« Des droits non reconnus : L’histoire de Mia »
Enquête sur l'adéquation des services fournis par la Société d’aide à l’enfance de la région de York à « Mia »
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
Avril 2024
Bureau de l’Ombudsman de l’Ontario
Nous sommes
Un bureau indépendant de l’Assemblée législative qui examine et règle les plaintes du public à propos des services fournis par les organismes du secteur public de l’Ontario. Ces organismes comprennent les ministères, les agences, les conseils, les commissions, les sociétés et les tribunaux du gouvernement provincial, ainsi que les municipalités, les universités, les conseils scolaires, les services de la protection de l’enfance et les services en français. L’Ombudsman recommande des solutions aux problèmes administratifs individuels et systémiques.
Reconnaissance des territoires et engagement envers la réconciliation
Le travail de l’Ombudsman de l’Ontario s’effectue sur les territoires autochtones traditionnels de la province que nous appelons maintenant l’Ontario, et nous sommes reconnaissant(e)s de pouvoir travailler et vivre sur ces territoires. Nous tenons à souligner que Toronto, où est situé le Bureau de l’Ombudsman de l’Ontario, est le territoire traditionnel de nombreuses Nations, dont les Mississaugas de Credit, les Anishnabeg, les Chippewa, les Haudenosaunee et les Wendats, et abrite maintenant de nombreux peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis.
Nous croyons qu’il est important d’offrir une reconnaissance des territoires comme moyen d’attester, de respecter et d’honorer ce territoire, les traités, les premier(ière)s occupant(e)s, leurs ancêtres et le lien historique qu’ils(elles) conservent avec ce territoire.
Dans le cadre de notre engagement envers la réconciliation, nous offrons des occasions de formation pour aider notre personnel à mieux s’informer de notre histoire commune et des préjudices infligés aux peuples autochtones. Nous travaillons à établir des relations mutuellement respectueuses avec les peuples autochtones de la province, et nous continuerons à intégrer les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation dans notre travail. Nous sommes reconnaissant(e)s de la possibilité qui nous est donnée de travailler dans l’Île de la Tortue.
Contributeur(trice)s
Directrice, Unité des enfants et des jeunes
Gestionnaire des enquêtes, Unité des enfants et des jeunes
Enquêteurs
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James McGuirk
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Fred Lwanga
Avocate principale
Avocate générale
Table des matières
1 À l’automne 2019, « Mia[1] », 16 ans, avait au moins deux problèmes extrêmement pressants : trouver un endroit où dormir chaque soir, et trouver un moyen de terminer son secondaire. Le 23 septembre 2019, Mia et sa mère se sont disputées. D’après elle, sa mère a « pété les plombs » et l’a « jetée dehors » ce jour-là, la laissant sans famille pouvant ou voulant l’héberger plus de quelques jours.
2 Mia a toujours vécu dans la région du Grand Toronto. Sa famille était bien connue du système de protection de l’enfance. Sa sœur aînée avait été prise en charge par une société d’aide à l’enfance (SAE) en 2015. Les parents de Mia étaient séparés. Elle vivait surtout avec son père quand elle était plus jeune, mais en septembre 2019, il n’était plus question pour elle de retourner chez lui. Vers l’âge de 13 ans, Mia a confié à un(e) préposé(e) à la protection de l’enfance de la Société d’aide à l’enfance de Toronto qu’elle-même, sa fratrie et sa mère avaient été victimes de violence physique commise par son père.
3 Mia a quitté la demeure maternelle dans un état de crise émotive. En fait, sa mère a confié à la police régionale de York que sa fille avait dit vouloir mourir. La police a appelé la Société d’aide à l’enfance de la région de York (la SAE de York), laquelle a ouvert un dossier le 24 septembre, classant Mia dans la catégorie « à risque élevé » pour le risque d’abandon d’enfant ou de conflit entre enfant et aidant(e) familial(e), étant donné les nombreux antécédents de sa famille avec le système de protection de l’enfance.
4 À la SAE de York, une préposée à l’accueil a essayé plusieurs fois d’entrer en contact avec Mia, et a fini par apprendre qu’elle vivait chez sa grand-mère. Mais avant que la préposée ait pu rencontrer Mia, son père a communiqué avec la SAE, se disant inquiet de cette situation. Il jugeait que son autre fille, qui vivait alors au même endroit, exerçait une mauvaise influence sur Mia parce qu’elle fumait et consommait des drogues. De plus, l’équipe de sécurité du bâtiment avait récemment enjoint à la sœur de Mia de partir parce qu’elle n’était pas inscrite comme résidente de l’appartement. C’est pourquoi le père a suggéré de placer Mia dans un foyer d’accueil.
5 La préposée a finalement rencontré Mia le 8 octobre. Cette dernière a confirmé vivre chez sa grand-mère et vouloir retourner à l’école, mais sa mère refusait de lui donner les documents nécessaires à son inscription dans une école située plus près du domicile de sa grand-mère. Dans les semaines suivantes, la préposée a tenté de rester en contact avec Mia, mais celle-ci a raté des rencontres prévues et n’était pas joignable au téléphone. Le 7 novembre, la mère de Mia a appelé la SAE de York, inquiète parce que personne ne savait où était sa fille. Le 8 novembre, quand la préposée a réussi à parler avec Mia, celle-ci lui a dit qu’elle avait été obligée de quitter le domicile de sa grand-mère et qu’elle habitait désormais chez une tante. Mia a dit qu’elle souhaitait être placée en foyer d’accueil, car sa tante voulait qu’elle parte, et elle n’avait plus personne, ni parentèle ni ami(e)s, chez qui loger.
6 Vu l’urgence de la situation, la SAE n’a proposé qu’une option à Mia : un lit dans un refuge d’urgence pour jeunes. La préposée a appelé plusieurs refuges, sans succès; impossible de lui trouver une place. Elle a parlé à la tante de Mia et lui a expliqué que celle-ci n’avait pas d’autres options qu’un lit dans un refuge ou la rue. À contre-cœur, la tante a accepté de l’héberger jusqu’à la fin de novembre. Elle a toutefois insisté pour dire que cela ne fonctionnerait pas à long terme, vu le manque d’espace chez elle et les conflits entre Mia et les autres membres de la maisonnée.
7 Comme personne dans sa famille ne pouvait lui offrir un refuge à plus long terme, Mia et sa préposée ont discuté de la possibilité de conclure une entente sur les services volontaires pour les jeunes (ESVJ). Aux termes de la Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille (LSEJF) et d’une directive du ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, les sociétés d’aide à l’enfance ont l’obligation de fournir la même « gamme complète » de services de protection de l’enfance aux adolescent(e)s de 16 ou 17 ans qu’aux enfants plus jeunes. Dans la plupart des cas, cela se fait par ententes volontaires afin d’aider les adolescent(e)s de 16 et 17 ans dans leur transition vers la vie autonome ou de les soutenir dans les foyers d’accueil plus traditionnels. Dès le début, Mia avait précisé à sa préposée qu’elle n’était pas prête pour la vie autonome et désirait la stabilité et le soutien qu’un foyer d’accueil lui apporterait.
8 La date de son départ de chez sa tante approchant, Mia et la SAE de York ont travaillé à conclure une entente sur les services volontaires pour les jeunes (ESVJ) en bonne et due forme. Le 26 novembre, Mia a vu une avocate du Bureau de l’avocat des enfants pour discuter des attentes et responsabilités rattachées à cette entente. Parallèlement, la préposée à l’accueil a entamé le processus de recherche d’un foyer d’accueil pour Mia. Aucun foyer d’accueil directement affilié à la SAE approprié n’était disponible, mais il y avait des places dans trois foyers administrés par des fournisseurs externes qui répondaient à ses besoins.
9 L’insécurité de Mia liée au logement et ses nuits à dormir d’un sofa à l’autre semblaient toucher à leur fin, mais finalement, la haute direction de la SAE a rejeté les trois fournisseurs externes et plutôt encouragé le personnel de première ligne à continuer à chercher des options dans la famille. Dans un échange de courriels, le(la) directeur(trice) du service a même suggéré qu’au lieu de recevoir de l’aide financière de la SAE pour vivre dans un foyer d’accueil, Mia pouvait « rester dans un refuge ».
10 Le 11 décembre 2019, la SAE a conclu une entente sur les services volontaires pour les jeunes avec Mia. Il y était écrit que Mia [traduction] « voulait obtenir de l’aide de la société [d’aide à l’enfance] pour trouver une stabilité et se réinscrire à l’école ». Malgré cette entente, la SAE n’a jamais proposé à Mia d’endroit où vivre ni de soutien concret avant qu’elle décède subitement en janvier 2020.
11 La loi exige que tout cas d’enfant qui décède dans les 12 mois suivant sa prise en charge par une société d’aide à l’enfance soit signalé à mon Bureau[2]. Une directive conjointe entre l’ancien ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse, l’ancien ministère des Services sociaux et communautaires et le Bureau du coroner en chef de l’Ontario exige en outre que certains décès soient signalés au Bureau du coroner. Le Bureau du coroner a conclu que le décès de Mia n’avait aucun lien avec les services de protection de l’enfance reçus. Toutefois, des préoccupations à propos des interactions de l’adolescente avec la SAE de York ont été exprimées à mon Bureau. De plus, en novembre 2020, le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires a produit un rapport détaillant les problèmes graves dans la culture organisationnelle de la SAE.
12 En octobre 2021, j’ai lancé une enquête sur le caractère adéquat des services que Mia a reçus de la SAE de York entre octobre 2019 et son décès. Après le début de mon enquête, la SAE a engagé un(e) examinateur(trice) externe pour évaluer les services fournis à Mia; j’ai interrompu mon enquête pendant cet examen. En mai 2022, cette personne a produit un rapport dans lequel elle concluait que les services fournis à Mia étaient pour l’essentiel conformes à la loi. Le rapport contenait plusieurs recommandations d’amélioration, mais certains points demeuraient préoccupants. J’ai donc repris mon enquête.
13 Dans mon enquête, j’ai constaté que malgré son admissibilité à la gamme complète des services de protection prévus dans la LSEJF, Mia n’a reçu à peu près aucun soutien de la SAE de York. En entrevue, beaucoup de membres du personnel ont dit qu’une initiative de « prévention des admissions » était en place à la SAE et que cela mettait une pression énorme sur le personnel, qui doit éviter d’offrir des placements en foyer d’accueil aux enfants. La prévention des admissions est un objectif louable visant à garantir le soutien des enfants à leur domicile chaque fois que c’est possible. Cependant, l’initiative a été appliquée au cas de Mia sans considération de toutes ses circonstances personnelles et de ses demandes répétées d’un placement en foyer d’accueil. Personne dans son entourage ne voulait ou ne pouvait lui offrir un milieu de vie stable, et la SAE ne lui a proposé aucune solution concrète à cet égard, ni offert le soutien qui aurait pu lui permettre de vivre chez un(e) membre de sa famille élargie.
14 Mon enquête m’a permis de conclure que les ententes sur les services volontaires pour les jeunes étaient plutôt rares à la SAE de York. Le personnel était peu formé sur l’administration de ces ententes et ne savait pas grand-chose des services que celles-ci prévoyaient.
15 J’ai aussi relevé de graves problèmes dans la prise en compte des souhaits et de l’intérêt véritable de Mia au moment de prendre d’importantes décisions la concernant. L’intérêt véritable de l’enfant est censé passer avant tout le reste dans chaque décision relative à la protection de l’enfance. La Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille, donne aux enfants recevant des services de protection le droit d’avoir voix au chapitre et de participer à la prise des décisions les concernant. Mia désirait – et en a expressément fait la demande – la stabilité qu’un foyer d’accueil pouvait lui apporter. Ainsi, un lit dans un refuge pour jeunes ne servait manifestement pas son intérêt véritable. Il n’y a rien qui prouve que Mia ait réussi à se faire entendre avant que la haute direction de la SAE décide de rejeter sa demande de placement dans un foyer d’accueil externe. Elle méritait mieux, et je suis d’avis que la Société d’aide à l’enfance de la région de York a fourni des services inadéquats à Mia d’octobre 2019 à la date de son décès, en janvier 2020. Cette conduite était déraisonnable et erronée au sens des alinéas 21(1)a) et d) de la Loi sur l’ombudsman.
16 J’ai formulé 20 recommandations dans le présent rapport pour améliorer les services que la SAE fournit aux jeunes de 16 et 17 ans ayant besoin de protection. La SAE a accepté toutes mes recommandations et mon Bureau effectuera un suivi du travail qu’elle fera pour remédier aux lacunes et manquements énoncés aux présentes.
17 J'ai également partagé une version préliminaire de ce rapport avec le ministère de l'Enfance et des Services sociaux et communautaires. Depuis 2019, mon Bureau a reçu 90 plaintes concernant 30 sociétés d’aide à l’enfance différentes et soulevant des préoccupations au sujet des ESVJ. Même si les circonstances variaient, mon Bureau a relevé des incertitudes et des incohérences considérables entourant la prestation et la portée des services de protection volontaire offerts aux enfants de 16 et 17 ans par les sociétés d’aide à l’enfance. Dans sa réponse à mon Bureau, le Ministère a reconnu l'importance d'accroître les connaissances sur la façon d'utiliser et de mettre en œuvre les ententes volontaires de services pour les jeunes dans le secteur de la protection de l'enfance. Il a expliqué qu'il travaillerait avec le secteur de la protection de l'enfance, notamment en révisant la formation dispensée, pour améliorer les connaissances sur les ESVJ et leur administration.
18 Malheureusement, la voix de Mia est restée largement ignorée lorsqu’elle a demandé l’aide de la SAE de York avant son décès. Je suis rassuré de savoir que les recommandations de mon rapport et l’engagement de la SAE de York à les mettre en œuvre aideront à garantir que d’autres jeunes qui recherchent et reçoivent des services volontaires ne vivront pas la même expérience.
19 En mai 2020, mon Bureau a reçu une plainte selon laquelle la Société d’aide à l’enfance de la région de York aurait failli dans sa tâche d’offrir des services de protection adéquats à Mia entre octobre 2019 et son décès, en janvier 2020. L’auteur(e) de la plainte nous a fait part de détails troublants indiquant que Mia n’a pas réussi à recevoir d’aide au logement de la SAE de York malgré le fait qu’elle était une enfant ayant besoin de protection.
20 Avant la réception de cette plainte, les sociétés d’aide à l’enfance de Toronto et de la région de York avaient signalé certains détails du décès de Mia à mon Bureau. Les deux SAE étaient tenues d’informer mon Bureau de cet événement selon le Règlement de l’Ontario 80/19, qui s’applique lorsqu’un(e) enfant décède ou subit des lésions corporelles graves dans les 12 mois suivant sa prise en charge par une SAE. Comme ils portaient surtout sur les circonstances entourant le décès de Mia, ces signalements ne détaillaient pas vraiment les services de protection de l’enfance qu’elle avait reçus ou n’avait pas reçus avant son décès.
21 Le décès de Mia a également été signalé au Bureau du coroner en chef[3]. En vertu de la Loi sur l’ombudsman, j’ai le pouvoir d’enquêter sur « toute question » concernant un service fourni à un(e) enfant par une société d’aide à l’enfance, à l’exception des « décès d’enfant qui relèvent de la compétence du Bureau du coroner en chef ou d’un de ses comités[4] ». Le Bureau du coroner en chef, après examen du décès de Mia, a conclu que ce décès était sans lien direct avec les services fournis par la SAE de York. Il a aussi conclu que ce décès n’avait pas à faire l’objet d’une enquête plus poussée par le Comité d’examen des décès d’enfants ou au titre du mécanisme local d’examen des décès d’enfants et d’adolescent(e)s.
22 Mon enquête portait sur le caractère adéquat des services de protection de l’enfance fournis à Mia et non sur les circonstances entourant le décès de l’adolescente.
