Enquête sur une plainte à propos d’une réunion à huis clos tenue par la Municipalité de Northern Bruce Peninsula le 22 janvier 2018
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
Mai 2018
Plainte
1 En mars 2018, mon Bureau a reçu une plainte à propos d’une réunion à huis clos tenue par la Municipalité de Northern Bruce Peninsula le 22 janvier 2018.
2 Cette plainte alléguait que la municipalité avait tenu une réunion à huis clos non conforme à l’exception des réunions à huis clos pour les « renseignements privés concernant une personne qui peut être identifiée », à l’alinéa 239 (2) b) de la Loi de 2001 sur les municipalités (la « Loi »). Lors de cette réunion, le conseil avait examiné un avis de demande de premier enregistrement en vertu de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers[1] pour une propriété située dans la municipalité.
Compétence de l’Ombudsman
3 En vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités, toutes les réunions du conseil municipal, d'un conseil local et des comités de l'un ou de l'autre doivent se tenir en public, à moins de relever des exceptions prescrites.
4 Depuis le 1er janvier 2008, la Loi accorde aux citoyens le droit de demander une enquête visant à déterminer si une municipalité s'est conformée à la Loi en tenant une réunion à huis clos. Les municipalités peuvent désigner leur propre enquêteur. La Loi fait de l'Ombudsman l'enquêteur par défaut dans les municipalités qui n'ont pas nommé le leur.
5 L'Ombudsman est chargé d'enquêter sur les réunions à huis clos pour la Municipalité de Northern Bruce Peninsula.
6 Quand nous enquêtons sur des plaintes à propos de réunions à huis clos, nous cherchons à déterminer si les exigences des réunions publiques énoncées dans la Loi et dans les procédures de gouvernance de la municipalité ont été observées.
Procédures du conseil
7 Le règlement de procédure de la municipalité (règlement no 2018-01) prévoit que toutes les réunions seront ouvertes au public, sauf conformément à l’article 239 de la Loi.
Processus d’enquête
8 Le 9 mars 2018, nous avons avisé la municipalité que nous avions l’intention d’enquêter sur cette plainte.
9 Les membres du personnel de mon Bureau ont examiné les extraits pertinents des règlements et des politiques de la municipalité et de la Loi. Nous avons aussi examiné la documentation des séances publique et à huis clos de la réunion du conseil le 22 janvier 2018.
10 Nous avons interviewé les membres du conseil, la greffière et le directeur général (DG) de la municipalité qui étaient présents à la réunion à huis clos.
11 Mon Bureau a obtenu une pleine collaboration dans cette affaire.
Contexte
Réunion à huis clos du 22 janvier 2018
12 Le 22 janvier 2018, durant une réunion ordinaire, le conseil s'est retiré à huis clos à 15 h 04 en vertu de l’exception des « renseignements privés » énoncée à l’alinéa 239 (2) b) de la Loi. La résolution afférente indique que « l’avis de demande de titre absolu » est la question à discuter en séance à huis clos.
13 Selon la greffière, la municipalité a reçu un avis de demande de premier enregistrement en vertu de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers (aussi appelée demande de titre absolu) pour une propriété située dans la municipalité. Cette demande visait à faire passer le titre de la propriété d’un titre restreint à un titre absolu. La trousse de l’avis comprenait une lettre d’accompagnement, préparée par un avocat au nom du demandeur, le formulaire de l'avis et une ébauche de plan de référence montrant la propriété. Selon la lettre d’accompagnement, la municipalité a reçu un avis car elle était propriétaire d’une route qui jouxte la propriété. Le numéro d’identification de la propriété (NIP) était inclus à la lettre d’accompagnement.
14 Le DG nous a dit que, d’après des conseils juridiques obtenus précédemment par la municipalité sur une autre question de propriété, il croyait que la demande de premier enregistrement devait être examinée à huis clos.
15 La réunion à huis clos avait pour but d’informer le conseil de la demande et de lui permettre d’examiner l’avis. Le conseil a reçu la lettre d’accompagnement et l’ébauche du plan de référence. La greffière a dit à mon Bureau que le conseil n’avait pas reçu le formulaire de l’avis car ce formulaire incluait le nom du propriétaire.
16 Une fois le conseil réuni à huis clos, la greffière et le DG lui ont donné des renseignements généraux expliquant pourquoi la municipalité avait reçu cet avis. Le conseil a examiné la lettre d’accompagnement et l’ébauche du plan de référence. La discussion qui a suivi au sein du conseil a visé à déterminer s’il était intéressé à commenter la demande ou à s’y opposer.
17 D’après le procès-verbal de la séance à huis clos, le DG a soulevé la question de l’avis juridique précédemment obtenu par la municipalité sur une autre question. Le conseil et le personnel ont cru que l’avis juridique permettait au conseil de discuter de l’avis de demande en séance à huis clos. Cependant, l’avis juridique se rapportait en fait à un autre ensemble de circonstances, en vertu de mesures de loi différentes. Nous avons été informés que l’avis juridique n’avait été mentionné que brièvement par le DG et n’avait pas été discuté par le conseil.
