Paul Dubé
Ombudsman de l'Ontario
mai 2017
1. Préparer le terrain : solidifier les relations
Le rôle d’un ombudsman est de promouvoir la responsabilisation, la transparence et l’équité dans le secteur public. Pour remplir ce mandat, un ombudsman reçoit les plaintes du public sur un organisme du gouvernement ou du secteur public, détermine si une plainte est fondée ou non, et dans l’affirmative, collabore avec les intervenants pour régler le problème.
En tant qu’agent indépendant et impartial, l’ombudsman doit jouir de crédibilité et avoir la confiance de tous les intervenants. Son bureau n’est ni l'avocat-plaidant des plaignants, ni l'avocat-plaidant des organismes du secteur public qui relèvent de sa compétence. Il est essentiel pour lui de faire preuve d’impartialité et d’équité afin d'établir les relations productives et judicieuses dont il a besoin pour apporter des changements positifs. Parfois, il s’agit pour lui de valider le travail d'un organisme public ou d'une direction gouvernementale (reconnaître le mérite là où il se doit), tout autant que de faire la lumière sur les cas de mauvaise administration ou de manque d’équité administrative. Le travail accompli et les relations établies dans le cadre des interactions quotidiennes entre le bureau de l’ombudsman et les organismes du secteur public pour régler les plaintes individuelles ont une incidence considérable sur l’efficacité avec laquelle l'ombudsman peut faire des rapports sur les problèmes systémiques et formuler des recommandations de changements aux politiques et procédures.
Si un bureau de l’ombudsman n’examine les plaintes individuelles que séparément, il manque l’occasion de s’attaquer aux causes profondes des plaintes et de recommander des mesures correctives pour éviter qu’elles ne se reproduisent. C’est pourquoi les enquêtes systémiques sont si importantes et permettent à l’ombudsman d’exercer des répercussions positives essentielles sur la société. L’ombudsman est tout particulièrement bien placé pour proposer des solutions aux problèmes qui touchent de vastes segments de la société.
Le plus important pour optimiser la valeur du travail de l’ombudsman réside dans l’acceptation et la mise en œuvre de ses recommandations. Le Bureau de l’Ombudsman de l’Ontario a déployé avec succès plusieurs techniques à cette fin, que nous décrirons ci-après dans ce document.
Ce que je veux souligner, cependant, c’est ce qui vient en tout premier : le processus d’acceptation des recommandations commence avant même qu’elles ne soient présentées.
Partir d’une position de confiance
Tout commence par la création de relations. Il s’agit de nouer des rapports de crédibilité et de confiance avec tous les intervenants, y compris avec les organismes du secteur public placés sous la surveillance de l’ombudsman. La confiance et la crédibilité s’acquièrent en grande partie en suivant un processus équitable et crédible.
Pour promouvoir l’équité procédurale, un ombudsman doit « joindre le geste à la parole » et faire preuve d’équité dans le processus d’enquête. Pour cela, il faut donner un préavis d’enquête systémique – idéalement, c’est l’ombudsman qui le fait en rencontrant le chef de l’organisme visé, pour expliquer les raisons de l’enquête, garantir un processus d’enquête juste et impartial, souligner qu’une approche concertée sera privilégiée, et inviter l’organisme à donner son avis et ses commentaires en tout temps.
Démontrer la valeur
Dans la mesure du possible, il est utile de démontrer à l’organisme que l’enquête systémique sera de valeur pour lui : non seulement l’enquête servira l’intérêt du public, mais elle pourra aussi se faire dans l'intérêt de l’organisme. Ou bien le travail de l’organisme sera validé par une tierce partie indépendante – ce qui pourra grandement stimuler le moral à l’interne – ou bien une rétroaction constructive sera apportée, qui permettra à l’organisme de s’attaquer aux causes profondes des plaintes et d’éviter qu’elles ne se reproduisent.
L’une des choses que je m’efforce de faire comprendre aux dirigeants des organismes du secteur public, c’est qu’ils n’ont rien à craindre des plaintes, et qu’ils ne devraient pas décourager le public d’en faire. Les organismes progressistes, tournés vers l’avenir, devraient plutôt voir dans les plaintes l’occasion d’améliorer leurs relations avec les intervenants ainsi que leurs activités. Comme l’a dit Bill Gates, de Microsoft « un client insatisfait est votre meilleure source de rétroaction ».
Si les gens pensent qu’un organisme se montre injuste ou ne se soucie guère de les traiter correctement, ils seront moins enclins à dialoguer avec lui et à accepter ses décisions. Alors, l’organisme devra consacrer du temps, de l’énergie et de l’argent aux procédures d'appels, aux litiges et aux coûts de non-conformité. En revanche, si les intervenants estiment qu’ils ont été entendus et traités équitablement, ils seront plus enclins à accepter les mesures et les décisions de l’organisme.
En étant réceptif aux plaintes, et en acceptant et appliquant les recommandations de l’ombudsman pour régler les problèmes systémiques, un organisme du secteur public peut montrer qu’il accorde la priorité à l’équité et à la bonne gestion administrative. Alors, la confiance du public envers cet organisme s’en trouve renforcée.
Bien souvent, une enquête systémique d’un ombudsman porte sur un problème dont les gestionnaires intermédiaires de l’organisme ont connaissance, et qu’ils aimeraient rectifier, mais pour lequel ils ne peuvent pas obtenir les ressources nécessaires en vue d'une solution adéquate. Une fois que le rapport de l’ombudsman est rendu public, il n’est pas rare que les ressources nécessaires se concrétisent et que les dirigeants se montrent reconnaissants de l’intervention. C’est ce que j’appelle un résultat « gagnant-gagnant-gagnant ».
Présenter des recommandations faisables
La crédibilité de l’enquête et les répercussions émotionnelles du rapport qui en résulte influeront également sur l’acceptabilité des recommandations et sur la probabilité de leur mise en œuvre. Voici les facteurs clés :
- Compiler des preuves irréfutables.
- Recourir à un processus d’enquête équitable et rigoureux sur le plan de la procédure.
- Faire des récits puissants et touchants.
- Présenter des recommandations faisables, et
- Diffuser le rapport aussi largement que possible.
Avec une telle approche, l’ombudsman fait de sorte qu’il est difficile pour un organisme raisonnable de ne pas accepter les recommandations de l'enquête. Une fois que l’organisme s’est engagé publiquement à accepter et appliquer les recommandations, le moment vient pour l’ombudsman de faire un suivi et d'exiger des rapports d’étape réguliers.
Faire un suivi
L’ombudsman peut aussi apporter une valeur ajoutée et contribuer à des situations gagnant-gagnant-gagnant au-delà du contexte des enquêtes sur les plaintes ou sur les problèmes systémiques. Grâce aux connaissances et aux données acquises en prenant et en examinant les plaintes du public, l’ombudsman parlementaire est particulièrement bien placé pour conseiller les intervenants gouvernementaux sur les tendances émergentes et sur les problèmes systémiques potentiels qui se dessinent. Fournir une rétroaction régulière au gouvernement sur les questions qui suscitent l’insatisfaction des citoyens apporte l'occasion de prendre des mesures correctives plus opportunes. Pour ce faire, mon Bureau tient des réunions trimestrielles avec de nombreux intervenants du secteur public, y compris avec des ministères provinciaux qui font l’objet de plaintes fréquentes ou nombreuses.