23 Lors de notre collecte d’éléments de preuve sur les interactions de Mia avec la SAE de York, nous avons appris que le Ministère entamait lui aussi un examen du fonctionnement de la SAE ayant de possibles liens avec des questions similaires. Notre Bureau a suivi de près cet examen, et après la parution du rapport définitif en octobre 2020, j’ai jugé qu’il subsistait des points préoccupants nécessitant une enquête concernant les services fournis à Mia.
24 En octobre 2021, j’ai avisé la Société d’aide à l’enfance de la région de York de mon intention d’enquêter sur le caractère adéquat des services fournis à Mia d’octobre 2019 à janvier 2020, moment de son décès. Bien que mon Bureau ait été initialement informé de la situation de Mia par une plainte dont l’auteur(e) soulevait différentes questions, j’ai lancé cette enquête de ma propre initiative afin de porter mon attention sur l’histoire de Mia.
25 Avant de recevoir mon avis d’enquête en octobre 2021, la SAE de York a engagé un(e) examinateur(trice) externe ayant pour mandat d’effectuer sa propre évaluation des interactions entre Mia et la SAE. Toutefois, le travail de l’examinateur(trice) a été retardé en raison d’un examen mandaté par le Bureau du coroner en chef, et nous avons interrompu notre propre enquête pour laisser à la SAE de York le temps de mener une enquête rigoureuse sur ce dossier et de s’attaquer directement aux problèmes signalés. Dans son rapport achevé en mai 2022, l’examinateur(trice) externe a conclu que la SAE était en « conformité sur le fond » avec les lois, normes, politiques et procédures applicables au moment où elle a fourni des services à Mia. Même si des recommandations d’amélioration ont été formulées dans le rapport, j’ai persisté à croire que des problèmes importants demeuraient, et nous avons repris notre enquête.
26 L’enquête a été menée par le personnel de l’Unité des enfants et des jeunes de mon Bureau, unité qui se spécialise dans les problèmes de bien-être et de protection de l’enfance et possède de l’expérience dans ce domaine, avec la collaboration de notre équipe des services juridiques.
27 L’équipe a mené des entrevues auprès de 11 membres et ex-membres du personnel de la SAE de York ainsi qu’auprès d’autres personnes détenant de l’information pertinente pour l’enquête, y compris des membres du ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, du service de police régional de Peel et du Bureau de l’avocat des enfants. Nous avons aussi communiqué avec quelques membres de la famille de Mia.
28 L’équipe chargée de l’enquête a par ailleurs examiné de nombreux documents de la SAE de York, du Ministère, du Bureau du coroner et du Bureau de l’avocat des enfants. Cette documentation comprenait des notes sur les rapports de Mia avec d’autres personnes et sur la prise de décisions à la SAE de York, de même que différents rapports et des politiques, des communications internes et d’autres documents pertinents.
29 Dans la mesure du possible, nous avons pris soin d’y faire entendre la voix de Mia d’après ce qui a été consigné et les souvenirs des personnes ayant interagi avec elle. Comme Mia n’a été en rapport avec la SAE de York que peu de temps avant son décès, la documentation est maigre en ce qui concerne ses forces, ses intérêts et sa personnalité. L’information dont nous disposons présente Mia comme une jeune femme « courageuse » souhaitant désespérément terminer ses études secondaires, et qui ne se sentait pas prête à vivre toute seule.
30 La SAE, le Ministère et les autres organisations avec lesquelles nous avons communiqué ont pleinement coopéré à notre enquête.
31 La Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille (LSEJF)[5] régit la prestation des services de protection de l’enfance en Ontario. Elle désigne les organisations habilitées à fournir ces services, explique la marche à suivre et précise les droits des enfants et des jeunes recevant des services aux termes de la LSEJF.
32 La Société d’aide à l’enfance de la région de York est l’une des 50 sociétés d’aide à l’enfance désignées et financées par le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires (le Ministère). Chacune est habilitée à mener ses activités sur un territoire précis et peut être autorisée par le Ministère à assurer diverses fonctions en lien avec l’enfance, par exemple :
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Enquêter sur les allégations ou les preuves selon lesquelles des enfants peuvent avoir besoin de protection;
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Protéger les enfants en cas de besoin;
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Offrir aux familles des services, notamment d’orientation ou de counseling, pour protéger les enfants ou pour prévenir les situations nécessitant la protection d’enfants;
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Fournir des soins aux enfants qui lui sont confiés ou exercer une surveillance sur ceux-ci;
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Placer des enfants en vue de leur adoption[6].
33 Toutes les sociétés d’aide à l’enfance désignées par le Ministère sont assujetties à la LSEJF et à ses règlements d’application. Entre autres, la LSEJF oblige les SAE à respecter les normes de service, procédures et pratiques prescrites[7].
34 En sa qualité de société d’aide à l’enfance titulaire d’un permis, la SAE de York doit fournir la gamme complète de services prévus dans la LSEJF, conformément à ces règles.
35 Les sociétés d’aide à l’enfance sont tenues de respecter les droits des enfants dans la prestation des services. Le préambule de la LSEJF commence par un énoncé de reconnaissance établissant que « les enfants sont des personnes dont les droits doivent être respectés et la voix entendue » et un énoncé d’engagement à fournir des services « axés sur les enfants » aux enfants et à leurs familles.
36 Pour remplir ces objectifs, la LSEJF dispose, à l’article 3 (pertinent pour notre enquête), que chaque enfant et chaque adolescent(e) recevant des services sous son régime a différents droits, dont les suivants :
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Le droit de s’exprimer, dans le cadre d’un dialogue honnête et respectueux, sur la façon dont sont prises les décisions à son égard et sur ce qui les motive ainsi que le droit d’obtenir que son opinion soit dûment prise en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
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Le droit d’être consulté(e) à propos de la nature des services qui lui sont fournis ou qui doivent l’être, le droit de prendre part aux décisions au sujet de ces services et le droit d’être informé(e) des décisions prises à l’égard de ces services.
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Le droit d’exprimer ses préoccupations ou de recommander des changements à l’égard des services qui lui sont fournis ou qui doivent l’être, et ce sans aucune ingérence et sans craindre de faire l’objet de contrainte, de discrimination ou de représailles et le droit de recevoir une réponse à ces préoccupations ou changements[8].
37 Ces droits contribuent à garantir que les fournisseurs de services sont à même de remplir l’objet primordial de la LSEJF, soit promouvoir l’intérêt véritable de l’enfant, sa protection et son bien-être[9].
38 En plus d’énoncer les droits des enfants recevant des services, la LSEJF et ses règlements d’applications établissent de nombreuses exigences pour les fournisseurs de services. L’article 7 du Règlement de l’Ontario 155/18, d’un très grand intérêt pour le cas de Mia, fait état des exigences de consignation relatives à la prise de décisions touchant les enfants. Il est libellé comme suit :
7. Le fournisseur de services consigne, dans le dossier de l’enfant ou de l’adolescent à qui il fournit un service, les renseignements suivants :
1. La manière dont il a donné à l’enfant ou à l’adolescent l’occasion de participer à la prise d’une décision concernant les services qui lui sont fournis ou qui doivent l’être ou les décisions qui le concernent, et le moment auquel il lui a donné cette occasion.
2. Une mention indiquant si l’enfant ou l’adolescent a participé à la décision et, le cas échéant, la description de la manière dont il y a participé et des opinions qu’il a exprimées.
39 La LSEJF autorise les sociétés d’aide à l’enfance à fournir des services de protection à tou(te)s les enfants ayant besoin de protection, y compris les jeunes de 16 ou 17 ans. Les enfants recevant des services volontaires sont admissibles à la gamme complète des services de protection. Il(elle)s ne sont pas considéré(e)s comme des enfants pris(es) en charge, à moins qu'il(elle)s ne reçoivent des soins en établissement, qui sont généralement fournis par le biais d'une famille d'accueil ou d'un foyer de groupe[10].
40 Les SAE ne sont habilitées à fournir des services de protection aux jeunes adultes que depuis le 1er janvier 2018. Auparavant, elles ne pouvaient offrir de services qu’aux jeunes de 16 ou 17 ans que si un tribunal avait déterminé qu’il s’agissait d’un(e) jeune ayant besoin de protection avant leur 16e anniversaire. Au moment de cette modification législative, le ministre des Services à l’enfance et à la jeunesse avait souligné ce qui arrivait dans l’ancien système : des jeunes vulnérables de 16 ou 17 ans ayant besoin de protection se faisaient plutôt aiguiller vers des services communautaires comme des refuges. Il avait fait observer que lorsque ces jeunes ne sont pas en sécurité à la maison, ils(elles) [traduction] « risquent d’avoir moins d’options » et que ceux(celles) « qui ont été victimes de mauvais traitements ou de négligence ont plus de chances de devenir des sans-abris, d’avoir des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie ou encore d’être victimes de violence ou de traite des personnes[11] ».
41 Le ministre avait aussi dit que faire passer l’âge de protection à 18 ans visait à s’assurer que ces jeunes adultes « ont accès à des services qui les protègent et leur permettent de réaliser leur plein potentiel[12] ». Cette mesure a reçu un très fort appui dans le milieu de la protection de l’enfance, notamment par l’Association ontarienne des sociétés de l’aide à l’enfance, et le changement a été considéré comme tellement urgent qu’il est entré en vigueur des mois avant d’autres réformes législatives du régime ontarien de protection de l’enfance.
42 Les SAE jouissent d’une grande flexibilité dans leur manière de fournir des services aux jeunes de 16 ou 17 ans, selon la situation unique de chaque enfant. Dans certains cas, une société d’aide à l’enfance peut travailler avec la famille à domicile et l’aiguiller vers des services communautaires. Un placement « avec la parenté » ou une « entente de soins conformes aux traditions » peuvent aussi être envisagés. Toutefois, il arrive qu’il n’y ait aucune solution sécuritaire chez les membres de la famille, les amis ou les membres de la collectivité immédiate. Dans ces cas-là, l’article 77 de la LSEJF autorise les SAE à conclure des ententes de services volontaires avec les adolescent(e)s de 16 ou 17 ans pour la prestation de services et de soutien quand le(la) jeune « a ou peut avoir besoin de protection » et que la SAE est convaincue qu’il n’existe aucune autre solution suffisante pour une protection adéquate. Ces ententes s’appellent des ententes sur les services volontaires pour les jeunes (ESVJ).
43 Une ESVJ énonce les responsabilités et les obligations du(de la) jeune et de la SAE, et le(la) jeune peut la résilier en tout temps. Elle est personnalisée selon la situation de chaque jeune. Certain(e)s peuvent recevoir de l’aide pour vivre avec leur famille; d’autres pour vivre de façon autonome ou semi-autonome, ou encore être placé(e)s dans un établissement.
44 Le Bureau de l’avocat des enfants est un organe indépendant du ministère du Procureur général qui représente les intérêts des enfants de moins de 18 ans dans les dossiers de protection de l’enfance. À l’époque où Mia demandait des services volontaires, la LSEJF exigeait que les SAE avisent le Bureau de l’avocat des enfants lorsqu’elles prévoyaient conclure une ESVJ[13]. Toutefois, à la suite d’une modification survenue en 2021, la LSEJF exige aujourd’hui cet avis chaque fois qu’un(e) jeune demande une ESVJ, même si la SAE estime qu’une telle entente n’est pas justifiée[14]. Le paragraphe 77(7) de la Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille autorise le Bureau de l’avocat des enfants à offrir la représentation par avocat(e) à un(e) jeune dans chacune de ces situations si ledit Bureau estime cette démarche appropriée.
45 Le Ministère a une directive qui fournit des orientations sur les exigences relatives à la manière dont les SAE doivent offrir des services de protection aux jeunes de 16 et 17 ans[15]. Il y est exigé que les SAE offrent « la gamme complète de services de protection pour les jeunes de 16 et de 17 ans » qui seraient offerts sous le régime de la LSEJF dans les autres cas. La directive indique que le travail des SAE doit reposer sur divers principes : services de protection axés sur les jeunes; importance du lien avec les membres de la parenté, la collectivité et la culture; services adaptés à la culture pour les jeunes des Premières Nations, Métis et Inuits; approche la moins perturbatrice en matière de protection des jeunes.
46 Le Ministère a produit différents documents de communication pour expliquer comment les SAE doivent fournir des services aux jeunes de 16 ou 17 ans, notamment deux fiches de renseignements[16]. L’une s’adresse aux jeunes; l’autre est pour les fournisseurs de services. Les deux traitent du rôle de la société d’aide à l’enfance pour ce qui est de s’assurer que les jeunes de 16 ou 17 ans « dispose[nt] d’un lieu de résidence approprié » s’ils(si elles) « doivent être placé[e]s hors du domicile ». La fiche de renseignements destinée aux fournisseurs précise en toutes lettres que lorsqu’un(e) jeune conclut une entente de services volontaires, la SAE :
[…] l’aide à élaborer un plan et s’assure qu’il[elle] dispose d’un lieu de résidence approprié répondant le mieux possible à ses besoins et à ses désirs, et adapté à son développement et à son degré d’autonomie.
47 La fiche de renseignements destinée aux jeunes renferme des passages similaires, mais on y souligne que la société d’aide à l’enfance veillera à ce que l’adolescent(e) ait un logement « sécuritaire et approprié », par exemple :
Si vous avez besoin de protection et que vous ne pouvez pas être protégé adéquatement à la maison ou dans votre situation de vie actuelle, et qu’il n’y a pas d’options sécuritaires avec votre famille ou vos amis, vous pouvez conclure une entente avec une société [d’aide à l’enfance] pour obtenir des services et du soutien, y compris une option de logement sécuritaire et appropriée. Il s’agit d’une Entente sur les services volontaires pour les jeunes (ESVJ).
48 Bien qu’elles ne soient pas juridiquement contraignantes, ces fiches de renseignements sont un autre exemple illustrant dans quel sens les fournisseurs sont censés interpréter les exigences prévues par la LSEJF et ses règlements d’application lorsqu’ils offrent des services aux jeunes de 16 ou 17 ans.
49 La SAE de York a sa propre politique concernant les ESVJ, laquelle établit les modalités des services de protection fournis aux jeunes de 16 ou 17 ans. Comme dans la LSEJF et la Directive en matière de politiques du Ministère, la politique de la SAE de York prévoit que les jeunes de 16 ou 17 ans ayant besoin de protection ont droit à une ESVJ ainsi qu’à la [traduction] « gamme complète des services de protection de l’enfance ». La politique indique que cela peut comprendre « le soutien financier ou autre », sans plus de détails.
50 Avant que le(la) jeune puisse bénéficier de ce soutien, le personnel de première ligne de la SAE de York doit vérifier si cette personne répond aux critères d’admissibilité à une ESVJ et discuter avec elle de cette option. Le(la) travailleur(euse) doit ensuite obtenir l’approbation de son(sa) superviseur(e). Si le feu vert est donné et que le(la) jeune accepte de participer au programme d’ESVJ, le(la) travailleur(euse) communiquera avec le Bureau de l’avocat des enfants pour l’aider à obtenir un avis juridique indépendant. Si le(la) jeune souhaite toujours aller de l’avant, il(elle) doit s’entendre avec son(sa) travailleur(euse). Le service des finances de la SAE doit recevoir une copie du plan de services volontaires et les documents requis pour les paiements.
51 Une fois que l’entente a pris effet, le(la) préposé(e) à la protection de l’enfance ou le(la) travailleur(euse) des services à l’enfance doit rendre visite au(à la) jeune dans les sept jours pour évaluer son degré de sécurité et de bien-être et entamer le processus d’identification de ses forces, besoins et objectifs.
52 Les ESVJ sont relativement rares à la SAE de York. Selon des données fournies par la SAE, la moyenne se situait à 12 par année entre 2018 et 2022. La plupart des jeunes ayant conclu de telles ententes avaient reçu du soutien à la vie autonomie, tandis que les autres étaient placé(e)s chez un(e) membre de la parenté, dans un refuge ou dans un foyer d’accueil ou de groupe.
