais lui impose de n’exercer aucune fonction connexe à son rôle d’avocat de la Couronne pendant qu’il est directeur de l’UES, et de s’engager à ne pas compromettre les responsabilités législatives du directeur.
354 L’UES sait combien il est important pour elle de se distancier du Ministère en raison des perceptions du public. Dans ses propres communications, elle souligne son autonomie par rapport au Ministère. Dans ses ordres généraux, elle demande à son personnel de la décrire comme une entité indépendante, et non comme faisant partie du Ministère[101]. L’UES a décrit ses rapports au Ministère en ces termes :
… les relations entre l’UES et le procureur général mettent en jeu un équilibre délicat, dans le cadre duquel l’UES doit mener ses enquêtes criminelles libre de toute influence ou interférence politique, tout en étant consciente qu’elle doit rendre compte de ses activités au procureur général.
355 Néanmoins, il est difficile d’ignorer les liens entre l’UES et le Ministère. L’UES dépend du Ministère pour une aide et un soutien administratifs et techniques. Elle consulte le Ministère sur diverses questions : finances, ressources humaines, vérification interne, technologie, gestion des installations, politiques et administration. De plus, elle fait appel à son savoir-faire expert. Par exemple, quand elle a voulu faire un sondage d’opinion au printemps 2005, elle a demandé l’approbation du Ministère. Bien que le bureau du Conseil des ministres ait rappelé au Ministère que l’UES était un organisme indépendant et qu’elle n’avait aucunement besoin de son approbation, l’UES a renoncé à ce projet quand le bureau du sous-ministre a exprimé des réserves à cet égard. Quand deux superviseurs de l’UES ont souhaité partager un poste, ils ont dû attendre le consentement du Ministère. Et quand l’UES a croulé sous une charge de travail qui s’était trop vite accrue à l’été 2007, elle a emprunté un avocat du Ministère pour l’aider à rédiger ses rapports.
356 Les cadres supérieurs de l’UES et du Ministère nous ont répété que, malgré les liens administratifs de l’UES au Ministère, et malgré le soutien opérationnel que celui-ci lui apporte en partie, l’UES mène ses enquêtes indépendamment et le directeur prend ses décisions à propos des accusations à porter contre les policiers sans aucun commentaire et sans aucune interférence du Ministère. Cependant, il y a un secteur critique où les relations entre l’actuel directeur de l’UES et le ministère du Procureur général s’avèrent problématiques pour l’indépendance de cet organisme.
357 En février 2003, M. Adams a déclaré que l’indépendance du poste de directeur était renforcée par l’absence de rémunération au mérite et d’évaluation du rendement de ce poste[102]. Il est très courant aux échelons supérieurs du gouvernement que le personnel gagne un salaire de base, auquel s’ajoute une prime forfaitaire annuelle réoctroyable connue sous le nom de « rémunération au mérite » ou « rémunération au risque ». Au gouvernement fédéral, les personnes dont les devoirs et les responsabilités exigent le maintien de leur indépendance n’ont pas droit à ce type de rémunération au rendement, mais leur salaire de base est majoré[103]. Le gouvernement fédéral considère qu’il est inapproprié pour les membres d’organismes indépendants de recevoir des incitations financières selon leur rendement[104]. En voici un exemple : la Commission des plaintes du public contre la GRC est un organisme autonome qui a été fondé pour garantir que les plaintes déposées par le public à propos de la conduite des membres de la GRC sont soumises à un examen juste et impartial. Conformément au mandat de la Commission, le président de cet organisme n’a pas droit à une rémunération au risque. Les tribunaux ont reconnu que les incitations financières peuvent mener à des perceptions d’influence excessive et devraient donc être évitées pour les décideurs d’organismes indépendants[105]. L’autonomie d’un pouvoir décisionnel ne fait pas simplement référence à l’état d’esprit du décideur, mais aussi aux relations du décideur.
358 Bien que le directeur de l’UES ne soit ni un juge, ni un président de tribunal d’arbitrage, son poste exige une autonomie structurelle considérable par rapport au ministère du Procureur général. Le directeur doit maintenir un équilibre délicat entre les intérêts puissants des organismes du maintien de l’ordre et la défense des intervenants communautaires. Malheureusement, l’autonomie des relations organisationnelles entre le directeur Cornish et le Ministère n’est plus renforcée comme à l’époque de M. Adams. Conformément aux arrangements actuels faits avec le Ministère, le directeur Cornish a droit à une rétribution au mérite et il fait l’objet d’une évaluation annuelle au rendement.
359 Les responsables ministériels ont reconnu qu’il est inhabituel de rétribuer au rendement une personne nommée par décret en conseil à la tête d’un organisme autonome. À leur connaissance, aucun autre dirigeant indépendant n’est rémunéré de cette manière et le directeur Cornish est le premier directeur de l’UES à être évalué et à bénéficier d’une rétribution au mérite. En fait, avant que M. Cornish ne prenne ce poste, le Secrétariat du Conseil de gestion (SCG) avait avisé le ministère du Procureur général qu’à titre de personne nommée par décret, M. Cornish devrait démissionner de son poste d’avocat de la Couronne avant d’entrer en fonction. La possibilité qu’il continue de recevoir une rétribution au rendement alors qu’il était directeur de l’UES a aussi provoqué une certaine résistance au départ. Un courriel interne du Ministère daté du 15 février 2005 indique que, quand la question avait été soulevée, les avocats du SCG « avaient flippé » et « avaient capoté », et que quelqu’un au Ministère avait dit « dites-lui que c’est carrément hors de question… ».
360 Mais de toute évidence, les inquiétudes des avocats n’ont eu aucun poids et en fin de compte M. Cornish a été autorisé à percevoir une rémunération aux résultats. L’un des dirigeants du Ministère a fait savoir que, s’il en avait été autrement, M. Cornish aurait été financièrement désavantagé une fois qu’il aurait repris ses fonctions d’avocat de la Couronne. Le Ministère n’avait pas envisagé la possibilité de prendre ce facteur en compte dans son salaire, comme le fait le Conseil privé du Canada quand il détermine les rétributions pour ses organismes autonomes. Un autre facteur encore plus troublant est l’absence complète de toute directive objective garantissant que le rendement de M. Cornish n’est pas évalué en fonction de considérations inappropriées.
361 Nous avons été informés qu’il n’existait pas de document officiel d’évaluation du rendement pour M. Cornish, mais que le sous-procureur général consultait les deux adjoints qui travaillent le plus étroitement avec l’UES. Une note de service datée du 18 octobre 2006, recommandant que M. Cornish soit renommé à ce poste et que son mandat soit prolongé, indiquait qu’il avait reçu la plus haute évaluation possible des cadres supérieurs de gestion cette année-là. Un adjoint au sous-procureur général consulté lors du processus d’évaluation a expliqué que ce résultat s’appuyait sur le fait que M. Cornish avait entrepris plusieurs tâches administratives difficiles et de longue haleine à l’UES, à savoir les programmes de liaison et de relations de travail.
362 L’année suivante, en mai 2007, le sous-procureur général a envoyé un courriel demandant à deux adjoints leurs conseils à propos du rendement de M. Cornish. L’un d’eux a répondu que M. Cornish était parvenu à améliorer le moral de son personnel et les relations de travail à l’UES, qu’il avait étendu son influence en parlant en public et en établissant des rapports plus étroits avec les employés, qu’il avait entrepris des efforts pour établir des normes de rendement et qu’il avait réussi à respecter son budget. L’autre adjoint a précisé ceci à propos de M. Cornish, dans son courriel :
… il avise régulièrement, et avec promptitude, les dirigeants ministériels désignés au sujet des incidents. Il nous informe aussi des développements pour assurer une meilleure gestion des questions à régler. James et son personnel ont travaillé en collaboration avec le personnel juridique et les responsables des politiques du Ministère pour élaborer une stratégie destinée à gérer de manière juste et rapide les étapes potentielles de surveillance des activités de l’UES. Dans l’ensemble, cette année encore a été très bonne.
363 D’après les rares documents qui existent sur le processus de gestion du rendement, les critères essentiels d’évaluation du directeur de l’UES par le Ministère ont apparemment été le moral du personnel, le respect du budget et la promptitude à tenir le Ministère informé. Cependant, l’un des adjoints au sous-procureur général que nous avons interviewé, et qui avait été consulté lors de l’évaluation du rendement de M. Cornish, a reconnu ceci : « Si nous n’avions pas pensé qu’il faisait un bon travail d’enquête », il n’aurait pas eu une aussi bonne évaluation. Ceci semble indiquer que le potentiel existe pour l’évaluation de s’étendre à des considérations sur le travail d’enquête du directeur. Et c’est précisément là que réside l’un des dangers de l’évaluation du rendement du directeur d’un organisme indépendant – la frontière entre les questions administratives/financières et les pratiques/résultats d’enquêtes peut fort aisément devenir vague.