Dans certaines instances, en raison des lois ou des conventions, l’ombudsman est consulté sur les propositions de politique ou de loi avant leur adoption. S’appuyer sur la perspective tout à fait unique de l’ombudsman ne peut que renforcer le processus de développement et les politiques qui en découlent. Grâce à des contacts réguliers et à des mémoires officiels au gouvernement, l’Ombudsman de l’Ontario contribue grandement aux discussions de politiques, sur des questions qui vont du maintien de l’ordre aux services correctionnels en passant par les affaires municipales, la santé et d’autres encore.
Si une direction gouvernementale reconnaît la valeur de ces pratiques et collabore avec le Bureau de l’Ombudsman, certains problèmes peuvent être évités, et d’autres peuvent être réglés plus rapidement, dans l’intérêt de tous les intervenants. Les citoyens bénéficieront ainsi d’une meilleure administration et d’une plus grande équité de la part de leur secteur public. En retour, les organismes obtiendront plus de participation et d’acceptation des citoyens, ce qui se traduira par une meilleure conformité, moins de litiges, moins de plaintes, et moins de mauvaise publicité. Dans certains cas, l’Ombudsman peut donc induire des changements systémiques positifs sans devoir mener des enquêtes systémiques et faire des rapports incluant des recommandations.
Comme nous l’avons mentionné plus tôt, le rôle d’un ombudsman est de promouvoir la responsabilisation, la transparence et l’équité dans le secteur public. À mon avis, la clé du succès pour un ombudsman réside dans la création de relations judicieuses et productives, fondées sur la confiance et la crédibilité. Si un ombudsman parvient à établir le type de relations indépendantes et pourtant collaboratives décrites ci-dessus, les recommandations résultant d’une enquête systémique seront plus susceptibles d’être acceptées et appliquées, parce qu’elles ne seront pas perçues comme un insuccès de courte durée dans les relations publiques, mais plutôt comme un élément de partenariat continu de service public.
Entraîner des changements positifs
Bien que nous ne puissions pas exiger l’acceptation et l’application de nos recommandations, nous disposons d’un outil important et efficace qui est notre pouvoir de publier des rapports. En dernier ressort, notre pouvoir réside dans la voix que nous faisons entendre.
L’objectif principal de l’Ombudsman ne devrait pas être de montrer du doigt, de blâmer et de faire honte à l’organisme du secteur public soumis à examen, mais plutôt de susciter des changements positifs. Toutefois, si un organisme se montre intransigeant, l'Ombudsman peut devoir aller jusqu’aux sphères supérieures du spectre de la persuasion morale.
Si un organisme du secteur public ne voit pas l’intérêt de travailler en collaboration pour parvenir aux résultats souhaités et d’accepter des recommandations avantageuses pour les citoyens, l’Ombudsman doit accroître l’intensité de ses activités en faveur de ses recommandations et mobiliser au maximum l’opinion du public.
Si un organisme public refuse d’accepter les recommandations, ou prétend les accepter mais ne fait pas d’efforts crédibles pour les appliquer, l’Ombudsman doit passer de la collaboration à une forme plus stricte de surveillance. Mobiliser les médias traditionnels, utiliser les médias sociaux, faire des conférences de presse, et même présenter des rapports de suivi peuvent s’avérer nécessaires dans le cadre du travail de l’Ombudsman pour faire accepter ses recommandations si un organisme n’y donne pas de réponse adéquate.
Ce genre de réponse n’est pas la norme. En fait, il n’est pas rare que les organismes du secteur public commencent à examiner leurs programmes et à apporter des changements une fois que nous avons ouvert une enquête systémique.
Dans l’espoir de pouvoir répondre aux recommandations éventuelles de l’Ombudsman en disant que beaucoup de mesures correctives ont déjà été prises, les organismes trouvent souvent la volonté et les ressources nécessaires pour apporter d’importants changements à leur programme, alors que nous enquêtons.
Si le fait d’ouvrir une enquête systémique peut entraîner des changements positifs, c’est une autre forme de situation gagnant-gagnant-gagnant.
Nous sommes heureux de partager notre expérience à ce sujet, à partir des quelque 35 enquêtes systémiques approfondies que notre Bureau a effectuées au cours des 12 dernières années.
2. Surveiller l’application des recommandations
L’Équipe d’intervention spéciale de l’Ombudsman de l’Ontario est composée d’enquêteurs chevronnés et hautement qualifiés, qui sont chargés de planifier et d’effectuer le travail sur le terrain pour nos enquêtes systémiques. Dans chaque cas, un enquêteur de l’EISO est désigné en tant qu'enquêteur principal, responsable de la planification et de la tenue de l’enquête, avec l’aide d’autres membres du personnel, dont des enquêteurs, des membres de l’équipe juridique et du personnel de réception des plaintes.
Depuis que notre Bureau a créé l’EISO en 2005, nous avons mené 38 enquêtes systémiques[1]. Cette équipe a aussi préparé de nombreuses évaluations approfondies sur des cas où l’Ombudsman a décidé par la suite qu’il n’y avait pas de raison suffisante pour ouvrir une enquête.
Les enquêtes de l’EISO ont entraîné des centaines de recommandations pour divers organismes publics. Le nombre de nos recommandations peut varier, selon l’envergure de l’enquête et le sujet examiné. Par exemple, notre rapport de 2014 intitulé Garderies mal gardées[2], résultant d’une vaste enquête sur la surveillance exercée par le ministère de l’Éducation sur les fournisseurs non agréés de services de garde d’enfants, comptait 113 recommandations. Mais notre rapport de 2015, Entre marteau et enclume[3], n’a présenté que quatre recommandations dans le sillage d’une enquête visant à déterminer pourquoi les parents d’enfants atteints de graves handicaps étaient contraints de confier ceux-ci à la garde d’organismes du bien-être de l’enfance. (Des résumés de ces cas, et d’autres exemples, sont inclus à la fin de ce document.)
Presque toutes les recommandations (plus de 95 %) faites par notre Bureau à la suite d’enquêtes systémiques (EISO) depuis 2005 ont été acceptées et mises en œuvre.
Les seules exceptions marquantes sont certaines recommandations clés faites dans le cadre de notre enquête sur l’Unité des enquêtes spéciales, et des deux rapports qui en ont résulté, Une surveillance imperceptible[4] (2008) et Le sabordage de la surveillance[5] (2011). Ces recommandations préconisent des modifications de loi qui n’ont pas encore été apportées.