ESVJ et décisions de placement à la SAE de York, de 2018 à 2023
Année |
Nombre d’ESVJ signées |
Logements : Foyer d’accueil interne; foyer d’accueil ou de groupe externe (RER) |
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Logements : Logement autonome (LA), membre de la parenté, refuge |
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Foyer d’accueil interne |
Foyer d’accueil d’une RER |
Foyer de groupe d’une RER (360 Kids) |
LA |
Membre de la parenté |
Refuge |
2018 |
11 |
|
|
|
9 |
|
2 |
2019 |
17 |
4 |
3 |
1 |
8 |
1 |
|
2020 |
16 |
1 |
1 |
|
11 |
1 |
2 |
2021 |
7 |
|
|
1 |
5 |
|
1 |
2022 |
11 |
1 |
2 |
1 |
5 |
2 |
|
Totaux |
62 |
6 |
6 |
3 |
38 |
4 |
|
53 De plus, la SAE de York avait une politique particulière en place à l’époque sur les placements d’enfants ou de jeunes dans un foyer externe, c’est-à-dire lorsqu’ils(elles) doivent être confié(e)s à une « ressource externe rémunérée (RER) ». Il y était écrit que la politique visait [traduction] « à préciser les exigences s’appliquant au placement d’enfants et de jeunes en milieu familial, et à garantir la responsabilisation et la supervision de la prise en charge lorsque le placement se fait auprès d’une ressource externe rémunérée ». La SAE définissait les RER comme « des organisations titulaires d’un permis qui fournissent des services de placement en famille d’accueil privé ou en foyer de groupe ».
54 La politique exigeait que les enfants et les jeunes qui étaient pris(es) en charge par la SAE soient, autant que possible, placé(e)s dans leur famille élargie et dans leur collectivité. Les « foyers sociaux dans le réseau », associés directement à la SAE de York, et les foyers de soins communautaires devaient être envisagés ensuite. C’est seulement après avoir épuisé toutes ces options que la SAE commencerait à chercher un placement externe.
55 Cette politique ne disait pas si elle s’appliquait aux enfants qui n’avaient pas été pris(es) en charge et recevaient plutôt des services volontaires sans prise en charge en résidence. C’est sans doute parce que la politique n’a pas été modifiée pour refléter les nouvelles exigences de 2018 relatives à l’obligation de fournir des services volontaires aux jeunes de 16 ou 17 ans. Une phrase laissait entendre que les exigences de la politique ne s’appliquaient « qu’après la prise en charge par la société [d’aide à l’enfance] ». Pour les jeunes bénéficiant de services volontaires, l'admission aux soins de la Société n'a lieu que s'ils sont placés dans un milieu résidentiel, comme une famille d'accueil. Toutefois, le reste de la politique traitait de façon générale des placements d’enfants et de jeunes, quel que soit leur statut, c’est-à-dire indépendamment de leur prise en charge. Les personnes consultées étaient d’avis que la politique s’appliquait au cas de Mia, même si elle n’avait jamais été une enfant prise en charge. Elles ont dit que les procédures prévues par la politique avaient été suivies au moment d’évaluer son admissibilité à un placement externe.
56 La politique présentait une procédure que le personnel devait suivre pour demander le placement d’un(e) enfant à l’extérieur du domicile. S’il jugeait que l’enfant n’était pas en sécurité chez lui(elle), le personnel remplissait un formulaire de demande de placement. Puis, la personne chargée des placements faisait des recherches dans les ressources internes, comme les parents de foyer d’accueil travaillant directement avec la SAE de York. Si aucune ressource interne ne pouvait accepter l’enfant, le(la) coordonnateur(trice) demandait au(à la) superviseur(e) des placements en foyer d’accueil l’autorisation de commencer à chercher un placement auprès d’une ressource externe rémunérée, et le(la) superviseur(e) faisait alors part de cette requête au(à la) directeur(trice) du service.
57 Si une ressource externe appropriée pouvait accepter le placement, le personnel remplissait un Formulaire de recherche de placement / Formulaire d’approbation pour ressource externe rémunérée (RER). Le(la) coordonnateur(trice) des placements faisait ensuite une recommandation finale au(à la) superviseur(e) des placements en foyer d’accueil en indiquant la raison du placement et les frais quotidiens connexes. La politique exigeait que la direction générale des opérations approuve tous les placements dans un « foyer de groupe » d’une ressource externe rémunérée, quoique ce terme n’y soit pas défini. Les personnes consultées et les courriels examinés confirment que dans la pratique, tous les placements externes devaient être approuvés par la direction générale des opérations lorsque Mia recevait des services.
58 Toutefois, l’ancien directeur général des opérations nous a dit que seules les décisions concernant un placement dans un foyer de groupe devaient être approuvées par lui et que les placements auprès d’autres ressources externes rémunérées, notamment les foyers d’accueil, relevaient d’une décision prise conjointement par le(la) superviseur(e) des placements en foyer d’accueil et le(la) directeur(trice) du service. Il a aussi dit qu’il souhaitait que certaines de ces décisions soient prises directement par lui, parce que lorsqu’elles l’étaient par le(la) superviseur(e), « beaucoup trop d’enfants » se retrouvaient pris en charge par une RER.
59 Même s’il est parfois nécessaire de prendre l’enfant en charge pour assurer sa protection, les sociétés d’aide à l’enfance mettent de plus en plus l’accent sur les interventions préventives pouvant réduire le risque et éviter ce résultat. Ces stratégies, habituellement désignées par le terme « prévention des admissions », ont vu le jour dans les Directives de financement du placement permanent en Ontario de 2016 produites par le Ministère[17]. Ces Directives s’appliquent aux enfants pris(es) en charge ainsi qu’à ceux(celles) qui retournent à la maison ou sont à risque d’être pris(es) en charge. Il y est indiqué que les SAE doivent garantir la sécurité de l’enfant par les pratiques les moins perturbatrices possible, notamment en soutenant la famille ou en facilitant le placement sous la garde d’un(e) proche ou d’un(e) membre de la collectivité. Pendant notre enquête, nous avons entendu à maintes reprises qu’une priorité commune au secteur, axée sur la « prévention des admissions », a influé sur la prestation des services fournis à Mia par la SAE.
60 Dans certains cas, les sociétés d’aide à l’enfance peuvent être en mesure de fournir une aide financière pour atténuer les facteurs de risque pour les enfants. Elles peuvent aussi travailler avec les familles et les enfants et les mettre en contact avec des programmes de soutien offerts par l’État, avec des proches et avec des programmes communautaires. Ces approches peuvent éliminer le souci de protection constituant un facteur de risque pour l’enfant et empêcher sa prise en charge. Dans sa justification de la prévention des admissions et d’un possible soutien financier aux familles, le Ministère fait la remarque suivante dans les Directives :
[…] une intervention précoce visant à atténuer les risques dans les situations d’urgence peut permettre aux parents de mieux régler les problèmes qui entraînent le besoin de protection, ce qui peut faire en sorte que les enfants évitent la prise en charge, à ce moment et peut-être même dans l’avenir[18].
61 Cependant, les Directives du Ministère sont claires : les principes de prévention des admissions ne doivent jamais faire en sorte qu’un(e) enfant est laissé(e) dans une situation peu sécuritaire. Si aucune autre stratégie ne permet de résoudre un problème de sécurité, une intervention plus intensive peut s’avérer nécessaire.
62 Au moment des interactions de Mia avec la SAE de York, celle-ci travaillait au démarrage et à la mise en œuvre de sa première stratégie de prévention des admissions. Les détails en étaient énoncés dans un document de janvier 2019 intitulé Garder les enfants avec leurs familles : Directives de prévention des admissions.
63 Dans ce document, la SAE définit la prévention des admissions comme étant [traduction] « la planification des services et les interventions qui favorisent le maintien de l’enfant ou des enfants, ou du ou des jeunes, auprès de leur gardien(ne) principal(e) ou gardien(ne)s principaux(ales) ». Il y est noté que « ces stratégies d’intervention ciblent spécifiquement la prévention des admissions par la société d’aide à l’enfance ». Ces directives indiquent clairement que la SAE perçoit la prévention des admissions comme la méthode d’intervention à privilégier et la moins invasive, méthode qui ne s’applique qu’aux enfants susceptibles d’être pris(es) en charge.
64 Le personnel de la SAE de York nous a dit que l’intention était d’offrir aux enfants ayant besoin de protection le même niveau d’aide financière et de soutien par le personnel que dans un foyer d’accueil ou de groupe, pour que l’enfant demeure dans sa famille, sa famille élargie ou un milieu de soins conformes aux traditions. Même si les adolescent(e)s recevant des services volontaires ne sont pas généralement considéré(e)s comme des enfants pris(es) en charge, ce même principe s’applique, car ces jeunes de 16 ou 17 ans ont droit à la gamme complète de services de protection offerts aux enfants plus jeunes.
65 Les Directives de prévention des admissions de la SAE de York présentent une stratégie en 10 points pour le soutien financier et logistique des familles, afin d’aider les enfants à demeurer chez eux(elles). Quelques-uns de ces 10 points sont particulièrement pertinents dans le cas de Mia. Par exemple, les directives exigent de toujours tenir compte du bien-être du(de la) jeune ou de l’enfant en premier lieu. Le placement chez un(e) membre de la famille élargie, chez un(e) proche ou dans un milieu de soins conformes aux traditions doit être la principale solution de rechange, et le personnel doit consigner les efforts de recherche d’un placement chez un(e) proche ou dans un milieu de soins conformes aux traditions avant de placer l’enfant en dehors de son domicile. S’il se trouve qu’un(e) adolescent(e) a besoin d’un placement dans un foyer de groupe ou en milieu résidentiel, il faut tenir une Conférence de planification de la prévention des admissions avec le(la) préposé(e) à l’accueil et son(sa) superviseur(e), le(la) superviseur(e) des placements, le(la) superviseur(e) des communications et de la diversité et le(la) superviseur(e) du service, ainsi qu’un(e) avocat(e) et le personnel responsable de rechercher des membres de la collectivité ou de la famille élargie de l’enfant et de communiquer avec ces membres. D’autres personnes peuvent aussi participer, selon les besoins de l’enfant et de la famille.
66 La plupart des membres du personnel de la SAE de York que nous avons rencontré(e)s en entrevue avaient une opinion positive de cette priorité de l’organisme de privilégier la prévention des admissions, bien qu’il y ait eu certaines inquiétudes au sujet de l’approche adoptée par la haute direction. Une personne a fait remarquer qu’il n’y avait aucun plan précis de réduction du nombre de prises en charge et que la haute direction usait de pratiques « punitives » reposant sur « une culture de la peur » pour faire pression sur les préposé(e)s à la protection de l’enfance afin de prévenir la prise en charge de jeunes recevant des services volontaires ou l’offre de placements à cette clientèle. Ces commentaires trouvent écho dans un rapport publié par le Ministère en octobre 2020, rapport qui présente plusieurs observations sur la culture de travail prédominant à la SAE de York. Il nous a aussi été dit que la haute direction de la SAE de York avait ouvertement parlé d’un « concours » avec une autre SAE visant à déterminer laquelle des deux prendrait le moins d’enfants en charge.
67 Quand nous avons posé des questions à l’ancien directeur général des opérations à propos de l’initiative et de ces commentaires, il nous a dit avoir participé très activement à la prévention des prises en charge, même avant son arrivée à la SAE de York. Quand il y est entré en fonction, l’initiative n’avait pas vraiment décollé, mais il a rapidement fixé l’objectif de retourner cinq enfants dans leur famille ou collectivité. Puis, lorsque l’initiative battait son plein, il a passé au crible chaque dossier soumis à son attention en s’assurant que toutes les options possibles d’aide à la famille et d’autres mesures de soutien étaient envisagées avant de placer l’enfant en foyer d’accueil ou de lui proposer un autre type de placement. Il a souligné la grande importance de prendre la bonne décision, car retirer un(e) enfant de son foyer est souvent traumatisant. Il reconnaît toutefois que si le soutien en milieu familial ne répondait pas aux besoins de l’enfant, la SAE de York « étudiait » d’autres options de placement.
68 Mia est née en 2003 dans une famille habitant la région du Grand Toronto. Sa famille a eu affaire à des sociétés d’aide à l’enfance locales à de nombreuses reprises durant sa vie.
69 Entre 2004 et 2017, la famille de Mia a fait l’objet de 15 enquêtes différentes de la Société d’aide à l’enfance de Toronto (SAET). Ces enquêtes découlaient surtout de signalements émanant d’enseignant(e)s, de policiers(ères), du Bureau de l’avocat des enfants et d’autres intervenant(e)s qui s’inquiétaient des soins que Mia et sa fratrie recevaient à domicile. Elles visaient à faire la lumière sur des incidents caractérisés par des châtiments corporels inappropriés ou des maux affectifs infligés par la grand-mère maternelle de Mia, son oncle maternel, sa mère et son père. Beaucoup d’autres membres de sa famille ont aussi fait l’objet d’allégations non vérifiées à son sujet et au sujet de sa fratrie. En raison de ces enquêtes et d’autres préoccupations, la sœur aînée de Mia a été prise en charge dans la collectivité élargie par la SAET en 2015.
70 Ses parents se sont ensuite engagés dans un pénible litige relatif à la garde qui a duré des années. Le tribunal a fini par ordonner que Mia vive chez son père. Mais cet arrangement lui a causé des difficultés, et en 2016, elle a déclaré à la Société d’aide à l’enfance de Toronto avoir peur de retourner chez son père à cause des mauvais traitements physiques qu’il infligeait, à elle et à sa fratrie, et parce qu’il avait déjà été violent à l’égard de sa mère. Celle-ci avait par la suite permis à Mia de vivre avec elle, mais l’ordonnance judiciaire accordant la garde au père n’a pas été modifiée. À l’époque, la SAET fournissait des services de protection de l’enfance à Mia et à sa famille, mais a fini par fermer le dossier, en l’absence d’inquiétude immédiate pour la sécurité de Mia, qui vivait désormais chez sa mère.
71 Le 23 septembre 2019, la police régionale de York a communiqué avec la SAE de York après un incident survenu entre Mia et sa mère. Mia avait alors 16 ans. La police a fait savoir à la SAE que la mère de Mia avait appelé les policier(ère)s après s’être disputée avec Mia et l’avoir chassée de la maison. D’après Mia et sa fratrie, la dispute a éclaté quand Mia a permis à son demi-frère d’utiliser son assurance-santé pour un examen de la vue. Sa mère s’était alors mise en colère après avoir appris qu’elle devrait payer l’examen de la vue de Mia. Celle-ci a dit que sa mère avait « pété les plombs » et l’avait « jetée dehors ». Dans sa conversation avec la police, la mère de Mia s’est dite inquiète parce que Mia était partie en disant souhaiter mourir. Elle a aussi dit à la police que Mia demeurait à présent chez sa grand-mère maternelle.
72 D’après le rapport de police, la SAE de York a ouvert une enquête le 24 septembre pour déterminer si Mia avait besoin de protection. Après l’évaluation initiale du dossier, la SAE a conclu qu’il pouvait s’agir d’un cas d’abandon d’enfant et de conflit entre enfant et pourvoyeur(euse) de soins. Ce cas exigeait un délai d’intervention de sept jours, ce qui signifiait que conformément aux Normes de la protection de l’enfance de l’Ontario, le personnel devait communiquer avec Mia en personne dans les sept jours suivants. La SAE a jugé que le risque était « élevé » pour Mia et sa famille, car il y avait déjà eu des allégations contre le père et parce que la famille avait déjà reçu régulièrement des services de la Société d’aide à l’enfance de Toronto.