364 Je ne veux aucunement critiquer l’intégrité et le jugement personnels de M. Cornish. Le fait qu’il reçoive une rétribution au rendement n’a peut-être aucune répercussion sur sa capacité de pouvoir décisionnel. Mais ces arrangements institutionnels présentent le potentiel de compromettre l’apparence d’indépendance structurelle de l’UES. Face à cette situation, le public pourrait fort bien conclure que les décisions du directeur quant au fonctionnement de l’UES peuvent être influencées par ses relations avec ses évaluateurs.
365 Le directeur d’un organisme indépendant tel que l’UES doit être préparé à se faire le champion de son mandat. Conformément au Protocole d’entente, le directeur doit s’assurer « qu’un dialogue sain et ouvert est maintenu avec les représentants des organismes policiers et avec le public, de même qu’avec les communautés intéressées par la surveillance policière et par la redevabilité de la police ». Qu’advient-il si un directeur croit fermement qu’il doit contester publiquement le non-respect des obligations de coopération par un service de police, mais que le Ministère considère « malséante » toute tentative d’informer le public de la résistance de la police? Ou que se passe-t-il si le directeur demande un complément de fond pour mener correctement les enquêtes et se trouve contraint de défendre une augmentation de budget, mais que le Ministère préconise des réductions budgétaires? Si le directeur va de l’avant, à l’encontre des intérêts du Ministère, il se pourrait fort bien qu’il obtienne une mauvaise évaluation de son rendement pour ne pas avoir défendu les intérêts ministériels. Le directeur ne devrait jamais être placé dans une situation où ses intérêts personnels peuvent être perçus comme étant conflictuels avec les besoins du Ministère.
366 L’UES et le Ministère entretiennent actuellement des relations trop étroites pour être saines, et pour garantir la confiance du public de l’Ontario. Afin de dissiper toute suggestion que la conduite du directeur puisse être influencée indûment par son désir de donner satisfaction à ses maîtres au Ministère, il faut éliminer tout potentiel d’influence irrégulière. Idéalement, le Ministère devrait chercher à mettre fin à la rapide succession de directeurs qui s’est produite à l’UES. Le directeur devrait être nommé pour un mandat minimum de cinq ans, sa rétribution étant définie en fonction de normes justes et objectives. La rétribution du directeur ne devrait pas fluctuer selon des critères vagues et arbitraires, ou faire l’objet d’une évaluation formelle du rendement, mais reposer sur des normes objectives. La pratique d’accorder une rétribution au mérite au directeur de l’UES devrait immédiatement prendre fin.
367 L’UES traverse actuellement une crise d’identité. Ce n’est ni une entité opérationnelle pleinement autonome, ni une partie intégrante du ministère du Procureur général. Il appartient au gouvernement de lui donner l’infrastructure législative et les ressources nécessaires pour véritablement garantir son indépendance. Dans le « plan d’action » 2005 de l’UES, il est suggéré de donner à l’UES sa propre loi pour clarifier ses relations avec le Ministère. Une note d’information du Ministère en novembre 2005 a corroboré cette recommandation. Pour régler les nombreux problèmes qui continuent d’affliger l’UES et l’empêchent de devenir un organisme de surveillance au plein sens du terme, le temps est venu pour elle de couper les liens et d’affirmer son indépendance, avec l’appui de sa propre loi constitutive.
368 D’autres changements structurels sont également requis pour renforcer la stabilité de l’UES. Actuellement, seul le directeur peut faire rapport sur les cas d’incidents et décider si des accusations doivent être portées ou non. Quand le directeur s’est longuement absenté, le gouvernement a nommé un sous-directeur chargé de le remplacer temporairement[106]. Par exemple, à l’été de 2006, le Ministère a détaché un sous-directeur temporaire pour une période de trois semaines. Durant cette période, il a décidé de 32 cas, dont trois de personnes tuées par des tirs policiers – alors que pour la même période de l’année précédente, le directeur Cornish n’avait décidé que de 10 cas. Plusieurs membres du personnel de l’UES ont dit être inquiets du fait que le sous-directeur ait rendu des décisions dans des cas majeurs, alors qu’il ne connaissait pas bien l’UES et qu’il n’avait pas participé au processus normal de breffage. Dans l’affaire Duane Christian (page 40), le sous-directeur a rendu une brève décision de deux pages et demie et a fermé le dossier sans même attendre l’entrevue du policier-sujet. Et dans le cas d’un malade mental tué par un tir policier, il a fermé le dossier par une décision d’une page et demie, après 10 mois d’enquête. Ces deux décisions ont soulevé des inquiétudes parmi les rangs de l’UES et chez les familles des décédés. L’UES a indiqué que, vu sa charge accrue de travail, et dans l’intérêt de la communauté, un poste permanent de sous-directeur devrait être créé. Cette proposition paraît raisonnable.
369 Par conséquent, pour renforcer l’indépendance de l’Unité des enquêtes spéciales, je fais les recommandations suivantes :
Le ministère du Procureur général devrait immédiatement mettre fin à sa pratique de gérer au rendement le directeur de l’Unité des enquêtes spéciales et devrait prendre des mesures pour s’assurer que la rétribution du directeur est déterminée objectivement. (Recommandation 29)
L’Unité des enquêtes spéciales devrait être reconstituée en vertu d’une nouvelle loi traitant spécifiquement de son mandat et de son autorité d’enquête. (Recommandation 32)
Une disposition de loi devrait stipuler que le directeur de l’Unité des enquêtes spéciales est nommé pour un mandat renouvelable de cinq ans, sa rétribution étant établie de manière objective et non liée à son rendement. (Recommandation 40)
Une disposition de loi devrait stipuler la nomination d’un sous-directeur à l’Unité des enquêtes spéciales par décret en conseil. (Recommandation 41)
370 Depuis 2003, l’UES est affligée par des problèmes de relations entre employeur et travailleurs. Depuis son entrée en fonction, le directeur Cornish considère que l’apaisement du climat interne de l’UES est une priorité. Dès son arrivée, il a fait des efforts concertés pour s’attaquer aux problèmes de moral, qui découlaient à l’époque d’un grief à propos de la création d’un quart d’équipe en après-midi pour faire des économies. Depuis des années, le directeur Cornish encourage le personnel à travailler de manière collaborative pour refléter les valeurs de « confiance, respect et communication ». Grâce à ses efforts, l’UES a adopté une nouvelle devise – « Une seule loi » – et a mis à jour son « Credo de l’enquêteur » qui énonce des principes aussi fondamentaux que l’importance d’éliminer le favoritisme personnel, de faire preuve d’intégrité, de montrer de la délicatesse, d’enquêter avec rigueur, d’être redevable, de travailler dans le respect, de coopérer et de bien faire les choses.
371 La question du quart de travail en après-midi a été réglée avec l’aide d’un médiateur en octobre 2006. Un comité patronal-syndical a été créé alors pour considérer divers éléments organisationnels. Toujours pour « favoriser les communications ouvertes », le directeur Cornish organise des « rencontres-café » informelles toutes les deux semaines, durant lesquelles lui, un superviseur ou le chef enquêteur rencontre les représentants syndicaux.
372 Au printemps 2007, le directeur Cornish a lancé un projet pour adopter la méthode de « Balanced Scorecard » (système de gestion à plusieurs volets équilibrés). Avec l’aide financière du Ministère, l’UES a fait appel à un consultant pour faciliter le processus, visant à élaborer un ensemble partagé de valeurs, une vision et une mission, des politiques, des mesures de rendement, des plans d’apprentissage et de formation. À l’automne 2007, le personnel de l’UES a mis le point final à la mission, à la vision et aux valeurs de l’organisme. Le personnel a aussi créé une « galerie d’idées », sur neuf thèmes stratégiques qui formeront les fondements des objectifs, des initiatives, des cibles mesurables et des plans d’action de l’UES[107]. Le directeur Cornish a décrit cette approche comme un cheminement, plutôt que comme une destination. En théorie, une fois que l’UES aura achevé les différentes étapes de ce processus intensif d’introspection, ses relations avec l’extérieur et la qualité de ses enquêtes en seront meilleures. Le directeur Cornish a souligné que l’UES se concentre actuellement sur un effort de collaboration. Les décisions majeures à propos des modifications de politiques et de l’achat d’équipement sont prises en consultation, grâce à un dialogue continu, et avec le consensus du comité patronal-syndical. De plus, les gestionnaires de l’UES reçoivent actuellement une formation pour adapter leur style de gestion à la facilitation. Un volet considérable de la formation interne du personnel a porté sur les perceptions personnelles et les interactions des employés.