Faire un suivi des stratégies et des techniques
Avant l’enquête
L’une des techniques de notre Bureau qui s’est avérée efficace pour faire accepter ses recommandations est la suivante : l’Ombudsman rencontre le chef de l’organisme public concerné, avant le début de l’enquête. Cette rencontre fournit l'occasion de nouer des relations permettant à l’Ombudsman d'expliquer pourquoi l’enquête a été jugée nécessaire, et sur quelles questions elle sera centrée. À ce stade, nous demandons aussi à l’organisme s’il souhaite communiquer certains renseignements à nos enquêteurs, ou s'il y a des points dont ils devraient tenir compte.
L'engagement à communiquer continuellement et à faire preuve d’équité procédurale contribue grandement à assurer le bon déroulement de l’enquête et à faire de sorte que les recommandations éventuelles soient bien accueillies. Il est aussi utile d’expliquer que l’organisme public aura la possibilité d’examiner et de commenter les ébauches de recommandations avant la rédaction et la parution du rapport final, ce qui favorisera leur acceptation.
Pendant l’enquête
Même si nous cherchons toujours à régler les problèmes – et s’il ne faut donc pas présumer que chaque enquête entraînera des recommandations – nos enquêtes systémiques se soldent presque toujours par des recommandations. Généralement, les enquêtes de l’EISO sont lancées après une évaluation minutieuse du cas examiné, quand il existe des éléments de preuve prima facie d’un ou de plusieurs problèmes systémiques. De plus, le personnel de l’EISO :
- Identifie d’autres instances (au Canada et à l’étranger) qui ont traité de problèmes semblables, afin de se renseigner en vue de recommandations potentielles, surtout pour les pratiques exemplaires qui ont donné de bons résultats ailleurs.
- Communique avec toutes les parties prenantes de l’enquête – p. ex. les plaignants, les responsables de l’administration des programmes touchés, et tout groupe d’intérêt spécial ou autre intervenant – pour connaître leurs suggestions d’améliorations ou de solutions.
Formulation des recommandations
Les rapports et les recommandations de notre Bureau sont généralement rédigés par notre avocate générale interne, qui travaille en proche collaboration avec les enquêteurs et l’Ombudsman tout au long de l’enquête. Les recommandations sont élaborées au cours du processus de rédaction du rapport, avec la participation de l’enquêteur principal et des autres membres de notre équipe de haute direction. L’Ombudsman participe à toutes les étapes du processus, de la planification de l’enquête à la rédaction finale des recommandations.
Notre objectif global est de formuler des recommandations réalisables – c.-à-d. des recommandations fondées sur les réalités d’une situation donnée, qui sont concrètes et faisables. Il n’est ni de l’intérêt du public, ni de celui de notre Bureau, de formuler des recommandations vagues, nébuleuses ou « pleines de bons sentiments » – y compris des recommandations qui exigent des ressources dont tout le monde sait qu’elles n’existent pas et n’existeront probablement jamais. Par contre, des recommandations faisables, qui sont mises en œuvre, peuvent faire une différence tangible pour le public et pour l’organisme concerné – et ceci peut rehausser notre crédibilité.
D’après notre expérience, les pratiques exemplaires à suivre pour formuler des recommandations sont notamment les suivantes :
- Écouter les opinions des personnes qui devront les appliquer, ou qui seront touchées par elles, y compris les hauts fonctionnaires de l’organisme public soumis à l’enquête.
- Chercher à recueillir de tels renseignements lors des entrevues au cours de l’enquête.
- S’assurer que toutes les parties prenantes sentent qu’elles participent au processus.
Rapport préliminaire – occasion d’examiner et de répondre
Une fois que le travail sur le terrain est terminé pour l’enquête, et que les conclusions et les recommandations de l’Ombudsman ont été rédigées, nous avons pour habitude de communiquer une ébauche préliminaire confidentielle à l’organisme public visé, résumant les éléments de preuve recueillis, nos conclusions fondées sur les faits, et nos propositions de recommandations. Ce processus, mené en privé, donne aux dirigeants du secteur public l’occasion de commenter la faisabilité de la mise en œuvre des recommandations proposées. Parfois, cette étape du processus peut inclure des réunions entre l’Ombudsman et/ou son personnel de direction et les hauts fonctionnaires du secteur public, pour discuter en collaboration des modifications et des options de recommandations.
Par exemple, dans notre rapport de 2006 intitulé Le grand jeu de la confiance[6], publié à la suite d’une enquête sur la manière dont la Société des loteries et des jeux de l’Ontario protégeait le public des fraudes et des vols à la loterie, beaucoup de recommandations ont tenu compte des commentaires de la haute direction de cette Société sur le fonctionnement interne du système de loteries et la faisabilité d'instaurer des mesures de sécurité plus rigoureuses.
À l'époque où nous rédigions notre rapport de 2017 Les oubliés de la surveillance sur le suivi des détenus en isolement dans les prisons de l’Ontario, le gouvernement avait nommé son propre examinateur indépendant (l’ancien Ombudsman des prisons fédérales du Canada) pour enquêter sur bon nombre des mêmes questions. Pour que notre enquête puisse compléter et rehausser le travail de cet examinateur, nous avons partagé avec lui nos conclusions préliminaires, que nous avons aussi communiquées au Ministère concerné. Cette approche collaborative a donné de bons résultats, le gouvernement s’engageant finalement à accepter toutes nos recommandations, ainsi que celles faites dans le premier rapport de l’examinateur (paru quelques semaines après).
Nous examinons et prenons en considération tous les commentaires que nous recevons des représentants du secteur public en réponse à notre rapport préliminaire. Le cas échéant, nous révisons nos recommandations en conséquence, mais ceci est assez rare. Nous intégrons les commentaires de l’organisme à notre rapport final, au besoin (dans certains cas, un bref résumé suffit; quand l’organisme nous communique une réponse écrite détaillée, elle est annexée à notre rapport final, qui est rendu public).
Rapport final et suivi
D’après notre expérience, la plupart des recommandations découlant de nos enquêtes systémiques ont été pleinement acceptées. Toutefois, il arrive qu’un organisme du secteur public s’engage simplement à « considérer » (ou à « étudier » ou « examiner ») une ou plusieurs de nos recommandations. (L’un de ces exemples est notre rapport de 2006, Les perdants du jeu de l’attente[7], au sujet du ministère des Services sociaux et communautaires, dont le détail est donné dans la dernière partie de ce document.)
L’élaboration de nos recommandations s’appuie sur une profonde réflexion. Si les preuves montrent que la question mérite un examen plus poussé, nos recommandations l’indiquent et le reflètent. S’il semble que l’organisme invoque « la nécessité de plus d’examens » comme excuse, il est particulièrement crucial de faire un suivi.
Notre Bureau inclut à chaque enquête de l’EISO un solide processus de suivi. Les éléments fondamentaux de cette stratégie sont les suivants :
- Inclure à chaque rapport de l’EISO une recommandation préconisant que l’organisme public nous fasse rapport – par écrit, à intervalles précis – des progrès réalisés dans la mise en œuvre des recommandations (les intervalles dépendent de la portée des recommandations, du temps qu’il faudrait raisonnablement pour les mettre en œuvre, et de l’engagement réel ou non de l’organisme à les appliquer).