73 Une préposée à l’accueil a tenté d’appeler Mia le 26 septembre, mais n’a pas pu la joindre et a dû laisser un message. Lorsqu’elle a de nouveau tenté de la joindre le 30 septembre, le téléphone cellulaire de Mia était hors service. Ce même jour, elle a essayé de la rencontrer en personne chez sa grand-mère, mais sans plus de succès. Les notes de supervision indiquent que la préposée avait été autorisée à déroger à la norme voulant qu’elle rencontre Mia dans les sept jours.
74 Le 4 octobre, la préposée a tenté de rencontrer Mia à l’école, mais celle-ci était absente, faute de pouvoir s’y rendre à partir de chez sa grand-mère.
75 Le 7 octobre, le père de Mia a appelé la SAE pour faire part de ses inquiétudes suscitées par le fait que Mia demeurait chez sa grand-mère. Selon lui, la sœur de Mia, qui vivait là aussi, exerçait une mauvaise influence sur celle-ci parce qu’elle buvait et consommait des drogues. Il a demandé à la SAE de songer à placer Mia en foyer d’accueil.
76 La préposée à l’accueil a rencontré Mia pour la première fois le 8 octobre. Lors de cette rencontre et des suivantes, Mia a confirmé s’être disputée avec sa mère et qu’elles ne se parlaient plus, qu’elle habitait chez sa grand-mère et qu’elle tentait de retourner à l’école. Mia a dit avoir du mal à s’inscrire à une nouvelle école près de chez sa grand-mère parce que sa mère refusait de lui donner les documents nécessaires. D’après les notes au dossier, Mia comptait rester chez sa grand-mère à long terme. Après cette rencontre, la préposée a téléphoné deux fois à la mère, mais n’est parvenue qu’à joindre sa boîte vocale.
77 Elle a pris des dispositions pour rencontrer Mia de nouveau le 10 octobre, mais celle-ci n’est pas venue. Un appel à Mia est resté sans réponse le 17 octobre. La préposée a rencontré les plus jeunes membres de sa fratrie à leur école, et d’après ces entrevues, ces jeunes étaient en sécurité et n’avaient pas besoin de protection.
78 Le 7 novembre, la mère de Mia a téléphoné à la SAE de York, inquiète parce que personne ne savait où était Mia. Le 8 novembre, la SAE a reçu un deuxième appel, cette fois d’un(e) travailleur(euse) communautaire qui avait déjà communiqué avec Mia par le passé. D’après cette personne, Mia lui avait dit que sa sœur avait demandé qu’elle parte de chez sa grand-mère. Mia avait également confié que son beau-père l’avait agressée sexuellement lorsqu’elle avait 13 ans. Ces nouvelles allégations et ce besoin de protection ont été ajoutés au dossier d’enquête de la SAE.
79 Toujours le 8 novembre, la préposée à l’accueil a eu une discussion avec Mia, qui lui a appris qu’elle vivait désormais chez une tante, mais qu’elle devait partir de là le lendemain. Mia a déclaré n’avoir ni ami(e) ni membre de la famille pouvant l’héberger, et a demandé à être placée en foyer d’accueil.
80 La préposée a téléphoné à des refuges, à la recherche d’un lit, mais sans succès. Elle a par ailleurs conseillé à Mia d’aller chez son père ou sa mère, mais Mia a refusé, ne se sentant pas en sécurité avec ses parents.
81 La préposée à l’accueil a alors demandé à la tante de Mia si elle était disposée à lui permettre de prolonger son séjour chez elle. La tante a accepté avec réticence, mais a dit que la situation était tendue et serait intenable à long terme.
82 Sur ces entrefaites, la préposée a commencé à enquêter sur les nouvelles allégations d’agression sexuelle faites par Mia contre son beau-père. Le 11 novembre, Mia a rencontré des agent(e)s du service de police régional de York en entrevue, avec la préposée à titre d’observatrice. Le 12 novembre, la police a interrogé la mère de Mia et deux de ses sœurs plus jeunes.
83 Le 13 novembre, la préposée a de nouveau parlé avec la tante de Mia et lui a dit qu’une fois que Mia serait partie de chez elle, ses seules options seraient un lit dans un refuge ou la rue. Après cette rencontre, la tante a accepté d’héberger Mia jusqu’à la fin de novembre. Cette solution n’était que temporaire, car il manquait d’espace chez la tante et il y avait un conflit interpersonnel entre Mia et sa tante, et aussi avec d’autres membres de la maisonnée. Durant cette période d’incertitude, Mia n’a pas fréquenté l’école parce qu’elle n’avait toujours pas les documents nécessaires pour s’inscrire dans une nouvelle école.
84 Le 20 novembre, la préposée à l’accueil a discuté avec Mia de la possibilité de conclure une entente sur les services volontaires pour les jeunes. Elle a mis Mia en rapport avec une avocate du Bureau de l’avocat des enfants, avocate que Mia a rencontrée le 26 novembre pour discuter des exigences et responsabilités rattachées à une telle entente.
85 Les notes au dossier indiquent que la préposée a continué de rechercher des options qui permettraient à Mia de vivre chez un(e) ami(e) ou un(e) membre de sa famille. Le 20 novembre, la tante a de nouveau répété à la préposée qu’elle ne pourrait plus héberger Mia après le 30 novembre. Elle a aussi précisé que la grand-mère de Mia refusait d’héberger celle-ci et qu’elle ne connaissait personne d’autre dans la famille chez qui Mia pourrait aller vivre. Le 21 novembre, la préposée a rencontré le père de Mia pour explorer d’autres pistes du côté de la famille, mais il n’a fait aucune proposition.
86 Le 21 novembre, après avoir conclu que Mia avait peu de chances de pouvoir vivre en sécurité chez qui que ce soit dans sa famille élargie ou sa collectivité, la préposée à l’accueil a communiqué avec le service de placement de la SAE de York pour démarrer le processus de recherche d’une famille d’accueil.
87 Pendant que le(la) travailleur(euse) chargé(e) des placements cherchait un foyer d’accueil, le service de placement encourageait la préposée à l’accueil à poursuivre sa recherche de solutions du côté de la famille et des ami(e)s de Mia. D’après les notes au dossier, le(la) travailleur(euse) chargé(e) des placements a également conseillé à la préposée à l’accueil de prévenir Mia en lui parlant « de la réalité d’un foyer d’accueil, c’est-à-dire qu’elle ne vivrait pas dans la communauté où elle veut, qu’elle serait chez des étrangers, avec plus de règles à suivre, etc. »
88 Selon les personnes que nous avons rencontrées en entrevue, le(la) travailleur(euse) chargé(e) des placements n’a trouvé dans le réseau « interne » de la SAE aucune famille d’accueil répondant aux besoins de Mia. Toutefois, il y avait trois foyers d’accueil relevant de « ressources externes rémunérées » qui étaient disponibles et convenaient à Mia.
89 Le 28 novembre, le(la) travailleur(euse) chargé(e) des placements a communiqué cette information à un(e) superviseur(e), qui a soumis ces solutions à l’approbation du(de la) directeur(trice) du service.
90 Après quelques jeux de navettes, la haute direction de la SAE de York a rejeté la demande de placement de Mia dans un foyer d’accueil externe. Cette décision figure dans un courriel du(de la) superviseur(e) chargé(e) des placements, courriel qui renferme l’explication suivante et la suite des choses (c’est nous qui soulignons, et les noms sont caviardés) :
[Traduction]
J’ai examiné les placements aujourd’hui, et il n’y a actuellement aucune place disponible dans le réseau interne. J’ai parlé avec [la direction du service] et lui ai demandé d’autoriser la recherche d’un placement auprès d’une RER.
Ma demande a été refusée, car en raison de notre stratégie de prévention des prises en charge et de la consigne d’éviter les placements d’enfants et de jeunes auprès des RER, on a jugé qu’il fallait encore approfondir la recherche de solutions du côté de la famille parce que la jeune fille a 16 ans et que même si elle peut bénéficier d’une ESVJ, elle peut aussi loger dans un refuge.
[La direction du service] a précisé que si vous n’étiez pas d’accord avec cette décision, [le superviseur de l’accueil] devra alors s’adresser à ce sujet [à la direction des services d’accueil], qui à son tour devra en parler [à la direction du service] et [à la direction générale des opérations].
91 Le superviseur de l’accueil a répondu à ce courriel très rapidement pour expliquer que toutes les solutions familiales avaient déjà été envisagées et que la mère de Mia ne voulait pas être en contact avec sa fille. Il a répété que Mia vivait dans une situation précaire et qu’elle serait sans-abri dans un jour ou deux. Il a aussi expliqué que Mia avait déjà rencontré le Bureau de l’avocat des enfants et consenti à une entente sur les services volontaires pour les jeunes. Le superviseur de l’accueil a insisté sur la gravité des conditions de vie de Mia, disant que [traduction] « si la demande de prise en charge est rejetée, alors un refuge sera la seule solution pour cette jeune de 16 ans, et ça, si nous réussissons à lui trouver une place, ce qui n’est pas facile; sinon, il n’y aura plus rien pour elle ». Il a ajouté que le plan à long terme était la réintégration chez son père, mais que ce plan « était à l’état embryonnaire » et que le père n’était pas encore disposé à s’occuper d’elle.
92 Dans l’heure suivante, la préposée à l’accueil a commencé à communiquer avec des refuges pour Mia. Elle s’est entretenue avec Mia pour lui expliquer que la seule solution que la SAE pouvait lui offrir, c’était un lit dans un refuge, que Mia devrait appeler les refuges elle-même, et que ce serait une bonne idée de communiquer avec les ami(e)s et les membres de la famille à qui elle pouvait penser pour trouver une place où rester.
93 Le même jour, la préposée a fait savoir à l’avocate du Bureau de l’avocat des enfants qui travaillait avec Mia que la SAE ne pouvait pas offrir à Mia d’endroit où vivre, et qu’elle tentait de lui trouver un refuge. D’après les notes de la préposée au sujet de cet appel, l’avocate a dit que le processus d’ESVJ ne garantissait pas la sécurité de Mia et qu’elle allait communiquer avec le service juridique de la SAE de York.
94 La situation de logement de Mia restait incertaine suivant son départ de chez sa tante le 29 novembre. Le 6 décembre, elle a dit à sa préposée à l’accueil qu’elle vivait de nouveau chez sa grand-mère temporairement, celle-ci ayant consenti à l’héberger à court terme, car elle ne voulait pas que Mia se retrouve dans un refuge ou à la rue.
95 Le 9 décembre, l’avocate du Bureau de l’avocat des enfants a communiqué avec le directeur général des opérations de la SAE de York pour lui faire part de ses inquiétudes au sujet des services fournis à Mia. Leurs courriels réitéraient le fait que la situation de Mia chez sa grand-mère n’était « pas viable » et que l’adolescente souhaitait être placée dans un foyer d’accueil. L’avocate a qualifié le recours aux refuges pour jeunes de « problème systémique » et déclaré que la position du Bureau était que la clientèle devrait avoir le droit de refuser de vivre dans refuge pour bénéficier plutôt d’un placement en milieu familial.
96 Le 10 décembre, la préposée à l’accueil de Mia a fait un suivi dans son organisation pour savoir si la direction avait accepté de conclure une entente sur les services volontaires pour les jeunes avec Mia. La préposée a dit que Mia n’était pas prête à vivre seule, elle qui venait tout juste d’avoir 16 ans. Elle a répété que la famille de Mia n’était pas intéressée à offrir à la jeune fille un domicile stable, situation qui durait depuis septembre. Après avoir discuté avec la préposée du plan à court terme pour Mia, le superviseur a consulté le(la) directeur(trice) du service et obtenu l’autorisation de conclure l’ESVJ avec Mia.
97 Le 11 décembre 2019, Mia a signé une ESVJ avec la SAE de York. Aux termes de la LSEJF et de la politique sur les services volontaires pour les jeunes du Ministère, cette entente signifiait qu’elle avait droit à la gamme complète des services de protection offerts aux enfants plus jeunes. Il était écrit dans l’entente qu’elle [traduction] « souhaitait que la société [d’aide à l’enfance] la soutienne et l’aide à retrouver un cadre de vie stable et à se réinscrire à l’école ». À ce moment-là, Mia n’allait plus à l’école depuis presque trois mois, c’est-à-dire depuis qu’elle avait été obligée de partir de chez sa mère. Avant de signer l’ESVJ, Mia avait consenti à toutes les règles et exigences à respecter pour bénéficier du soutien prévu par une telle entente. Elle a dit à sa préposée à l’accueil qu’elle était prête à aller vivre « n’importe où » pour être dans un foyer d’accueil et qu’elle n’habitait chez sa grand-mère que temporairement pour éviter d’avoir à rester dans un refuge.
98 Le 12 décembre, la police régionale de York a conclu son enquête criminelle au sujet des allégations pesant contre le beau-père de Mia et décidé de ne pas porter d’accusations.
99 Toujours le 12 décembre, un(e) avocat(e) du Bureau de l’avocat des enfants a envoyé un nouveau courriel au directeur général des opérations de la SAE de York pour lui faire part de ses inquiétudes au sujet de plusieurs jeunes recevant des services volontaires de la SAE. Cette personne a écrit ceci : [traduction] « On leur dit qu’il n’y a pas de placements disponibles pour les jeunes et que les [ressources externes rémunérées] ne sont pas pour eux(elles), donc il ne leur reste que les refuges, qui est l’option par défaut ». L’avocat(e) a aussi indiqué que cela « créait des problèmes » et que les adolescent(e)s recevant des services volontaires devraient avoir accès aux mêmes services, ressources et mesures de soutien que ceux(celles) recevant des services provisoires ou prolongés de la SAE. Ce cri d’alerte sur la situation n’a aucunement influé sur l’offre d’options de placement à Mia.
100 La préposée de Mia lui a téléphoné le 16 décembre pour la rencontrer le lendemain. Mia ne s’est pas présentée. Le 18 décembre, la préposée a obtenu le feu vert de son superviseur pour déroger à la règle exigeant qu’un(e) membre du personnel rencontre le(la) jeune dans les sept jours suivant la signature d’une entente sur les services volontaires.
101 Toujours le 18 décembre, la SAE de York a conclu son enquête sur les allégations liées à la protection de l’enfance en lien avec Mia. Les décisions de vérification suivantes ont été prises concernant chaque allégation :
[Traduction]
42 C (abandon par un(e) pourvoyeur(euse) de soins; conflit enfant-pourvoyeur(euse) de soins)
Confirmé : Mia s’est fait « mettre à la porte » de chez sa mère à la suite d’une dispute avec celle-ci. La préposée a confirmé que la mère de Mia n’envisageait pas le retour de sa fille chez elle, car le conflit demeure.
42 A (abandon par un(e) pourvoyeur(euse) de soins; conflit enfant-pourvoyeur(euse) de soins; risque imminent de séparation ou d’agression physique)
Confirmé : Mia a signé une entente de services volontaires parce qu’elle ne souhaite pas retourner chez sa mère en raison des abus sexuels que son beau-père aurait commis.
13 A (préjudice physique/sexuel; abus sexuel; abus sexuel par un(e) pourvoyeur(euse) principal(e) de soins)
Non confirmé : La police régionale de Peel n’a pas porté d’accusations contre le beau-père de Mia, ayant jugé peu crédibles les explications avancées par Mia au sujet des événements. Sa mère a nié avoir été mise au courant des allégations, et aucune déclaration n’a été faite par la jeune fratrie de l’adolescente.
51 C (capacité du(de la) pourvoyeur(euse) de soins; antécédents d’abus/de négligence; exploitation d’enfant antérieure/en cours)
Non confirmé : Aucune déclaration n’a été faite par la jeune fratrie de Mia pour confirmer des abus physiques ou sexuels à la maison. Aucune accusation n’a été portée contre le beau-père.