373 Malgré ces efforts authentiques et ciblés pour éliminer les querelles internes, beaucoup d’employés de l’UES nous ont dit lors de notre enquête que les problèmes de moral subsistent. Plusieurs étaient sceptiques, voire confus, face à ce nouveau système de gestion équilibrée, décrite par l’un d’eux comme « un truc politique vague, pour remonter le moral ». Certains considéraient que la culture de l’UES s’améliorait lentement, mais d’autres ont qualifié la dynamique interne de « dysfonctionnelle », « pourrie et branlante », ou même « empoisonnée et malsaine ». Selon un membre du personnel, l’importance accordée à la collaboration dans le processus décisionnel a entraîné une « paralysie d’analyse » aiguë car personne ne veut prendre la tête quand il le faut. Ce phénomène est très courant quand un organisme décide de laisser la gestion aux comités.
374 Je ne voudrais paraître ni trop pessimiste, ni trop sceptique, face aux tentatives de l’UES. Mais j’ai vu trop d’organisations tomber dans le piège qui consiste à consacrer un temps et des ressources considérables à des « déclarations de mission » et à des « cheminements critiques » de processus décisionnel, qui ne mènent jamais à des changements positifs. Comme l’a fait remarquer un membre du personnel de l’UES, « ce ne sont encore que des mots sur du papier ». Rappelons que la mission de l’UES est déjà clairement définie par la loi. l’UES est tenue de mener des enquêtes criminelles sur les incidents de blessures graves et de décès impliquant des policiers. L’UES devrait s’assurer que son personnel est formé aux enquêtes, que ses politiques et ses pratiques ont pour but l’efficacité de ses enquêtes, et qu’elle surveille son travail pour en garantir la qualité.
375 Actuellement, l’UES est plongée dans une culture de consensus – et bien que le consensus puisse être une très bonne chose, il ne remplace jamais l’efficacité de la gestion. Il y a une ironie particulière dans toutes ces bonnes intentions, et c’est le degré d’insatisfaction exprimé par de nombreux employés de l’UES, qui considèrent que la direction ne s’attaque pas aux problèmes réels qui continuent de menacer l’efficacité de l’Unité – par exemple le manque perçu de coopération de la police.
376 Par conséquent, je fais la recommandation suivante :
L’Unité des enquêtes spéciales devrait recentrer son attention, actuellement portée sur une auto-analyse interne concertée, pour viser l’excellence du processus d’enquête et pour prendre les mesures requises afin d’obtenir la coopération des services de police dans le cadre de l’exercice de son mandat. (Recommandation 20)
377 L’historique de la surveillance exercée sur la police en Ontario est marqué par une succession de gouvernements qui ont réagi de manière réflexive chaque fois qu’une controverse éclatait. L’intérêt du gouvernement à réformer l’UES a donc été le plus souvent incomplet et de courte durée. Il a fallu bien des années, et des demandes réitérées pour un financement adéquat de l’UES et pour des directives réglementaires sur la coopération de la police, avant de voir le début de vraies réformes. Bien que reconnaissant la valeur d’un système indépendant d’enquête criminelle sur la police, les gouvernements ont cherché des solutions neutres et ont évité d’adopter des mesures qui pourraient paraître trop menaçantes au secteur policier. Malheureusement, cette approche n’a pas éliminé les problèmes de coopération de la police, mais les a mieux dissimulés.
378 Si les problèmes de résistance de la police subsistent, c’est parce que les conséquences du non-respect des exigences ne sont pas assez lourdes dans ce système de surveillance et parce que la direction de l’UES se montre trop réticente à prendre des mesures décisives d’action. Durant notre enquête, l’UES s’est accrochée à la note de passage qu’elle avait reçue de George Adams en février 2003 et a déclaré qu’il n’y avait plus de problèmes systémiques de coopération de la police. Mais notre enquête a révélé que cet organisme accepte régulièrement des retards bien au-delà des délais prévus par les règlements relativement à la notification des incidents graves et aux entrevues des policiers-témoins, laisse en suspens les désaccords à propos de la divulgation des preuves, et répond souvent aux incidents avec un manque de rapidité et de rigueur. Fait plus déconcertant encore : l’influence d’une culture policière sur les pratiques et les politiques de l’UES était palpable, se manifestant sous la forme de symboles de loyauté à la police ou provenant du fait que tous ses gestionnaires d’enquête et la plupart des membres de son personnel d’enquête sont d’anciens policiers. L’UES est née de la méfiance qu’avait le public face à une police des polices. Il est critique qu’elle rompe rapidement ses liens avec la police qui continuent de l’empêcher d’être un vrai organisme de surveillance civile.
379 Dans son deuxième rapport, M. Adams a souligné « l’importance de l’UES et la nécessité de son amélioration constante »[108]. Bien que certains progrès aient été accomplis au cours de la dernière décennie, aussi bien sur le plan des ressources accordées à l’UES que sur celui de la mise en place de réformes de réglementation, il est clair que des progrès plus poussés s’imposent pour que le public, la police et même l’UES aient vraiment confiance en ce système. L’UES est un organisme important, tout à fait unique dans la société canadienne. C’est un excellent modèle d’enquête criminelle sur la police. Mais la province devrait s’assurer que ce « pavois de la démocratie », comme l’a dit M. Adams[109], a la structure législative et les ressources nécessaires pour s’acquitter de son mandat efficacement, de manière autonome. Le recours considérable de l’UES au soutien administratif et technique du ministère du Procureur général continue de freiner son évolution en tant qu’organisme de surveillance. L’influence potentielle actuelle du Ministère sur le directeur, résultant de ses pratiques de gestion au rendement, est contraire au statut d’indépendance de l’Unité.
380 L’UES a été créée dans l’intérêt public pour garantir la responsabilisation de la surveillance policière au sein de la province. Mais la responsabilisation va main dans la main avec l’ouverture et la transparence. S’il n’est pas informé des raisons des décisions prises par le directeur quand celui-ci ne porte pas d’accusations contre des policiers impliqués dans des incidents de blessures graves ou de décès, le public est contraint de croire que ces décisions sont raisonnées et justes. Les personnes concernées, les policiers impliqués, les dirigeants de la police et le public sont en droit d’obtenir beaucoup plus. L’examen des cas par l’UES devrait se faire dans une transparence continue, allant des rapports du directeur de l’Unité jusqu’aux résultats des enquêtes internes connexes de la police.
381 La promesse faite en Ontario d’un système civil de surveillance policière sur les incidents causant des blessures graves et des décès n’a pas encore été pleinement tenue. J’ai confiance que le modèle de surveillance établi peut fonctionner – et bien fonctionner. Mais l’UES et le ministère du Procureur général devront changer de pratiques et le gouvernement devra instaurer une réforme législative pour que l’UES réalise pleinement son potentiel. Je crois que le gouvernement a tout au moins une obligation morale de s’assurer que les institutions qu’il crée sont dotées de la structure, des ressources et des outils requis pour s’acquitter de leur mandat. Les citoyens de l’Ontario sont en droit d’avoir de telles attentes envers lui.
382 Je considère que, conformément aux alinéas 21(1)b) et d) de la Loi sur l’ombudsman, le manquement de l’Unité des enquêtes spéciales à encourager fermement le respect des exigences réglementaires de la part des dirigeants de la police et à réagir aux violations de telles exigences, à garantir l’intervention la plus efficace en cas d’incidents, et à reconnaître et à éradiquer les pratiques qui minent sa crédibilité en tant qu’organisme indépendant d’enquête est déraisonnable et erroné.
383 Je considère aussi que l’habitude qu’a l’Unité des enquêtes spéciales de ne pas rendre publics les rapports du directeur dans les cas où aucune accusation n’a été portée repose sur une pratique ou une règle de loi qui est déraisonnable en vertu de l’alinéa 21(1)b) de la Loi sur l’ombudsman.
384 De plus, je considère qu’en vertu des alinéas 21(1)b) et d) de la Loi sur l’ombudsman, le manquement du ministère du Procureur général à prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que l’UES dispose du soutien réglementaire et opérationnel requis pour s’acquitter efficacement de son mandat, et à établir une méthode de rétribution du directeur qui reflète le statut d’indépendance de l’UES, est déraisonnable et erroné.
Recommandation 1
L’Unité des enquêtes spéciales devrait exiger que son personnel recherche systématiquement les manquements de la police à respecter promptement et complètement les exigences législatives et réglementaires, qu’il en consigne les raisons et qu’il en avise la direction, entre autres sur les points suivants :
- notification des incidents relevant de son mandat;
- isolement et requête des notes prises par les policiers;
- entrevues des policiers-témoins.