18 Le conseil n’a pas voté et n’a donné aucune directive au personnel. Il est sorti de la séance à huis clos à 15 h 18. Il n’a pas fait de rapport après ce huis clos.
Analyse
Applicabilité de l’exception des « renseignements privés »
19 La municipalité a cité l’exception des « renseignements privés » pour se retirer en séance à huis clos afin de discuter de l’avis de demande de premier enregistrement.
20 La Loi ne définit pas ce qui constitue des « renseignements privés » aux termes de l’article 239. Le Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée (le « CIPVP ») a conclu que l’expression connexe « renseignements personnels » se limite aux renseignements dont il est raisonnable de s’attendre à ce que la divulgation ait pour effet d'identifier la personne[2]. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a confirmé cette interprétation, précisant que : « S'il est raisonnable de s’attendre à ce que la personne puisse être identifiée à partir des renseignements, ces renseignements sont considérés… comme des renseignements personnels. »[3]
21 En procédant à l’analyse des cas de réunions à huis clos, mon Bureau a examiné des décisions rendues par le bureau du Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée. Bien que non contraignants pour mon Bureau, ces cas peuvent s’avérer informatifs.
22 Dans l’ordonnance MO-2081, le CIPVP a conclu que la description légale d’une propriété dans le cadre d’une demande de permis ne constitue pas des renseignements personnels. Dans ce dossier, l’arbitre a déterminé que la description légale constituait des renseignements sur la propriété, plutôt que sur un particulier :
En ce qui concerne la description légale de la propriété, j’estime qu'elle est similaire à une adresse municipale en ce sens qu’elle identifie l’emplacement d’une propriété. En soi, ou conjointement avec d’autres renseignements sur la propriété, une description légale n’a rien d’intrinsèquement personnel, et [les conclusions de l’Ordonnance MO 2053] au sujet des adresses municipales des propriétés pour lesquelles des demandes d’installation de système septique ont été faites s’appliquent également à la description légale d’une propriété dans le cadre d’une demande de permis de construction. Je conclus qu’il ne s’agit pas de renseignements personnels[4].
23 L’arbitre conclut ensuite que des renseignements sur la propriété contenus dans la demande de permis pouvaient être utilisés pour découvrir le nom du propriétaire, mais que néanmoins ces renseignements ne devenaient pas personnels :
De plus, le fait que les noms des propriétaires individuels pourraient être déterminés par une recherche au bureau d’enregistrement ou ailleurs ne fait pas passer les renseignements contenus dans ce cas dans la demande de permis de renseignements sur une propriété à renseignements personnels[5].
24 Dans l’Ordonnance MO-1848, le CIPVP a conclu que les plans ou les cartes d’arpentage ne constituent pas des renseignements personnels[6].
25 Dans une lettre au Canton de West Lincoln, notre Bureau a déterminé que les renseignements généraux sur les propriétés, incluant le nombre des vannes d’eau d’une propriété, ne constituaient pas des renseignements privés au sujet du propriétaire[7]. Dans un rapport au Canton de Russell, notre Bureau a conclu qu’une liste de propriétés patrimoniales potentielles qui n’indiquait pas expressément les noms des propriétaires ne constituait pas des renseignements personnels[8]. De même, le CIPVP a déterminé que l’emplacement municipal et la valeur marchande estimative de certaines propriétés ne constituaient pas des renseignements personnels au sujet des propriétaires individuels[9].
26 Dans ce cas, le conseil a examiné la lettre d’accompagnement de l’avis de demande, qui incluait le NIP de la propriété, ainsi qu’une ébauche de plan de référence montrant l’emplacement de la propriété, ses dimensions et ses limites. Aucun des deux documents n’identifiait le propriétaire par son nom. Ces renseignements ne sont pas intrinsèquement privés et ne constituent pas des renseignements personnels sur le propriétaire.
27 Les membres du conseil ont dit aux membres du personnel de mon Bureau qu’ils savaient à qui appartenait la propriété, vu son emplacement. Toutefois, la discussion à huis clos du conseil a entièrement visé à examiner la documentation de l’avis dont il était saisi et à déterminer l’intérêt éventuel de la municipalité à commenter la demande. Le conseil n’a discuté ni du propriétaire, ni d’aucun autre renseignement personnel le concernant.
28 Par conséquent, la discussion ne relevait pas de l’exception des renseignements privés concernant une personne qui peut être identifiée.
Applicabilité de l’exception des « conseils protégés par le secret professionnel de l’avocat »
29 Bien que la municipalité n’ait pas cité l’exception des « conseils protégés par le secret professionnel de l’avocat » le 22 janvier, elle a fait référence à cette exception durant notre enquête, disant qu’elle était applicable à la discussion du conseil.