102 Mia a passé une autre semaine chez sa grand-mère, une situation que la jeune fille a qualifiée de chaotique, d’instable et de « pas idéale ». Le 24 décembre, le personnel de la SAE a transmis des courriels portant sur le désir que Mia manifestait depuis le début : être placée dans un foyer d’accueil, quitte à aller vivre « n’importe où ». Ces courriels réitéraient le fait que la demande de Mia pour un placement externe, c’est-à-dire auprès d’une « RER », avait été rejetée et que l’on songerait à elle si un placement interne en foyer d’accueil lui convenant devenait disponible. Toutefois, le personnel a reconnu que les solutions de placement internes étaient rares pour une enfant de son âge.
103 Le 27 décembre, le personnel de la SAE a pris rendez-vous pour rencontrer Mia le 2 janvier 2020. Cette rencontre n’a cependant jamais eu lieu parce que Mia n’a pas répondu à la porte chez sa grand-mère. Mia a téléphoné à sa préposée plus tard le 2 janvier pour lui dire qu’elle n’avait pas entendu frapper à la porte et que son téléphone cellulaire n’était plus en service. Un rendez-vous a été pris pour une nouvelle rencontre.
104 Le 3 janvier, le personnel de la SAE de York s’est penché sur la visite infructueuse à Mia et les problèmes persistants dans la recherche d’un placement interne en foyer d’accueil. Il a été question du fait que plusieurs placements auprès de ressources externes rémunérées demeuraient disponibles et convenaient à Mia, mais n’avaient pas obtenu le feu vert de la haute direction.
105 Un peu plus tard, Mia a soudainement perdu la vie. Sa grand-mère et sa tante étaient avec elle à l’hôpital au moment de son décès. Afin de protéger l’identité de Mia et la vie privée de sa famille, ce rapport omet d’autres détails sur son décès.
106 Puisque Mia avait reçu des services de la SAE de York et de la SAE de Toronto dans les 12 mois précédents, les deux organismes ont, comme la loi l’exige, soumis à mon Bureau des rapports sur les décès et lésions corporelles graves résumant les circonstances du décès de l’adolescente.
107 Ce décès a également été signalé au Bureau du coroner en chef[19]. Le coroner régional a examiné ces rapports et conclu qu’il n’y avait pas de lien direct entre le décès de Mia et les services fournis par la SAE de York. Le coroner n’a pas poussé son enquête plus loin.
108 Dans la foulée de l’examen du coroner, mon Bureau a reçu en mai 2020 une plainte qui soulevait de sérieuses inquiétudes au sujet du caractère adéquat des services fournis par la SAE de York avant le décès de Mia. Pour répondre à cette plainte, nous avons commencé à recueillir de l’information sur les interactions de Mia avec la SAE de York d’octobre 2019 à janvier 2020.
109 Au moment où nous entamions notre examen, le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires a, de son côté, lancé un examen des opérations de la SAE de York après avoir reçu des allégations troublantes de racisme, d’intimidation et de harcèlement visant la haute direction de cette organisation.
110 Bien qu’il soit sans lien direct avec les circonstances entourant le décès de Mia, le rapport du Ministère d’octobre 2020 concernant cet examen faisait état de problèmes graves posés par la culture de travail à la SAE de York, marquée par « l’autocratie d’une culture organisationnelle fondée sur les faiblesses qui visait les dissidents et permettait l’adoption de comportements oppressifs[20] ». Le Ministère a conclu que la SAE répondait aux exigences ministérielles et législatives, mais que le moral du personnel était « extrêmement bas », et les problèmes touchant le climat de travail se répercutaient sur la prestation des services, surtout la prise de décisions et la conformité.
111 Le rapport du Ministère a aussi révélé que la SAE traitait les familles et enfants racisé(e)s différemment des familles non racisées, et qu’elle consacrait peu de formations et accordait peu d’attention au racisme, notamment contre les personnes noires.
112 Des membres du personnel de première ligne, des superviseur(e)s et même des directeur(trice)s ont dit à l’enquêteur(euse) qu’on ne leur faisait pas confiance pour prendre les décisions de prise en charge concernant les enfants et leurs familles. D’après ces personnes, beaucoup de décisions étaient prise par la haute direction, ce qui se traduisait parfois par de mauvaises décisions et des services de mauvaise qualité. [Traduction] « Souvent, un(e) cadre supérieur(e) prend la décision définitive concernant le placement d’un(e) enfant à l’extérieur du domicile sans tenir compte des évaluations de la personne chargée du dossier ni des désirs de l’enfant », a dit quelqu’un en entrevue. Un(e) autre membre du personnel a confié que certaines décisions, surtout celles touchant la prévention des admissions, étaient [traduction] « motivées par le souci d’économiser des sous » et qu’il y avait « des quotas stricts visant à privilégier le retour à tout prix des enfants à leur domicile ». D’après cette même personne, « on faisait fi ou peu de cas des questions de sécurité, ce qui exposait les enfants à des risques ».
113 Le Ministère a recommandé que la SAE de York examine ses processus décisionnels internes de même que les rôles et responsabilités du personnel aux différents échelons de l’organisation. Il a précisé que cette recommandation visait à répondre aux inquiétudes au sujet de la façon dont étaient prises les décisions de prise en charge d’enfants ou de retour dans la famille.
114 La SAE a établi un plan de travail pour donner suite aux recommandations, avec l’objectif général d’améliorer les services aux enfants et aux familles[21]. En date de septembre 2023, on constatait un important taux de roulement à la haute direction de la SAE, qui avait signalé qu’environ 90 % des recommandations avaient été appliquées, et que le reste suivrait selon l’échéancier prévu.
115 Parallèlement à l’examen du Ministère, la SAE de York a embauché un(e) évaluateur(trice) externe pour mener un examen interne du décès d’un(e) enfant portant sur les interactions de Mia avec la SAE. Achevé en mai 2022, le rapport se fondait sur l’information fournie par la SAE et son personnel, et il y était conclu que la SAE se « conformait sur le fond » aux lois, normes, politiques et procédures applicables. L’évaluateur(trice) y faisait observer que le personnel s’était engagé à aider Mia par une entente sur les services volontaires pour les jeunes, mais qu’il y avait eu des « problèmes » de ressources au placement pour les jeunes recevant des services volontaires.
116 Il ressort de cet examen qu’il n’était pas facile de savoir, à la SAE de York, si les enfants recevant des services au titre d’une ESVJ sont des « enfants pris(es) en charge » au sens de la LSEJF. Cela est probablement dû au fait que la plupart des jeunes qui bénéficient de services volontaires ne sont pas pris en charge, alors qu'un petit sous-ensemble de ceux(celles) qui reçoivent des soins en établissement dans une famille d'accueil ou un foyer de groupe le sont. Cette confusion peut avoir influé sur la prise de décisions à propos de l’offre ou non d’un placement externe à Mia, puisque la SAE mise avant tout sur la réduction du recours à ce type de placement pour les enfants pris(es) en charge. Le rapport de l’évaluateur(trice) externe réitérait la conclusion du Ministère voulant que le personnel ait des cibles ou « quotas » précis de réduction du nombre d’enfants pris(es) en charge.
117 Enfin, le rapport conclut que la SAE aurait dû organiser une rencontre avec la famille ou une conférence de cas en présence de Mia, de ses parents, de sa tante et de sa grand-mère pour trouver des solutions et régler les problèmes associés aux conditions de vie de l’adolescente. Une telle conférence aurait aussi aidé à envisager des sources de soutien dans la communauté élargie de Mia.
118 Outre ces conclusions particulières, le rapport présentait des observations générales au sujet de différentes structures de la SAE de York, notamment sa hiérarchie décisionnelle. L’évaluateur(trice) a conclu que les décisions d’approuver ou non les placements externes auprès d’une ressource externe rémunérée étaient prises par le directeur général des opérations et communiquées à un(e) directeur(trice), qui à son tour, la transmettait à un(e) superviseur(e).
119 Le rapport contenait quatre recommandations, y compris que la SAE examine ses processus décisionnels concernant les placements de jeunes ayant conclu une ESVJ et s’assure que les besoins et la situation de chaque jeune soient évalués. L’évaluateur(trice) a demandé à la SAE de transmettre des copies de ce rapport au président du Comité d’examen des décès d’enfants, à mon Bureau et au bureau régional du Ministère.
120 Au moment de son décès, Mia était ballotée d’une situation de vie précaire à une autre, était incapable d’aller à l’école, mais prête à aller vivre n’importe où si on pouvait lui offrir un foyer plus stable. Même si le personnel de la SAE de York la décrivait comme une personne « courageuse », Mia avait clairement indiqué ne pas être prête à vivre seule, elle qui avait tout juste 16 ans. Elle a répété plusieurs fois à sa préposée qu’elle voulait poursuivre ses études secondaires. Mia a été tragiquement privée de cette possibilité.
121 Il n’existe pas de lien évident entre le décès de Tamis et les services qu’elle a reçus de la SAE. Toutefois, l’expérience qu’elle a vécue dans ses tentatives d’obtenir des services de protection de l’enfance fait ressortir d’importantes lacunes dans les pratiques de la SAE de York relatives aux ententes sur les services volontaires pour les jeunes. Plus important encore : l’expérience de Mia démontre l’importance de respecter les droits et d’écouter la voix des enfants que la Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille est censée protéger.
122 La Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille confère certains droits aux enfants recevant des services sous son régime, notamment d’avoir leur mot à dire dans la prise des décisions concernant leur placement. Plus précisément, la Loi leur garantit à l’article 3 les droits suivants :
2. Le droit de s’exprimer, dans le cadre d’un dialogue honnête et respectueux, sur la façon dont sont prises les décisions à son égard et sur ce qui les motive ainsi que le droit d’obtenir que son opinion soit dûment prise en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
3. Le droit d’être consulté à propos de la nature des services qui lui sont fournis ou qui doivent l’être, le droit de prendre part aux décisions au sujet de ces services et le droit d’être informé des décisions prises à l’égard de ces services.
123 Les règlements d’application de la Loi renferment des règles supplémentaires sur la façon d’appliquer ces droits. Par exemple, les fournisseurs de services, comme les sociétés d’aide à l’enfance, doivent consigner comment et quand ils donnent à l’enfant l’occasion de participer à la prise de décisions le(la) concernant. Le fournisseur doit aussi consigner la participation ou non de l’enfant et, le cas échéant, décrire comment l’enfant a participé et les opinions qu’il(elle) a exprimées[22].
124 Il s’avérait que Mia était une enfant ayant besoin de protection, et la SAE lui a offert des services volontaires en concluant une entente. Après être arrivée à court d’options dans ses tentatives de vivre dans sa famille élargie, Mia n’a cessé de répéter qu’elle souhaitait être placée dans un foyer d’accueil, où que ce soit. Elle a dit ne se sentir en sécurité ni chez sa mère ni chez son père, et que personne d’autre dans sa famille ne voulait l’héberger plus longtemps. La mère, le père, la grand-mère et la tante de Mia ont dit unanimement ne connaître personne dans la famille ou la communauté pouvant héberger l’adolescente à long terme. La mère et le père étaient d’accord pour dire que Mia avait besoin d’une famille d’accueil et approuvaient l’intervention de la SAE.
125 Le Bureau de l’avocat des enfants a tenté de défendre les intérêts de Mia, soulignant qu’il n’était pas bon pour elle de rester chez sa grand-mère et qu’elle souhaitait être placée en foyer d’accueil. Son avocate a de nouveau rappelé que les jeunes devraient avoir le droit de refuser une place en refuge pour bénéficier plutôt d’un placement par prise en charge.
126 À la SAE de York, le personnel de première ligne et les superviseur(e)s savaient très bien que le but de Mia était de trouver un foyer d’accueil et de se réinscrire à l’école. Ces souhaits ont été consignés à maintes reprises, et la préposée à l’accueil en a tenu compte, de même que le(la) coordonnateur(trice) des placements et les superviseur(e)s concerné(e)s. Ils figuraient également dans l’ESVJ de Mia. Notre enquête a révélé maintes preuves indiquant que le personnel a cherché avec diligence des solutions de placement en foyer d’accueil convenant à Mia, dans le réseau de la SAE et à l’extérieur.
127 Les membres du personnel n’ont pas réussi à trouver un foyer d’accueil convenant à Mia dans le réseau de la SAE de York, mais ont trouvé trois foyers d’accueil externes disponibles et faisant l’affaire. Leur recherche a été diligente et privilégiait les besoins de protection de Mia et ses souhaits. Or, quand le personnel a demandé le feu vert pour procéder au placement dans le foyer d’accueil trouvé, la haute direction a rejeté la demande, disant qu’il [traduction] « fallait approfondir davantage la recherche d’options dans la famille » et que Mia n’avait qu’à « rester dans un refuge ». Rien n’indique qu’on a tenu compte de l’opinion de Mia comme il se doit, vu son âge, son degré de maturité et son souhait exprimé de terminer ses études, quand on a pris la décision de continuer de chercher des options dans sa famille et de l’envoyer dans un refuge en attendant.
128 La plupart des membres du personnel de la SAE de York rencontré(e)s en entrevue nous ont dit que c’est l’ancien directeur général des opérations qui a décidé de ne pas offrir à Mia de placement dans un foyer d’accueil externe. Mais pendant son entrevue avec notre enquêteur, il a nié avoir eu quelque connaissance que ce soit de la situation de Mia ou avoir participé à la prise de cette décision. Quand cette situation lui a été expliquée, il nous a dit ceci :
[Traduction]
[C]e que cette enfant souhaitait aurait dû être la priorité dans cette prise de décision. Si l’enfant a dit : « je ne veux pas de placement dans ma famille », il y avait lieu de faire des recherches à ce sujet […] et, vous savez, c’est certain qu’il faut en tenir compte dans l’établissement du plan de service.
129 D’après l’ancien directeur général des opérations, « il ne devrait y avoir aucune raison pour […] qu’un [placement dans un] foyer d’accueil soit refusé si c’est ce que l’enfant demande et si l’évaluation va dans le même sens […], car ça aussi, ça repose sur les désirs de l’enfant. »
130 Toutefois, notre enquête n’a rien révélé qui prouve que la voix et les désirs de Mia sont entrés en ligne de compte au moment de prendre la décision finale. D’après les dossiers examinés et les personnes que nous avons rencontrées, le principal motif du refus de placer l’adolescente en foyer d’accueil découlait de l’initiative de prévention des admissions en cours à la SAE de York. Finalement, Mia et sa famille élargie ont été obligées de choisir pour Mia entre la rue, un refuge pourvu qu’on lui trouve une place, ou encore un hébergement précaire dans un foyer où l’on ne voulait pas d’elle, où elle ne pourrait pas vivre à long terme et où son objectif d’aller à l’école restait irréalisable. Depuis le début, Mia disait souhaiter la stabilité qu’une famille d’accueil pourrait lui donner – mais personne habilitée à prendre des décisions ne l’a écoutée.
131 Les jeunes recevant des services aux termes d’une ESVJ ont le droit légal d’être entendu(e)s et qu’on tienne compte de leur opinion. La loi exige que leur opinion soit dûment prise en considération eu égard à leur âge et à leur degré de maturité. Dans un contexte différent, la Commission de révision des services à l’enfance et à la famille a généralement constaté que le droit d’un(e) adolescent(e) d’être entendu(e exige écoute active, de discussions, prise de mesures axées sur les préoccupations du(de la) jeune, et capacité à communiquer le tout de façon à ce qu’il(elle) sente que ses préoccupations sont prises au sérieux et qu’on y répond de façon complète[23]. Une SAE a le droit de prendre la décision finale, mais le résultat est censé être éclairé par les désirs exprimés par le(la) jeune et découler d’une compréhension de ces désirs.
132 Pour s’assurer qu’on écoute le(la) jeune qui demande ou reçoit des services volontaires, la SAE de York doit prendre note des demandes de ce(cette) jeune et en tenir dûment compte dans le processus décisionnel. Dans le cadre de ce processus, le personnel devrait avoir l’obligation de rencontrer le(la) jeune pour lui demander son avis sur la décision proposée, et consigner cette opinion. On serait censé lui remettre une copie de ce document et lui donner la possibilité de fournir l’information supplémentaire dont il(elle) souhaite qu’on tienne compte avant que soit prise la décision finale.