Alinéas 21(3)b), 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 2
L’Unité des enquêtes spéciales devrait s’assurer que son personnel d’enquête s’enquiert des circonstances pertinentes de l’isolement des policiers-témoins et de leur prise de notes, et qu’il consigne les faits.
Alinéas 21(3)b), 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 3
L’Unité des enquêtes spéciales devrait s’assurer que tous les retards de la police ou tout autre manquement par la police à se conformer aux exigences législatives et réglementaires sont analysés comme il se doit et que des mesures rigoureuses sont prises pour garantir leur respect, notamment en rendant publics les incidents de non-respect et en faisant appel aux tribunaux pour un règlement déterminant en cas d’interprétation contestée.
Alinéas 21(3)b), 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 4
L’Unité des enquêtes spéciales devrait veiller à répondre aux incidents aussi rapidement que possible grâce à un système d’appels continus – et non pas intermittents – de son personnel d’enquête et de son personnel médico-légal.
Alinéas 21(3)b), 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 5
L’Unité des enquêtes spéciales ne devrait retarder sa réponse aux incidents que dans des circonstances exceptionnelles, et uniquement après avoir vérifié les faits indépendamment. En cas de doute, l’UES devrait répondre à la notification de la police.
Alinéas 21(3)b), 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 6
L’Unité des enquêtes spéciales devrait s’assurer que les enquêteurs les plus proches du lieu d’un incident sont appelés, peu importe s’ils sont enquêteurs à plein temps ou à temps partiel, ou s’ils vont entrer en heures supplémentaires.
Alinéas 21(3)b), 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 7
L’Unité des enquêtes spéciales devrait revoir sa politique sur les véhicules automobiles en concordance avec le changement des méthodes de déploiement recommandées ci-dessus.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 8
L’Unité des enquêtes spéciales devrait s’assurer que des enquêteurs ayant une formation spécialisée en agression sexuelle sont déployés pour enquêter sur les incidents d’agression sexuelle, et que les agents de liaison des Premières nations reçoivent en priorité une formation intensive sur les agressions sexuelles.
Alinéas 21(3)b), 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 9
L’Unité des enquêtes spéciales devrait s’assurer qu’aucun ancien policier, y compris son chef enquêteur, n’est mis dans une situation qui l’amène à traiter de cas concernant son ancien corps de police, à quelque titre que ce soit.
Alinéas 21(3)b), 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 10
L’Unité des enquêtes spéciales devrait s’assurer qu’aucun membre de son personnel d’enquête ne porte ou n’affiche des symboles suggérant qu’il s’identifie à la police ou montrant son ancienne appartenance à la police ou son ancien statut de policier.
Alinéas 21(3)b), 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 11
L’Unité des enquêtes spéciales devrait immédiatement prendre des mesures pour garantir une représentation civile au sein de son personnel de direction des enquêtes.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 12
L’Unité des enquêtes spéciales devrait veiller à recruter son personnel d’enquête par un processus de concours ouverts et devrait chercher à obtenir la représentation de la police et de la communauté au sein de ses comités d’embauche.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 13
L’Unité des enquêtes spéciales devrait exiger, en tant que norme, que les policiers-témoins soient interviewés immédiatement après une requête d’entrevue. Des retards d’entrevues au-delà des 24 heures ne devraient être permis que dans des circonstances extrêmes, par exemple en cas d’incapacité médicale corroborée et documentée. Les retards d’entrevues devraient être autorisés par un superviseur ou par un supérieur.
Alinéas 21(3)b), 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 14
Les entrevues avec les policiers-témoins devraient avoir lieu, qu’un policier soit en service ou non. Les enquêteurs de l’Unité des enquêtes spéciales devraient se rendre au domicile des policiers, dans les hôpitaux ou dans tout autre lieu pour faire les entrevues sans retard.
Alinéas 21(3)b), 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 15
L’Unité des enquêtes spéciales ne devrait pas retarder les entrevues des policiers-témoins qui sont en congé de maladie, à moins d’avoir obtenu la preuve satisfaisante que leur santé pourrait s’en trouver menacée.
Alinéas 21(3)b), 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 16
Le directeur de l’Unité des enquêtes spéciales devrait exercer son pouvoir de révoquer le droit d’un policier à être représenté juridiquement lors d’une une entrevue si cette entrevue risque de s’en trouver déraisonnablement retardée au-delà des 24 heures.
Alinéas 21(3)b), 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 17
L’Unité des enquêtes spéciales devrait exiger que ses enquêteurs communiquent immédiatement avec les policiers-sujets et déterminent s’ils sont disposés à faire une entrevue. Les entrevues avec les policiers-sujets devraient avoir lieu au plus vite.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 18
L’Unité des enquêtes spéciales devrait montrer aux témoins civils la même courtoisie qu’aux policiers-témoins et leur remettre une copie de leur déposition, sous réserve de toute crainte légitime que l’intégrité de l’enquête n’en souffre.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 19
L’Unité des enquêtes spéciales devrait soumettre ses pratiques et ses politiques à un examen professionnel pour s’assurer qu’elles reflètent les normes d’excellence des enquêtes sur les crimes majeurs, dont les homicides, et devrait chercher à adopter les pratiques exemplaires propres à son mandat.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 20
L’Unité des enquêtes spéciales devrait recentrer son attention, actuellement portée sur une auto-analyse interne concertée, pour viser l’excellence du processus d’enquête et pour prendre les mesures requises afin d’obtenir la coopération des services de police dans le cadre de l’exercice de son mandat.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 21
Tant qu’il n’existera pas de disposition législative pour exiger la divulgation des rapports du directeur, l’Unité des enquêtes spéciales devrait donner plus de renseignements aux dirigeants de la police, aux personnes concernées et au public sur ses raisons de ne pas porter d’accusations criminelles contre des policiers.
Alinéas 21(3)b), 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 22
L’Unité des enquêtes spéciales devrait rendre publics les problèmes importants relatifs aux pratiques et aux tendances dans le maintien de l’ordre, par exemple celles qui ont trait à l’utilisation des Taser et à la garde à vue, qu’elle découvre lors de ses enquêtes.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 23
Le directeur de l’Unité des enquêtes spéciales devrait rendre publics les renseignements concernant sa pratique de consulter l’Unité des poursuites relatives au secteur de la justice, à propos de la viabilité des poursuites.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 24
Si l’Unité des enquêtes spéciales a besoin de plus amples ressources pour mettre en œuvre mes recommandations, elle devrait présenter une requête appropriée au ministère du Procureur général.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 25
L’Unité des enquêtes spéciales devrait me rendre compte tous les semestres des progrès qu’elle a accomplis pour mettre en œuvre mes recommandations, jusqu’au moment où je serai assuré qu’elle a pris des mesures adéquates pour y répondre.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 26
Le ministère du Procureur général devrait s’assurer que l’Unité des enquêtes spéciales dispose d’une technologie informatique adéquate pour surveiller les tendances et faire des références croisées de cas, afin d’accentuer l’efficacité des enquêtes de l’Unité.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 27
Le ministère du Procureur général devrait s’assurer que l’Unité des enquêtes spéciales dispose des ressources nécessaires pour s’acquitter efficacement de son mandat lui enjoignant de mener des enquêtes criminelles sur les blessures graves et les décès de civils causés par la police.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 28
Le ministère du Procureur général devrait immédiatement prendre des mesures pour s’assurer que l’Unité des enquêtes spéciales dispose d’un système de classification qui lui permet de recruter davantage de civils pour son personnel d’enquête.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 29
Le ministère du Procureur général devrait immédiatement mettre fin à sa pratique de gérer au rendement le directeur de l’Unité des enquêtes spéciales et devrait prendre des mesures pour s’assurer que la rétribution du directeur est déterminée objectivement.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 30
Le ministère du Procureur général devrait signaler les problèmes relatifs aux pratiques de la police ou les problèmes ayant des répercussions d’enquête qui sont découverts par l’Unité des enquêtes spéciales au ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels, ainsi qu’à d’autres ministères, le cas échéant, et il devrait activement chercher à régler ces questions.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 31
Le ministère du Procureur général devrait me rendre compte tous les semestres des progrès qu’il a accomplis pour mettre en œuvre mes recommandations, jusqu’au moment où je serai assuré qu’il a pris des mesures adéquates pour y répondre.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 32
L’Unité des enquêtes spéciales devrait être reconstituée en vertu d’une nouvelle loi traitant spécifiquement de son mandat et de son autorité d’enquête.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 33
Le mandat de l’Unité des enquêtes spéciales devrait être clairement défini dans sa législation constitutive.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 34
La législation constitutive de l’Unité des enquêtes spéciales devrait définir ce qu’est une blessure grave et cette définition devrait comprendre les blessures psychologiques graves, toutes les blessures par balle et les lésions graves aux tissus mous.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 35
Les exigences législatives stipulant que la police doit coopérer avec l’Unité des enquêtes spéciales devraient comprendre une définition précise des notes des policiers, et devraient contraindre la police à divulguer les dossiers pertinents de son personnel, de même que ses politiques.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 36
Le directeur de l’Unité des enquêtes spéciales devrait pouvoir décider, à sa discrétion, de ne pas porter d’accusations criminelles dans l’intérêt public, mais il devrait être tenu de rendre publiques de telles décisions, de même que les raisons qui les sous-tendent. Le directeur devrait pouvoir, à sa discrétion, référer ces cas directement à la Commission civile des services policiers de l’Ontario, en vue d’un examen disciplinaire.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 37
Le directeur de l’Unité des enquêtes spéciales devrait pouvoir, à sa discrétion, référer directement à la Commission civile des services policiers de l’Ontario les incidents de non-respect des exigences législatives et réglementaires par la police, relativement à la coopération des policiers aux enquêtes de l’Unité, pour une prise en considération dans le cadre du processus disciplinaire.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 38
Le manque de coopération ou l’obstruction de la police lors des enquêtes de l’Unité des enquêtes spéciales devrait constituer une infraction punissable d’une amende ou d’une peine de prison comparable à des infractions provinciales similaires.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 39
L’Unité des enquêtes spéciales devrait être légalement tenue de divulguer publiquement les rapports du directeur dans les cas où il a été décidé de ne pas porter d’accusations, sous réserve que le directeur puisse, à sa discrétion, ne pas divulguer certains renseignements si leur divulgation risque de causer des torts graves.