- Analyser ces rapports et faire connaître publiquement les progrès réalisés par l’organisme, p. ex. dans nos rapports annuels et sur notre site web.
- Mobiliser le public par le biais des nouvelles et des médias sociaux, comme il se doit.
- Faire un suivi des renseignements pertinents provenant d’autres sources.
L’enquêteur principal de l’EISO est chargé d’examiner et d’évaluer l’exactitude et l’exhaustivité des renseignements fournis dans le rapport d’étape de l’organisme. Cet enquêteur fait un suivi auprès de l’organisme public pour obtenir des renseignements supplémentaires et/ou une clarification, au besoin. D’après notre expérience, l’organisme public nous fournit souvent un tableau détaillé, énumérant chacune de nos recommandations et documentant les progrès apportés en réponse à elles.
Les renseignements provenant d’autres sources peuvent aussi nous aider à évaluer les retombées des recommandations sur les questions qu’elles sont censées régler. Principalement, il s’agit pour nous de surveiller le nombre et le type de plaintes connexes que nous ou d’autres organismes de surveillance recevons. Nous pouvons aussi devoir examiner des reportages dans les médias, communiquer avec des groupes d’intérêts spéciaux ou des groupes de revendication, suivre les débats à l’Assemblée législative si une question en particulier y est soulevée. Cet aspect du processus de surveillance fait intervenir plusieurs services de notre Bureau; par exemple les plaintes ou les renseignements qui peuvent se rapporter à des enquêtes achevées de l’EISO sont signalés par le personnel de réception des plaintes, et l’équipe des communications suit les développements pertinents à l’Assemblée législative, dans les nouvelles et dans les médias sociaux.
Un autre aspect important de la surveillance post-enquête, dans certains cas, est la possibilité de représailles contre des personnes concernées par l’enquête, comme des plaignants vulnérables ou des lanceurs d’alerte. Que de telles représailles soient directement liées ou non aux recommandations, elles porteraient clairement atteinte à notre travail. Par exemple, dans notre rapport de 2005 intitulé Entre marteau et enclume, l’Ombudsman a souligné que certains parents d’enfants gravement handicapés, qui avaient fait connaître leurs problèmes, craignaient d’être punis par les fonctionnaires dont ils dépendaient tant pour avoir de l'aide. L’Ombudsman n’a pas fait de recommandation à cet égard, mais il a clairement indiqué dans son rapport que notre Bureau surveillerait les dénouements et « agirait vigoureusement » s’il y avait la moindre preuve de représailles contre ces familles vulnérables.
Nous avons constaté que la plupart des organismes donnent suite à nos recommandations et les appliquent. Dans les rares cas où nous ne sommes pas satisfaits de leurs progrès, nous pouvons décider de :
- tenter de régler toute question en suspens de manière informelle, en collaboration;
- ouvrir une autre enquête.
L’ouverture d’une autre enquête est un dernier recours, utilisé uniquement quand des problèmes fondamentaux cernés dans la première enquête sont restés ignorés, ou n’ont pas été réglés efficacement, entraînant une injustice et/ou une mauvaise administration persistante. Nous avons suivi cette approche une seule fois, à la suite de notre enquête de 2008 sur l’Unité des enquêtes spéciales et le ministère du Procureur général. Nous avons ouvert une seconde enquête en 2011 (les deux rapports publiés s’intitulent respectivement Une surveillance imperceptible et Le sabordage de la surveillance, et sont cités ci-dessus). La seconde enquête portait sur le pourquoi et le comment du manque d’application de nos premières recommandations par le Ministère.
Une fois que l’Ombudsman est convaincu que l’organisme public a accompli des progrès significatifs dans la mise en œuvre des recommandations, les intervalles de rapports officiels peuvent être prolongés – de six mois à un an, par exemple – ou l'exigence de rapport peut être supprimée complètement. Toutefois, l’enquêteur principal maintient habituellement des contacts informels avec les hauts fonctionnaires de l’organisme public concerné, et le personnel responsable des plaintes et des communications signale les questions ou les tendances pertinentes, au fur et à mesure qu’elles surviennent.
Par exemple, le rapport d’enquête publié par notre Bureau en 2005 sur le programme de dépistage néonatal des maladies évitables dans la province (rapport : Le droit d’être impatient[8]) a entraîné d’importantes améliorations à ce programme, ce qui a permis d’éviter la mort ou des maladies graves pour des centaines d’enfants. Mais 11 ans plus tard, grâce à une surveillance proactive des plaintes et des médias d’information, nous avons appris que des problèmes de procédure retardaient les données de tests, et notre intervention a déclenché d’autres améliorations. Des mises à jour sur des cas comme celui-ci sont incluses à nos rapports annuels et sont affichées sur notre site web, avec le rapport original fait sur la question.
3. Exemples de cas
Approche d’équipe, touche personnelle et suivi permanent :
Rapport – Dans l’impasse (2016) – Adultes ayant une déficience intellectuelle
Des experts, des intervenants, et les enquêteurs eux-mêmes ont été consultés pour élaborer les recommandations dans ce cas. Pour convaincre les fonctionnaires de les accepter, il a fallu une rencontre entre l’Ombudsman, la ministre des Services sociaux et communautaires et la sous-ministre au cours des dernières semaines précédant la publication du rapport. Moins d’un an plus tard, nous suivons les progrès réalisés par le Ministère dans la mise en œuvre des recommandations, ainsi que sa réponse aux plaintes qui continuent d’arriver.
Le rapport Dans l’impasse[9] a examiné plus de 1 400 plaintes et a mis en lumière des cas flagrants d’adultes ayant une déficience intellectuelle en situation de crise, dont des adultes abandonnés, maltraités, hospitalisés et emprisonnés inutilement. L’enquête a révélé que les incohérences dans les priorités et la répartition du financement laissaient certaines familles si désespérées qu’elles ont abandonné des êtres chers atteints de déficience intellectuelle et de troubles médicaux complexes.
Le rapport a fait 60 recommandations, qui ont toutes été acceptées par le ministère des Services sociaux et communautaires. Nous avons notamment recommandé que le Ministère alloue d’urgence des ressources d’intervention et demande que les adultes ayant une déficience intellectuelle ne soient pas renvoyés vers des situations de violence ou logés inadéquatement dans des hôpitaux ou des établissements de soins de longue durée. D’autres recommandations ont préconisé une amélioration du suivi, de la surveillance et des recherches afin de cerner les lacunes de services, de permettre une meilleure planification et de trouver des solutions souples aux situations de crise.
Dans une enquête si complexe, sur un sujet si difficile à cerner, à une époque où les politiques et les approches gouvernementales étaient en évolution, les recommandations sont provenues de sources diverses – notamment d’experts qui ont pu cerner les problèmes et proposer des solutions. Par exemple, une équipe de police locale qui faisait face à de nombreuses situations de crise a souligné l’importance de pouvoir faire appel à des travailleurs d’intervention d’urgence avec de courts préavis. Après avoir interrogé d’autres intervenants, évalué s’il s’agissait là d’une approche faisable, et examiné les pratiques exemplaires ailleurs, nous avons incorporé ce concept à l’une de nos recommandations.