133 La SAE de York doit aussi communiquer aux jeunes dans cette situation de l’information claire sur les motifs des décisions prises à leur égard, et leur expliquer comment leur voix est dûment prise en considération dans les décisions. Elle est censée consulter directement le(la) jeune concerné(e) au sujet de la décision et de ses motifs. Pour promouvoir la responsabilisation, la transparence et un processus décisionnel de grande qualité, la SAE devrait aussi fournir cette information au(à la) jeune par écrit afin qu’il(elle) ait une preuve à présenter aux autres ressources de soutien, comme les travailleur(euse)s sociaux(les), l’Unité des enfants et des jeunes de mon Bureau ou le Bureau de l’avocat des enfants.
Recommandation 1
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait s’assurer que la voix de chaque jeune demandant ou recevant des services volontaires est entendue en exigeant que le personnel rencontre le(la) jeune, lui demande son opinion sur les décisions le(la) concernant, consigne cette opinion, remette une copie de ce document au(à la) jeune et lui permette de fournir d’autres renseignements avant qu’une décision finale soit prise à son sujet.
Recommandation 2
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait expliquer à chaque jeune demandant ou recevant des services volontaires, verbalement et par écrit, les motifs des décisions importantes le(la) concernant, y compris comment son opinion a dûment été prise en considération dans la décision eu égard à son âge et à son degré de maturité.
134 De plus, les membres du personnel à tous les échelons ont l’obligation de privilégier l’intérêt véritable du(de la) jeune dans leurs décisions sur sa situation. Selon notre enquête, il n’existe aucune preuve indiquant que la haute direction ait tenu compte de l’intérêt véritable de Mia quand elle a refusé de placer l’adolescente dans un foyer d’accueil externe. Tout le personnel de la SAE de York devrait fournir des services en fonction de l’intérêt véritable de l’adolescent(e). Pour aider le personnel dans la prise de ces décisions, la SAE devrait former chaque membre prenant des décisions touchant les jeunes demandant ou recevant des services volontaires sur la prise de décisions servant l’intérêt véritable de la clientèle et tenant dûment compte de l’opinion de l’adolescent(e) eu égard à son âge et à son degré de maturité. La SAE de York devrait aussi envisager d’établir un modèle de « conférence relative au placement » pour les jeunes demandant ou recevant des services volontaires, modèle qui pourrait inclure les placements en foyer d’accueil ou de groupe. Ce modèle, qui réunirait l’adolescent(e), quiconque il(elle) juge important et les décideur(euse)s de tous les échelons de la SAE, contribuerait à garantir que les décisions de placement privilégient l’opinion et l’intérêt véritable du(de la) jeune. Ce modèle serait conforme au Cadre de normes de qualité du Ministère, qui recommande que les SAE adoptent une approche pluridisciplinaire pour les décisions de placement de jeunes en établissement[24].
135 En outre, la SAE de York devrait instaurer et appliquer un processus permanent de vérification des services fournis aux jeunes ayant demandé ou reçu des services volontaires. Il s’agirait de vérifier si le personnel a observé toutes les lois applicables et les politiques de la SAE, et de s’assurer que l’opinion et l’intérêt véritable de chaque jeune a eu la priorité dans le processus décisionnel.
Recommandation 3
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait s’assurer que les membres du personnel tiennent dûment compte, au moment de prendre une décision concernant un(e) jeune demandant ou recevant des services aux termes d’une entente sur les services volontaires pour les jeunes, de l’intérêt véritable et de l’opinion du(de la) jeune, eu égard à son âge et à son degré de maturité.
Recommandation 4
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait former chaque membre du personnel prenant des décisions touchant des jeunes demandant ou recevant des services volontaires sur les méthodes de prise de décisions tenant dûment compte de l’intérêt véritable et de l’opinion des jeunes, eu égard à leur âge et à leur degré de maturité.
Recommandation 5
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait envisager l’établissement d’un modèle pluridisciplinaire de conférence relative au placement pour chaque jeune demandant ou recevant des services volontaires, modèle qui pourrait inclure les placements en foyer d’accueil ou de groupe. Ce modèle, qui réunirait l’adolescent(e), quiconque il(elle) juge important et les décideur(euse)s de tous les échelons de la SAE, contribuerait à garantir que les décisions de placement tiennent compte de l’opinion et de l’intérêt véritable du(de la) jeune.
Recommandation 6
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait instaurer et appliquer un processus permanent de vérification des services fournis aux jeunes ayant demandé ou reçu des services volontaires. Il s’agirait de vérifier si le personnel a observé toutes les lois applicables et les politiques de la SAE, y compris les Normes de la protection de l’enfance, et de s’assurer que l’opinion et l’intérêt véritable du(de la) jeune a eu la priorité dans le processus décisionnel.
136 Des éléments de preuve probants indiquent que l’initiative de prévention des admissions en place à la SAE de York a influé sur les options de placement proposées à Mia, même si elle a spécifié de manière indépendante qu'elle souhaitait être prise en charge et vivre dans une famille d'accueil. Dans le courriel de refus du placement de Mia en foyer d’accueil externe, il est précisé que cette décision a été prise [traduction] « conformément à notre stratégie de prévention des admissions et de non placement d’enfants et d’adolescent(e)s en [foyer d’accueil externe] ». Même si le fait d’aider l’enfant à demeurer dans son domicile et sa collectivité sert habituellement son intérêt véritable et s’accorde avec la LSEJF, toute l’information disponible indiquait que le retour dans la famille était impossible pour Mia lorsqu’elle s’est vu bloquer l’accès à un placement en foyer d’accueil externe.
137 Dans les Directives de prévention des admissions censées orienter les décisions de la SAE de York, il est écrit en toutes lettres que le bien-être de l’enfant doit toujours être la priorité. Les Directives de financement du placement permanent en Ontario du Ministère énoncent la même exigence. En dépit de cela, des membres du personnel de la SAE nous ont confié subir énormément de pression pour remplir des « quotas » et atteindre « des cibles très précises » dans le cadre de cette initiative, quel que soit l’intérêt véritable de l’enfant.
138 La SAE s’est fondée sur « la prévention des admissions » comme raison de rejeter la demande de Mia d’être placée en foyer d’accueil, malgré la présence de nombreux documents indiquant qu’elle se retrouverait à la rue ou dans un refuge. La haute direction de la SAE de York a dit à sa préposée à l’accueil de continuer à chercher des options du côté de la famille, même si ces options avaient déjà toutes été passées soigneusement en revue.
139 Les décisions importantes influant sur la vie des enfants ne devraient pas se réduire à des quotas et cibles. La SAE de York doit valider que l’intérêt véritable et les besoins de chaque enfant passent avant ses stratégies ou initiatives.
140 De plus, la SAE devrait revoir sa politique sur les ESVJ et la réviser afin qu’elle énonce des critères et procédures clairs pour la prise de décisions concernant les placements et les autres formes de soutien proposés aux adolescent(e)s recevant des services volontaires. La politique devrait mettre l’accent sur l’intérêt véritable et les besoins du(de la) jeune comme grande priorité de la prise de décisions, et marquer l’importance de dûment tenir compte de l’opinion du(de la) jeune, eu égard à son âge et à son degré de maturité. En outre, il devrait y être précisé si, et de quelle façon, d’autres politiques de la SAE de York sont censées s’appliquer aux adolescent(e)s recevant des services volontaires.
Recommandation 7
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait s’assurer que l’intérêt véritable et les besoins des enfants et des adolescent(e)s priment sur ses stratégies, y compris l’initiative de prévention des admissions.
Recommandation 8
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait revoir et réviser sa politique relative aux ESVJ pour énoncer clairement ce qui suit :
- Les critères et procédures orientant les décisions à propos des placements et des autres formes de soutien proposés aux adolescent(e)s recevant des services volontaires;
- L’intérêt véritable et les besoins de l’adolescent(e) priment dans toute prise de décision;
- L’importance de dûment tenir compte de l’opinion de l’adolescent(e) eu égard à son âge et à son degré de maturité;
- La question de savoir si, et comment, les autres politiques, comme celles sur la prévention des admissions ou sur les placements auprès d’un fournisseur externe, devraient s’appliquer aux adolescent(e)s recevant des services volontaires.
141 En novembre 2019, Mia semblait n’avoir personne de sa famille pouvant ou voulant l’héberger. Elle n’arrivait pas à se sentir en sécurité, ou craignait pour sa sécurité, en vivant de façon permanente chez sa mère, son père, sa tante ou sa grand-mère. Aucune autre option ne lui a été proposée du côté de sa famille ou de sa collectivité. Les membres du personnel de la SAE de York travaillant directement auprès d’elle, et une partie de leurs superviseur(e)s, ont jugé qu’un placement en foyer d’accueil serait le mieux pour l’adolescente. Celle-ci désirait vivre dans un foyer d’accueil lui offrant une certaine stabilité afin qu’elle puisse poursuivre ses études. Son avocate a appuyé cette demande, de même que sa mère et son père, qui étaient d’accord pour dire que cela servait son intérêt véritable. Malgré cela, Mia n’a pas été placée; on l’a plutôt dirigée vers les refuges.
142 Quand la haute direction de la SAE de York a décidé de rejeter la demande de Mia pour un placement en foyer d’accueil externe, les membres du personnel de première ligne se sont fait dire d’« approfondir » la recherche d’options dans la famille ou d’envoyer Mia dans un refuge. Comme le personnel savait déjà que Mia était à court d’options familiales, une seule possibilité restait pour elle, et c’était ce que recommandait la haute direction : un refuge pour jeunes sans-abri.
143 La préposée à l’accueil a appelé de nombreux refuges dans l’espoir de trouver un lit pour Mia, même si elle croyait que ce n’était pas une solution adéquate. Elle s’est expliquée en ces termes lors d’une entrevue avec notre Bureau : [traduction] « J’ai essayé d’appeler des refuges parce que c’était précisément la réponse que j’avais reçue […] de la [haute] direction […] qu’elle devrait aller dans un refuge. C’était le plan B pour son hébergement, parce que les gens de la haute direction ne voulaient pas lui proposer un placement. »
144 Rien dans les politiques et procédures de la SAE de York indique qu’un(e) adolescent(e) recevant des services volontaires devrait être aiguillé(e) vers le réseau des refuges. Les jeunes recevant des services volontaires ont droit à la gamme complète des services de protection qui seraient offerts aux enfants plus jeunes, la seule différence étant que dans certains cas, ces jeunes de 16 ou 17 ans ont le choix d’accepter ou de refuser ces services. Toutefois, un membre du personnel nous a expliqué qu’en réalité, il y avait une « politique non écrite » et une « pratique établie » consistant à proposer aux enfants recevant des services volontaires une place en refuge et d’autres services de soutien, mais pas de placement externe auprès d’une « ressource externe rémunérée ». En termes clairs, il a dit : [traduction] « Nous avons interprété la politique dans le sens d’un feu vert pour les refuges et d’autres services de soutien, mais pas pour les [placements externes]. » Le(la) superviseur(e) ayant traité la demande de Mia nous a dit que l’ancien directeur général des opérations avait précisé que la SAE avait pour règle de ne pas proposer de placements externes aux jeunes recevant des services volontaires.
145 Les données que nous avons reçues de la SAE de York brossent un portrait plus compliqué. En 2018, l’organisme n’offrait aucun placement (ni interne, ni externe) dans le cadre d’une ESVJ. Deux jeunes ont été hébergé(e)s dans des refuges. En 2019, huit ont obtenu des placements internes ou externes, et neuf autres ont été hébergé(e)s ailleurs. En 2020, deux jeunes ont reçu un placement de la SAE de York, et quatorze autres ont logé ailleurs, dont deux dans un refuge. Il se peut aussi que certain(e)s jeunes aiguillé(e)s vers les refuges aient décidé de ne pas conclure d’entente de services volontaires avec la SAE de York. En effet, un(e) employé(e) nous a expliqué que [traduction] « parfois, en se rendant compte que la seule option offerte est un refuge, [le(la) jeune] préfère ne pas signer [d’ESVJ] ».
146 Les pratiques établies par le passé peuvent avoir influé sur les décisions du personnel et de la haute direction pendant ces années-là. Avant janvier 2018, un(e) jeune de 16 ans qui appelait une société d’aide à l’enfance pour obtenir des services de protection était aiguillé(e) vers des ressources comme le réseau de refuges ou le programme Ontario au travail (un programme administré localement offrant aide financière, prestations et aide à l’emploi), puisque les adolescent(e)s de cet âge sortaient du mandat des SAE. La situation a changé en 2018 quand on a mis en œuvre les ESVJ et étendu les services de protection aux jeunes jusqu’à leur 18e anniversaire.
147 L’avocate du Bureau de l’avocat des enfants chargée du dossier de Mia nous a confié que le recours aux refuges pour les jeunes de 16 ou 17 ans était [traduction] « un problème institutionnel » à la SAE de York au moment du décès de Mia. Elle a aussi parlé de la situation d’autres jeunes qui s’étaient fait dire d’aller dans un refuge faute d’autres options. Les données que nous avons recueillies n’indiquent pas que cette pratique était généralisée, mais on observe assurément des cas d’enfants recevant des services volontaires qui ont été redirigé(e)s vers le réseau des refuges. Il se peut aussi que les jeunes aiguillé(e)s vers les refuges soient plus nombreux(ses) que les données l’indiquent, car des enfants comme Mia peuvent avoir opté pour des conditions de logement dangereuses ou loin d’être idéales afin d’éviter les refuges.
148 Il faut mettre un terme à la pratique courante de diriger vers les refuges les jeunes admissibles aux services volontaires. Les refuges pour jeunes ne devraient jamais être l’unique option d’hébergement proposée aux enfants ayant besoin de protection. La LSEJF dispose que la totalité des enfants de moins de 18 ans ont droit à la gamme complète des services de protection, y compris les placements en établissement, si leurs besoins de protection le justifient. Les documents du Ministère à propos de l’ESVJ précisent que les enfants qui concluent ces ententes ont droit à des « conditions de logement appropriées » et à un logement « sécuritaire et adéquat ».
149 Certain(e)s enfants peuvent juger de leur propre chef que loger dans un refuge pour jeunes est dans leur intérêt véritable. Certaines organisations gèrent des refuges offrant aux jeunes une bonne stabilité et un accès à d’autres ressources et services de soutien. Le personnel du Bureau de l’avocat des enfants et celui de la SAE de York nous ont donné plusieurs exemples de refuges offrant un milieu positif dans la région du Grand Toronto. Le(la) jeune souhaitant obtenir de telles conditions de logement devrait en avoir la possibilité lorsqu’il(elle) reçoit des services volontaires, mais cela ne doit jamais être sa seule option.
150 Rien dans la LSEJF et ses règlements d’application, ni dans les politiques du Ministère et de la SAE de York, n’indique que les jeunes recevant des services volontaires devraient être traité(e)s différemment des enfants plus jeunes pour ce qui est des placements, ou qu’un refuge est dans tous les cas « sécuritaire et adéquat » pour un(e) enfant. La SAE de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ de manière à ne pas proposer une place en refuge comme option de logement, sauf s’il est évident que le refuge offre une bonne stabilité et un milieu sécuritaire, répond aux besoins en ressources et en mesures de soutien adéquates du(de la) jeune et que le(la) jeune a personnellement exprimé un intérêt pour ce type de logement.
Recommandation 9
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour indiquer que les refuges ne doivent pas figurer au nombre des options de logement proposées aux jeunes demandant ou recevant des services volontaires, sauf si le refuge offre une bonne stabilité et un milieu sécuritaire, répond aux besoins en ressources et en mesures de soutien adéquats du(de la) jeune et que le(la) jeune a personnellement exprimé un intérêt pour ce type de logement.