Alinéas 21(3)b), 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 40
Une disposition de loi devrait stipuler que le directeur de l’Unité des enquêtes spéciales est nommé pour un mandat renouvelable de cinq ans, sa rétribution étant établie de manière objective et non liée à son rendement.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 41
Une disposition de loi devrait stipuler la nomination d’un sous-directeur à l’Unité des enquêtes spéciales par décret en conseil.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 42
Il devrait être légalement interdit à un même avocat de représenter des policiers impliqués dans un même incident qui fait l’objet d’une enquête de l’Unité des enquêtes spéciales, afin de maintenir l’intégrité des enquêtes de l’Unité.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 43
Les membres civils de la Police provinciale de l’Ontario devraient être tenus de coopérer aux enquêtes de l’Unité des enquêtes spéciales.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 44
Les rapports d’enquêtes internes de la police connexes aux enquêtes de l’Unité des enquêtes spéciales, et toute mesure d’action qui en résulte, devraient être rendus publics.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 45
Le gouvernement de l’Ontario devrait envisager d’accorder un statut prioritaire aux véhicules de l’Unité des enquêtes spéciales, en vertu du Code de la route.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
Recommandation 46
Le Gouvernement de l’Ontario devrait me rendre compte tous les semestres des progrès qu’il a accomplis pour mettre en œuvre mes recommandations, jusqu’au moment où je serai assuré qu’il a pris des mesures adéquates pour y répondre.
Alinéa 21(3)g) de la Loi sur l’ombudsman
385 À la conclusion de mon enquête, j’ai fait parvenir un rapport préliminaire et des recommandations à l’UES, au ministère du Procureur général, et au procureur général, pour qu’ils les étudient et les commentent. À la requête du Ministère, j’ai ensuite envoyé le rapport préliminaire au ministre et au ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels, pour faciliter la consultation entre ces deux ministères.
386 Dans la réponse qu’il m’a adressée le 2 septembre 2008 au nom de l’UES, M. Cornish a déclaré son engagement à considérer pleinement et soigneusement chacune de mes recommandations à l’UES et à prendre « des mesures d’action concertée dans toute la mesure du possible ». Il a indiqué :
Je reconnais que personne ne peut prendre pour acquise la confiance du public dans cette institution importante. Tous ceux qui ont un intérêt dans la vigueur d’un système de surveillance civile doivent travailler avec vigilance afin de s’assurer que l’UES reste un élément robuste et efficace de responsabilisation de la police et de la confiance du public. Tout au long de l’histoire de l’UES, de nombreuses personnes ont contribué à ce système civil de surveillance policière qui est devenu un modèle pour le reste du Canada et pour le monde. Nous considérons que vos recommandations représentent un pas constructif de plus dans le sens de ce processus.
387 M. Cornish a indiqué que l’UES prendrait toutes les mesures nécessaires pour donner suite à mes recommandations et pour rendre compte des progrès à mon Bureau. Il a ensuite donné réponse à plusieurs recommandations précises.
388 Il a souligné que l’UES travaille actuellement à l’élaboration d’un nouveau système de gestion des cas, et il s’est engagé à prendre des mesures d’action pertinentes pour remédier aux manquements apparents de respect par la police et pour explorer les moyens d’améliorer les délais d’intervention de l’UES. (Recommandations 1 à 3) Il a signalé que l’UES fournit maintenant des BlackBerries, dont certains avec GPS, à tout son personnel d’enquête. M. Cornish a aussi expliqué que l’UES procède à une refonte de la méthode d’appels qu’elle suit pour intervenir en cas d’incidents. Mais il a suggéré que, lors du déploiement, des facteurs comme la disponibilité du personnel et la charge de travail seraient aussi considérés, (Recommandations 4 à 6) Il a précisé que l’UES ferait un suivi de sa réactivité aux incidents et modifierait au besoin sa politique sur les véhicules. (Recommandation 7) Il a aussi expliqué que le coordonnateur de la formation à l’UES a déjà pris des mesures pour remédier à certains des problèmes de formation soulignés par moi. (Recommandation 8) De plus, il a indiqué que l’UES met le point final à une politique relative à l’interdiction législative de la participation du personnel de l’UES aux enquêtes impliquant leur ancien corps de police. (Recommandation 9)
389 M. Cornish a déclaré qu’il était « particulièrement attristé d’entendre dire que certains enquêteurs de l’UES avaient employé des termes dérogatoires et impropres au cours de leurs enquêtes ». Il a indiqué que, s’il avait été informé de ces cas, « il y aurait donné immédiatement la plus ferme des réponses ». Il a expliqué qu’il avait clairement exprimé ses attentes quant à l’impartialité requise et qu’il rappellerait son personnel à l’ordre. (Recommandation 10) En ce qui concerne le recrutement d’un plus grand nombre d’enquêteurs civils, il a noté que l’UES continuerait de demander aux dirigeants communautaires de l’aider à faire connaître les postes d’enquête vacants, en publiant des annonces dans les journaux communautaires et par d’autres moyens. Il a ajouté que l’UES avait récemment obtenu une deuxième classification pour les postes d’enquête, qui pourrait contribuer à attirer plus d’enquêteurs provenant du public. (Recommandations 11 et 12)
390 M. Cornish s’est engagé à communiquer avec les associations de police pour souligner que les avocats ne peuvent pas retarder indûment les entrevues avec les policiers-témoins en raison de leurs propres échéanciers, et pour leur rappeler que le directeur de l’UES peut, à sa discrétion, suspendre le droit d’un policier à une représentation juridique si son entrevue risque de s’en trouver indûment retardée. Il s’est aussi engagé à se prévaloir de son pouvoir discrétionnaire de directeur dans les circonstances appropriées. (Recommandation 16)
391 M. Cornish a fait savoir que l’UES verrait si elle doit remettre aux témoins civils une copie de leur déposition de manière routinière et qu’elle s’efforcerait d’obtenir un examen professionnel de ses pratiques et de ses politiques par un organisme externe. (Recommandations 18 et 19)
392 M. Cornish a continué de promouvoir le nouveau système organisationnel de « Balanced Scorecard » adopté sous sa direction, lui attribuant un certain nombre de succès, dont l’élaboration d’un nouveau système de gestion des cas, la refonte du processus d’examen des cas, l’étude des affectations des enquêteurs, les projets de liaison, l’évolution de la culture et des pratiques de l’UES, la création de nouveaux postes de formation et l’adoption d’un nouveau programme de mentorat. Il a souligné que, récemment, plus de 90 % du personnel de l’UES s’était prononcé en faveur de conserver cette méthode de « Balanced Scorecard ». Néanmoins, il a précisé que le souci de « l’excellence dans les enquêtes » doit rester prioritaire à l’UES. (Recommandation 20)
393 M. Cornish a également fait savoir que l’UES continuerait d’explorer les moyens d’améliorer sa capacité d’intervention et sa transparence, aussi bien pour les personnes concernées par ses interventions que pour le public, par exemple en publiant plus fréquemment des communiqués de presse complets, expliquant les raisons de ses décisions, tout en respectant les limites imposées par les lois sur la protection de la vie privée et par la nécessité de préserver l’efficacité du processus d’enquête. (Recommandations 21 à 23) Il a ajouté que le procureur général avait récemment approuvé la demande de financement présentée par l’UES pour un nouveau Centre mobile d’enquête, quatre nouveaux postes d’enquête (dont deux sont des postes de formation pour des enquêteurs provenant du civil), deux nouveaux postes administratifs et un poste de coordonnateur des activités de liaison. (Recommandation 24)
394 Dans ses commentaires de conclusion, M. Cornish a noté :
J’aimerais vous remercier, vous et votre personnel, du service public important que vous avez assuré en menant cette enquête sur l’UES et sur ses méthodes. Je suis tout à fait confiant qu’il en résultera une institution publique encore plus forte et plus dynamique dans les années à venir.