Les enquêteurs de l’EISO ont souvent formulé des recommandations potentielles fondées sur les données probantes qu’ils ont recueillies. L’équipe s’est réunie régulièrement tout au long de cette enquête en profondeur pour discuter de secteurs à améliorer, de toute évidence, et de la forme que pourraient prendre les recommandations éventuelles. Ces propositions ont été discutées en profondeur avec l’Ombudsman et l’avocate générale, puis intégrées au rapport et aux recommandations.
Notre rapport a montré que des changements d’attitude et de leadership s'étaient produits au Ministère durant notre enquête, ce qui l’avait rendu plus réceptif à nos recommandations. Tout au long de l’enquête systémique, notre Bureau a aussi examiné la situation de plaignants individuels, cas par cas, en aidant les familles à trouver des placements pour leurs proches (nous avons aidé 20 personnes à quitter l’hôpital et à déménager dans des foyers plus appropriés). Des plaintes similaires continuent d’arriver – plus de 100 depuis la publication du rapport. Nous continuons de signaler ces cas au Ministère, en plus de faire un suivi auprès des fonctionnaires pour obtenir des renseignements détaillés sur leurs progrès dans la mise en œuvre de nos recommandations. Ces renseignements seront résumés dans notre prochain Rapport annuel.
Collaboration avec examen simultané :
Rapport – Les oubliés de la surveillance (2017) – Suivi des détenus placés en isolement
Cette enquête, motivée par une augmentation constante du nombre de plaintes durant plusieurs années, a été galvanisée par la révélation d’un cas flagrant qui a incité le gouvernement à nommer son propre enquêteur indépendant. Pour que notre enquête complète cet examen concomitant, notre Bureau a collaboré avec cet examinateur et lui a communiqué ses conclusions préliminaires, dont il a aussi informé le Ministère, et ce dernier a finalement accepté toutes les recommandations de ces deux sources.
Pendant plusieurs années avant cette enquête, notre Bureau avait alerté le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels du nombre croissant de plaintes déposées par des détenus placés en isolement prolongé, sans bénéficier des examens imposés par la loi. Le Ministère a procédé à des consultations sur la question, mais n’a pris que très peu de mesures concrètes, jusqu’à ce qu’on découvre qu’un homme de 24 ans avait été placé en isolement durant plus de quatre années, en l’attente d’un procès, sans que le Ministère n’en ait connaissance.
Notre Bureau était bien placé pour enquêter sur la question, étant donné que nous recevons quelque 4 000 plaintes provenant des établissements correctionnels chaque année et que nous réglons la plupart d’entre elles de façon informelle, en collaboration avec des fonctionnaires du Ministère. En même temps, le Ministère a demandé à l’ancien Ombudsman des prisons fédérales du Canada de procéder à un examen interne indépendant des méthodes d’isolement et des questions plus générales du système correctionnel.
Notre enquête a révélé que les systèmes ministériels de suivi des placements en isolement regorgeaient d'erreurs et d'inexactitudes, et que la surveillance aux échelons supérieurs faisait gravement défaut. L’Ombudsman a fait 32 recommandations visant à limiter les placements en isolement et à renforcer leur surveillance. Ces recommandations ont été communiquées à l’examinateur indépendant et au Ministère. Beaucoup d’entre elles ont été reprises dans le rapport de l’examinateur, publié quelques semaines après le nôtre – et toutes ont été acceptées par le Ministère.
Collaboration avant et après :
Rapport – Garderies mal gardées (2014) – Suivi des garderies non agréées
Ce cas montre comment l’intervention de l’Ombudsman peut galvaniser le changement, alors même qu’une enquête est en cours. À la suite du décès de plusieurs enfants placés dans des garderies non agréées, cette enquête a examiné le manquement du ministère de l’Éducation à surveiller ces établissements, ainsi que les lois désuètes qui les régissaient. Le Ministère a collaboré avec l’EISO tout au long de l’enquête puis a rapidement appliqué chacune des 113 recommandations.
Le rapport fait en 2014 par notre Bureau a révélé de graves problèmes systémiques dans la surveillance des garderies privées non agréées, où quatre enfants étaient décédés en sept mois. Le Ministère responsable de ce dossier a accepté de mettre en œuvre toutes les recommandations, et moins de deux mois après la publication de notre rapport, une nouvelle loi a été adoptée pour renforcer la réglementation des services de garde d’enfants.
La haute direction de l’Ombudsman et les enquêteurs de l’EISO ont travaillé en proche collaboration avec les hauts fonctionnaires du Ministère tout au long de l’enquête. Le Ministère avait déjà cerné les problèmes et s’efforçait de les régler, mais notre enquête a servi de catalyseur, aidant le Ministère à se concentrer sur des domaines clés. Dans sa réponse à notre rapport préliminaire, qui a été publiée dans notre rapport final, le Ministère a indiqué qu’il répondait déjà à 95 de nos 113 recommandations.
L’enquêteur principal est resté en contact étroit avec le Ministère tout au long du processus de mise en œuvre, recevant des mises à jour informelles régulières, en plus de celles qui étaient requises tous les six mois par nos recommandations. L’EISO a vérifié que 55 des 113 recommandations avaient déjà été appliquées complètement au cours des six mois, comme le Ministère l’affirmait. En 2016, toutes les recommandations avaient été mises en œuvre. Les améliorations apportées comprenaient la création d'une unité d’exécution chargée de traiter les plaintes sur les garderies non agréées, la mise en place d’une ligne téléphonique sans frais pour les plaintes, une campagne de sensibilisation du public pour mieux faire connaître les options de services de garde d’enfants, et un registre en ligne permettant aux gens de vérifier quels exploitants avaient enfreint la loi.
Persuasion en dernière minute :
Rapport – Une question de vie ou de mort (2016) – Formation de la police à la désescalade
Le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels a rejeté à maintes reprises nos recommandations et nos tentatives de collaboration – jusqu’à ce qu’un nouveau ministre rencontre l’Ombudsman la veille de la parution de notre rapport.
Cette enquête a été ouverte dans le sillage de la fusillade mortelle dont un jeune homme de 18 ans a été victime aux mains des policiers, dans un tramway de Toronto, au cours de l’été de 2013. Elle a aussi examiné des situations semblables où des personnes en crise, souvent à cause d’une maladie mentale ou d’une toxicomanie, avaient été tuées par la police durant les deux dernières décennies. L’enquête a porté sur la façon dont le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels orientait la formation donnée aux policiers sur le recours à la force. Les enquêteurs de l’EISO ont comparé les modèles de formation à la désescalade et de recours à la force utilisés un peu partout dans le monde à ceux qui sont employés pour les policiers en Ontario.