30 Durant la réunion, le DG a brièvement fait référence à l’avis juridique que la municipalité avait précédemment obtenu au sujet d’une question distincte. Mais alors que le personnel municipal croyait que cet avis juridique était applicable à la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers et à la demande qu’il avait reçue, il avait en fait trait à un texte de loi différent.
31 L’exception des conseils protégés par le secret professionnel de l’avocat, à l’alinéa 239 (2) f), s’applique uniquement aux discussions qui comportent des conseils juridiques, qui sont réellement discutés en réunion[10]. Dans ce cas, l’avis juridique n’a été mentionné que brièvement par le DG et n’a pas été discuté davantage par le conseil.
32 Par conséquent, la discussion ne relevait pas de l’exception des « conseils protégés par le secret professionnel de l’avocat ».
Compte rendu après la séance à huis clos
33 Le conseil n’a pas pour habitude de faire rapport au public après une séance à huis clos, pas même pour donner des renseignements généraux sur le déroulement de la séance. Bien que la Loi n’exige pas que le conseil fasse rapport en public après une réunion à huis clos, mon Bureau recommande cette pratique afin d’accroître la transparence du processus des réunions à huis clos.
Opinion
34 Le conseil de la Municipalité de Northern Bruce Peninsula a enfreint la Loi de 2001 sur les municipalités et le règlement municipal de procédure quand il a discuté d’une demande de premier enregistrement en vertu de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, le 22 janvier 2018, en séance à huis clos en vertu de l’exception des « renseignements privés » aux règles des réunions publiques.
35 J’aimerais pouvoir dire que le conseil et le personnel ont clos la réunion du 22 janvier parce qu’ils croyaient qu’un avis juridique obtenu précédemment s’appliquerait aux circonstances. Malheureusement, les preuves fournies à mon Bureau indiquent qu’ils croyaient ceci à tort. Toutefois, je comprends que le personnel et le conseil ont agi de bonne foi et n’avaient pas l’intention de violer les règles des réunions publiques lors de la réunion du conseil le 22 janvier 2018.
Recommandations
36 Je fais les recommandations suivantes pour aider la Municipalité de Northern Bruce Peninsula à s’acquitter de ses obligations en vertu de la Loi sur les municipalités et à renforcer la transparence de ses réunions.
Recommendation 1
Tous les membres du conseil de la Municipalité de Northern Bruce Peninsula devraient s’acquitter avec vigilance de leurs obligations individuelles et collectives pour garantir que le conseil se conforme à ses responsabilités en vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités et de son règlement de procédure.
Recommendation 2
La Municipalité de Northern Bruce Peninsula devrait veiller à ne discuter d’aucun sujet en séance à huis clos à moins qu’il ne relève clairement de l’une des exceptions légales aux exigences des réunions publiques.
Recommendation 3
La Municipalité de Northern Bruce Peninsula devrait adopter la pratique exemplaire de faire un compte rendu en séance publique après une réunion à huis clos.
Rapport
37 La municipalité a eu l’occasion d’examiner une version préliminaire de ce rapport et de la commenter pour notre Bureau. Nous n’avons reçu aucun commentaire.
38 Mon rapport devrait être communiqué au conseil et mis à la disposition du public dès que possible, au plus tard lors de la prochaine réunion du conseil. Conformément au paragraphe 239.2 (12) de la Loi de 2001 sur les municipalités, le conseil devrait adopter une résolution indiquant comment il compte donner suite à ce rapport.
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Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
[1] Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, L.R.O. 1990, chap. L.5
[2] Ordonnance PO-1880 2001 CanLII 26053 (ON CIPVP); confirmée en appel dans l’affaire Ontario v. Pascoe, 2002, OJ No 4300 au par. 2.
[3] Ontario (Ministry of Correctional Services) v. Goodis [2008] OJ No 289 au par. 69.
[4] Ordonnance MO-2081, 2006 CanLII 50734 (ON CIPVP).
[5] Ibid.
[6] Ordonnance MO-1848, 2004 CanLII 56289 (ON CIPVP).
[7] Ombudsman de l’Ontario, Enquête sur l’allégation d'infraction à la Loi de 2001 sur les municipalités par le Canton de West Lincoln les 15 juin et 22 juin 2015 (novembre 2015), en ligne.
[8] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur des réunions à huis clos du Conseil du Canton de Russell le 10 août 2015, (janvier 2016), en ligne.
[9] Ordonnance R-980015 (17 décembre 1998) 1998 CanLII 14229 (ON CIPVP) avec référence à l’Ordonnance 13.
[10] Ombudsman de l'Ontario, Enquête visant à déterminer si le Conseil de la Ville de Port Colborne a tenu des réunions à huis clos illégales le 8 mars 2010, le 27 janvier 2014, et le 8 décembre 2014 (novembre 2015), en ligne.