395 Le fait même de lancer une enquête de l’Ombudsman peut être un catalyseur de changement. Une fois que mon enquête sur l’efficacité et la crédibilité des opérations de l’UES a commencé – et durant tout son déroulement – l’UES et le Ministère ont clairement été plus motivés pour apporter des améliorations. Toutefois, malgré certains efforts préliminaires, il reste encore beaucoup à faire.
396 L’UES a montré sa volonté à appliquer mes recommandations, dans l’ensemble. Mais ses engagements paraissent plutôt superficiels, prenant la forme de généralités vagues et mièvres. Un nouveau directeur de l’UES entrera en fonction le 16 octobre 2008. Reste à voir si l’UES acceptera concrètement l’esprit de mes recommandations et procédera aux changements importants qu’elles exigent au niveau de ses pratiques, de sa culture et de sa performance. Je considérerai avec soin les rapports périodiques de l’UES sur les mesures qu’elle prend pour appliquer mes recommandations, afin de m’assurer qu’elle apporte des changements réels et durables et qu’elle ne se contente pas d’accepter mes recommandations pour la forme, reprenant alors ses anciens comportements.
397 La réponse du ministère du Procureur général à mon rapport préliminaire et à mes recommandations semble réservée, tout comme celle de l’UES, et sans véritable engagement. Le Ministère a déclaré que, « en agissant rapidement pour répondre aux questions soulevées par votre rapport, nous sommes convaincus que nous parviendrons à améliorer la performance de cette importante institution publique ainsi que la confiance qu’elle suscite ».
398 Le Ministère a fait référence à des mesures qu’il prend actuellement pour améliorer le fonctionnement de l’UES, dont l’élaboration d’un nouveau système de gestion des cas, une allocation de fonds supplémentaires de 700 000 $ destinée à la création de huit nouveaux postes à l’UES, ainsi que la création de la nouvelle classification d’enquêteur de premier échelon. (Recommandations 26 à 28) Le Ministère a entrepris de clarifier la redevabilité du directeur de l’UES pour s’assurer qu’elle repose sur des critères clairs, objectifs, mesurables et bien documentés. (Recommandation 29) Il s’est aussi engagé à communiquer aux ministères pertinents les problèmes que l’UES signale quant aux pratiques de la police et aux autres questions ayant des répercussions sur ses enquêtes. (Recommandation 30) De plus, le Ministère a indiqué que, sous réserve de l’approbation du lieutenant-gouverneur en conseil, il veillerait à ce que le directeur de l’UES soit nommé pour un mandat de cinq ans. (Recommandation 40)
399 Quant à mes recommandations de changements législatifs, le Ministère a déclaré qu’il « entreprendrait immédiatement de parler aux Ontariens de ces propositions, alors que nous identifions des moyens législatifs et autres pour parvenir aux objectifs sous-jacents ». (Recommandations 32 à 45) Le Ministère a remercié mon Bureau de son professionnalisme et de son dévouement lors de cet examen, ajoutant qu’il permettrait de « renforcer la qualité de la surveillance civile en Ontario, tout en rendant un grand service aux citoyens de l’Ontario ».
400 Certes, les louanges du Ministère sont appréciées, mais il reste à voir si les mesures qu’il s’est engagé à prendre, y compris la promesse plutôt amorphe d’un dialogue avec les Ontariens sur les changements législatifs, se traduiront par les améliorations concrètes et requises que j’ai recommandées. Tout comme dans le cas de l’UES, je surveillerai de très près les progrès du Ministère, par les mises à jour qu’il me fera, pour m’assurer que ses actes parlent plus haut et plus fort, et plus précisément, que ses mots.
401 Le 8 septembre 2008, le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels a également donné réponse à mon rapport préliminaire. Ce Ministère s’est engagé à travailler en proche collaboration avec le ministère du Procureur général pour étudier mes recommandations, en particulier celles qui s’adressent à la police. Il a précisé que, relativement à la question de la notification, l’OPP s’engage à divulguer les renseignements et à coopérer avec le processus d’enquête aussi rapidement que possible. Cependant, il a précisé que l’OPP se trouve dans une « position unique », car ses agents sont déployés dans toute la province, y compris dans des communautés éloignées, la conséquence étant que « les superviseurs doivent parfois parcourir de grandes distances pour se rendre sur les scènes d’incident et les évaluer ». Ce Ministère a aussi entrepris de travailler avec le ministère du Procureur général pour régler les problèmes relatifs aux pratiques de la police et aux autres questions qui ont des répercussions sur les enquêtes de l’UES. En conclusion, le Ministère a déclaré : « Nous apprécions l’excellent travail des policiers et nous nous engageons à veiller à ce que le maintien de l’ordre dans cette province réponde aux normes les plus exigeantes. »
402 L’UES de l’Ontario est un élément critique de la surveillance policière dans cette province. Il y va de l’intérêt de tous les citoyens que l’UES ait l’autorité, les ressources, la capacité et la culture nécessaires pour exercer une surveillance efficace, juste et autonome des incidents causant des décès et des blessures graves parmi des civils à la suite d’une intervention policière.
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André Marin
Ombudsman de l’Ontario
[1] Code criminel, L.R.C., 1985, chap. C-46, art. 25; Équipement et Recours à la force, R.R.O. 1990, Règl. 926, art. 9.
[2] Assemblée législative de l’Ontario, « Rapport du groupe d’étude sur les relations interraciales et la surveillance policière », Groupe d’étude sur les relations interraciales et la surveillance policière de l’Ontario, dans les Documents parlementaires, no 354 (1989) à 23 [Rapport de 1989 du groupe d’étude sur les relations interraciales et la surveillance policière].
[3] Arthur Maloney, c.r., Metropolitan Toronto Board of Commissioners of Police, The Metropolitan Toronto review of citizen-police complaint procedure (Toronto : 1975); Ontario, Royal Commission into Metropolitan Toronto Police Practices, Report of the Royal Commission into Metropolitan Toronto Police Practices par Donald R. Morand (Toronto : Imprimeur de la Reine, 1976); Walter G. Pitman, Task Force on Human Relations, Now is Not Too Late (Toronto : Municipality of Metropolitan Toronto, 1977); Gerald Emmett Carter, Report to the civic authorities of Metropolitan Toronto and its citizens (Toronto : Bureau du Cardinal, 1979); Ontario, Assemblée législative, « Policing in Ontario for the eighties: perceptions and reflections: report », Ontario Task Force on the Racial and Ethnic Implications of Police Hiring, Training, Promotion and Career Development, dans Documents parlementaires, no 314/214 (1980) (présidente : Reva Gerstein); Ontario, Task Force on the Use of Firearms by Police Officers, Report of the Task Force on the Use of Firearms by Police Officers par John F. Greenwood (Toronto : Ministère du Procureur général, 1980).
[4] Lester Donaldson, âgé de 44 ans, a été tué le 9 août 1988 à Toronto et Michael Wade Lawson, 17 ans, a été tué le 8 décembre 1988 dans la région de Peel.
[5] Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, chap. P.15 [Loi sur les services policiers].
[6] Ontario, Assemblée législative, « Le racisme en Ontario : Rapport au premier ministre de Stephen Lewis », Bureau du premier ministre, dans Documents parlementaires, no 352/073 (1992).
[7] Ontario, Rapport d’étude sur les réformes de l’Unité des enquêtes spéciales rédigé à l’intention du Procureur général de l’Ontario par l’honorable George W. Adams, c.r. (Toronto : Ministère du Procureur général, 1998) à 10 [Rapport d’étude de 1998 de l’honorable George W. Adams, c.r.].
[8] Ontario, Rapport du Groupe d’étude sur les relations interraciales et la surveillance policière (Toronto : Groupe d’étude, 1992) [Rapport de 1992 du Groupe d’étude sur les relations interraciales et la surveillance policière].