En nous appuyant sur les entrevues que nous avons effectuées auprès d’experts en services policiers en Ontario et ailleurs, ainsi que de membres de la famille de victimes de fusillades policières, nous avons fait 22 recommandations. Ces recommandations ont commencé par préconiser au Ministère qu’il ordonne aux services policiers de recourir à la désescalade avant d’utiliser la force chaque fois que la sécurité du public et celle des policiers le permettent. Nous avons aussi recommandé que le Ministère adopte un nouveau règlement établissant des lignes directrices sur la désescalade pour tous les services de police, ainsi qu’un nouveau modèle d’utilisation de la force.
Nous avons communiqué une première ébauche de notre rapport et de nos recommandations au Ministère en 2015, mais sa réponse à ces recommandations est restée fort évasive. De plus, en raison des procédures judiciaires en cours liées à la fusillade de 2013, le moment n’était pas idéal pour finaliser le rapport. En mai 2016, le rapport préliminaire a été achevé et l’Ombudsman a rencontré le ministre alors en poste – mais une fois encore, le Ministère n’a pas pris d’engagement concret pour appliquer les recommandations. Nous avons inclus cette réponse à notre rapport final, soulignant qu’elle était « décevante et déconcertante ».
Toutefois, la veille de la parution de notre rapport en conférence de presse, nous avons pu organiser une rencontre entre l’Ombudsman et le nouveau ministre, nommé deux semaines auparavant lors d’un remaniement ministériel. Le nouveau ministre s’est engagé à mettre en œuvre chacune des 22 recommandations. Cet engagement a été pris trop tard pour être intégré au rapport publié, mais l’Ombudsman et le ministre l'ont tous deux annoncé lors de conférences de presse le lendemain, et l’engagement du ministre a été affiché avec notre rapport sur notre site web[10].
Depuis, le personnel de haute direction de l’Ombudsman et l’enquêteur principal communiquent régulièrement avec les cadres supérieurs du Ministère, dont le sous-ministre, sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de nos recommandations. De plus, le Ministère nous a fait des mises à jour détaillées sur les mesures qu’il prend pour appliquer nos recommandations. L’Ombudsman et le directeur de l’EISO ont également visité le Collège de police de l’Ontario en décembre 2016 pour assister à une démonstration de la formation améliorée à la désescalade. Ces développements seront rendus publics dans le rapport annuel prochain de l’Ombudsman, en juin 2017.
Il n’est jamais trop tard pour bien faire :
Rapport – Une vaste injustice (2009) – Financement des médicaments pour les patients atteints d’un cancer colorectal
L’intervention personnelle de l’Ombudsman et la nomination d’une nouvelle ministre de la Santé et des Soins de longue durée ont entraîné l’annulation du refus d'appliquer les recommandations. Les pressions exercées par les médias et les efforts déployés par le Ministère pour réduire les coûts liés aux recommandations ont été des facteurs supplémentaires dans ce cas.
Le rapport fait en septembre 2009 par notre Bureau, Une vaste injustice[11], a préconisé au ministère de la Santé et des Soins de longue durée de lever son plafond de financement arbitraire pour l’Avastin, médicament destiné aux patients atteints d’un cancer colorectal métastatique. L’enquête de l’EISO sur la décision ministérielle de limiter le financement de ce médicament à 16 cycles de traitements – quelles que soient les recommandations des oncologues des patients – a amené l’Ombudsman à conclure que ce plafond n’était pas justifié par des preuves médicales, et qu’il était donc déraisonnable et répréhensible en vertu de la Loi sur l’ombudsman[12]. L’enquête de l’EISO a aussi examiné d’autres instances et a révélé que l’Ontario était la seule province où il existait un tel plafond de financement pour l'Avastin.
Le Ministère a rejeté les recommandations lui préconisant de lever ce plafond et d’indemniser les patients qui avaient payé leur médicament de leur poche, mais il a accepté les autres recommandations visant à améliorer le financement de ce médicament. L’Ombudsman a rendu son rapport public lors d’une conférence de presse, soulignant « la cruauté » de la décision du Ministère, et il a fait des commentaires similaires dans des entrevues avec les médias ainsi que dans un article d’opinion publié dans un journal national.
Quelques jours après la parution de ce rapport, le ministre alors en poste a démissionné, dans le sillage d’une controverse non liée à cette affaire. L’Ombudsman a communiqué avec la nouvelle ministre pour tenter une fois de plus de régler la question. Deux mois après la parution du rapport, la nouvelle ministre a annoncé que le plafond du financement serait levé pour que les patients puissent continuer leur traitement au-delà de 16 cycles, s’ils obtenaient de bons résultats avec l’Avastin. Entre-temps, le gouvernement a aussi négocié un meilleur prix avec le fabricant de ce médicament.
Le Ministère a fait des mises à jour régulières au cours des années suivantes sur le nombre de patients qui bénéficiaient de plus de 16 cycles de traitements avec ce médicament de prolongation de vie. À l'arrivée de septembre 2011, 712 patients avaient bénéficié d’un financement, qu'ils n'auraient pas pu obtenir auparavant.
Une réforme enthousiaste, de vastes avantages :
Rapport – Dans le feu de l’action (2012) – Blessures de stress opérationnel et suicides chez les policiers
Notre enquête ayant révélé l’existence de problèmes de longue date, nos recommandations ont été adoptées sans réserve par la Police provinciale de l’Ontario. Bon nombre d'entre elles reflétaient les conseils d’experts et de plaignants, ainsi que des pratiques exemplaires d’autres instances. Depuis la parution de notre rapport, l’OPP a fait connaître publiquement sa réponse à nos recommandations et a partagé ses réformes avec des organismes similaires, élargissant ainsi les répercussions positives de ces recommandations.
En octobre 2012, notre Bureau a fait paraître Dans le feu de l’action, rapport sur la manière dont la Police provinciale de l’Ontario (OPP) et le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels traitaient les blessures de stress opérationnel, dont le syndrome de stress post-traumatique, chez les policiers. L’enquête a révélé un manque de services, de soutien, de formation et d’éducation pour les membres de l’OPP en matière de traumatismes de stress opérationnel. Elle a aussi montré qu'il n’existait pas de stratégie de sensibilisation et de prévention ou de suivi des suicides dans les services de police, alors que le nombre des suicides surpassait celui des décès de policiers tués dans le feu de l’action, de 1989 à 2012.
Lors de nombreuses entrevues – notamment de dirigeants de services de police, de membres de la famille de policiers qui avaient été traumatisés ou qui s’étaient suicidés, et d'experts sur le terrain – notre équipe a sollicité des suggestions en vue d'améliorations, dont nous avons tenu compte dans les recommandations.
En concluant son rapport, l’Ombudsman a souligné que la première réaction de l’OPP à notre rapport préliminaire équivalait à « une esquive de l'administration ». Mais quelques jours avant la parution de ce rapport, le commissaire de l’OPP a envoyé une lettre s’engageant à appliquer toutes les recommandations – lettre dont le texte a été communiqué au public avec le rapport.