151 Lorsqu’ils sont appliqués correctement, les principes de prévention des admissions exigent que la société d’aide à l’enfance règle les problèmes de protection en proposant à l’enfant et à sa famille proche et élargie le même niveau de ressources que les enfants pris(es) en charge. Dans certains cas, la prestation directe de ce soutien dans la structure familiale existante suffit à régler le problème de protection, éliminant le recours à des solutions plus perturbatrices comme le placement en foyer d’accueil. Les Directives de prévention des admissions de la SAE de York réitèrent et opérationnalisent ces principes par une stratégie en 10 points pour le soutien financier et logistique des familles afin de garder les enfants chez eux(elles).
152 Mia avait droit à la gamme complète des services de protection de l’enfance, et il aurait fallu étudier son cas en appliquant les principes à la base de la prévention des admissions, notamment le soutien des enfants dans leur famille et leur collectivité quand c’est possible, pour éviter les options plus perturbatrices. Or, la SAE de York n’a rien fait de concret pour soutenir sa famille élargie de manière à lui permettre d’y demeurer. Certain(e)s membres de la famille ont en fait accepté de l’héberger pour de courtes périodes, mais ils(elles) ont donné des raisons comme un domicile manquant d’espace et des conflits interpersonnels pour expliquer pourquoi il leur était impossible de lui offrir un milieu plus stable.
153 Ces membres de la famille auraient peut-être pu s’occuper de Mia de façon sécuritaire avec un soutien additionnel, comme des services de consultation ou des ressources financières pour aider à compenser les dépenses supplémentaires. Ce soutien aurait pu faire partie des services volontaires proposés à Mia par la SAE, mais rien dans les notes au dossier n’indique qu’on y ait seulement songé. La SAE de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour exiger que le personnel explore et considère continuellement toutes les options qui permettraient aux jeunes ayant conclu une telle entente de recevoir des soutiens dans leur famille et leur collectivité. La politique devrait exiger que le personnel consigne ses méthodes de recherche d’options.
Recommandation 10
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour exiger que le personnel explore et considère continuellement toutes les options qui permettraient aux jeunes ayant conclu une telle entente de recevoir des soutiens dans leur famille et leur collectivité.
Recommandation 11
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour exiger que le personnel consigne ses méthodes de recherche d’options pour les jeunes demandant ou recevant des services volontaires et de prise de décisions à l’égard des options trouvées.
154 En rendant ce type de soutien possible aux jeunes bénéficiant d’une ESVJ, le personnel de la SAE de York ferait bien de tenir des réunions de planification une fois qu’il a été déterminé qu’un(e) adolescent(e) recevant des services volontaires peut avoir besoin d’un placement en établissement. Ces réunions, exigées quand l’enfant est pris(e) en charge, ont pour but de rassembler les membres du personnel concerné de la SAE et les éventuelles ressources de soutien pour rechercher de possibles solutions n’ayant pas été envisagées pour soutenir l’enfant dans sa collectivité et prévenir sa prise en charge en établissement. La réunion de planification pourrait avoir le même objectif pour les adolescent(e)s recevant des services volontaires. Rien n’indique que quiconque dans le personnel s’est demandé si ce type de réunion aurait aidé à déterminer la meilleure façon de fournir des services volontaires à Mia. La SAE devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour exiger que le personnel tienne des réunions de planification lorsqu’un(e) adolescent(e) recevant des services volontaires pourrait devoir nécessiter un placement en établissement ou dans un foyer de groupe.
Recommandation 12
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour exiger que le personnel tienne des réunions de planification lorsqu’un(e) adolescent(e) demandant ou recevant des services volontaires pourrait nécessiter un placement en établissement ou dans un foyer de groupe.
155 De plus, rien ne prouve que le personnel ait tenté de se mettre en rapport avec la famille immédiate ou élargie de Mia dans la planification de l’ESVJ avec l’adolescente. D’après les notes au dossier, retourner dans sa famille était le but de Mia, mais le personnel de première ligne n’a pas fait grand-chose pour en tenir compte ni prévu quoi que ce soit à cet effet dans l’entente elle-même. Cela s’explique peut-être par un manque de connaissances sur la manière et le moment de prendre contact avec la famille du(de la) jeune en présence d’un conflit familial important et quand le(la) jeune estime qu’il est dans son intérêt véritable de vivre séparé(e) de sa famille. Afin que le personnel soit adéquatement préparé à soutenir les jeunes et leur famille en pareil cas, la SAE de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour expliquer comment et quand le personnel doit faire intervenir les parents et les autres pourvoyeur(euse)s de soins de l’enfant dans la planification et l’exécution de l’ESVJ.
Recommandation 13
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ de façon à expliquer comment et quand le personnel doit faire intervenir les parents et les autres pourvoyeur(euse)s de soins de l’enfant dans la planification et l’exécution de l’ESVJ.
156 Nos entrevues avec le personnel de la SAE de York ont révélé qu’une hiérarchie complexe de décideur(euse)s ont participé à la décision de rejeter la demande de placement externe de Mia.
157 Plusieurs membres du personnel nous ont parlé de ce processus à multiples étapes. Tout d’abord, en première ligne, la préposée à l’accueil et son superviseur ont pris la décision clinique selon laquelle Mia avait besoin d’un placement à l’extérieur de sa famille. Ensuite, ces membres du personnel ont envoyé la documentation pertinente à l’équipe des placements, puis le(la) travailleur(euse) chargé(e) des placements a commencé la recherche de solutions de placement interne. N’ayant rien trouvé de disponible ou répondant aux besoins de l’adolescente, ce(cette) travailleur(euse) a dû demander l’autorisation de son(sa) superviseur(e) pour chercher un placement dans un foyer d’accueil ou de groupe externe. Le(la) superviseur(e) des placements devait pour sa part demander le feu vert du(de la) directeur(trice) du service, qui lui(elle)-même avait besoin de la permission du directeur général des opérations, dont la décision a été ensuite relayée de haut en bas au personnel de première ligne.
158 Si nous avons bien compté, ce sont six personnes – jusqu’au directeur général des opérations – qui participaient habituellement à la prise de ces décisions. Dans le cas de Mia, c’était plus, parce que certains postes étaient occupés à titre intérimaire par un(e) remplaçant(e) à des étapes importantes du processus décisionnel. Le directeur général des opérations nie y avoir participé, mais toutes les autres personnes que nous avons consultées ont dit que c’est lui qui a eu le dernier mot dans la décision de refuser la demande de placement de Mia. Beaucoup de membres du personnel nous ont confié avoir peu ou pas d’autonomie pour ce qui est d’agir dans l’intérêt véritable des enfants et des adolescent(e)s, et n’avoir qu’une faible influence sur les décisions importantes concernant ces enfants et adolescent(e)s.
159 La SAE de York a pris sa décision en suivant des directives très compliquées lorsqu’elle a rejeté la demande de placement externe de Mia. Selon ce processus, seul le directeur général des opérations pouvait autoriser les placements dans un foyer de groupe externe. Les membres du personnel que nous avons consulté(e)s, de même que le processus suivi dans le traitement de la demande de placement de Mia dans un foyer d’accueil, indiquent que c’était le directeur général des opérations qui devait autoriser tous les placements dans un foyer d’accueil ou de groupe externe. L’ancien directeur général des opérations nous a dit qu’il n’était chargé d’autoriser que les placements dans un foyer de groupe externe, et non ceux dans un foyer d’accueil externe, comme ce qui était envisagé pour Mia.
160 Certes, les vérifications et les bilans sont importants, mais le recours à des processus d’approbation à plusieurs niveaux signifie que la personne prenant la décision finale méconnaît la situation de l’enfant au cœur de la décision. Dans le cas de Mia, seule la préposée à l’accueil avait discuté en personne avec l’adolescente et les membres de sa famille présent(e)s dans sa vie. La préposée nous a dit qu’elle n’a jamais vraiment su qui avait pris la décision finale de ne pas proposer à Mia de placement en foyer d’accueil, et qu’elle trouvait [traduction] « qu’elle n’avait tout simplement pas [eu] la possibilité de parler à qui que ce soit pour en dire un peu plus » sur la situation de l’adolescente. Une superviseure ayant participé au traitement du dossier de Mia nous a dit s’être entretenue avec le(la) directeur(trice) du service, en espérant qu’il(elle) lance un cri d’alarme au sujet de la décision prise par l’ancien directeur général des opérations, mais le(la) directeur(trice) ne pouvait rien faire dans le cas d’une décision prise à ce niveau. De son côté, l’ancien directeur général des opérations nous a dit ne pas avoir été consulté au sujet du placement de Mia, parce qu’il ne l’aurait jamais refusé.
161 L’écart constaté dans les témoignages concernant la décision de refuser le placement de Mia dans un foyer d’accueil externe a de quoi inquiéter. La SAE de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ de manière à détailler les procédures d’autorisation des placements des jeunes recevant des services volontaires. La politique devrait prévoir que le personnel ayant une connaissance directe du(de la) jeune et de sa situation soit consulté à toutes les étapes du processus décisionnel, et que les décideur(euse)s soient dûment informé(e)s de l’intérêt véritable du(de la) jeune ainsi que de ses besoins et opinions. De plus, la politique devrait indiquer que le processus décisionnel doit être rigoureusement documenté à chaque étape, notamment par les motifs écrits expliquant comment on tient compte de l’intérêt véritable, des besoins et des opinions du(de la) jeune. Énoncer clairement les pratiques d’approbation de la société [d’aide à l’enfance] pour les jeunes recevant des services volontaires contribuera à garantir un processus décisionnel cohérent et de grande qualité.
Recommandation 14
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour détailler les procédures d’autorisation des placements des jeunes demandant ou recevant des services volontaires, notamment qui peut prendre les décisions à chaque étape.
Recommandation 15
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour exiger que le personnel ayant une connaissance directe du(de la) jeune et de sa situation soit consulté à toutes les étapes du processus décisionnel, et que les décideur(euse)s soient informé(e)s de l’intérêt véritable du(de la) jeune ainsi que de ses besoins et opinions.
Recommandation 16
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour exiger que toutes les décisions prises soient rigoureusement consignées à chaque étape, notamment l’identité de la personne ayant pris la décision et les motifs écrits expliquant comment l’intérêt véritable, les besoins et l’opinion du(de la) jeune ont été pris en compte.
162 Les obstacles auxquels Mia a été confrontée dans sa tentative d’obtenir des services de la SAE de York sont en partie attribuables au fait que le personnel ne savait guère comment administrer les services volontaires. Des membres du personnel nous ont parlé de confusion quant à savoir si et quand un(e) jeune recevant des services volontaires pouvait être considéré(e) comme étant « pris(e) en charge » et quels services et quelles mesures de soutien pouvaient lui être fournis. La politique de la SAE sur les ententes sur les services volontaires pour les jeunes est peu détaillée et comporte peu d’instructions pour le personnel sur ces points. Elle porte surtout sur la marche à suivre pour conclure ce type d’entente avec un(e) jeune, et sur la fréquence à laquelle le personnel doit effectuer certaines tâches pendant la durée de l’entente.
163 Ce flou dans la politique, ajouté au manque général de connaissance sur la façon correcte d’administrer les services volontaires, a sans doute contribué à la décision qu’a prise la SAE de ne pas proposer de placement externe à Mia et de plutôt conclure qu’elle pouvait « aller dans un refuge ». Quand les décisions sur la prise en charge de Mia ont été prises à la fin de 2019, les ESVJ étaient encore assez nouvelles et rarement utilisées. Certain(e)s membres du personnel nous ont précisé qu’ils(elles) n’avaient reçu qu’une formation minimale quand les ESVJ sont entrées en vigueur. D’autres ont dit qu’il était facile d’oublier les détails, vu la rareté de leur utilisation.
164 Les effets de cette confusion pourraient être importants. La législation et la politique interne de la SAE de York précisent en termes clairs que l’adolescent(e) de 16 ou 17 ans qui conclut une entente sur les services volontaires a droit à la gamme complète de services de protection, mais cela n’a pas du tout été le cas pour Mia. Les adolescent(e)s ayant besoin de protection méritent les services d’un personnel qui connaît très bien les ESVJ.
165 La SAE de York devrait s’assurer que tout le personnel de première ligne reçoit une formation complète sur les cas où une ESVJ serait indiquée, ainsi qu’une information pratique sur la façon d’intervenir auprès des jeunes, les premières démarches à faire pour conclure une ESVJ et les services pouvant être offerts aux termes d’une ESVJ. Elle devrait aussi s’assurer que la totalité des membres de son personnel suivent une formation sur la version révisée de la politique sur les ESVJ. La SAE ferait bien de retenir ce rapport et l’expérience vécue par Mia et sa famille et d’en faire un outil de formation pour démontrer les effets et l’importance de la prestation de services dans le contexte d’une ESVJ. Elle devrait veiller à ce que le personnel de première ligne reçoive des formations régulières sur ces sujets pour que ce personnel soit toujours bien préparé à offrir des services de protection.
Recommandation 17
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait donner à l’ensemble de son personnel de première ligne une formation complète sur les exigences prévues par la loi et dans les politiques concernant les ESVJ, et sur sa politique révisée sur les ESVJ. Elle devrait veiller à ce que cette formation comprenne de l’information pratique sur la façon de conclure une ESVJ et les services offerts aux termes de cette entente.
Recommandation 18
La Société d’aide à l’enfance de la région de York ferait bien de retenir ce rapport et l’expérience vécue par Mia et sa famille et d’en faire un outil de formation pour démontrer les effets et l’importance de la prestation de services dans le contexte d’une ESVJ.
Recommandation 19
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait donner régulièrement à son personnel de première ligne des formations sur les exigences prévues par la loi et dans les politiques concernant les ESVJ.
166 Parce qu’elle n’a jamais réussi à se faire entendre et que ses demandes de services n’ont pas été traitées adéquatement, Mia n’a jamais eu la chance de retrouver la stabilité et de réaliser son objectif de retourner à l’école secondaire. Même si la Société d’aide à l’enfance de la région de York n’est pas responsable de son décès, cette tragédie fait ressortir d’importantes lacunes dans les mesures ayant été prises pour la protéger.
167 La SAE de York a reçu le dossier des mains du service de police régional de York après que Mia a quitté le domicile de sa mère dans un contexte de crise à l’issue d’une dispute, déclarant vouloir mourir. Sa mère refusait de la reprendre chez elle, et Mia avait peu d’autres endroits où aller. Dès lors, la SAE savait que Mia présentait un risque « élevé » et a essayé de la joindre à maintes reprises alors qu’elle était ballotée d’un endroit à l’autre en octobre et en novembre 2019. Elle dormait d’un sofa à l’autre chez des membres de sa famille n’acceptant de l’héberger que temporairement et n’allait plus à l’école. Personne ne voulait ou pouvait lui offrir un domicile plus permanent. Pendant cette période, le personnel de première ligne de la SAE de York a tenté de l’aider à trouver un(e) membre de la famille chez qui elle pourrait loger à plus long terme, mais il n’y avait aucune solution réaliste. Vers la fin de novembre 2019, sa préposée à l’accueil a communiqué avec le service de placement de la SAE de York pour tenter de lui trouver un foyer d’accueil.
168 La SAE n’a pas réussi à trouver de placement interne pour Mia, et au lieu de prendre les dispositions pour un placement en foyer d’accueil externe, la haute direction a jugé que l’adolescente pourrait « rester dans un refuge » si les membres de sa famille ne voulaient pas l’héberger. Mia, sa famille, son avocate du Bureau de l’avocat des enfants et la préposée de première ligne s’occupant de son cas étaient toutes d’avis qu’il était dans l’intérêt véritable de Mia de la placer dans un foyer d’accueil. Au lieu de cela, la préposée a été obligée d’appeler des refuges pour jeunes à la recherche d’une place.
169 La SAE de York a conclu une entente sur les services volontaires pour les jeunes avec Mia le 11 décembre 2019. Il y était écrit que Mia [traduction] « désirait le soutien de la société [d’aide à l’enfance] pour retrouver la stabilité et se réinscrire à l’école », mais la SAE ne lui a jamais offert d’endroit où vivre ni aucune autre aide concrète.