[9] Ontario, Rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario (Toronto : Imprimeur de la Reine, 1995) à 379 [Rapport de la Commission sur le racisme systémique].
[10] Ibid. à 377.
[11] Ibid. à 381.
[12] Ontario, A report and recommendations on amendments to the Police Services Act respecting civilian oversight of police (Toronto : Miller Thomson, 1996).
[13] Ibid. à 26-27.
[14] Projet de loi 105, Loi de 1997 modifiant la Loi sur les services policiers, première séance, 36e législature, Ontario, 1997 (sanctionné le 26 juin 1997) L.O. 1997, chap. 8 : entre autres dispositions, la loi abolissait la Commission des plaintes contre la police et les commissions d’enquête.
[15] 1998, Rapport de consultation de 1998 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 7 à 19.
[16] Ibid. à 55.
[17] Conduct and Duties of Police Officers Respecting Investigations by the Special Investigations Unit, Règl. de l’Ont. 673/98 (existe en anglais uniquement).
[18] Règl. de l’Ont. 123/98.
[19] Ontario, Rapport d’étude sur les réformes de l’Unité des enquêtes spéciales rédigé à l’intention du procureur général de l’Ontario par l’honorable George W. Adams, c.r. (Toronto : Ministère du Procureur général, 2003) [Rapport d’étude de 2003 de l’honorable George W. Adams, c.r.].
[20] Ibid. à 12.
[21] Ibid. à 74.
[22] Wiche v. Ontario, [2001] O.J. no 1850 au par. 61 (C. Sup. de l’Ont.).
[23] Unité des enquêtes spéciales, « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletWhat We Do – Stats », en ligne : Unité des enquêtes spéciales (dernier accès : 17 juillet 2008).
[24] Supra note 17, art. 3.
[25] Ibid., art. 5.
[26] Supra note 17.
[27] Rapport de la Commission sur le racisme systémique, supra note 9 à 382-383.
[28] Voir le Rapport de consultation de 1998 de l’honorable George W Adams, c.r., supra note 8 à 22-23; Rapport d’examen de 2003 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 19 à 18. Voir aussi In the Matter of The Ipperwash Inquiry, Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1990, chap. P.41 (Recommandations de l’African Canadian Legal Clinic, participant) [ACLC Recommendations to the Ipperwash Inquiry], qui se trouve également dans le rapport de Scot Wortley, « Police Use of Force in Ontario: An examination of data from the Special Investigations Unit - Final Report » (Toronto : Centre de criminologie, Université de Toronto, 2006) à 72 [Rapport Wortley].
[29] Supra note 17, art. 7.
[30] Ibid., art. 12.
[31] Ibid., art. 13.
[32] Loi de 2007 sur l’examen indépendant de la police, L.O. 2007, chap. 5.
[33] En 2003, l’Unité a reçu 186 appels, dont 119 ont déclenché une intervention complète. En 2004-2005, il y a eu 137 appels à propos d’incidents, dont 95 ont déclenché une intervention complète, tandis qu’en 2005-2006, il y a eu 189 appels avec 94 interventions : voir Ontario, ministère du Procureur général, Unité des enquêtes spéciales, Fleet Management Review Final Report (septembre 2006) à 12. Nous avons été informés que la charge de travail de l’Unité avait considérablement augmenté au cours de la dernière année financière.
[34] Voir le Rapport d’examen de 2003 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 19 à 19; In the Matter of The Ipperwash Inquiry, Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1990, chap. P.41 (présentations écrites de l’African Canadian Legal Clinic, participant, au par. 28(ii) b)). L’Association des chefs de police de l’Ontario et l’Association des policiers de l’Ontario ont toutes deux élaboré leur propre définition de « blessure grave », plus étroite, à un moment donné. L’African Canadian Legal Clinic a recommandé une interprétation plus large de la définition, incluant les dommages psychologiques, à l’enquête d’Ipperwash.
[35] Voir p. ex., ACLC Recommendations to the Ipperwash Inquiry, supra note 28 au par. 2 (b).
[36] Rapport de consultation de 1998 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 7 à 56-57.
[37] Rapport d’examen de 2003 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 19 à 27-28 et 74.
[38] Comme ce rapport ne vise pas individuellement les différents corps de police, j’ai décidé de ne pas les identifier en général, sauf si le contexte l’exigeait ou si les incidents étaient déjà connus du public.
[39] Police provinciale de l’Ontario, « Duties and Responsibilities of Regional Duty Officers Relating to SIU Investigations » (Reference Guide) version révisée du 21 juin 2007.
[40] Ce renseignement provient d’une entrevue avec l’ancien Ombudsman en septembre 2007.
[41] Office of the Police Ombudsman for Northern Ireland, Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletThe Police Complaints System in Northern Ireland (Belfast, Irlande) à 14; en ligne : Police Ombudsman for Northern Ireland (dernier accès : 27 juin 2008).
[42] En 2003-2004, par exemple, le temps moyen de réponse était de 1,23 heure dans la région du Centre, de 2,09 heures dans l’Ouest, de 1,54 heure dans l’Est et de 5,57 heures dans le Nord. Dans son rapport annuel de 2004-2005, l’UES s’est vantée du fait que dans 54 % de ses cas, elle était arrivée sur la scène en un peu plus d’une heure, en moyenne. Mais ceci signifie que dans 46 % des cas, il lui a fallu plus d’une heure pour arriver. Cette année-là, le temps moyen de réponse dans la région du Centre était de 1,13 heure. Il était bien plus grand dans les autres régions de la province, notamment dans l’Est (2,31 heures) et dans le Nord (5,22 heures). En 2005-2006, l’UES a commencé à rendre compte de son temps de réponse et de ses statistiques par type de cas. Elle a aussi séparé la Cité de Toronto de la région du Centre pour les comptes rendus statistiques. Cette année-là, il a fallu plus longtemps à l’UES pour intervenir dans toutes les régions, sauf dans le Nord, où le temps moyen de réponse avait baissé pour se situer à 3,44 heures. À Toronto, où l’on pourrait s’attendre à une intervention relativement rapide, l’UES a signalé un temps moyen de réponse de 1,27 heure.
[43] Unité des enquêtes spéciales, « The Investigative Process & Appendix – General Guidelines » (Operations Order 002), version révisée du 4 janvier 2005 à 1 de l’Annexe [SIU Operations Order 002].
[44] Unité des enquêtes spéciales, « Stand-By and On-Call Responsibilities » (Administrative Order 009), document émis le 12 juin 2002.
[45] Unité des enquêtes spéciales, « Firearms Related Investigations » (Operations Order 005), version révisée du 29 novembre 2001.
[46] Ministère du Procureur général, Unité des enquêtes spéciales, 2004-05 Results-based Plan (mars 2004) à 10.
[47] SIU Operations Order 002, supra note 43 à 3.
[48] Ibid.
[49] Unité des enquêtes spéciales, « Disturbing Potential Evidence » (Routine Communications – Policy Direction Order #2004-22), document émis le 22 octobre 2004.
[50] John B. Edwards, « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletHomicide Investigative Strategies » The FBI Law Enforcement Bulletin (janvier 2005), en ligne : Federal Bureau of Investigation (dernier accès : 17 juillet 2008).
[51] Rapport d’examen de 2003 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 19 à 53.
[52] U.S. Department of Justice, Office of Justice Programs, Eyewitness Evidence: A Guide for Law Enforcement (rapport de recherche) (Washington, DC: National Institute of Justice, 1999) à 21.
[53] Supra note 18, art. 8.
[54] SIU Operations Order 002, supra note 43 à 23 de l’Annexe.
[55] Police Assessment Resource Center, « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletThe Portland Police Bureau: Officer-Involved Shootings and In-Custody Deaths » (Los Angeles, CA: PARC, 2003), en ligne : Police Assessment Resource Center (dernier accès : 17 juillet 2008) à 56 [PARC Report, août 2003].
[56] Ibid. à 56-58.
[57] Supra note 18, art. 8 (3).
[58] Unité des enquêtes spéciales, « Recorded Interviews » (Operations Policy 027) version révisée du 23 mars 2006, à 4-5 [SIU Operations Policy 027].
[59] R. v. Scully, [2007] O.J. No. 2017 (C. de jus. de l’Ont.) (Preuve, Affidavit de Joseph Martino, déclaré sous serment, 27 avril 2006, par. 18).
[60] Supra note 18, art. 7 (2).
[61] SIU Operations Order 002, supra note 43 à 17 de l’Annexe.
[62] SIU Operations Order 002, supra note 43 à 7.
[63] Rapport d’examen de 2003 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 19 à 45.