La haute direction de l’OPP a considéré les recommandations comme une priorité interne, fournissant une orientation, des encouragements et des ressources à mesure de leur mise en œuvre durant les deux années qui ont suivi. Les améliorations apportées comprenaient les suivantes :
- création de sept postes à plein temps de chefs d’équipe, pour fournir un soutien par les pairs aux policiers;
- atelier à l’intention des superviseurs de l’OPP sur la manière de déceler les premiers signes de blessures de stress opérationnel;
- rencontre avec les services de police municipale et régionale pour échanger des idées sur la manière de réagir aux blessures de stress opérationnel;
- amélioration des services de soutien aux policiers retraités;
- formation annuelle sur les services de soutien disponibles;
- création d’une unité de mieux-être pour offrir des services de soutien par les pairs, des programmes de formation et de prévention;
- instauration d’un programme de formation à la santé mentale et à la résilience, s’inspirant de celui des Forces canadiennes.
En septembre 2014, l’Ombudsman a écrit au commissaire de l’OPP pour confirmer qu’il n’avait plus besoin de recevoir des mises à jour officielles tous les six mois, vu les progrès considérables faits par l'OPP pour aider les policiers en service et retraités, face aux blessures de stress opérationnel, à la stigmatisation et aux suicides, depuis la parution de son rapport.
Cependant, l’EISO a continué de recevoir des mises à jour informelles de l’OPP. Nous avons notamment suivi la mise en œuvre d’un programme de prévention des suicides et l’expansion des services psychologiques pour les unités spéciales.
En décembre 2015, l’OPP et le Ministère ont annoncé une nouvelle stratégie intégrée de santé mentale, qui comprend une capacité accrue d’intervention en cas d’incidents critiques de stress, d’intervention précoce et d’aiguillage, ainsi que des ressources pour les soins de santé. Le commissaire de l’OPP a reconnu que cette stratégie était fondée en partie sur les recommandations présentées dans notre rapport Dans le feu de l’action. Les avantages des recommandations continuent de se faire sentir partout au pays, alors que l’OPP partage son approche avec d’autres services de police et des services d’urgence partout au Canada.
Des effets durables :
Rapport – Le droit d’être impatient (2005) – Programme de dépistage néonatal pour les nouveau-nés
Ce cas – qui s’est soldé par une entente de ne pas faire de recommandations officielles, à la suite d’une collaboration – a entraîné des réformes radicales et vitales. Plus de 10 ans après, le suivi que nous en avons fait continue d'améliorer le programme et de procurer des avantages au public.
L’enquête menée par notre Bureau en 2005 a révélé de graves problèmes dans le programme ontarien de dépistage néonatal – dépistage qui se fait par un test sanguin, à la naissance – pour les maladies génétiques traitables. Le dépistage ne portait jusqu’alors que sur deux maladies, tandis que dans le monde beaucoup d’autres pays faisaient un dépistage pour des dizaines d’autres, et que la technologie requise avait été créée – et était disponible – en Ontario. Selon les estimations, une cinquantaine de nouveau-nés mourraient ou devenaient gravement handicapés chaque année en raison de maladies détectables par un dépistage.
Durant cette enquête, l’Ombudsman a rencontré le ministre de la Santé et des Soins de longue durée ainsi que des représentants ministériels, qui nous ont informés que de nombreuses améliorations étaient déjà en cours. L’Ombudsman a décidé de publier un rapport, mais de ne pas présenter de recommandations officielles, préférant attendre une mise à jour du Ministère dans les 90 jours suivants. Le rapport soulignait publiquement que l’Ombudsman pourrait publier des recommandations et un autre rapport si les mesures d’action du Ministère ne s’avéraient pas satisfaisantes.
Après la publication de notre rapport, le gouvernement a pris des mesures d’action immédiates pour élargir le dépistage néonatal de deux à 29 tests et pour améliorer la coordination de ces tests partout dans la province.
En avril 2015, l’EISO s'est penchée sur des reportages médiatiques au sujet de retards dans le processus de dépistage qui pouvaient mettre des bébés en danger – plus précisément des retards dans le transport d’échantillons de sang, surtout durant les fins de semaine fériées. Notre enquêteur s’est informé officieusement mais minutieusement auprès des responsables du programme et du Ministère. En 2016, le Ministère a approuvé des fonds pour permettre que certains tests soient effectués en fin de semaine et pour améliorer le transport et le suivi des échantillons de sang. Actuellement, le dépistage inclut 30 maladies. Nous continuons de communiquer des mises à jour sur ce programme dans nos rapports annuels.
Plus de progrès, moins de plaintes :
Rapport – La loi du silence (2013) – Recours à la force par les gardiens de prison
Pour cette enquête, la plupart de nos recommandations ont été appliquées; nous ne demandons plus de rapport officiel au Ministère, mais l’enquêteur principal reste en contact avec lui pour quelques questions en suspens. Notre surveillance montre que les plaintes concernant les mauvais traitements infligés aux détenus ont radicalement diminué, ce qui illustre le changement positif apporté par les recommandations.
Notre rapport, La loi du silence[13], a compilé les résultats de notre enquête sur les allégations de recours à une force excessive par des agents des services correctionnels contre des détenus, dans les pénitenciers de la province. Chaque année, notre Bureau reçoit des milliers de plaintes de prisonniers, et nous rencontrons régulièrement des représentants du ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels pour les alerter des tendances de plaintes et des questions émergentes. Cette enquête a été lancée car le Ministère avait omis de répondre à nos mises en garde au sujet de l'augmentation constante des plaintes sur le recours à une force excessive contre les détenus par les agents correctionnels, et car certains cas de voies de faits graves n’avaient pas fait l’objet d’une enquête adéquate au sein du système. Cependant, après l'ouverture de notre enquête, le Ministère a collaboré. Il a reconnu les problèmes et s’est engagé à appliquer chacune de nos 45 recommandations, dont celle d'une tolérance zéro pour « la loi du silence ». Il s’est aussi engagé à nous faire des rapports d’étape tous les six mois.
Depuis, le Ministère a mis en œuvre 38 recommandations et il continue de travailler aux autres, qui portent notamment sur les points suivants : installation d’un système vidéo en circuit fermé dans tous les établissements correctionnels, et utilisation généralisée d’un équipement d’enregistrement vidéo portatif dans les situations où il pourrait y avoir un recours à la force. En plus d’avoir précisé que « la loi du silence » constitue un motif de mesure disciplinaire et de congédiement, le Ministère a remanié ses politiques et procédures de déclaration et d’enquête pour les recours à la force. Il a aussi clarifié les circonstances dans lesquelles le personnel correctionnel est autorisé à recourir à la force contre les détenus. En outre, il a amélioré son processus de recrutement du personnel correctionnel, notamment en y intégrant des évaluations psychologiques obligatoires, et il a actualisé sa formation en y ajoutant des directives claires sur la conduite éthique et le recours à la force.
Parmi les sujets que nous continuons de surveiller, signalons les plaintes alléguant que la nouvelle politique du Ministère sur les enquêtes concernant le recours à la force entraîne de longs retards. Nous avons fait part de cette préoccupation à la haute direction du Ministère. Cependant, le nombre de plaintes des détenus a diminué, passant à 43 en 2015-2016, contre 79 l’année précédente, et contre plus de 350 pour les quatre années avant notre enquête. Nous publierons des mises à jour sur les recommandations qui restent à appliquer dans nos prochains rapports annuels et sur notre site Web.