170 L’intérêt véritable de l’enfant est censé être la priorité absolue dans toute décision de protection de l’enfance. À cette fin, la Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille donne aux enfants recevant des services de protection de l’enfance le droit de faire entendre leur voix et de participer à la prise de décisions les concernant. Or, la haute direction de la SAE de York a décidé de refuser le placement de Mia dans un foyer d’accueil externe, en dépit du fait qu’à ce moment-là, elle n’avait pas vraiment d’autres choix. Cette décision n’était pas dans son intérêt véritable, et peu d’éléments indiquent que Mia ait pu participer de près ou de loin à la prise de cette décision définitive, ni qu’elle ait pu se faire entendre des personnes ayant pris cette décision, compte tenu du processus décisionnel et de la hiérarchie en place à la SAE.
171 Beaucoup de personnes rencontrées en entrevue ont attribué ce résultat à l’initiative de prévention des admissions ayant cours à l’époque. Les principes à la base de cette initiative se sont traduits par des pressions sur le personnel, sommé de ne pas placer de jeunes à l’extérieur de leur domicile. Certain(e)s membres du personnel ressentaient de la confusion quant aux détails de l’ESVJ et nous ont dit ne pas avoir reçu assez d’instructions et de formations sur l’intervention auprès des familles et l’offre de ces services. Aucun effort matériel n’a été déployé pour soutenir Mia dans sa famille élargie. Or, il se peut qu’avec du soutien financier et un service de consultation, elle aurait pu rester chez sa grand-mère ou sa tante.
172 Les services que Mia a reçus de la SAE de York n’avaient rien à voir avec les idéaux énoncés dans la LSEJF, dans la politique du Ministère et dans les politiques et directives mêmes de la SAE. Résultat : les services fournis par la SAE de York à Mia et à sa famille, d’octobre 2019 au décès de la jeune fille, étaient inadéquats. Je suis donc d’avis que la conduite de la Société d’aide à l’enfance de la région de York était déraisonnable et erronée au sens des alinéas 21(1)a) et d) de la Loi sur l’ombudsman.
173 J’ai formulé des recommandations pour l’amélioration des services offerts par la SAE de York aux jeunes de 16 et 17 ans ayant besoin de protection. J’effectuerai un suivi des mesures qu’elle prendra pour combler les lacunes dont le présent rapport fait état.
Recommandation 20
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait, dans six mois, présenter à mon Bureau un compte rendu des progrès réalisés dans l’application de mes recommandations, et le refaire tous les six mois par la suite jusqu’à ce que je sois convaincu que des mesures adéquates ont été prises pour y donner suite.
Recommandation 1
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait s’assurer que la voix de chaque jeune demandant ou recevant des services volontaires est entendue en exigeant que le personnel rencontre le(la) jeune, lui demande son opinion sur les décisions le(la) concernant, consigne cette opinion, remette une copie de ce document au(à la) jeune et lui permette de fournir d’autres renseignements avant qu’une décision finale soit prise à son sujet.
Recommandation 2
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait expliquer à chaque jeune demandant ou recevant des services volontaires, verbalement et par écrit, les motifs des décisions importantes le(la) concernant, y compris comment son opinion a dûment été prise en considération dans la décision eu égard à son âge et à son degré de maturité.
Recommandation 3
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait s’assurer que les membres du personnel tiennent dûment compte, au moment de prendre une décision concernant un(e) jeune demandant ou recevant des services aux termes d’une entente sur les services volontaires pour les jeunes, de l’intérêt véritable et de l’opinion du(de la) jeune, eu égard à son âge et à son degré de maturité.
Recommandation 4
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait former chaque membre du personnel prenant des décisions touchant des jeunes demandant ou recevant des services volontaires sur les méthodes de prise de décisions tenant dûment compte de l’intérêt véritable et de l’opinion des jeunes, eu égard à leur âge et à leur degré de maturité.
Recommandation 5
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait envisager l’établissement d’un modèle pluridisciplinaire de conférence relative au placement pour chaque jeune demandant ou recevant des services volontaires, modèle qui pourrait inclure les placements en foyer d’accueil ou de groupe. Ce modèle, qui réunirait l’adolescent(e), quiconque il(elle) juge important et les décideur(euse)s de tous les échelons de la SAE, contribuerait à garantir que les décisions de placement tiennent compte de l’opinion et de l’intérêt véritable du(de la) jeune.
Recommandation 6
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait instaurer et appliquer un processus permanent de vérification des services fournis aux jeunes ayant demandé ou reçu des services volontaires. Il s’agirait de vérifier si le personnel a observé toutes les lois applicables et les politiques de la SAE, y compris les Normes de la protection de l’enfance, et de s’assurer que l’opinion et l’intérêt véritable du(de la) jeune a eu la priorité dans le processus décisionnel.
Recommandation 7
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait s’assurer que l’intérêt véritable et les besoins des enfants et des adolescent(e)s priment sur ses stratégies, y compris l’initiative de prévention des admissions.
Recommandation 8
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait revoir et réviser sa politique relative aux ESVJ pour énoncer clairement ce qui suit :
- Les critères et procédures orientant les décisions à propos des placements et des autres formes de soutien proposés aux adolescent(e)s recevant des services volontaires;
- L’intérêt véritable et les besoins de l’adolescent(e) priment dans toute prise de décision;
- L’importance de dûment tenir compte de l’opinion de l’adolescent(e) eu égard à son âge et à son degré de maturité;
- La question de savoir si, et comment, les autres politiques, comme celles sur la prévention des admissions ou sur les placements auprès d’un fournisseur externe, devraient s’appliquer aux adolescent(e)s recevant des services volontaires.
Recommandation 9
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour indiquer que les refuges ne doivent pas figurer au nombre des options de logement proposées aux jeunes demandant ou recevant des services volontaires, sauf si le refuge offre une bonne stabilité et un milieu sécuritaire, répond aux besoins en ressources et en mesures de soutien adéquats du(de la) jeune et que le(la) jeune a personnellement exprimé un intérêt pour ce type de logement.
Recommandation 10
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour exiger que le personnel explore et considère continuellement toutes les options qui permettraient aux jeunes ayant conclu une telle entente de recevoir des soutiens dans leur famille et leur collectivité.
Recommandation 11
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour exiger que le personnel consigne ses méthodes de recherche d’options pour les jeunes demandant ou recevant des services volontaires et de prise de décisions à l’égard des options trouvées.
Recommandation 12
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour exiger que le personnel tienne des réunions de planification lorsqu’un(e) adolescent(e) demandant ou recevant des services volontaires pourrait nécessiter un placement en établissement ou dans un foyer de groupe.
Recommandation 13
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ de façon à expliquer comment et quand le personnel doit faire intervenir les parents et les autres pourvoyeur(euse)s de soins de l’enfant dans la planification et l’exécution de l’ESVJ.
Recommandation 14
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour détailler les procédures d’autorisation des placements des jeunes demandant ou recevant des services volontaires, notamment qui peut prendre les décisions à chaque étape.
Recommandation 15
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour exiger que le personnel ayant une connaissance directe du(de la) jeune et de sa situation soit consulté à toutes les étapes du processus décisionnel, et que les décideur(euse)s soient informé(e)s de l’intérêt véritable du(de la) jeune ainsi que de ses besoins et opinions.
Recommandation 16
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait réviser sa politique sur les ESVJ pour exiger que toutes les décisions prises soient rigoureusement consignées à chaque étape, notamment l’identité de la personne ayant pris la décision et les motifs écrits expliquant comment l’intérêt véritable, les besoins et l’opinion du(de la) jeune ont été pris en compte.
Recommandation 17
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait donner à l’ensemble de son personnel de première ligne une formation complète sur les exigences prévues par la loi et dans les politiques concernant les ESVJ, et sur sa politique révisée sur les ESVJ. Elle devrait veiller à ce que cette formation comprenne de l’information pratique sur la façon de conclure une ESVJ et les services offerts aux termes de cette entente.
Recommandation 18
La Société d’aide à l’enfance de la région de York ferait bien de retenir ce rapport et l’expérience vécue par Mia et sa famille et d’en faire un outil de formation pour démontrer les effets et l’importance de la prestation de services dans le contexte d’une ESVJ.
Recommandation 19
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait donner régulièrement à son personnel de première ligne des formations sur les exigences prévues par la loi et dans les politiques concernant les ESVJ.
Recommandation 20
La Société d’aide à l’enfance de la région de York devrait, dans six mois, présenter à mon Bureau un compte rendu des progrès réalisés dans l’application de mes recommandations, et le refaire tous les six mois par la suite jusqu’à ce que je sois convaincu que des mesures adéquates ont été prises pour y donner suite.
174 La Société d’aide à l’enfance de la région de York a eu l’occasion d’examiner mes conclusions, opinions et recommandations préliminaires et d’y répondre. Nous avons également partagé une copie du rapport préliminaire avec le ministère de l'Enfance et des Services sociaux et communautaires. Tous les commentaires reçus ont été pris en compte lors de la préparation de ce rapport final
175 La Société d’aide à l’enfance de la région de York a accepté toutes les recommandations. Dans sa réponse, la SAE de York a expliqué qu'elle reste axée sur la sécurité et le bien-être des enfants, des jeunes et des familles grâce à des services équitables, centrés sur les enfants et les jeunes et adaptés culturellement, et à l'établissement de partenariats pour une communauté plus forte et plus saine.
176 La SAE a souligné qu’au cours des dernières années, en réponse à l’examen opérationnel du ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, elle a pris de nombreuses mesures pour résoudre certains des problèmes identifiés dans mon rapport. Par exemple, en août 2022, elle a créé un groupe de travail chargé de développer un modèle de service holistique pour les 16 et 17 ans. La SAE a indiqué que ce groupe élabore un modèle de réponse en matière de services qui met les jeunes au centre de la planification et de la prise de décision, tout en maintenant des liens significatifs avec leur famille et leur communauté. Elle a expliqué que les recommandations de ce rapport seraient intégrées au travail de son groupe pour garantir qu’il soit centré sur les jeunes et solide.
177 La SAE de York a également créé un poste d'agent(e) de soutien aux jeunes, ainsi que des programmes dédiés aux jeunes et un conseil consultatif des jeunes qui fournit des commentaires et des conseils sur la façon d'améliorer continuellement les services et les soins fournis aux enfants, aux jeunes et aux familles. De plus, la SAE fait noter qu'elle a élargi son programme de liaison éducative, qui soutient et donne aux jeunes les moyens d'atteindre leurs objectifs éducatifs.
178 En ce qui concerne sa structure organisationnelle, la SAE de York a souligné les changements apportés à son modèle de leadership qui contribueront à garantir que les différents niveaux de personnel soient représentés dans la prise de décision. Il a également noté qu'une nouvelle directrice générale avait été embauchée et qu'il y avait eu un réalignement interne des départements et des chef(fe)s de département. De plus, la SAE a indiqué qu’en avril 2024, elle avait mis en œuvre avec succès toutes les recommandations de l’examen opérationnel du ministère.
179 Je suis satisfait de la réponse positive de la SAE de York à mon rapport et de son engagement à améliorer les soins destinés aux jeunes qui recherchent ou reçoivent des services volontaires. La SAE de York a accepté de fournir à mon Bureau des mises à jour semestrielles et nous surveillerons de près ses progrès dans la mise en œuvre de mes recommandations.
180 Le Ministère n'a pas fait l'objet de mon enquête et aucune recommandation ne lui est adressée. Cependant, j'ai été préoccupé par le volume et la gravité des plaintes que mon Bureau a reçues concernant les Entente sur les services volontaires pour les jeunes : 90 plaintes concernant 30 sociétés d'aide à l'enfance différentes depuis 2019. En conséquence, j'ai fourni au Ministère une copie préliminaire de ce rapport, ainsi que des informations sur les types de plaintes que mon Bureau a reçues au sujet des ESVJ. J'ai noté qu'il semble y avoir une incertitude et une incohérence considérables quant à la prestation et à la portée des services de protection volontaire offerts aux enfants de 16 et 17 ans. J’ai suggéré que les sociétés d’aide à l’enfance pourraient tirer profit d’une formation et d’une sensibilisation plus approfondies de la part du Ministère concernant ce groupe d’âge et des ententes de services volontaires pour les jeunes.
181 Dans sa réponse, le Ministère a reconnu l’importance d’éduquer le secteur de la protection de l’enfance sur la manière dont et le moment où les ESVJ devraient être utilisés. Le Ministère a fourni des informations sur les mesures qu'il a déjà prises pour accroître les connaissances au sein du secteur, y compris la participation à des réunions spécifiques d'associations, et a déclaré qu'il travaillera en collaboration avec les sociétés d'aide à l'enfance, leurs associations, le Bureau de l'avocat des enfants, ainsi qu‘avec mon Bureau à mesure qu'il progresse. Le personnel de mon Bureau a déjà rencontré le personnel du Ministère à plusieurs reprises pour discuter de cette question, et j’ai hâte de poursuivre le dialogue pour améliorer la façon dont les sociétés d’aide à l’enfance fournissent des services aux jeunes.
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Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
[1] Le nom de l’adolescente a été anonymisé aux fins du présent rapport pour des raisons de confidentialité. De plus, certaines dates et certains noms de lieux et d’organismes ainsi que d’autres renseignements identificatoires ont été généralisés ou omis afin de protéger la vie privée de la jeune fille et des membres de sa famille.
[2] Les signalements sont aussi obligatoires quand un(e) enfant recevant des services d’une SAE subit des lésions graves; on parle de rapports sur les décès et lésions corporelles graves.
[3] Ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletDirective commune : ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse; ministère des Services sociaux et communautaires; Bureau du coroner en chef de l’Ontario (26 mai 2023) [Directive commune], en ligne.
[4] Loi sur l’ombudsman, LRO 1990, chap O.6, arts 14(1.1)a) et(4.6)(1).
[5] Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille, LO 2017, chap 14, Annexe 1 [LSEJF].
[6] Ibid, art 35(1).
[7] Ibid, art 35(2).
[8] Ibid, art 3(2) à (4).
[9] Ibid, art 1(1).
[10] Ibid, art 2(1).
[11] Assemblée législative de l’Ontario, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletJournal des débats, 41e législature, 2e session, no 44 (22 février 2017) à la p 2325 (l’honorable Michael Coteau), en ligne.
[12] Ibid.
[13] LSEJF, supra note 5, art 42; Ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletDirective en matière de politiques : CW 003-18 – Services de protection pour les jeunes de 16 à 17 ans (26 mai 2023), en ligne.
[14] Ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletDirective en matière de politiques : CW 004-21 – Services de protection pour les jeunes de 16 à 17 ans (26 mai 2023), en ligne.
[15] Ibid.
[16] Ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletServices de protection pour les jeunes de 16 et 17 ans : Renseignements à l’intention des organismes qui viennent en aide aux jeunes (septembre 2021), en ligne; Ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletServices de protection pour les jeunes de 16 et 17 ans : Information pour les jeunes (septembre 2021), en ligne.
[17] Ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletDirectives de financement du placement permanent en Ontario de 2021 (26 mai 2023), en ligne.
[18] Ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletDirectives de financement du placement permanent en Ontario de 2023 (30 juin 2023), en ligne.
[19] Directive commune, supra note 3.
[20] Ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletExamen opérationnel, rapport final : Société d’aide à l’enfance de la région de York (octobre 2020), en ligne.
[21] Ibid.
[22] Règlement de l’Ontario 155/18, arts 7(1) et (2).
[23] Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletP.O. v. Family and Children’s Services Niagara, 2012 CFSRB 38 au para 15, en ligne.
[24] Ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletCadre de normes de qualité de l’Ontario : Guide de ressources pour améliorer la qualité des soins fournis aux enfants et adolescents placés dans les services en établissement agréés (juillet 2020) à la p 22, en ligne.