[64] Unité des enquêtes spéciales, Investigators’ Meeting Summary, 3 août 2005; voir aussi Unité des enquêtes spéciales, « Witness Statements – Notes » (Routine Communications - Policy Direction Order #2006-10), document émis le 18 mai 2006.
[65] Unité des enquêtes spéciales, « Witness Officer Notes » (Routine Communications - Policy Direction Order #2006-11), document émis le 1er juin 2006.
[66] Rapport d’examen de 2003 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 19 à 48.
[67] Dans une note d’information interne du ministère du Procureur général, datant du 4 novembre 2005, (voir infra note 70), cette modification a été recommandée, avec cette indication : « aucune raison en principe de ne pas apporter cette modification ».
[68] Rapport Wortley, supra note 28 à 52.
[69] Rapport de consultation de 1998 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 7 à 61.
[70] Ministère du Procureur général, « Legal and Operational Reforms to the Special Investigations Unit » (Note d’information), 4 novembre 2005.
[71] Supra note 18, art. 11.
[72] Supra note 70.
[73] Rapport de consultation de 1998 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 7 à 64.
[74] International Association of Chiefs of Police National Law Enforcement Policy Center, Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletInvestigation of Officer-Involved Shootings: Concepts and Issues Paper (Alexandria, VA: IACP National Law Enforcement Policy Center, 1999), en ligne : National Criminal justice Reference Service (dernier accès : 17 juillet 2008).
[75] Conformément au SIU Operations Order 002, supra note 43, un plan d’enquête doit être dressé dans les cas graves et complexes.
[76] Le directeur Cornish a fait savoir que le directeur de l’UES a depuis longtemps pour habitude de porter des accusations criminelles même en l’absence de blessures. Les accusations pour simple agression et pour abus de confiance en sont des exemples. Il a noté ceci : « cette pratique est conforme à l’énoncé des PSA et a été explicitement approuvée par le juge Adams dans son examen de l’UES. » Voir Unité des enquêtes spéciales, « Serious Injury and Call-Out-Practices » (Note de service) (sans date) à 3.
[77] Unité des enquêtes spéciales, « Policy, Procedures and Equipment Committee Meeting » (Procès-verbal d’une réunion) 4 décembre 2006.
[78] Unités des enquêtes spéciales, « Sexual Assault Investigations » (Operations Order 006) version révisée du 30 octobre 2001, à 3.
[79] Selon des rapports de presse, les agents de la sûreté de l’État du Massachusetts peuvent être soumis à des tests anti-drogues à la suite d’accidents et d’incidents avec recours à la force. En juin 2007, le commissaire du Service de police de New York a annoncé qu’il recommandait des alcootests obligatoires pour les policiers impliqués dans des tirs mortels. À la fin de 2007, Chicago a ouvert des négociations pour imposer les tests anti-drogues et les alcootests dans le cas des policiers impliqués dans des tirs. En 1998, l’État des Nouvelles-Galles du Sud en Australie a adopté une loi en vertu de laquelle les policiers directement impliqués dans des tirs doivent subir des alcootests et des tests anti-drogues, à la suite des recommandations du coroner de l’État.
[80] Rapport de consultation de 1998 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 7 à 65.
[81] Unité des enquêtes spéciales, « Planning Meeting » (Procès-verbal de réunion) 18 novembre 2004 à 2. Sur 61 formulaires envoyés de 2003 au milieu de 2007, environ 80 % ont été retournés.
[82] Le Police Assessment Resource Center a aidé avec succès des services de police aux États-Unis et à l’étranger à améliorer leurs pratiques internes d’enquête. Le centre a été en mesure de cerner les problèmes systémiques, comme les retards dans les entrevues, la partialité des enquêteurs, les preuves manquantes et la documentation insuffisante, qui compromettaient la crédibilité des enquêtes internes de la police et il a recommandé des améliorations. Voir PARC Report, August 2003, supra note 55, et Police Assessment Resource Center, « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletThe Portland Police Bureau: Officer-Involved Shootings and In-Custody Deaths - First Follow-Up Report » (Los Angeles, CA: PARC, 2005), en ligne : Police Assessment Resource Center (dernier accès : 17 juillet 2008) [PARC Follow-Up Report, August 2005].
[83] Ian D. Scott, « Addressing Police Excessive Use of Force: A Proposal to Amend the Mandate of the Special Investigations Unit » (2004) 49 Crim. L.Q. 349.
[84] Ibid. Dans cet article, Ian Scott note que le pourcentage des condamnations pour toutes les accusations portées par l’UES était d’environ 16 %, qu’aucune accusation d’homicide n’a mené à une condamnation par un jury, et qu’au cours de ses 10 premières années d’opérations l’UES n’a porté que deux accusations pour recours excessif à la force qui se sont soldées par des condamnations. En fait, il y a plus de 10 ans, un policier a été reconnu coupable d’homicide involontaire, mais le jugement a été cassé en appel et le policier a été acquitté en fin de compte.
[85] Loi sur les services policiers, supra note 5, art. 113 (7).
[86] Supra note 83 à 371-372.
[87] Unité des enquêtes spéciales, « Managers’ Meeting Minutes » (Procès-verbal de réunion) 4 avril 2007.
[88] Rapport de la Commission sur le racisme systémique, supra note 9 à 384.
[89] Rapport de consultation de 1998 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 7 à 51.
[90] Voir SIU Operations Order 002, supra note 43 à 23 de l’Annexe; Unité des enquêtes spéciales, « Communication and Liaison with Victim-Complainant and/or Next of Kin » (Operations Order 012) version révisée du 8 juin 2000; Unité des enquêtes spéciales, « Notification of Directors Decision » (Operations Order 023) version révisée du 30 avril 2001; Unité des enquêtes spéciales, « Attendance of Supervisors at Post-Investigation Meetings with Complainants and/or Affected Persons » (Routine Communications - Policy Direction Order #2005-06) document émis le 24 mars 2005.
[91] Rapport de consultation de 1998 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 7 à 63-64.
[92] R. v. Scully (10 mai 2006), Toronto (C. de J. de l’Ont.) (Décision de l’honorable juge P. Taylor sur la demande de production de documents de l’UES) à 13.
[93] Loi sur les services policiers, supra note 5, art. 113 (3), 113 (6).
[94] Rapport du Groupe d’étude sur les relations interraciales et la surveillance policière, 1989, supra note 2 à 147, citant Alan Borovoy, avocat général de l’Association canadienne des libertés civiles.
[95] L’Association canadienne des libertés civiles, par exemple, a proposé que les tirs policiers soient examinés par un organisme composé entièrement de civils : voir le Rapport du Groupe d’étude sur les relations interraciales et la surveillance policière, 1989, supra note 2 à 148.
[96] Rapport du Groupe d’étude sur les relations interraciales et la surveillance policière, 1989, supra note 2 à 60, 62-63.
[97] Rapport de consultation de 1998 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 7 à 65.
[98] Unité des enquêtes spéciales, « Office Protocol » (General Order 004) version révisée le 5 février 2002 à 4-5.
[99] Rapport de consultation de 1998 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 7 à 54.
[100] Ibid. à 67.
[101] Supra note 98 à 1-2.
[102] Rapport d’examen de 2003 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 19 à 72.
[103] Agence de la fonction publique, « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletComité consultatif sur le maintien en poste et la rémunération du personnel de direction, Cinquième rapport : août 2002 », en ligne : Agence de la fonction publique du Canada (dernier accès : 17 juillet 2008).
[104] Gouvernement du Canada, « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletLignes directrices du Programme de gestion de rendement 2007-2008 – Chefs d’organismes et autres cadres nommés par le gouverneur en conseil », en ligne : Bureau du Conseil privé (dernier accès : 17 juillet 2008).
[105] R. v. Valente, [1985] 2 R.C.S. 673 (C.S.C.); R. v. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259 (C.S.C.).
[106] Comme la Loi sur les services policiers ne comprend aucune disposition à propos de la nomination d’un sous-directeur, cette nomination s’est faite de par le passé en vertu du paragraphe 28 o) de la Loi d’interprétation, L.R.O. 1990, chap. I.11, qui autorise généralement la nomination d’un sous-directeur. Le pouvoir général de nommer un sous-directeur est énoncé maintenant à l’article 77 b) de la Loi sur la législation, L.O. 2006, chap. 21, Ann. F.
[107] Les thèmes stratégiques élaborés sont les suivants : communications bilatérales; renforcement de la transparence; communication et liaison; habilitation; qualité, quantité et rapidité des enquêtes; création d’« Une seule » équipe d’enquête; plans de rendement et évaluations; apprentissage et formation; processus d’enquête.
[108] Rapport d’examen de 2003 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 19 à 75.
[109] Rapport de consultation de 1998 de l’honorable George W. Adams, c.r., supra note 7 à 62.