Persuasion morale et prévention de problèmes récurrents :
Rapport – Les perdants du jeu de l’attente (2006) – Paiements de soutien aux personnes handicapées
Dans ce cas, la persuasion morale a incité le ministère des Services sociaux et communautaires à appliquer nos recommandations, envers lesquelles il s’était tout d’abord montré réticent. Nous avons continué de surveiller la situation et nous sommes intervenus de nouveau cinq ans plus tard, après avoir constaté des signes de problèmes récurrents.
Après avoir reçu de nombreuses plaintes, notre Bureau a ouvert une enquête sur les retards de traitement des demandes de paiements de soutien pour les personnes handicapées. Notre enquête a conclu que l’Unité des décisions sur l’admissibilité des personnes handicapées (l'Unité), qui est chargée de déterminer quels requérants répondent à la définition stricte d’une « personne handicapée » donnée dans la loi, avait imposé une limite injuste et bureaucratique.
En bref, les requérants n’avaient droit qu’à quatre mois de prestations rétroactives du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, quel que soit le temps qu’il avait fallu à cette Unité pour traiter leur demande – le traitement de la demande étant bien plus long dans beaucoup de cas. Notre enquête a conclu que 4 630 personnes handicapées souffraient de cette règle, perdant au moins 6 millions $ de prestations. Au total, environ 19 000 Ontariens handicapés avaient subi des pertes en raison de retards dans le traitement de leur demande.
L’Ombudsman a fait sept recommandations visant à réduire les retards et à améliorer les normes de service, et notamment à abroger la limite arbitraire des quatre mois. Mais au départ, le Ministère n’a accepté d'appliquer que cinq des recommandations, déclarant qu’il « étudierait » les deux autres (dont le dédommagement des personnes qui avaient perdu des prestations en raison des retards de traitement). L’Ombudsman a répondu que cette réponse n’était pas adéquate et il a rencontré des hauts fonctionnaires et des politiciens pour les persuader d’agir.
Trois mois plus tard, le gouvernement a approuvé des fonds de 25 millions $ pour indemniser les 19 000 personnes touchées par les retards, et le Ministère s’est engagé à traiter les demandes dans les 90 jours.
Pendant des années, l’Unité a réussi à parvenir à cet objectif – jusqu’en 2010, année où nous avons de nouveau commencé à recevoir des plaintes. Nous en avons reçu 27 en 2010-2011, et 54 l’année suivante. Nous avons alerté le Ministère de cette tendance et nous avons appris que le nombre des plaintes avait augmenté de 22 % depuis 2008. En septembre 2011, la durée moyenne de traitement était de 98,5 jours, et de nombreuses demandes exigeaient 120 jours ou plus. Nous continuons de surveiller les efforts faits par le Ministère pour régler le problème, notamment par une augmentation de ses effectifs et une amélioration de sa technologie. En 2015-2016, nous avons reçu 32 plaintes concernant cette Unité, mais toutes ne portaient pas sur des retards.
Changement culturel au sein d’un organisme :
Rapport – Le grand jeu de la confiance (2007) – La sécurité des loteries
Bien que la Société des loteries et des jeux de l’Ontario (OLG) ait tout d’abord déclaré que plusieurs des recommandations de l’Ombudsman ne seraient pas réalisables, elle les a non seulement acceptées mais – après des changements de leadership – elle a fait plus encore. Ce cas illustre la manière dont une enquête de l’Ombudsman peut entraîner un changement culturel nécessaire au sein d’un organisme, pour le plus grand bien de celui-ci et de son public.
Dans le sillage d’un exposé dans les médias révélant que le système de loteries du gouvernement de l’Ontario – qui lui permet de recueillir des milliards de dollars pour les travaux publics – était vulnérable au vol et à la fraude des « initiés » (principalement les petits détaillants sur lesquels le système comptait pour vendre ses billets), l’Ombudsman a ouvert une enquête de son propre chef, soulignant le vif intérêt du public pour cette question. Notre rapport a montré en détail comment l’OLG avait manqué à son devoir de sélectionner et de surveiller adéquatement ses détaillants – dans de nombreux cas, certains avaient empoché les billets gagnants de leurs clients et réclamé les gros lots pour eux-mêmes. (L’affaire la plus grave portait sur un prix de 12,5 millions $.)
Les 75 recommandations de l’Ombudsman, rédigées après une consultation avec des experts et les fonctionnaires concernés, comprenaient des mesures précises visant à améliorer la sécurité et à sélectionner et surveiller les détaillants. Ces recommandations visaient aussi à modifier la culture organisationnelle de l'OLG, soulignant que les dirigeants de cet organisme devaient se souvenir qu’ils étaient au service du public.
La réaction initiale de l'OLG face à des recommandations pour de telles mesures, qui exigeaient entre autres que les joueurs signent leurs billets, a été de déclarer que « ce n'est pas faisable ». Néanmoins, l'OLG et le gouvernement ont accepté toutes les recommandations, et « signer votre billet » est maintenant chose courante pour tous les joueurs de loteries en Ontario (de plus, des machines de contrôle des billets ont été installées partout dans la province, éliminant le besoin pour les détaillants d’informer les joueurs s’ils sont gagnants ou non).
Plus important encore, après des changements de gestion, l’OLG a positivement accueilli notre enquête comme un catalyseur de changement culturel. Dans son dernier rapport d’étape à notre Bureau en 2008, le PDG alors en fonctions a écrit ceci : « Avec le recul, le “choc” du rapport de l’Ombudsman a entraîné un changement profond et systémique à la Société, en très peu de temps. Il est peu probable que de tels résultats auraient pu être obtenus par des moyens plus conventionnels ou traditionnels de réforme organisationnelle. »
Nous continuons de surveiller les efforts faits par l'OLG pour améliorer la sécurité et la transparence, dont plusieurs vont au-delà des recommandations de notre rapport. L'OLG a notamment mis au point une technologie qui permet d’identifier le propriétaire légitime d’un billet de loterie gagnant mais volé, ce qui était inimaginable en 2007.
[1] Les rapports de toutes les enquêtes systémiques de l'Ombudsman de l'Ontario sont consultables en ligne ici.
[2] Garderies mals gardées, en ligne.
[3] Entre marteau et enclume, en ligne.
[4] Une surveillance imperceptible, en ligne.
[5] Le sabordage de la surveillance, en ligne.
[6] Le grand jeu de la confiance, en ligne.
[7] Les perdants du jeu de l'attente, en ligne.
[8] Le droit d'être impatient, en ligne.
[9] Dans l'impasse, en ligne.
[10] Les commentaires du ministre ont aussi été ajoutés au communiqué de presse de l’Ombudsman.
[11] Une vaste injustice, en ligne.
[12] La Loi est affichée en ligne ici.
[13] La loi du silence, en ligne.